Esther SMOLAR, née FELDA (1897-1944)
Esther Felda était une femme de nationalité russe et de confession juive. Elle vit le jour en 1897, à Vielun, une ville de Pologne qui se trouvait alors dans l’Empire russe. Ses parents s’appelaient Henri Felda et Fanny Marcovitz. Le temps qui sépare sa naissance de son arrivée en France nous est inconnu, mais nous savons qu’elle s’est mariée le 3 mars 1920 à Paris avec Jacob Smolar, un homme qui était lui aussi né en Russie et de confession juive. Esther avait-elle rencontré son mari à Paris ou en Russie ? Quand avait-elle émigré en France ? Nous ne le savons pas. Ses parents étaient en tout cas présents lors de son mariage. On devine qu’elle avait émigré vers la France en famille, peut-être quand elle était encore jeune. La famille Felda avait-elle fui les nombreux pogroms antisémites qui avaient commencé à se développer au tournant du XXe siècle en Europe de l’Est et en Russie ? Étaient-ce des bourgeois ou des propriétaires terriens qui avaient fui l’Empire russe après la révolution bolchevique de 1917 ? Les archives n’en laissent pas de traces, mais ces évènements furent peut-être ceux qui les poussèrent à l’exil.
Installés à Paris, Esther et son mari Jacob donnèrent naissance à une fille, Ginette, née en 1923. La famille vivait dans le 11ème arrondissement, au 28 rue des boulets, dans un immeuble haussmannien situé non loin de la place de la Nation. Esther était employée et son mari tailleur.. Selon les archives, Esther acquit la nationalité française lorsqu’elle se maria avec lui. Dans l’entre-deux-guerres, les Smolar formaient donc une jeune famille française d’origine émigrée avec leur fille Ginette. Comme beaucoup d’immigrés de cette génération, ils devaient parler français le jour, et sans doute une autre langue à la maison, peut-être le russe ou le yiddish, le dialecte juif pratiqué par les communautés juives d’Europe de l’Est.
Bulletin de mariage de Jacob Smolar et d’Esther Felda, le 4 mars 1920. Le bulletin a été délivré à Ginette Smolar le 1er juin 1946, dans le cadre de la constitution d’un dossier de disparition.
Smolar Jacob, SHD de Caen, dossier n°21P539707.
Esther connut le début de la guerre, en 1939, puis l’Occupation, après la défaite de 1940. Elle vit le maréchal Pétain arriver au pouvoir et mettre en place un État autoritaire et antisémite. En 1940, en effet, le régime de Vichy publia le statut des Juifs, un ensemble de lois discriminatoires contre les Juifs qui les empêchait d’exercer certains métiers à responsabilité, comme médecin, avocat, directeur d’usine ou d’école. Si Esther, en tant qu’employée, ne fut pas directement touchée par cette première législation, elle fut directement concernée par d’autres mesures, comme le recensement de la population juive et de ses biens, mise en place en 1941, ou par le port de l’étoile jaune, décidé en 1942. Ether, Jacob et Ginette traversèrent aussi l’épreuve de la rafle du Vel d’Hiv, durant laquelle plus de 4000 policiers français arpentèrent les rues de Paris et de sa banlieue pour y arrêter des Juifs, plus de 13 000 au total, dont 4000 enfants. Comment les Smolar vécurent une telle période ? Sont-ils allés se faire recenser comme Juifs ? Ont-ils porté l’étoile jaune ? Ou au contraire, se sont-ils cachés par crainte d’être arrêtés et déportés ? Avaient-ils conscience que les arrestations de Juifs parisiens n’était qu’une étape de la « solution finale » décidée par Hitler en 1942 ? Que pensait alors Esther ? Que ressentait-elle ? Elle devait craindre, forcément, pour elle, pour son mari et pour sa fille Ginette. Face à toutes ces questions, nous pouvons répondre qu’il était probable qu’Esther et sa famille se cachaient pour éviter l’oppression nazie. En effet, les archives mentionnent qu’Esther et son mari ont été arrêtés sur dénonciation, par la milice française. Capturés à leur domicile, on peut donc imaginer qu’ils ne s’étaient pas déclarés comme juifs et continuaient d’habiter chez eux.
Le 18 juillet 1944, Esther fut arrêtée avec son mari, soit un peu plus d’un mois après le débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin. Nous pouvons deviner l’espoir qui l’habitait face à l’avancée progressive des Alliés vers Paris. Toutefois, dans leur folie meurtrière, les Allemands intensifièrent leur traque des juifs arrestations en 1944, preuve de leur ambition génocidaire. Esther et son mari firent partie des derniers convois envoyés vers les camps de la mort depuis la France à l’été 1944. Le 19 juillet, ils furent envoyés au camp de Drancy, le grand camp d’internement de Paris d’où partaient des trains vers l’Allemagne et la Pologne. Le 31 juillet, ils furent intégrés au convoi 77 et envoyés vers Auschwitz. Selon le ministère des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre, le trajet durait cinq jours, même si nous savons aujourd’hui que le convoi attint Auschwitz le 3 août. Nous pouvons alors imaginer leur arrivée ce jour-là : exténués, après un voyage dans un wagon à bestiaux, à peine nourris et hydratés, sans toilettes, entassés avec des dizaines d’autres déportés, entièrement déshumanisés. Le tri, ensuite, réalisés par les nazis, entre ceux qui iraient travailler et ceux qui seraient tout de suite exécutés dans les chambres à gaz. Les enfants de moins de 14 ans et les personnes de plus de 50 ans l’étaient systématiquement. Esther avait 47 ans, Jacob 51. Ont-ils été séparés ? Ou furent-ils exécutés ensemble dès leur arrivée ? Ils ne sont dans tous les cas jamais revenus d’Auschwitz, où ils moururent assassinés par les nazis.
Plus d’un an après la Libération, en 1946, la fille d’Esther et de Jacob, Ginette, fit une demande de jugement déclaratif d’absence au procureur du département de la Seine. Elle n’a pas été arrêtée avec ses parents, pour une raison que l’on ignore. Le jour de l’arrestation de ses parents, elle était âgée de 21 ans et vivait donc peut-être autre part, ou n’était tout simplement pas chez elle ce jour-là. Comme tant d’autres après la guerre, Ginette devait se demander ce qu’étaient devenus ses parents : avaient-ils été simplement déportés ? Peut-être allaient-ils être rapatriés, mais que cela prenait du temps, car la guerre avait engendré de nombreuses destructions ? Elle a dû, comme le reste de l’opinion publique, voir peu à peu des images des camps, suivre les informations du procès de Nuremberg (1945-1946), sans savoir exactement ce qu’étaient devenus ses parents. Finalement, en vertu d’une ordonnance de 1946 stipulant que les déportés qui n’avaient donné de nouvelles cinq ans après leur disparition devaient être déclarés morts, le décès d’Esther et Jacob fut officiellement prononcé en 1950 et daté au 5 août 1944.
Cette biographie a été écrite à partir des archives du Service Historique de la Défense : Smolar Jacob, SHD de Caen, dossier n°21P539707.
Acte de disparition d’Esther Felda, émit le 31 juillet 1946 par le ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre
C’est ainsi que le parcours d’Esther Smolar s’inscrit dans l’histoire de l’Occupation et de la Shoah. En tout, ce fut environ 135 000 personnes qui furent déportés de France vers les camps d’Allemagne et les centres de mise à mort de Pologne. Parmi eux, environ 60 000 le furent pour des raisons de répressions (résistants, opposants politiques, communistes…) et environ 75 000 parce qu’ils étaient juifs. Parmi ces derniers, seuls 3,5% survécurent, et près de 60% furent, comme Jacob et Esther, assassinés dès leur arrivée.