André WEIL
Je suis Mickaël PINOT, j’ai 41 ans, je suis professeur d’histoire-géographie sur l’île de la Réunion depuis 2005 et j’enseigne au collège Mille Roches depuis 2009.
J’ai toujours eu à cœur de mener une pédagogie de projet et je tiens beaucoup à transmettre la mémoire du passé aux élèves.
Le projet Convoi 77 intègre justement ces deux démarches.
L’enseignement de la Shoah n’est pas chose aisée, peut-être encore plus en dehors de l’Europe en raison d’une mémoire plus ténue du fait de notre éloignement de l’Europe, tragique théâtre de ce génocide.
Convoi 77 me permettait ainsi d’incarner et de rendre plus concrète cette hsitoire tragique tout en impliquant les élèves dans son écriture.
En recevant les archives d’André Weil, nous avons réfléchi à comment l’écrire et avons opté pour un récit autobiographique posthume. C’est une façon de rendre ce récit vivant et de permettre aux lecteurs de s’y identifier.
Le dépouillement des archives s’est fait de manière collective mais l’écriture a été réalisée par groupes avec un partage par thématiques (naissance/famille, résistance, arrestation/déportation, recherches après guerre,…). Un groupe était chargé de la mise en forme du document.
Nous avons lancé parallèlement la demande de la pose d’un pavé Stolpersteine devant son domicile lyonnais pour donner, à hauteur de trottoir, de la visibilité à ce passé.
Biographie d’André Weil
Un dossier d’archives, toute l’histoire d’une vie, les traces de mon passé … laissez-moi vous raconter ma vie …
Je m’appelle André Weil et je suis né le 7 juin 1904, au tout début du XXe siècle, à Hatten, un petit village situé dans le Bas-Rhin, en Alsace.
A cette époque, l’Alsace n’est plus française, elle fait partie de l’Allemagne, ce qui fait que je suis en réalité né Allemand.
Ma famille est de religion juive et mes parents sont Armand Weil et Alice Wolf. En Alsace, vivent de nombreux juifs, nos voisins sont catholiques ou protestants. Nous vivons ensemble en toute harmonie
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, je suis un jeune garçon, j’en ai des souvenirs… A la fin de la Guerre, ma chère Alsace redevient donc française et j’ai retrouvé la nationalité française le 31 décembre 1920.
Les années passent et après mes études, alors que j’ai 29 ans, j’épouse Lucie Fanny en 1933… tiens, j’y pense, c’est l’année où Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Une triste coïncidence, un triste symbole, dont j’étais loin d’imaginer les conséquences…
Notre mariage a été célébré dans la petite ville alsacienne de Muttersholtz.
A la suite de cette union, nous avons eu deux beaux enfants, Claude né le 11 septembre 1934 puis peu de temps après Colette née le 19 septembre 1935. Ils sont arrivés dans un monde qui devenait de plus en plus incertain, instable et en Europe le ciel ne cessait de s’assombrir…
En 1939, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate avec l’invasion de la Pologne, je suis mobilisé et enrôlé comme de nombreux jeunes Français dans l’armée.
La défaite qui suivra en juin 1944 a été une catastrophe nationale mais aussi personnelle : nous avons perdu face aux Boches. La signature de l’armistice marque le retour de ma chère région dans le Reich allemand : annexée, à nouveau nous sommes ballotés d’un côté ou de l’autre du Rhin. L’histoire semble bégayer.
La situation pour les juifs devient difficile en Alsace et nous choisissons de partir, de fuir vers le sud, vers la zone libre, et nous nous installons à Lyon où nous pensions que nous serions en sécurité en tant que juifs.
Mon itinéraire à Lyon en 1943-1944 …
Sur place, nous logions en plein coeur de Lyon, au 185 cours Lafayette. J’y ai développé une activité de commerce, notamment de couteaux, j’ai pu acquérir un entrepôt pour celle-ci au 19 rue Dumoulin dans le VIIe arrondissement de Lyon .
En parallèle, j’ai pris la décision, malgré les risques encourus, d’entrer dans la Résistance. Sans me considérer comme un héros, je choisis d’héberger des réfractaires au Service du Travail Obligatoire, qu’on appelle souvent le “STO”.
Parmi les personnes que j’ai aidées, il y a Rosabrunette Jacques, entre octobre 1943 et juin 1944, qui était un prisonnier de guerre évadé.
Sur dénonciation, j’ai été arrêté par la Milice, la police de Pétain, le 18 juillet 1944. Deux individus sont alors venus me chercher dans mon entrepôt. Deux – trois jours plus tard, deux agents sont revenus pour saisir mes marchandises : Moreau Laurent en fut le témoin oculaire, il a témoigné.
Je ne sais et je ne comprends pas qui et pourquoi ai-je été dénoncé ? Qu’est-ce qui a pu motiver un tel acte à l’encontre d’un compatriote ? La haine antisémite ? Le fait que j’héberge des résistants au STO ?
Je ne saurai jamais mais cela continue à me hanter de là où je suis…
Mon appartement lyonnais fut pillé le jour de mon arrestation.
J’ai été transféré dans la prison de Montluc le 18 juillet 1944 à Lyon où j’ai été interrogé, sous la torture, pour que je parle et que je dénonce mes amis résistants. Je n’ai rien dit…
Puis nous avons été transférés à Drancy le 24 juillet 1944, dans ce tristement célèbre camp de transit proche de Paris.
Nous y sommes restés, dans des conditions de vie difficiles, quelques jours jusqu’à ce départ du 31 juillet 1944, un départ vers l’inconnu, vers l’enfer….
J’y suis arrivé par train le 5 août 1944, dans une chaleur torride. Nous y avons été déportés par train, un train qui servait d’habitude à transporter des bestiaux. Comme les autres déportés nous avons subi l’horreur de la déportation : le long temps de trajet, près de 3 jours, sans que l’on soit nourri, le peu d’eau disponible, l’hygiène déplorable dans ces wagons surpeuplés dans la chaleur du mois de juillet,…
J’ai perdu la vie, comme des centaines de milliers d’autres personnes, en Pologne, dans le macabre camp d’Auschwitz…
Certains étaient déjà morts avant même l’arrivée dans le camp de la mort. A notre arrivée, nous avons subi la sélection sous les cris, les coups et les hurlements des soldats Allemands qui nous encadraient avec leurs chiens.
Nous avons été sélectionnés pour être dirigés vers les chambres à gaz dans lesquelles nous sommes entrés après avoir été déshabillés et tondus. Sans vraiment savoir ce qui nous attendait, nous sommes entrés dans cette vaste salle dans laquelle le zyklon B fut déversé…la mot s’en est suivie.
Je n’ai pas la force de raconter ce que l’on fit de nos corps, les livres d’histoire le racontent très bien…
Après ma mort et après la guerre j’ai vu, de là où je suis, qu’Alice a cherché à comprendre mon absence…
Elle a eu du mal à croire que je n’étais plus de ce monde… elle s’est accrochée à cette histoire de déportés juifs libérés par l’avancée russe en Haute-Silésie. Je ne faisais malheureusement pas partie de ces déportés libérés par les Soviétiques.
Elle a réalisé de nombreuses démarches pour élucider les conditions de ma disparition et faire reconnaître devant l’État, devant la nation, mes actions de résistance. Ne perdant jamais espoir, elle est parvenue à obtenir officiellement un acte de disparition, daté et signé le 8 août 1947.
Grâce à ma femme et aux témoins qui m’ont connu, mes actes de résistance pendant la guerre furent également reconnus comme tels et le 24 novembre 1955 je fus déclaré « Mort pour la France ».
Ainsi s’achève ma vie. Certains diront une mort pour rien, un destin brisé.
Comme d’autres, j’ai fait ce que j’avais pensé être le meilleur pour mon pays et en accord avec mes valeurs, celles de la République, celle qui nous unissent.
Je n’ai aucun regret, si ce n’est d’avoir laissé une veuve et des orphelins, ceux à qui je dédie ce récit de vie.