Albert CARIO
Source de la photographie : Mémorial de la Shoah/Coll. Laurence Cohen-Carraud
« Les histoires de famille et ce que l’on voudrait appeler Histoire, avec sa pompeuse majuscule, n’a aucun sens. C’est rigoureusement la même chose. Il n’y a pas d’un côté, les grands de ce monde, avec leurs sceptres ou leurs interventions télévisés, et, de l’autre, le ressac de la vie quotidienne, les colères et les espoirs sans lendemain, les larmes anonymes, les inconnus dont le nom rouille au bas d’un monument aux morts ou dans quelques cimetières de campagne. » Ivan Jablonka « Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus ».
Au départ les élèves du collège ont travaillé sur cette phrase pour réfléchir aux histoires familiales qui construisent l’Histoire car j’avais beaucoup été marquée par le livre. Je ne me doutais pas que la famille Jablonka connaissait bien une des filles de Régine Balloul, une des sœurs d’Esther Cario, la femme d’Albert Cario. Nous l’avons appris à la fin du travail.
Voici le travail des élèves, voici leurs mots.
Afin de mieux lire les documents présents dans la biographie, cliquez sur les images pour les voir au format original.
Il habitait notre quartier
Le premier document est l’acte de mariage d’Albert Cario et Esther Balloul datant du 11 février 1932 mais délivré à Paris le 8 avril 1949, par la mairie du 19ème arrondissement de Paris.
Le deuxième document est un recensement de la population de la ville de Paris effectué en 1936 dans le quartier de Saint-Fargeau.
Dans le premier document on découvre qu’Albert est né le 13 mars 1900 à Constantinople, en Turquie, ses parents sont Haïm et Louna Cario et qu’Esther est née en 1906 à Andrinople en Turquie , que ses parents sont Menahem et Vida Balloul et qu’Albert et Esther se sont mariés le 11 février 1932 dans la mairie du 19ème arrondissement. La Turquie était alors dans l’Empire Ottoman.
Dans le second document (extrait du recensement de 1936 des Archives de Paris) on apprend que les Cario (Esther et Albert) vivent avec les Balloul (le père d’Esther et deux de ses enfants) au 44 rue de Pelleport dans le 20ème arrondissement à Paris. Le père d’Esther est le chef de ménage (chef de famille dans les documents de l’époque) et il est sans profession tout comme l’un de ses enfants nommée Régine, son autre enfant Eliezer est gérant d’un magasin dans le 19ème, Albert lui est brocanteur dans le 20ème arrondissement de Paris et sa femme Esther est dactylo.
Le document du recensement nous apprend que les membres de la famille Balloul et Cario sont tous nés en Turquie, Menahem est le chef de ménage et qu’ Albert est son gendre. Menahem est veuf, Albert et Esther sont mariés tandis que Eliezer et Régine sont célibataires.
On peut également voir que le patron d’Eliezer est Bernard (19ème arrondissement), Albert est le patron de son entreprise et le patron d’Esther est Delavaivre (1er arrondissement).
Le n°44 rue Pelleport aujourd’hui :
Source : United States Holocaust Memorial Museum
Un combattant de la Seconde Guerre mondiale
Albert Cario, né le 13 mars 1900, à Constantinople, est un étranger turc qui s’engage volontairement dans l’armée française en 1939 (n° de matricule 16239) selon le texte de loi du 27 mai 1939 qui l’y autorise. Albert est à la limite puisqu’il a 39 ans et comme l’indique le décret de 1939 , l’âge maximum est fixé à 40 ans. Il a un casier judiciaire vierge. Son unité était le dépôt du train n° 9 de la première région militaire, son bureau de recrutement le bureau central de la Seine.
Dossier 8_0087 liste d’engagement.
Le Mémorial de la Shoah de Paris organise l’atelier « Au nom de la liberté », auquel les élèves ont participé.
Ils ont travaillé sur le parcours d’engagés volontaires comme Albert Cario : Léo Cohn (Il intègre le premier régiment Étranger d’Infanterie), Joseph Kessel (engagé dans les Forces aériennes françaises libres), Joseph Epstein (chef des FTP de Paris) ou Victor Fajnzylberg (engagé dans les Brigades Internationales).
Dès septembre 1939, les volontaires étrangers s’engagent. 43 000 étrangers sont incorporés sur 83 000 demandes dont environ 25 000 Juifs. Les volontaires veulent défendre leur patrie d’adoption contre la menace nazie, ils veulent aussi soutenir leurs camarades, ils souhaitent aussi ainsi acquérir la nationalité française. Cet engagement était au risque de leur vie.
Plus de 25 000 volontaires juifs sont incorporés soit dans les régiments de marche des volontaires étrangers (RMVE), soit dans l’infanterie de la Légion étrangère, soit dans l’armée polonaise reconstituée sur le territoire français et dans l’armée tchécoslovaque.
Seule une partie des engagés volontaires vont effectivement être incorporés tout au long de l’hiver 1939 et du printemps 1940, en fonction des besoins, des ressources en équipement souvent défaillantes et en structure d’accueil.
Le contexte de l’arrestation et de la déportation d’Albert Cario
Source : United States Holocaust Memorial Museum
En 1944, la France est coupée en deux parties. La zone libre qui est dirigée par le maréchal Pétain qui a les pleins pouvoirs depuis 1940 et la partie occupée qui appartient à l’Allemagne nazie depuis 1940.
En Europe l’armée russe et ses victoires sur l’armée allemande (Stalingrad le 2 février 1943) permettent la conquête et/ou la reconquête de nombreux territoires notamment sur le front de l’Est avec la Finlande, la Roumanie ou encore la Bulgarie grâce au recul des Allemands. De plus, sur le front de l’Ouest c’est le début de la conquête de l’Italie (l’un des trois pays de l’Axe avec le Japon et l’Allemagne) en janvier 1944.
Le front de l’Est : Durant l’été 1944, les Soviétiques ont lancé une offensive majeure, qui a libéré de la domination nazie le reste de la Biélorussie et de l’Ukraine, les pays Baltes et la Pologne orientale. En Août 1944, les troupes soviétiques ont traversé la frontière allemande.
L’Allemagne nazie commence à perdre de plus en plus de batailles face à l’URSS et le 6 juin 1944, les Américains, les Anglais, les Canadiens et les résistants français dirigés par le général de Gaulle débarquent en Normandie. Dans ce contexte de défaites militaires successives, Hitler réquisitionne les troupes allemandes pour déporter et tuer plus de Juifs.
C’est dans ce contexte qu’est organisé le convoi 77, parti de Drancy le 31 juillet 1944, l’un des derniers convois de Juifs depuis la France, contenant un millier de Juifs partant de Drancy en direction d’Auschwitz.
En France, les troupes allemandes sont encore plus assidues dans leur tâche puisqu’il ne reste plus que quelques jours avant que Paris ne soit libéré et cela s’avère vrai puisque le 25 août 1944, Paris est libéré.
L’arrestation et la déportation d’Albert Cario a eu lieu à peu près un mois après le débarquement allié en Normandie et un mois avant la libération de Paris, c’est la fin du régime de Vichy (qui va être remplacé par le CFLN, le comité Français de Libération National qui devient le nouveau gouvernement) avec le dernier conseil des ministres à Vichy le 12 juillet 1944. C’est la débâcle de l’armée Allemande. La France se libère peu à peu grâce aux alliés.
Interné au camp de Drancy
Wagon témoin mémorial de la Shoah Drancy.
En mars la classe s’est rendue au Mémorial de Drancy. Albert a été déporté avec sa fille qui n’avait que 8 ans.
Voici leur travail et leurs impressions, ils ont pu écouter des témoignages d’enfants qui furent internés à Drancy comme celui de Francine Christophe, Jacques Szwarcenberg , d’Annette Landauer et Gil Tchernia.
Francine Christophe a été arrêtée en 1942, à l’âge de huit ans et demi avec sa mère. Elles sont déportées au camp de concentration de Bergen-Belsen le 7 mai 1944 dans le convoi n°80. Jacques Szwarcenberg a été déporté en février 1944, il a 11 ans, à Bergen-Belsen. Annette Landauer a été arrêtée et emprisonnée à Drancy en 1942 lors de la rafle du Vel d’Hiv, elle a 11 ans. Gil Tchernia est arrêté et emprisonné à Drancy en 1943, il a 4 ans.
A l’arrivée au camp de Drancy, les déportés se font contrôler leurs bagages, pour ceux qui en ont, par les autorités Allemandes, les agents ou les gendarmes. Ils sont ensuite inscrits sur un registre et doivent porter l’étoile jaune pour ceux qui ne l’avait pas.
La communication avec l’extérieur était possible. L’extérieur envoyait des colis d’alimentation aux déportés qu’ils partageaient entre eux dans la chambre. Ils cousaient des lettres dans les ourlets des vêtements à peine visibles pour pas que les autorités Allemandes s’en rendent compte.
Les témoins décrivent des chambrées mal odorantes, les matelas sont par terre à même le sol, Ils sont tachés de sang et dégoûtants. Les internés sont 60 par chambrées; il n’y a pas d’intimité, ni de douches pour se laver. Ils font donc leur toilette à l’aide d’un robinet.
Les témoignages des rescapés montrent qu’ils sont des exceptions car la grande majorité des internés a été déportée vers des centres de mise à mort. Nous pouvons dire en quelque sorte qu’ils ont eus de la «chance» d’échapper à la mort mais ils ont quand même vécu dans des conditions atroces dans la peur, la saleté, les maladies, la faim et les violences. Le camp de Drancy représente aujourd’hui pour ces témoins un endroit où ils ont beaucoup souffert. C’est quelque chose qu’ils ne veulent surtout pas oublier, une partie de leur personnalité et de leur morale repose sur le camp Drancy. Le revoir leur permet de se reconstruire même s’ils auraient préféré que cela soit transformé en musée, certain estiment que le fait que le camp de Drancy se soit transformé en HLM signifie aussi le renouveau et la Renaissance.
Impression des élèves
« Un passage m’a particulièrement marqué: il s’agit de celui ou un des anciens internés qui raconte que lorsqu’il jouait sur un balcon avec d’autres enfants, un soldat allemand a crié fort et les a mis en joue avec son arme. Ce passage témoigne de la violence au sein du camp et de la cruauté des gardiens. »
« Les enfants recevaient le même sort que les adultes. La majorité des gendarmes n’avaient aucune pitié pour eux et allaient même jusqu’à les frapper. »
« Ce qui m’a également marqué, ce sont les dessins réalisés par les internés : sombres, tristes et lugubres, ils montrent la vie au sein du camp. Cette façon triste et lugubre de représenter ce qu’ils voyaient témoigne de leur désespoir face à l’internement dans le camp, comme en témoigne les titres de ces dessins notamment «Vivre comme un chien» et «Au seuil de l’enfer».
« Il y a également le reste d’un mur où j’ai vu gravé un nom, la date d’arrivée et de déportation et une phrase qui m’a énormément touché, qui est «je reviens». »
Fernand Bloch, Max Lévy et Eliane Haas ont été déportés par le convoi 77
« Ce qui m’a touché est l’histoire du tunnel construit par des internés pour s’évader et découvert par les gardes. Par chance les 12 internés qui s’étaient fait prendre avaient été envoyés dans un autre camp. Dans le train, ils ont réussi à s’évader avec les autres personnes du wagon. »
« La faim et le bruit incessant semblait toujours revenir dans les témoignages, ça a dû être vraiment traumatisant pour eux. Les conditions d’hygiène sont affreuses et je n’arrive pas à comprendre comment des gens trouvaient du plaisir à faire ainsi souffrir les gens. Une chose qui revenait beaucoup dans les témoignages même si les rescapés du camp ayant été interrogés n’ont pas été questionnés dessus est le fait de ne pas se faire remarquer au risque de souffrir. L’exemple donné montre à quel point il était important de respecter cette règle implicite est tout simplement effroyable et glaçant : mettre des enfants en joue car ils jouent bruyamment est affreux. »
« Une chose qui m’a beaucoup étonné est que des gens (les policiers et leurs familles) ont volontairement accepté de vivre dans les tours surplombant le camp et donc de pouvoir regarder à n’importe quel moment de la journée des hommes, des femmes et des enfants souffrir, ces gens sont abjects. »
« Ce qui m’a marqué le plus lors de notre visite à Drancy a été le wagon. Ce wagon de la SNCF était utilisé pour déporter des juifs jusqu’à Auschwitz pour être assassinés comme du bétail.»
« Ce qui m’a marqué lors de la visite du Mémorial de Drancy et l’écoute des témoignages est le manque d’hygiène. Savoir que les personnes dormaient par terre sur des paillassons plein d’excréments et qu’ils ne pouvaient pas faire leur toilette avec les robinets à disposition avec un peu d’intimité m’a choqué. Aussi ce qui m’a marqué lors de cette visite et l’écoute de témoignages est la faim qu’avaient ces gens dans les camps. Les parents se sacrifiaient pour que leurs enfants puissent manger sans avoir faim en leur donnant leur propre repas. Les petits garçons qui fouillaient dans les poubelles à la recherche de restes et mangeaient tout ce qu’ils pouvaient m’a fait vraiment mal au cœur, personne ne mérite d’avoir autant faim et tout le monde devrait manger à sa faim. La vie dans les camps étaient monstrueuse pour tous et je pense encore plus pour ceux qui sont arrivés sans leur parents. »
« Le fait d’avoir vu le nombre exorbitant d’enfants internés m’a marqué ; il me paraissait impensable et insensé d’apercevoir tant d’enfants vivre dans de telles conditions pour la plupart sans leur mère et pour des raisons qui sont complètement ignorées à leur âge. Nul ne mérite de vivre dans de telles conditions de vie et d’hygiène aussi médiocres pour la personne que l’on est. Qu’importe l’origine, la confession ou l’orientation sexuelle. Ces enfants ne méritaient rien de tout ce qu’ils ont vécu. »
« Lors de la visite du Mémorial de Drancy la chose qui m’a marqué c’est les enfants qui doivent rester sans repères, sans parents, sans frères et soeurs, ou encore quand lors d’un témoignage l’un d’eux a dit que tellement leur soupe ne leur suffisait pas, ils attendaient que les cuisiniers sortent les poubelles pour s’y servir. Car ils avaient très faim et ça m’a tout de suite fait réagir car je trouve ça triste qu’un enfant ne puisse pas manger à sa faim. »
Son arrestation et sa déportation
Albert Cario est déclaré disparu le 30 mars 1950. Il a été arrêté le 20 juillet 1944, interné à Drancy et déporté le 31 juillet 1944 à Auschwitz (Pologne).
Fiche de Drancy
Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC)
Sur le mur des noms de l’année 1944 du Mémorial de la Shoah à Paris nous avons pu voir les noms d’Albert, Esther et Nicole Cario :
La recherche menée par des proches, des élèves mènent l’enquête
Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC)
D’après les documents, on remarque que des proches des victimes on fait la demande de non-rentré, ici en l’occurrence c’est Régine Vinerbet, car dans la partie « pour les parents indiquer ci-dessous le degré de parenté avec le « non-rentré » », elle a mis pour Albert que c’était son beau-frère.
En se basant sur les documents concernant la famille Cario, nous pouvons constater que Régine Vinerbet, la belle soeur d’Albert Cario, dépose une demande en vue d’obtenir la régularisation de l’état civil des non-rentrés de Nicole, Albert et Esther Cario, auprès du ministère des anciens combattants et victimes de guerre, le 15 mars 1950.
La famille proche comme Régine Vinerbet, se soucie d’eux et fait des recherches pour savoir ce qu’ils sont devenus. Pour cela elle fait une déclaration «de non-rentré» en fournissant les papiers nécessaires au Commissariat de Police de Saint Fargeau à Paris.
D’après les archives consultées nous ne savons pas si cette demande a abouti. Il est évident qu’ils sont morts mais Régine voulait savoir où? Dans quelles circonstances? On peut remarquer qu’elle possède la même adresse que la famille Cario (54 rue Pelleport 75020), peut-être qu’elle vivait avec eux ?
D’après les feuilles de témoignages enregistrées et transmises par le comité français Yad Vashem, Janine Solesco a fait les démarches pour que la famille Cario soit reconnue comme victime de la Shoah.
Cette personne habitait au 14 rue Favart dans le 2ème arrondissement de Paris.
Le restaurant Poccardi, rue Favart.
https://www.lesnocesdejeannette.com/restaurants-insolites-paris
https://www.lessoireesdeparis.com/2018/11/28/les-roses-de-poccardi/
On pourrait la contacter via courrier, peut-être est-elle en possession d’autres documents ou d’autres informations. Une branche de la famille d’Esther ou d’Albert s’est installée dans le 2ème arrondissement de Paris, peut être y vit elle encore.
En tout cas l’adresse donnée le 17 décembre 1991, 14 rue Favart 75002 semble désormais être celle d’un restaurant, Les noces de Jeannette, un restaurant qui avant s’appelait le Poccardi.
A la Bibliothèque historique des postes et télécommunications, rue Pelleport, les recherches menées dans les microfilms des vieux annuaires ont indiqué que Janine Solesco avait habité dans le 12ème arrondissement. En allant à l’adresse indiquée personne n’a pu donner son adresse actuelle.
Microfiches de la Bibliothèque historique des postes et télécommunications.
Sur le document provenant du mémorial de la Shoah on a vu tout en bas Coll. Laurence Cohen-Carraud. On a donc cherché la signification de Coll. Qui semble signifiait collaborateur en particulier lorsque quelqu’un a aidé à produire une œuvre ou un ouvrage (la photo des Cario vient peut-être d’elle ?). On a cherché ensuite des informations sur Laurence Cohen-Carraud : 5.
https://www.annuairetel247.com/cohen-carraud-laurence-paris-rue-dareau
peut être que c’est la personne indiquée en dessous de la photo.
Contact fut pris.
Elle nous a notamment transmis l’arbre généalogique d’Albert :
Laurence Cohen-Carraud est une cousine lointaine de la famille Amon : la mère d’Albert Cario s’appelait Fanny Louna née Amon. Laurence Cohen-Carraud raconte :
« Il y a longtemps, mon père, Isaac Cohen, a reconnu sur une photo Léon Cario ainsi qu’un cousin Henri Amon, sans ajouter autre chose. Notre famille ayant également été durement touchée par la déportation (convois 59 et 63: mes grands-parents Mercado, Sultana, mes oncles Joseph et Jacques, ma tante Marie, ma cousine Monique et deux cousines de mes grands-parents dont Rebecca Amon-Chaki, sœur de Fanny Louna Amon-Cario)
6.https://ressources.memorialdelashoah.org/notice.php?q=fulltext%3A%28MERCADO%20COHEN%29%20AND%20id_pers%3A%28%2A%29&spec_expand=1&start=0
Il était impossible d’en parler avec Papa, ni de lui poser la moindre question, car alors des torrents de larmes se déversaient. Aussi, nous avons pris l’habitude de ne jamais poser de questions.
Plus tard, j’ai fait des recherches généalogiques et je pense que nous sommes liés à la famille Amon par mon arrière grand-mère (mère de mon grand-père Mercado Cohen), qui était sans doute la sœur d’Aaron Amon, le père de Louna Amon et grand-père d’Albert Cario. Cela est corroboré par un test ADN réalisé par mon cousin germain Claude Cohen ainsi que par Moris Amon (fils d’Emil Amon, petit-fils de Vitali Haïm Amon, montrant qu’ils sont cousins au 4ème degré).
J’ai pu retrouver, également grâce à une photo vue sur le site du Musée d’Art et d’Histoire Juive, la fille d’Henri Amon, Monique Thibault-Amon. Elle m’a mis en contact avec des descendants de la famille Amon-Cario, grâce à la plateforme de généalogie My Heritage. Ainsi, j’ai pu entrer en contact avec Julio au Costa Rica, petit-fils de Victoria, sœur d’Albert Cario, avec Peter en Australie et Mark aux Etats-Unis, petits-fils de Maurice Cario, frère d’Albert Cario. Leur cousin Moris aux Etats-Unis m’a également apporté certaines informations. D’après leurs récits, et ceux de mes cousins Claude et Françoise, et mes propres recherches dans des fonds d’archives, j’ai pu reconstituer les informations suivantes sur la famille d’Albert Cario.
Leur recherche généalogique remonte au plus loin aux grands-parents d’Albert Cario : Aaron Amon et Susana Sultana Salti, qui se marient vers 1858.
De leur union naissent 5 enfants dont Fanny Louna Amon, la mère d’Albert Cario. (Fanny Louna a pour frères et sœur : Yom Tov Amon, Vitali Haïm Amon, Rébecca Amon (épouse Chaki) et Menahem Amon.
A noter, les orthographes peuvent changer selon les documents : En effet, l’orthographe des noms/prénoms est sujette à précaution, car au 19ème siècle/Début du 20ème siècle, les noms étaient écrits soit en hébreu, soit en judéo-espagnol avec l’alphabet rachi ou solitréo, soit en turc avec l’alphabet musulman. Par conséquent leur transcription française se faisait phonétiquement et par exemple, on retrouve des :
- Susana/Suzanne/Suzanna (souvent associé à Sultana)
- Haïm, Hayim, Haym, (signifie la vie, souvent associé à Vitali)
- Fanny Louna/Fannie Luna/Fani Luna
Et parfois des prénoms trop marqués pour leur judéïté ou trop différents sont carrément francisés en d’autres prénoms : Ainsi, comme l’a raconté Léon Cario à son petit-neveu Julio, Albert a remplacé Abraham; Maurice/Morris a remplacé Moïse ou Mordechai , Arthur a remplacé Aaron et Léon a remplacé Jehuda.
La Famille d’Albert :
Fanny Louna Amon épouse Vitali Haïm (ou Hayim ou Chaim) Cario. Vitali est un banquier.
De leur union, naissent 6 enfants : 5 garçons et une fille. Maurice, Arthur, Albert, Victoria, Léon et Joseph.
Ils habitaient à Constantinople, je crois sur la rive asiatique, Kuzguncuk.
Leur fils ainé, Maurice commence à Paris des études de médecine, probablement un peu avant la Première Guerre mondiale. Son frère Arthur est en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale et sera interné dans un camp de prisonnier, la Turquie étant alors opposée à l’Angleterre. Les Juifs sépharades originaires de l’Empire Ottoman étaient parfois considérés comme des ennemis de la Triple entente, mais parfois avaient un statut particulier, de protégés, n’étant pas considérés comme Turcs. En France, comme en Angleterre, les deux cas seront vécus par des membres de la famille.
Fanny Louna et son mari Vitali Haïm Cario meurent jeunes du typhus en Turquie vers cette période. Leurs plus jeunes enfants sont temporairement adoptés par leurs oncles maternels Vitali Haïm Amon et Menachem Amon.
On est dans les années 1920, lorsque Victoria, Albert, Léon and Joseph suivent Maurice en France.
La fratrie d’Albert :
Maurice Cario interrompt ses études de médecine (il a terminé sa 4ème année d’études en médecine à la Sorbonne à Paris) et apprend le commerce du diamant. Un de ses frères travaillait déjà dans ce domaine. Après sa formation, il est envoyé à Hong Kong, probablement au début des années 1920, pour poursuivre le commerce de pierres précieuses. Il y vécut le reste de sa vie, à l’exception d’un certain temps (un an peut-être ?) au Japon dans les années 1930 pour acheter des perles de l’industrie naissante des perles de culture.
À un moment donné dans les années 1920 ou 1930, il a obtenu un siège à la bourse de Hong Kong et a commencé à travailler à temps partiel en tant que courtier. Il a été membre fondateur de la Hong Kong Stockbrokers’ Association. Pendant la Seconde Guerre mondiale, son commerce est saccagé par les Japonais et il est interné. Il a abandonné l’industrie des pierres précieuses après la guerre et s’est concentré sur son courtage en bourse. Il a vendu son siège à la bourse et a pris sa retraite dans les années 1970. Il a déménagé aux États-Unis pour vivre avec sa fille et petits-enfants à Annandale, en Virginie, au début des années 1980 et est décédé le 5/4/83 chez lui à Annandale.
Arthur Cario
Le second frère d’Albert Cario est né à Constantinople le 24/11/1895.
D’après Julio, Arthur Cario a vécu en Angleterre durant la Première Guerre mondiale et a été interné dans un camp de prisonniers, en tant qu ‘ « étranger ennemi ». Il était courtier en perles fines, domicilié à Paris, 7 rue Cadet.
Il est resté célibataire et est décédé en son domicile le 29/01/1924.
Albert Cario
Albert Cario était donc le 3ème de cette fratrie. Albert Cario est né le 13/03/1900 à Constantinople.Quant il se marie avec Esther Balloul il est alors employé de commerce et réside à ce moment-là au 18 avenue Secrétan.
Je remarque qu’aucun membre de la famille d’Albert ou d’Esther n’est témoin à leur mariage. En ce qui concerne Albert, Maurice et Victoria ont déjà quitté la France. Arthur est décédé depuis 8 ans. Mais Léon et Joseph vivent à Paris.
Quant leur fille Nicole, Fanny nait le 24 juin 1936 à Paris dans le 14ème arrondissement (22 rue de la voie verte) ils sont alors alors domiciliés au 44 rue Pelleport à Paris. Et Albert est alors courtier. On remarque que Nicole a pour second prénom Fanny, celui de sa grand-mère paternelle. On peut voir également sur cet acte de naissance la signature de son père Albert Cario.
Bien qu’engagé volontaire comme étranger au Bureau de recrutement de la Seine, en 1939, malgré son âge et sa charge familiale, il a été arrêté le 20 juillet 1944 avec sa femme Esther et leur fille Nicole.
Ils sont internés à Drancy et déportés le 31 juillet 1944 à Auschwitz (Pologne), convoi 77.
Victoria Cario (épouse Amon)
La sœur d’Albert Cario, Victoria Cario est née en 1904 à Constantinople et décédée à San José, Costa Rica, le 25/07/1971.
Victoria a épousé le cousin de sa mère, Isaac Amon-Betsallel (sa famille a également émigré en France après la Seconde Guerre mondiale) et après s’être mariés vers 1923 à Lyon en France, ont émigré d’abord à Curaçao, puis au Costa Rica. Ce sont les grands-parents de Julio :
« Mon grand-père vivait déjà au Costa Rica. Son commerce dépendait beaucoup de son frère Raphaël (qui sera déporté en 1942 par le convoi n° 3) qui lui envoyait des marchandises de France, du linge, du cachemire, du savon de Marseille, du vin, de l’huile d’olive, etc.
Il avait aussi quelques objets chinois à vendre : la marchandise chinoise venait de Hong Kong. C’est le grand-père de Peter, Maurice Cario, qui y habitait, qui l’a aidé à établir les relations commerciales. »
Victoria Cario-Amon avec son fils Alberto Amon-Cario. (Curaçao 1926). Photo transmise par Julio, petit fils de Victoria.
Léon Cario :
Léon est né le 10 juillet 1905 à Constantinople.
Il est arrivé en France en 1925. On peut supposer qu’Albert et Joseph aussi.
Il a habité tout d’abord au 31 rue de Maubeuge à Paris. Il était courtier en bijoux au 11 bis rue de Maubeuge à Paris. En novembre 1932, il va habiter à Enghien-les-Bains, chez sa tante (veuve Abeniacar), au 8 bis Bd d’Ormesson.
Léon Cario avec mes oncles Joseph et David Cohen (vers 1938) – Photo transmise par ma cousine Françoise.
Monique m’a raconté que son père, Henri Amon était cousin germain avec Léon Cario. Léon venait 3 fois par semaine chez Henri. Il allait manger le « pishcado » (le poisson) les vendredis soirs chez eux, et le dimanche chez mon oncle David, comme ma cousine Françoise me l’a relaté. Léon était probablement apatride durant la guerre.
Il n’a jamais eu de boutique. Il était diamantaire. Il a toujours été au Club des Diamantaires, rue Cadet. Il est resté célibataire et n’a pas eu d’enfants.
Il était très secret. Monique n’a jamais été ni su où Léon habitait.
Photo prise en 1947, avec Monique Amon et Françoise (fille de David Cohen) enfants et transmise par Monique.
Il ne s’est jamais remis non plus de la déportation de son frère Albert et de sa famille.
Il est décédé le 1er février 1994 à Garches.
Joseph Cario
Joseph est le plus jeune de la fratrie : Il né le 8/01/1908 à Constantinople.
Joseph est naturalisé français le 15/04/1930. Son prénom est devenu : José Pierre.
Horloger, bijoutier de profession, il est domicilié 92 rue de Montreuil à Vincennes. Il ne s’est jamais remis non plus de la déportation de son frère Albert et de sa famille.
Il décède à Paris d’un cancer le 28/09/1953.
Nous n’avons pas de photo de lui.
Est-ce chez lui ou chez Albert que Papa s’est réfugié pour la première nuit après l’arrestation de sa famille en 1943, je ne le sais pas. Mais Papa m’a écrit qu’il a passé cette nuit terrible chez le frère de Léon Cario.
J’avais demandé aux descendants de la famille Amon-Cario, ce qu’ils avaient comme trace, comme souvenir d’Albert.
Julio Fernandez, petit-fils de Victoria Cario, soeur d’Albert Cario, partie vivre au Costa Rica dans les années 1920 m’a transmis cette photo avec le commentaire suivant : « Après la guerre, l’oncle Léon a rencontré la gouvernante d’Albert qui lui a dit que les Français lui avait pris toutes ses affaires dans son appartement mais avaient laissé ces jumelles d’opéra qu’elle lui donna et que Léon transmis à ma grand-mère Victoria ».
Voilà pour le récit de Laurence Cohen-Carraud.
C’est en contactant une des filles de Régine Vinerbet (née Balloul) que l’on a su comment la famille Cario avait été arrêtée : Albert et Inès ont voulu rester sur Paris, pensant être protégés par leur nationalité turque. Ils ont envoyé pendant un an environ Nicole chez Régine Balloul à Saint-Solve en Corrèze. Puis Nicole est revenue sur Paris, ses parents devaient se cacher ailleurs qu’au 54 rue Pelleport. Cependant Nicole afin de continuer à aller à son école devait sans doute déjeuner chez un voisin.
Régine Balloul a rapporté que Nicole a été probablement dénoncée, on est venue l’arrêter et par elle on a pu arrêter ses parents. Nicole, Albert et Inés ont été déportés et gazés à leur arrivée à Birkenau.
Quelques mots pour terminer: « Le projet du Convoi 77 nous a beaucoup touché car l’histoire des Cario est très émouvante. Cela nous a permis de découvrir la cruauté de cette guerre envers les Juifs. Ce qui leur est arrivé est inhumain , cela nous a bouleversé » . « Nous avons vécu, ressenti les émotions à travers les documents d’archives » . « Albert Cario même n’étant pas né français, il a été volontaire dans l’armée française, a combattu avec elle et fut déporté avec sa famille ».
Sources :
- Archives de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC)
- Site de Yad Vashem
- Bibliothèque de l’Alliance
- Encyclopedia United State Holocaust Memorial Museum
- Archives de Paris
- Bibliothèque historique des postes et télécommunications
Liens :
- https://www.fondationshoah.org/memoire/les-evades-de-drancy-de-nicolas-levy-beff
- https://yvng.yadvashem.org/index.html?language=en&s_id=&s_lastName=cario&s_firstName=IN%C3%A8s&s_place=&s_dateOfBirth=&cluster=true
- https://www.lesnocesdejeannette.com/restaurants-insolites-paris,
- https://www.lessoireesdeparis.com/2018/11/28/les-roses-de-poccardi/
- https://www.annuairetel247.com/cohen-carraud-laurence-paris-rue-dareau
- https://www.bibliotheque-numerique-aiu.org/tous/item/9176-photo-de-groupe-l-alliance-a-casablanca
This biography of Albert CARIO has been translated into English.