Gyula WOLFF-VANDOR
Document : WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069,
d’après la page relative à son acte de déportation
Gyula (Jules, Georges, Jules-Georges) WOLFF dit VANDOR est né le 31 mars 1905 à Arad en Transylvanie hongroise (Empire austro-hongrois). Il est de nationalité hongroise.
Il est le fils du commerçant et négociant en vins Jenö (Eugène) WOLFF, né le 7 janvier 1878 à Glogovăt, et de Jolan (Yolande) FLEISCHER, née le 13 octobre 1882 à Arad. Jenö est le fils d’Alexandru WOLFF et de Paulina STEIN, tandis que Jolan est la fille de Vilhelm FLEISCHER et de Pepi DOMAN. La famille est de confession juive.
Gyula est l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Il a en effet un frère Andras (André) WOLFF dit VANDOR né le 14 mars 1910 à Arad, et une sœur Elisabeth, née le 4 avril 1908, également à Arad[1].
Elisabeth, s’est mariée tout d’abord en 1932 à Ernest SERENYI, né le 3 décembre 1903 à Budapest, engagé au début de la guerre à Paris au 23e Régiment de Marche des Volontaires Étrangers (R.M.V.E.), puis, vingt ans plus tard, s’est remariée à Robert Louis DUBOIS, ingénieur électricien, né le 1er février 1907 à Paris Xe (75) et décédé à La Celle Saint-Cloud le 3 décembre 1960.
WOLFF Elisabeth, © Fonds de Moscou, Dossier n°19940485/6,
d’après la page relative à sa demande de séjour en France.
WOLFF Elisabeth, © Fonds de Moscou, Dossier n°19940485/6,
d’après la page relative à sa demande de naturalisation française, après-guerre, en 1946.
Extrait d’acte de mariage de Madame Elisabeth WOLFF et Monsieur Robert Louis DUBOIS,
© La Celle-Saint-Cloud
L’arrivée en France et l’engagement militaire
Poussés à quitter leur terre natale à cause des persécutions antisémites des nationalistes, les frères WOLFF arrivent en France et se trouvent à Paris le 1er juillet 1939.
WOLFF dit VANDOR André, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-024,
d’après son certificat de domicile du 1er juillet 1939 au 1er avril 1947.
Avenue de la Grande Armée vue depuis l’Arc de Triomphe, Paris 1931,
© BnF Gallica
WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069, d’après la page issue d’un compte-rendu de la Préfecture de Police de Paris concernant l’état-civil de Gyula désormais appelé Jules. Il y est mentionné la religion « israélite ».
Au moment de leur arrestation, ils résident au 41, avenue de la Grande-Armée à Paris dans le XVIe arrondissement, au domicile de leur sœur, arrivée, quant à elle, en France le 6 mars 1939 par Strasbourg, avec un visa provisoire pour travailler dans l’industrie cinématographique pour le compte de la société Filmservice. Elle devait, avec son mari Ernest, chercher des films français à exporter en Hongrie qu’ils devaient traduire. La guerre a mis fin à leur projet professionnel.
Georges-Jules quitte son ancienne profession de dessinateur – qu’il partageait par ailleurs avec son frère –, et s’engage, pour la durée de la guerre, dans la Légion Étrangère (L.É.) le 16 novembre 1939 à la caserne de Reuilly (75). Il fait ses classes en tant que militaire du rang (Deuxième classe) au sein de la 45e compagnie du centre d’instruction de La Valbonne (01) sous le numéro d’incorporation n°11370 dans l’infanterie. Il rejoint le 18 mai 1940, dès sa création, le 23e R.M.V.E au Barcarès (66), où il obtiendra, avec le 3e bataillon dont il fait partie, la Croix-de-guerre.
Extrait du livret militaire de Gyula/ Jules WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069, d’après la page relative à son livret militaire.
Ce document retrace le parcours de combattant de Jules, engagé volontaire en novembre 1939. Il reçoit la Croix-de-Guerre pour ses faits d’armes. Il nous apporte, par ailleurs, quelques éléments sur sa morphologie : sa taille, 178 cm, des cheveux blonds, les yeux noirs, le front haut, le nez droit, le visage ovale. Aucune marque particulière n’est mentionnée. Faute de photographie(s), ce sont les seuls éléments physiques dont nous disposons.
Le signalement militaire le décrit comme blond aux yeux noirs, avec un front haut, un nez droit, un visage ovale, et mesurant 1,78 m.
Jules-Georges a rejoint le front le 3 juin 1940 et a très probablement combattu avec son unité contre l’armée allemande [2]. Il est fait prisonnier de guerre 17 jours plus tard à Vierzon (18) et est certainement interné dans le « camp Sourioux » par l’armée allemande après la débâcle française de juin 1940[3].
Selon une liste des prisonniers de guerre établie par les Allemands, il est ensuite interné, le 18 juillet 1940, au camp de Gudin à Montargis (45) d’où il s’évade. En septembre 1957, alors que sa sœur cherche à obtenir des renseignements sur la période de son frère sous les drapeaux en vue d’obtenir une pension, il lui est répondu que la demande est transmise au ministère concerné.
Il « se présente », le 3 janvier 1941 au camp de travailleurs étrangers de Septfonds (82)[4], tenu par le gouvernement vichyste, où il est affecté au groupe 881 de travailleurs étrangers, dans lequel il effectue notamment des travaux forestiers dans des conditions difficiles. Georges-Jules s’évade vraisemblablement du camp, mais aucune précision concernant son évasion n’a été trouvée.
Prisonnier évadé et résistant…
Dès lors, usant de ses talents de dessinateur, il rejoint Paris et entre, avec son frère, dans la Résistance. C’est vraisemblablement à ce moment-là qu’ils prennent leur appellation « Vandor » qui complète leur nom de famille WOLFF. En hongrois, « Vándor » signifie « vagabond », peut-être en hommage à leur origine de Juifs hongrois.
Ainsi, les deux frères se mettent à établir des faux papiers pour des résistants.
Pour ce motif – qui s’ajoute à la condition de « prisonnier de guerre évadé » de Georges-Jules –, les deux frères sont arrêtés le 10 septembre 1943 chez leur sœur, 41 avenue de la Grande-Armée, Paris XVIe par la Feldgendarmerie (police militaire allemande). Le document du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre précise que la concierge, Madame Leboucher, est témoin de l’arrestation.
Un document, dont les informations sont fournies par la famille, précise [5] : « Arrêté au domicile de sa sœur (Mme Sereny) [par la Feldgendarmerie], « 10 », avenue de la Grande-Armée, Paris » [avec] son frère André » ; « Accusé d’avoir établi des faux-papiers pour des résistants (en qualité de dessinateurs) ; par la suite vraisemblablement découvert son origine israélite. » Les frères WOLFF DIT VANDOR sont donc des résistants[6].
WOLFF dit VANDOR André, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-024,
WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069,
Ces documents apportent les raisons de l’arrestation des frères WOLFF dit VANDOR le 10 septembre 1943.
Mais déporté et assassiné en tant que Juif
Jules-Georges est envoyé avec son frère André à la prison de Fresnes (94) le jour même de leur arrestation.
Pendant l’Occupation, « la prison de Fresnes était le plus grand centre de la répression de la Résistance »[7] Là-bas, Gyula et André, comme bon nombre d’autres Résistants, vivent dans des conditions inhumaines : surpopulation, tortures, etc.
Jules-Georges est interné dans la cellule 542[8] et/ou 444 ; le 18 janvier 1944, il est changé de cellule. Les deux frères restent à la prison de Fresnes jusqu’au 24 juillet 1944, date à laquelle, en tant que prisonniers juifs, ils sont envoyés au camp de Drancy (93), où se prépare le départ d’un convoi de déportation vers Auschwitz[9].
En juillet 1944, le camp est tenu par l’Hauptsturmführer-SS Aloïs Brunner qui, suite au débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, intensifie les déportations[10]. Jules-Georges arrive à Drancy, le 24 juillet 1944, avec une petite somme d’argent, 100 Francs, et reçoit le matricule 25.667. Il est assigné à l’escalier 18, chambrée du 4e étage.
Carnet de fouilles de Georges à Drancy
© Mémorial de la Shoah
Dans le camp, véritable, les conditions de vie sont mauvaises : insalubrité, faim, grave surpopulation, maladies, privations…
Le 31 juillet 1944 au matin, Jules-Georges, André et les internés à Drancy sélectionnés pour la déportation sont forcés de monter dans des autobus de la compagnie parisienne TCRP, qui les conduisent jusqu’à la gare de Bobigny (93), où un train les attend.
Ce train, qui appartient à la Société Nationale des Chemins de fer Français (S.N.C.F.) est composé de 30 wagons à bestiaux et embarque 1306 personnes, dont 324 enfants. Le train démarre vers midi, passe par Châlons-Sur-Marne (51), Metz (57), puis Francfort-sur-le-Main (Allemagne) le 1er août au matin.
Le voyage se fait dans des conditions absolument désastreuses[11] : chaleur étouffante en cet été 1944, 60 personnes par wagon, paille en guise de siège, un seul seau pour l’hygiène, peu d’eau à boire, du pain en guise de nourriture. Quand le train s’arrête, une personne est désignée pour remplir un seau d’eau.
Les wagons arrivent en Pologne via Görlitz (Allemagne) le 2 août dans la nuit, puis atteignent Auschwitz II-Birkenau (Pologne) le jeudi 3 août 1944 dans la nuit[12].
Liste originale du convoi de déportation du 31 juillet 1944 sur laquelle figurent les deux frères WOLFF DIT VANDOR, @Mémorial de la Shoah
Document 1 : Reconstitution de la gare de Bobigny telle qu’elle était en 1943,
© Etienne Martin, LM Communiquer
Document 2 : Itinéraire du convoi 77, Source : site Association convoi 77
Après son arrivée au camp, Georges-Jules est très probablement assassiné à l’arrivée du train. Bien que l’acte de décès déclare officiellement sa mort le samedi 5 août 1944, il est sans doute assassiné dans la nuit du 3 août, le même jour que son frère André. Cependant, compte tenu de son âge notamment, il n’est non plus totalement pas impossible qu’il ait été sélectionné pour entrer dans le camp.
WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069, d’après la page de la direction des statuts et des services médicaux relative aux déportés. Ce document fait apparaître les grandes lignes du parcours de persécution de Jules.
WOLFF dit VANDOR André, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-024,
d’après la page relative à l’acte de décès dressé par la mairie de Paris concernant Monsieur Andras (André) WOLFF dit VANDOR).
Aucune information supplémentaire concernant la déportation des deux frères n’a pu être recueillie[13].
Après la guerre, Elisabeth, leur sœur et Jolan/Yolande, leur mère, ont rempli les documents nécessaires pour faire reconnaître André et Jules-Georges comme « déportés politiques ». Ce statut, qu’il ne faut pas confondre avec celui de Déporté Résistant, signifie en fait qu’ils ont été déportés parce qu’ils étaient juifs. Leur mère et sœur n’ont pas déposé de demande pour faire reconnaître leur action de résistants. De plus, aucun réseau de Résistance n’a, à notre connaissance, déclaré Jules-Georges comme l’un de ses membres et aucun camarade survivant ne semble s’être fait connaître de la famille des frères Wolff.
WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069, d’après la page relative à la demande de Madame WOLFF Yolande auprès du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre pour attribuer à Monsieur WOLFF dit VANDOR Gyula le titre de déporté politique). Le combat porté par Elisabeth et Yolande pour la reconnaissance du statut de déporté politique pour leur fils prend fin en 1959.
Le 13 février 1959, le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre attribue à Gyula le titre de « déporté politique », prenant en compte la période d’internement du 10 septembre 1943 au 30 juillet 1944, et la période de déportation du 31 juillet, au 5 août 1944 (qui une « convenance administrative »).
Les périodes de détention dans les camps de Vierzon, Gudin et Septfonds ne sont pas prises en compte.
En mars 2012, l’ONAC cherche à faire figurer la mention « Mort en Déportation » sur l’acte de décès des deux frères, mais les recherches de cet acte sont infructueuses dans le XVIe arrondissement. L’acte est finalement dressé le 10 avril 2012.
Enfin, Gyula, sous son nom francisé « Georges », est inscrit sur le mur des noms du Mémorial de la Shoah.
Georges WOLFF-VANDOR et son frère André, inscrits sur le Mur des Noms,
© Mémorial de la Shoah.
Nous, Johann CULY–QUÉRÉ, Malo LE CLEACH, Yannis KPOSSA MAMADOU, Antoine CAHU et Titouan PETIT-LE GOFF, élèves de Terminale au Lycée Jacques Cartier de Saint-Malo (35) avons réalisé cette biographie de Gyula (Jules-Georges) WOLFF dit VANDOR au mois d’avril 2025, à l’initiative de notre professeur d’Histoire-Géographie Monsieur Stéphane AUTRET.
Nous avons par ailleurs réalisé en novembre 2024, pendant nos recherches, un petit podcast racontant une partie de son histoire, très liée au Convoi n°77.
Aussi, nous tenons particulièrement à remercier Madame Claire Podetti, coordinatrice du projet Convoi 77, Monsieur Serge Klarsfeld, président-fondateur de l’association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France (FFDJF), ainsi que Monsieur Nicolas Coiffait, généalogiste, pour leur aide précieuse dans nos recherches.
Notes & références
[1] La recherche de descendants et la demande de consultation d’archives auprès de la ville d’Arad n’ayant pas abouti, nous n’avons ni réussi à trouver des informations plus précises sur leur généalogie, ni obtenu de photographie.
[2] D’après les informations de M. Tibor Szecsko – auteur de livres sur la Légion Étrangère – recueillis sur le site web dlezin.free.fr/Historiques_regimentaires/le_3-23e_RMVE.htm. Sur le conseil de M. Serge Klarsfeld, nous avons essayé d’obtenir des informations auprès de la Légion Étrangère à Aubagne (13), sans succès.
[3] « Vierzon : le camp Sourioux, une page méconnue de l’histoire de la ville durant la Seconde Guerre mondiale », © France Bleu.
[4] Information obtenue auprès du Service Historique de la Défense par Madame Claire Stanislawski Birencwajg, travaillant au Mémorial de la Shoah.
[5] WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-069 et WOLFF dit VANDOR Jules, © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21-P-551-070 Ces document indiquent les raisons de l’arrestation des frères WOLFF dit VANDOR le 10 septembre 1943.
[6] Malgré une demande auprès du Mémorial de Caen, du service des archives de Paris et de la Préfecture de Police de Paris, aucune information supplémentaire concernant leur lien avec la Résistance n’a été trouvée
[7] D’après Monsieur Loïc Diamani – historien au Musée national de la Résistance de Champigny-Sur-Marne (94) – recueillis par la journaliste Kanumera Creiche dans l’article « Le “couloir de la mort“ de la prison de Fresnes fait des histoires” », Le Monde.
[8] Robert Dubois (le futur mari d’Elisabeth Wolff), domicilié alors 4 square Raynouart, Paris XVIe, le recherche et donne cette précision sur le numéro 542 de la cellule, ce qui laisse penser que les frères et la sœur étaient en relation alors qu’ils étaient emprisonnés. Sa présence à Fresnes est attestée le 18 janvier 1944, cellule 444 (Fiche LA 8426).
[9] Nous n’avons pas plus d’information sur leur passage à Fresnes malgré une demande réalisée auprès du service des archives du Val-de-Marne (94), ainsi que la consultation des répertoires 2742W 1, 2742W 101, 2742W 109, 2742W 43 et 2Y5 433.
[10] Association Convoi 77, page web relative à l’histoire et la composition du convoi ; ”Convoi n°77 du 31 juillet 1944”, Wikipédia.
[11] D’après Ginette Kolinka – déportée du Convoi n°71 ; témoignage recueilli par Moussa Diop dans l’article “Ginette Kolinka : témoignage contre l’oubli”, © Mairie de Cenon.
[12] Association Convoi 77, page web relative à l’histoire et la composition du convoi ; Convoi n°77 du 31 juillet 1944, Wikipédia.
[13] Nous avons été pris par le temps, et notre objectif initial d’aller voir par nous-mêmes les archives les concernant à Auschwitz n’a pas été pu être réalisé.