Wolf ANTABA
C’est à Varsovie qu’est né Wolf Antaba, le 14 février 1908. Son père est Naphtali Antaba et sa mère Sara Perelstein.
Acte de mariage de Wolf Antaba
Source : Archives de Paris
Lorsque Wolf naît l’actuelle Pologne est divisée en 3. Une partie, dont Varsovie, est sous domination russe, une autre sous domination autrichienne et une dernière sous domination allemande.
Au début du XXème siècle, 350 000 Juifs vivaient dans la capitale polonaise, soit environ 30 % de la population. Ils formaient la 1ère communauté juive d’Europe, la 2ème du monde après New York. Les Juifs de Varsovie habitaient dans le Nord de la ville, à Muranów et sur la rive droite de la Vistule. Ils s’occupaient de commerce et d’artisanat. La ville comptait 142 synagogues, auxquelles il fallait ajouter les maisons de prières.
Quand à 20 ans Wolf quitte la Pologne, celle-ci forme un Etat unifié depuis 1918. Sa constitution de 1921 accorde l’égalité des droits et la liberté de culte à la population juive. Pourtant, nombreux comme Wolf quittent leur pays, certains pour échapper à la misère, d’autres à cause de l’antisémitisme.
En 1928, Wolf arrive à Paris où il travaille comme ouvrier-tailleur à la maison Rottermann, 32 rue de Bondy dans le 10ème arrondissement.
Demande de libération de Wolf Antaba, Bou-Arfa, avril 1941
Source : Archives de la Légion étrangère
Deux ans plus tard, le 9 août 1930, il épouse Mindla Bajgel. Avec elle, il a un enfant dont on ne connaît ni le sexe, ni la date de naissance, mais dont différents documents attestent son existence.
Fiche de renseignements, prison de Montluc, 19 juillet 1944
Source : Fichiers de Montluc
D’après les différents documents d’archives, la famille a occupé plusieurs adresses, notamment dans le XIXème et le XXème arrondissement, quartiers où les Juifs d’Europe centrale et orientale étaient nombreux. En effet, 1939, on compte quelque 130 000 Juifs originaires d’Europe orientale à Paris. Ils ne constituaient pas une communauté homogène et il existait de fortes oppositions entre les religieux traditionalistes et les tenants du socialisme. Les métiers exercés trahissaient une certaine précarité – marchands ambulants, forains, brocanteurs, tailleurs, confectionneurs, tricoteurs et cordonniers.
En 1937, Wolf fait une demande de naturalisation française qui n’aboutit pas. Un an plus tard, le 5 avril 1938, il reçoit une carte d’identité pour « travailleurs industriels » valable 3 ans.
Le 1er septembre 1939, l’Allemagne déclare la guerre à la Pologne. Deux jours plus tard, le 3 septembre, la France et la Grande Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne. De nombreux juifs étrangers s’enrôlent, soit dans des régiments de marches de volontaires étrangers, soit dans l’armée polonaise reconstituée sur le territoire français, soit dans l’armée tchécoslovaque, soit dans l’infanterie de la Légion étrangère. Wolf Antaba s’engage dans la légion étrangère le 4 octobre 1939 à 31 ans. Il s’engage pour la durée de la guerre au bureau de recrutement de la Seine centrale.
Acte d’engagement dans la Légion étrangère, 1939,
Source : Archives de la Légion étrangère (à retrouver page 8 fichier légion)
Le 15 novembre 1939, il arrive au camp de Sidi-Bel-Abbès en Algérie, afin d’y suivre une instruction. Il est affecté en tant que légionnaire de 2ème classe à la compagnie de passage n°2, ce qui signifie dans le jargon de la légion qu’il est en transit. Dix jours plus tard, le 25 novembre, il est admis dans la compagnie de passage n°3 de Bossuet, c’est-à dire qu’il est enfin incorporé. Ensuite, le 17 janvier 1940, Wolf est transféré dans la compagnie de passage n°1. Deux jours plus tard, le 19 janvier, il est envoyé à Oujda, toujours en Algérie, où il est affecté au 3ème régiment, 3ème bataillon de la 10ème compagnie.
Fiche de renseignements, 1939-1940
Source : Archives de la Légion étrangère
Puis, le 10 juin 1940 Wolf arrive au Maroc, au camp de Bou-Arfa, un camp d’approvisionnement de marchandises.
Carte des camps de travail forcé du Sahara, 1941-1942
Source : www.combattantvolontairejuif.org
On y trouve de nombreux Espagnols républicains, des communistes français et des déportés juifs d’Europe centrale. Il s’agit en fait d’un camp de travail chargé de la construction et de l’entretien de voies ferrées reliant la Méditerranée au Niger.
Photo de travailleurs à Bou-Arfa prise par Sinforiano Rodriguez,
travailleur espagnol rescapé du camp de Bou-arfa
Là-bas, le rythme de travail est brutal et inhumain. Les conditions de vie sont terribles : beaucoup de travailleurs meurent de mauvais traitements, de torture, de maladie, de faim ou de soif ou encore de piqûres de serpents et de scorpions. Le 14 septembre 1940, Wolf est officiellement démobilisé et maintenu au groupement B des travailleurs étrangers du camp.
Avis de démobilisation de Wolf Antaba, septembre 1940,
Source : archives de la Légion étrangère (à retrouver page 3 du dossier de la Légion)
Le 1er avril 1941, Wolf fait une demande de libération pour retourner en France. Après avoir justifié de revenu, d’une adresse en France et la possession d’une carte d’identité pour « travailleur industriel », le 1er mai il est renvoyé à Marseille, en France.
Nous ne savons pas à quel moment Wolf décide de rejoindre Lyon et quels sont les motifs qui le conduisent jusqu’à cette ville. En 1944 il est arrêté au 7 rue Bouteille, dans le quartier de Saint-Vincent aux pieds de la Croix-Rousse. Vit-il à cet endroit ou n’y est-il que de passage ?
Vraisemblablement, il passe par les bureaux de la Gestapo, place Bellecour. Le siège y a été transféré quelques mois auparavant en raison d’un bombardement allié visant les installations ferroviaires de Lyon-la-Mouche qui a détruit les anciens locaux de la Gestapo avenue Berthelot.
Durant cet été 1944, les Allemands commencent à battre en retraite puisque le débarquement allié en Normandie a eu lieu le 6 juin 1944. Malgré cette situation, les arrestations de personnes juives perdurent. Pendant cette période, les Allemands sont plus durs avec la population (contrôle de papier plus fréquents, contrôle des habitations…). Wolf Antaba, qui a réussi à passer au travers des griffes nazies pendant plusieurs années, se fait arrêter quelques semaines avant la libération de Lyon, le 3 septembre 1944.
D’après les archives de Montluc, Wolf Antaba est arrêté le 19 juillet 1944 par un intendant de police française, d’autres archives notent que ce sont des hommes de la Gestapo qui procèdent à son arrestation. Quoi qu’il en soit, il est stipulé qu’il est arrêté pour motif racial. Il a dû être fouillé et dépouillé de ses biens. Ensuite il est conduit à la prison de Montluc, une prison militaire allemande depuis le 7 janvier 1943 située à Lyon au 4 rue Jeanne Hachette dans le 3ème arrondissement. Montluc était à cette époque l’un des centres de répression nazie.
Plan de la prison de Monluc
Source : museedelaresistanceenligne.org
Nous ne savons pas si Wolf a été incarcéré dans l’une des 122 cellules individuelles, dans lesquelles les conditions de vie sont très dures : la taille des cellules est de 4m² dans lesquels sont enfermés jusqu’à 8 détenus. Les toilettes ne sont que de simples tinettes. Pour dormir il n’y a que des paillasses.
Peut-être a-t-il été incarcéré dans un autre espace de la prison. En effet, progressivement les autorités nazies transforment en lieu d’enfermement les douches, le réfectoire, les toilettes et les ateliers.
Enfin, peut-être a-t-il été enfermé dans la baraque aux juifs qui servait, quant à elle, à enfermer des résistants et des juifs d’au moins 15 ans.
La « baraque aux Juifs » dans la cour de promenade principale
Source : Arch. Dép. Rhône 4544 W 17
Cette baraque, construite en bois et en toile, dont il ne reste aujourd’hui que l’emplacement signalé par des graviers, se situait dans la cour de la prison. Il y avait jusqu’à 100 détenus pendant l’été à l’intérieur.
Après une semaine de captivité, Wolf quitte Lyon, en direction de Drancy où il arrive le 26 juillet 1944.
Fiche d’arrivée de Wolf Antaba au camp de Drancy, Drancy, 26/07/1944, carnet de fouille de Drancy; Source : Mémorial de la Shoah
Depuis 1942, dans cette ville, la cité de la Muette est devenue un lieu de transit pour les autorités nazies car ce quartier est situé à proximité de deux gares, celle du Bourget et celle de Bobigny. La cité de la Muette avait été construite de 1931 à 1937, elle devait accueillir des habitations pour les familles les plus démunies. Elle est composée de 5 tours et 10 immeubles.
C’est le « fer à cheval », l’un des bâtiments de la cité, qui devient lieu d’internement. En effet ce bâtiment se prête facilement à la transformation, il est construit sur 4 étages autour d’une cour d’environ 200 mètres de long sur 40 mètres de large. Il est entouré de deux rangées de barbelés, d’un chemin de ronde et des miradors sont positionnés aux angles.
A son arrivée Wolf est enregistré, son numéro de carnet est le 161 et son numéro de reçu est le 6921. D’après les nombreux témoignages, nous savons que les conditions d’internement sont difficiles. Les internés souffrent de sous-alimentation, certains de dysenterie. Les gardes humiliaient les internés et multipliaient les sanctions. Wolf reste 7 jours à Drancy, il quitte le camp le 31 juillet 1944.
Liste de personnes au départ de drancy, 31 juillet 1944
Source : mémorial de la Shoah
Lorsque les SS font entrer les Juifs de Drancy dans des wagons à bestiaux, Wolf ignore où il est emmené, mais il se doute peut-être de ce qui risque de lui arriver. Peut-être a-t-il pu écouter Radio Londres, cette radio qui raconte ce qui arrivait aux Juifs dans les camps et les territoires de l’Est.
Les déportés sont entassés dans les wagons où avait été installée une tinette dont, d’après les témoignages, l’odeur devient vite insupportable. Le voyage dure 3 jours et 2 nuits, sans manger ni boire. Qu’a pu ressentir Wolf durant ce trajet ? Du désespoir, de la résignation ? Pensait-il à sa chère Mindla ? A leur enfant ?
Les déportés arrivent sur la rampe du camp d’Auschwitz dans la nuit du 3 août 1944. Les déportés ignorent ce qu’il va leur arriver durant la sélection. Ils sont divisés en deux colonnes, à droite les hommes et à gauche les femmes et enfants. Ils sont choisis en fonction de leurs conditions physiques, de leur santé, de leur genre et de leur âge. Soit ils sont immédiatement conduits sur le chemin menant aux chambres à gaz afin d’être exécutés, soit ils sont sélectionnés pour le travail si les médecins considèrent qu’ils en sont aptes. Ils sont alors douchés et immatriculées dans le camp puis des vêtements leur sont donnés. Sur les 1310 déportés du Convoi 77, 836 sont, dès leur arrivée, dirigés vers les chambres à gaz. Wolf n’est pas de ceux-ci, à 36 ans, il est en pleine fleur de l’âge, il est retenu pour le travail.
On ne sait pas ce qui est arrivé à Wolf Antaba durant les 4 mois qui suivent. Nous pouvons supposer que son parcours est celui des hommes de son convoi qui, d’après des témoignages, ont été conduits à Auschwitz où ils ont été placés en quarantaine. Durant cette période ils travaillent dans une carrière de pierre à l’extérieur du camp.
Le début de l’hiver 1944 est terrible, il fait très froid et les prisonniers sont trop peu habillés pour endurer de telles conditions. Wolf perd la vie le 28 novembre 1944, mais on ne sait pas quelle en est la cause14. Est-il mort sous les coups d’un gardien trop zélé ? A-t-il succombé à la fatigue, la maladie ? A-t-il été victime d’une sélection et conduit dans la chambre à gaz d’Auschwitz ?
La mort de Wolf s’ajoute à celle des 1059 victimes du Convoi 77 et à celle des 6 millions de Juifs, morts au seul motif qu’ils étaient nés.
L’épouse de Wolf a survécu à la guerre, mais sur les différents documents administratifs qu’elle remplit après le conflit, plus aucune mention n’est faite de l’enfant. A-t-il été lui aussi victime de la barbarie nazie ou bien a-t-il simplement succombé à une maladie, un accident ?
La famille de Wolf Antaba a connu le même destin tragique que celui de milliers de familles juives pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Attestation de décès de Wolf Antaba
Source : DAVCC