Moïse CHETOVY
Moïse Chétovy est le fils de Jacob Chetovy et Ester Mora. Il est né à Constantinople, actuelle Istanbul le 3 mai 1893[1]. Nous ne savons rien de son enfance. Nous pouvons deviner qu’il a déménagé en France, sûrement avec ses parents à cause de la situation politique en Turquie. Les mouvements d’émigration des Juifs depuis la Turquie sont en partie provoqués par le changement de statut des minorités de l’ancien empire ottoman (Arméniens, Grecs…) mais les raisons de ces départs sont souvent plus complexes.[2]
Les Juifs, qui avaient historiquement constitué des communautés prospères dans l’ancien Empire Ottoman, ont été confrontés à des changements politiques et à des tensions croissantes au fil du temps. Les pressions politiques et les pogroms, en particulier à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, ont poussé de nombreux Juifs à émigrer vers d’autres régions, notamment vers l’Europe occidentale, les États-Unis et la Palestine sous mandat britannique. La France qui était une destination populaire pour de nombreux émigrants juifs, voit arriver des Juifs de Turquie, comme Moïse Chetovy qui semble s’installer à Paris en 1919 dans le XIe arrondissement. Les Juifs turcs ont contribué à enrichir la culture et la diversité de la communauté juive française.
Moïse se marie à Rosa Nichli, fille de Marco Nichli et d’Oro Varon. Elle est née en 1895. Ils se marient le 13 décembre 1919 dans le 11ème arrondissement, alors qu’ils semblent déjà être voisins puisqu’ils habitent tous deux au 113 rue de Montreuil, dans le 11èmearrondissement[3]. Les familles qui habitent à cette adresse vivent modestement mais en très bonne entente, comme en témoigne certains habitants du quartier.[4]
Ils ont ensemble trois enfants, Ester, Jacob, et Mordo. Moïse dirige sa propre entreprise d’ébénisterie dans le 20ème arrondissement de Paris, 10 rue des Haies. Son nom revient souvent dans la presse[5] mais pour annoncer la faillite de son entreprise à la fin du mois de septembre 1928, comme par exemple le 22 septembre 1928 dans le journal Les Echos.
Source : gallica.bnf.fr
Pendant la guerre, Moïse n’a plus de revenu et il demande pour sa famille une aide financière à l’UGIF (Union Générale des Israélites de France)[6]. Nous pouvons donc nous en déduire qu’étant déclaré indigent sa femme ou lui-même n’ont pas pu retrouver de travail. Cette situation semble durer de 1928 à 1944[1].
En France, après l’invasion allemande et l’armistice, le gouvernement de Vichy recense les Juifs étrangers. Une rafle, dite des « billets verts » est organisée le 14 mai 1941. Sont raflés les hommes étrangers. Moïse peut faire partie des raflés, il répond aux critères d’arrestation puisqu’il est de nationalité turque. Il est arrêté en août pour motif racial[7]. Il est interné à Drancy, le 21 août 1941 puis libéré le 5 novembre 1941 pour cause de maladie[8]. Moïse n’a pas déménagé, la famille est restée au 113 rue de Montreuil puisqu’ils étaient sans revenu. Ils n’avaient probablement pas les moyens de déménager.
Moïse est de nouveau arrêté le 9 juin 1944 chez lui car son fils, Mordo, a été pris par la police allemande une heure plus tôt « en temps d’alerte avec son étoile » comme le précise les documents concernant son arrestation[9]. Son numéro d’internement à Drancy est le 24680[10]. Sa femme Rosa, son autre fils Jacob et sa fille Ester ne sont pas arrêtés. Il sera alors déporté le 31 juillet dans le convoi 77 en même temps que son fils.
A partir du débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944, les nazis accélèrent leur projet de « solution finale ». Ils déportent rapidement et beaucoup durant l’été 1944. Paris est libérée le 25 août 1944. Le convoi 77 est le dernier convoi à partir de Drancy, trois semaines avant la libération. L’extermination dans les centres de mise à mort s’accélère également. Moïse n’est pas gazé à son arrivée à Auschwitz malgré son âge. Il est possible qu’il ait été sélectionné pour le travail car il était ébéniste. Il a ensuite été envoyé à Buchenwald[11], peut-être dans le dernier d’une série de plusieurs transferts, où il décède le 16 décembre 1944. Il meurt le même jour que son fils, dont le certificat de décès produit par les autorités nazies porte la mention « insuffisance cardiaque ». Les problèmes cardiaques sont fréquemment évoqués pour dissimuler la véritable cause de la mort des déportés juifs.[12]
Notes & références
[1] Acte de décès, 12 juin 1956, Moïse Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 981 4089 © DAVCC 5112.
[2] Benveniste Annie, « Récits de migration, récits de persécution. La « petite Turquie » entre mémoire et fiction », Archives Juives (Vol. 42), 2, 2009, p.41-56.
[3] Acte de mariage, Archives de Paris, acte n° 3577, cote 11M 495.
[4] Les Chetovy sont évoqués dans la biographie de Rebecca Farsy, autre déportée du convoi 77, dont les enfants fréquentent la même école que les Chetovy (https://convoi77.org/deporte_bio/rebecca-farsy/)
[5] La Liberté, 25 septembre 1928.
[6] Union Générale des Israelites de France Records, Folder 22.3.1, Reel MK 490.110, Box 120-121 (RG 210).
[7] Moïse Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 981 4089 © DAVCC 5127.
[8] Moïse Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 981 4089 © DAVCC 5112.
[9] Moïse Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 981 4089 © DAVCC 5106.
[10] Moïse Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 981 4089 © DAVCC 5109.
[11] Moïse Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 981 4089 © DAVCC 5114.
[12] Eva Bitton et Théophile Leroy, « Enregistrer la mort à Auschwitz : le certificat de décès comme source pour l’histoire de la Shoah », 2022, https://lubartworld.cnrs.fr/enregistrer-la-mort-a-auschwitz-le-certificat-de-deces-comme-source-pour-lhistoire-de-la-shoah/