Anna KANIEWSKA

1917-? | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Anna KANIEWSKA (1917-?)

Écrire l’histoire des déportés est parfois un chemin semé d’embuches, un long puzzle qu’il faut composer petit à petit. Tel était l’objectif que je voulais montrer à mes élèves. A Caen, Anna, à la différence de beaucoup de juifs déportés ne dispose d’aucun dossier individuel. Seule une fiche qui retrace son parcours concentrationnaire y est conservée.

Fiche individuelle de déportation d’Anna Kaniewska résumant son parcours concentrationnaire, Archives du SHD – Division des Archives des Victimes des conflits contemporains de Caen.

Après la guerre, Anna n’a pas témoigné et semble avoir cherché à se faire oublier. Une photo d’elle ? Il n’en existe pas. Les archives de la répression précisent juste qu’elle s’appelait Anna Kaniewska, qu’elle mesurait 1m55, qu’elle avait des cheveux blonds assez clairs et un visage rond. Pour retracer son parcours, il a donc été nécessaire de reprendre étape par étape son parcours concentrationnaire et d’interroger les archives de la répression. Progressivement, des portes se sont ouvertes permettant d’appréhender son histoire.

Anna Kaniewska est née à Lodz en Pologne le 15 janvier 1917. Elle est la fille de Wolf Kaniewska et de Marie Oligacz[1]. Les archives ne permettent pas d’en savoir plus sur son enfance mais il semblerait qu’en Pologne Anna ait suivi un cursus scolaire classique avant de faire des études de médecine comme son frère aîné Jacques[2].

Anna quitte probablement la Pologne après son invasion le 1e septembre 1939. Elle arrive en France le 26 septembre 1939. D’après sa fiche de renseignement au bureau des étrangers, elle est domiciliée au 18 rue Jeanne d’Arc à Saint-Mandé et n’exerce aucune profession[3]. Après l’invasion allemande, Anna quitte la région parisienne et déménage dans le département de l’Oise où son frère, Jacques Kaniewski, médecin est installé à Cuise-la-Motte, 29 rue du Marché[4] . Suite aux premières mesures discriminatoires qui sont imposées en zone Occupée, elle est recensée le 27 septembre 1940 comme médecin dans la commune de Cuise-la-Motte[5].

La première étape de l’exclusion des médecins juifs a été la promulgation de la loi du 16 août 1940 qui interdisait l’exercice de la médecine aux praticiens étrangers, à ceux qui avaient acquis la nationalité française après 1927 et à ceux qui, nés en France, étaient de père étranger. Quelques mois plus tard, en application de cette ordonnance, Anna est déchue de son statut de médecin. Suite à cette interdiction d’exercer son métier, Anna doit changer de profession et devient sténo-dactylographe. En d’autres termes, « elle est passée de la catégorie socio-professionnelle des professions libérales à celle d’employés, par la loi discriminante de Vichy à l’encontre des Juifs »[6].

Sans travail, il semblerait qu’Anna quitte l’Oise pour retourner dans la région parisienne. Le 21 février 1942, Anna est arrêtée une première fois par la police parisienne pour vol[7]. Sur ordre du préfet de police, elle est incarcérée temporairement dans la prison de la Petite Roquette à Paris sous le matricule n°23124. Dans son registre d’écrou est précisé qu’Anna n’a pas de domicile fixe, et qu’elle est israélite. Le 23 février, Anna est jugée par le tribunal correctionnel du 16e arrondissement de Paris. Elle écope d’une peine de prison de trois mois avec sursis pour vol. Elle est libérée le 24 février 1942[8].

Le 17 avril 1942, Anna est une nouvelle fois arrêtée mais cette fois-ci par les autorités allemandes[9]. Elle est incarcérée à la prison de la Santé le jour-même. Par décision du tribunal allemand, Anna est condamnée à une peine de prison de 6 mois et 2 semaines pour escroquerie. Anna aurait donc dû être libre le 30 octobre 1942 à 17h. Toutefois, le registre d’écrou précise que le Gruppe Geheime Feldpolizei 61 (police secrète allemande) désire qu’à : « à l’expiration de sa peine sera mise à la disposition de la prison de la Santé pour être internée dans un camp de juifs ». Finalement, le 30 avril 1942, Anna est transférée de la prison de la Santé vers la prison du Haut-Clos à Troyes[10]. Sur son registre d’écrou, il est précisé qu’Anna aurait dû par décision du 30 juillet 1942 être remise à la Befehl der Sicherheitspolizei (BDS) de Paris (SIPO-SD) de l’Avenue Foch. Ce transfert n’aurait donc dû être que temporaire mais le 14 août 1942, pour raison de santé, Anna est hospitalisée pour une durée de 8 mois sans que les archives permettent d’en connaître la raison. Elle sort de l’hôpital le 16 juin 1943 et réintègre temporairement la prison du Haut Clos.

Le 19 juillet 1943, sa fiche d’écrou mentionne un transfert à la prison de Châlons-sur-Marne. Sa période d’internement à Châlons-sur-Marne reste floue car les archives de la Marne ne conservent aucun registre d’écrou à son nom. Ce qui est sûr, c’est qu’Anna est transférée à Drancy le 30 juin 1944 où elle est fouillée puis enregistrée[11]. Anna y reste quatre semaines. Elle est déportée par le convoi n°77 le 31 juillet 1944.

A son arrivée à Auschwitz, Anna fait partie des 222 femmes du convoi qui ont été sélectionnées pour le travail forcé et tatouées de A-8508 à A-8730. Elle est enregistrée sous le matricule n°A-8589. Il semblerait qu’Anna ne reste à Auschwitz que quelques mois puisque d’après le récapitulatif de son parcours concentrationnaire elle est transférée au KL de Kratzau en Tchécoslovaquie[12]. Sur ce document, la date n’est pas mentionnée mais il est possible d’émettre l’hypothèse qu’Anna a été transférée le 27 octobre 1944 en compagnie d’autres camarades du convoi n°77. En effet, dans son témoignage, Yvette Lévy, une autre rescapée du convoi n°77 explique « que le 27 octobre 1944 après une sélection opérée par le terrible docteur Mengele, j’ai quitté Birkenau avec une centaine d’autres femmes femme pour l’Union Werk de Kratzau, un petit camp d’environ 1000 personnes en Tchécoslovaquie »[13]. Cette hypothèse semble corroborée également par le Kalendarium d’Auschwitz du 27 octobre 1944 qui mentionne que 497 femmes juives sont transférées du camp de transit de KL Auschwitz II à un autre camp de concentration.

A Kratzau, les femmes travaillent d’abord dans une usine d’armement où elles fabriquent des pièces des pistolets et des fusils puis dans un deuxième temps, elles sont chargées de créer « des tuyères, des sortes de tuyaux que l’on remplissait de poudre placée sous les V1 et les V2. »[14]. Dans son témoignage, Yvette Lévy permet d’imaginer les journées qu’Anna a pu passer dans ce camp : « Le travail était très dur : je travaillais une semaine de jour, une semaine de nuit, 12 heures par jour sans compter 1h de marche le matin et 1h de marche le soir pour rejoindre le camp. Il fallait encore rajouter la durée de l’appel et ce n’était qu’après l’appel qu’on recevait enfin notre gamelle de soupe et qu’on pouvait monter se coucher si, et seulement si, nous n’avions pas été punies »[15]. Après un peu plus de 6 mois de souffrance, Anna est libérée par l’armée russe le 8 mai 1945 et est rapatriée en France le 5 juin 1945. Après la guerre, Anna ne laisse plus aucune trace dans les archives. Son nom est inscrit sur le Mur des Noms sur la dalle n°20, colonne n°7, rangée n°2.

Notes & références

[1] Registre d’écrou de la prison du Haut-Clos d’Anna Kanieswka, Archives départementales de l’Aube

[2] D’après les différentes archives consultées, Anna est considérée comme une personne qui sait lire et écrire. Elle est également recensée dans l’Oise le 27 septembre 1940 comme médecin ce qui impliquerait qu’elle ait suivi des cours de médecin en Pologne. Son frère Jacques vient en France terminer ses études de médecine. Il est naturalisé français en 1939.

[3] Fiche individuelle d’Anna Kaniewska, 26 septembre 1939 réalisée par le bureau des étrangers, Archives de la Préfecture de police

[4] Dosser de dénaturalisation de Jacques Kaniewski, accessible en ligne sur le site des Archives Nationales de France

[5] Courrier du préfet de l’Oise au préfet de Police de Paris sur Anna Kanieswka, Archives Nationales de France, AJ/ 38 / 4905

[6] Anaëlle Riou. Une micro-histoire de la Shoah en France. La déportation des Juifs du convoi 77. Histoire. 2019. ⟨dumas-04071752⟩

[7] Registre d’écrou en date du 21 février 1942 de la prison de la Petite Roquette d’Anna Kaniewska, Archives de Paris, 1443 W 32

[8] Ibidem

[9] Registre d’écrou de la prison du Haut-Clos d’Anna Kanieswka, Archives départementales de l’Aube

[10] Ibidem

[11] Fiche individuelle Anna Kaniewska (30/06/1944), Carnet de fouilles, Archives du Mémorial de la Shoah

[12] Fiche individuelle de déportation d’Anna Kaniewska résumant son parcours concentrationnaire, Archives du SHD – Division des Archives des Victimes des conflits contemporains de Caen.

[13][13] Extrait du témoignage d’Yvette Lévy, rescapée du convoi n°77 sur son expérience concentrationnaire au KL de Kratzau (Tchécoslovaquie)

[14] Ibidem

[15] Ibidem

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de Terminale au Lycée polyvalent Jean Bouin (Saint-Quentin), encadrés par leur enseignant M. Damien Bressoles.

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