Albert SUSZANOWSKY
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From transit camp Drancy to CC Auschwitz 31.7.1944
NOTRE ENQUÊTE SUR ABRAHAM LUSZCZANOWSKI
LE MYSTÈRE DES DÉBUTS
Lorsque notre professeure a décidé de nous faire retracer l’histoire d’Albert-Abraham Luszczanowski, Serge Jacubert nous avait prévenus qu’il était un mystère:
« Chère professeure,
Vous trouverez dans ce dossier les documents que nous avons sur ce déporté. Nous vous invitons également à consulter le Mémorial de la Shoah. A noter que nous avons un dossier sur lui avec le pseudo Martel, mais aussi sous l’identité Suszanowtitz… Cependant le Mémorial n’a retenu que le nom de MARTEL, et il est considéré comme non rentré, énigme ? (…) »
Dans un premier temps, nous avons consulté les documents fournis par l’association Convoi 77.
Les premiers documents étaient des lettres récentes (2011) et nous ne comprenions pas les courriers adressés aux différentes mairies de France par les associations de déportés et d’anciens combattants. Elles cherchaient à identifier un certain Norbert Martel qui serait décédé à Auschwitz et serait né à Fraize dans les Vosges.
38291-SUSZANOWSKY Albert alias MARTEL Norbert
21 P 482 33638291_DAVCC_copyright_11646
Nous avons demandé à cette mairie un acte de naissance. La secrétaire de mairie a fouillé à différents noms MARTEL, MERTL, MERTI, des noms qui s’en approchaient mais n’a rien trouvé. C’est ce qu’ont fait aussi les associations qui cherchaient Norbert : elles ont demandé aux mairies de France dont les noms ressemblaient à Fraize, si elles avaient une trace d’un Norbert Martel qui serait né le 10 avril 1926.
Nous avons ensuite décidé de faire un état des lieux des informations déjà rassemblées par les associations et institutions recensant les victimes de la Shoah.
Norbert apparaît sur le mur des noms du Mémorial de la Shoah :
Mur des noms, Mémorial de la Shoah, Paris
Sur le site de Yad Vashem – Institut international pour la mémoire de la Shoah figure un Norbert Mertl né à Fraize, France en 1926. Au cours de la guerre, il était en France. Il a été éporté par le Convoi 77 de Drancy, de France à Auschwitz Birkenau, Camp d’extermination, Pologne, le 31/07/1944. Norbert a été assassiné pendant la Shoah (selon cette source).
Ces informations sont basées sur un/e Liste des déportations de France, dans: Le Mémorial de la déportation des juifs de France, Béate et Serge Klarsfeld, Paris 1978.
Sur le site des déportés de Lyon, il était également écrit:
Albert SUSZANOWSKY [alias Norbert Martel]. Né le 10/04/1926 à Fraize 88230 France. Il habitait au 17, r. Eugène Fournière, ou 202 rue du 4 Aout 1789, à Villeurbanne (69100). Il était téléphoniste et télégraphiste. Sur les listes de Dachau, il est noté “schreiner” charpentier ou bien également “schneider” tailleur. Faux papiers sous le nom de Norbert Martel. Déporté à 18 ans par le convoi 77 du 31/07/1944 à Auschwitz (matricule 25719). Il est transféré à Dachau 04/02/1945. Il semble être mort d’épuisement le 28/01/1945 (Source: Alrosen). Il conservera l’alias Norbert Martel à Drancy, Auschwitz et Dachau.
Nous avions effectivement les fiches de Dachau au nom de Norbert Martel dans le dossier fourni par Convoi 77 comportant les mêmes informations.
Archives Arolsen Enveloppe DACHAU 1.1.6.2 10194444 recto
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Arolsen Archives From transit camp Drancy to CC Auschwitz 31.7.1944
Nous avons repris les documents fournis par Convoi 77.
Parmi ceux-ci, un certificat de détention de la ville de Duisburg au nom d’Albert Luszcanowski établissait qu’il était célibataire et utilisait le nom de Norbert Martel pour « se camoufler » et qu’il était né le 30 janvier 1924 à Duisburg.
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Un groupe d’élèves s’est occupé d’une lettre de 1956 de l’United Restitution Organization. Elle indiquait aussi que dans le camp, il était enregistré sous le nom de Norbert Martel, né le 30 janvier 1924.
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Ces changements d’identité étaient peut-être une solution pour survivre ? Car depuis le 11 décembre 1942, « une loi relative à l’apposition de la mention « Juif » sur les titres d’identité délivrés aux Israélites français et étrangers » précise :
Décrétons:
Article 1er. – Toute personne de race juive aux termes de la loi du 2 juin 1941 est tenue de se présenter, dans un délai d’un mois à dater de la promulgation de la présente loi, au commissariat de police de sa résidence ou à défaut à la brigade de gendarmerie pour faire apposer la mention « Juif » sur la carte d’identité dont elle est titulaire ou sur le titre en tenant lieu et sur la carte individuelle d’alimentation.
Art. 2. – Les infractions aux dispositions de l’article 1er de la présente loi seront punies d’une peine d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 100 à 10.000 F ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice du droit pour l’autorité administrative de prononcer l’internement du délinquant.
Toute fausse déclaration ayant eu pour objet de dissimuler l’appartenance à la race juive sera punie des mêmes peines.
Abraham s’est donc fait fabriquer une fausse identité, Norbert Martel, a caché son vrai métier et sa date de naissance et surtout son « statut » de juif. Sa carte d’identité permet ainsi de faire disparaître le mot « juif » tamponné sur les cartes, donc de circuler plus librement. Il n’a pas ou plus porté « l’étoile jaune », et ses parents ont dû se cacher et cacher les enfants.
Cela nous a fait réfléchir : d’où venaient tous ces papiers et comment avaient-ils été produits techniquement ? Pourquoi avoir choisi Fraize dans les Vosges comme lieu de naissance ? Etait-ce une identité complètement inventée ou celle d’une personne réelle dont Abraham usurpait l’identité ? Et cette naissance dans les Vosges ? Peut-être pour masquer son accent allemand lors de son arrestation à Lyon ? Abraham parlait allemand et français. Il a pu prétendre venir des Vosges pour expliquer un accent allemand ? Car nous avons pensé que le nom qu’il s’était choisi avait une forte consonance française et masquait ses origines polonaises.
Curieusement, au cours de nos recherches, nous avons retrouvé un Guy Norbert Martel de Fraize, décédé le 3 mars 2011 à Fraize mais né en 1956 ailleurs. Hasard des noms ?
En tout cas, la vie à Lyon, grande ville où on espère se fondre dans l’anonymat, devait être angoissante et la peur de l’arrestation fréquente. Malgré son identité cachée, Abraham est arrêté. Seul. La fausse carte d’identité n’a pas marché. A-t-il été dénoncé ? Les Allemands ont-ils eu recours à d’autres moyens pour l’identifier ? Et une fois arrêté a-t-il été interrogé au siège de la Gestapo ? A-t-on cherché à lui faire dire où logeait sa famille ?
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D’autre part, Abraham aurait exercé différents métiers, charpentier (Schreiner), tailleur (Schneider), Verkaufer (vendeur).
À la lumière de ces nouvelles informations, nous avons relu et consulté d’autres documents fournis par Convoi 77, tels que le certificat d’incarcération (plus haut) qui détaille les lieux et dates d’internement et l’avons croisé avec le document du Comité international de la Croix Rouge. Nous avons pu établir une première chronologie :
- 30 janvier 1924, naissance à Duisburg, Allemagne
- La Lande de novembre 1940 à septembre 1941
- Montluc à Drancy le 28 juin 1944
- Drancy – Auschwitz, 31 juillet 1944
- KL Auschwitz en août 1944 (numéro B 3862), départ 18/ 19 janvier 1945
- Gross-Rossen arrivée 28 janvier 1945 (numéro 138984 )
- KL Dachau–Kommando ötztal – transféré le 23 avril 1945
- Libération le 1er mai 1945 à Dachau
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Il aurait donc finalement été libéré par l’armée américaine le 16 ou 17 mai 1945 au camp de Dachau, plus précisément au kommando Ötztal, où il a été affecté le 23 avril 1945. On retrouve cette information dans le document du Comité international de la Croix Rouge: « Il a été libéré par l’armée américaine comme détenu du camp de concentration de Dachau ».
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1956, Lettre du Ministère des Anciens combattants, suite à la demande d’un agent de liaison pour AROLSEN, Arolsen Archives, Copy of 6.3.3.2 / 99463172
NOTRE ENQUÊTE SUR ABRAHAM LUSZCZANOWSKI, À REBOURS DE LA CHRONOLOGIE
De Duisburg à Paris
Nous avons voulu en savoir plus sur le déroulé des événements et les lieux traversés par Abraham.
Nous avons commencé par la fin : savoir ce qu’était devenu Abraham après sa libération. En recherchant désormais avec son vrai nom, nous avons découvert sur internet des avis de décès. Nous avons finalement compris qu’il était décédé à Cannes. Nous avons donc demandé un acte de décès à la mairie, qui a confirmé qu’il s’agissait bien de la bonne personne.
Albert-Abraham-Jakob est décédé à l’âge de 67 ans à Cannes, le 26 décembre 1991.
En poursuivant nos recherches, nous avons réussi à localiser son dernier domicile : 31 rue du Commandant Bret à Cannes.
31 rue du Commandant Bret à Cannes – Google Earth
Nous avons appris qu’Abraham était décédé à l’Hôpital Simone Veil, en localisant l’adresse de l’acte de décès. Nous avons contacté l’hôpital pour savoir s’ils pouvaient nous fournir des informations, mais leur réponse a été négative. Ils nous ont assuré qu’ils transmettraient notre demande à la famille d’Abraham, dont ils avaient les coordonnées. Malheureusement, nous n’avons pas été recontactés. Nous avons également découvert que c’était sa dernière adresse. Malheureusement, nous ne savons pas ce qui est arrivé à Abraham entre sa demande d’indemnisation et sa mort. L’acte de décès nous apprend qu’il était marié à Suzanne Hernandez.
Nous avons ensuite écrit aux Archives de la ville de Duisburg pour demander s’ils avaient des documents au nom de la famille d’Abraham. Dans un premier temps, les Archives nous ont répondu qu’ils disposaient bien d’un dossier de demande d’indemnisation au nom d’Abraham : « Les demandes d’indemnisation ont été déposées par le fils des deux personnes susmentionnées (Luszanowsky, autrefois domiciliée à Duisbourg. Luszanowsky, Anna, née Schurberg, née le 14.08.1901 à Kolomea, décédée le 29.03.1948 à Lyon) .Celui-ci s’appelait auparavant de son prénom Abraham, mais a pris par la suite le prénom Albert et habitait à Paris au moment de la demande. Je suppose qu’il s’agit de la personne recherchée. Celui-ci est né en 1924 et est mentionné avec d’autres personnes nées jusqu’en 1936 dans les dossiers susmentionnés, ces dossiers sont encore soumis à un délai de blocage jusqu’en 2036, conformément à la loi sur les archives de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Si vous pouvez apporter la preuve que le fils est décédé depuis plus de 10 ans, je pourrais vous faire parvenir des reproductions des dossiers concernant son destin de persécuté ». Nous leur avons donc fait parvenir l’acte de décès d’Abraham.
Et le Dr Peter Klefisch, responsable des archives de la ville nous a envoyé ceci :
Voici la traduction que nous avons faite de la reproduction de la lettre d’Abraham grâce à un traducteur en ligne à partir du récit d’Abraham ; la fin de la lettre est une réponse à la demande de réparations :
« Mon père avait un magasin de blanchisserie à Duisbourg. Nous avons habité un appartement de cinq ou six pièces bien meublé (je ne me souviens pas exactement du nombre de chambres), dans lequel le magasin de blanchisserie a été exploité aussi. Nous vivions dans de très bonnes conditions. Mes parents étaient tous les deux juifs, et je suis juif. En tant que tel, mon père a dû liquider son entreprise en juin 1933 en raison des circonstances de l’époque. Nous avons émigré en France et nous n’avons pris que les choses les plus nécessaires, faciles à transporter; les autres choses ont été remises à une entreprise de transport, mais mes parents ne les ont pas récupérées. Toutes les réclamations sont restées sans résultat.
Mon père ne pouvait pas exercer son métier en France. Il travaillait comme tailleur, mais gagnait si peu que j’ai dû commencer à travailler à l’âge de 14 ans. En novembre 1940, mes parents et moi avons été internés dans le camp de La Lande, près de Monts (Indre et Loire). Le camp était gardé et il était strictement interdit de le quitter. En septembre 1941, nous avons réussi à nous échapper de ce camp. J’ai ensuite vécu à Lyon sous le nom de Norbert Martel. Le 28 juin 1944, j’ai été reconnu comme juif et arrêté sous mon faux nom et transféré au fort de Montluc. De là, j’ai été transféré à Drancy et de là le 31 /7/ 1944 à Auschwitz, où j’ai reçu le numéro de tatouage B 3862. De là, j’ai été emmené le 18 janvier 1945 à Dachau, où j’ai été libéré le 1er mai 1945». Le 7 mai 1945, je suis retourné en France. Mes parents sont morts en 1948. »
Je considère que les conditions générales d’éligibilité au titre de la loi nº 1 sont remplies.
État du dommage
Des demandes d’indemnisation sont déposées pour Atteinte à la liberté par la restriction de la liberté (…) Préjudice à l’évolution professionnelle résultant d’une activité indépendante d’ex-travailleur/d’un conjoint (paragraphe 47-50 BEG)
Pour 1 : Les éléments de preuve (Bl 32 b -38et 45) font apparaître avec une certitude quasi totale que le testateur, après s’être évadé du camp d’internement de La Lande Les Monts le 5 août 1941 jusqu ‘à sa libération par les troupes alliées le 31 août 1944, vivait illégalement dans des conditions inhumaines. Ceci est également confirmé par le décès du testateur et de son épouse en 1948 (p. 37). Mort du défunt et de son épouse en 1948 (rue 38). A cela s’ajoute le fait que le commandement militaire fut contraint de porter à compter du 7 juin 1942 l’étoile juive, de sorte qu’à mon avis au moins, à partir de maintenant une compensation pour les atteintes à la liberté causées par les restrictions de liberté devrait être accordée.
En deuxième lieu : Le droit au remboursement des dommages subis dans le cadre de la carrière professionnelle par éviction ou limitation dans une activité indépendante n’est pas fondé. L’argumentation du requérant selon laquelle le défunt a dû liquider son entreprise en juin 1933 en raison de la situation nazie de l’époque est réfutée par la liste des taxes professionnelles de 1931. Selon cela, l’entreprise a été interrompue le 1er décembre 1931 (page 43)
Les avantages en espèces et non en espèces admissibles
Ne sont pas enregistrés
Motifs du refus
- Les articles du paragraphe 7 (1) BEG ne sont pas connus, mis à part le fait que le demandeur a fourni des informations incorrectes et trompeuses sur le préjudice professionnel allégué au testataire.
Les dossiers de la Gestapo n’ont pas été identifiés.
Un duplicata de ce rapport et de la demande au titre du BEG avec les négociations qui en ont résulté sont joints.
La famille d’Abraham a donc vécu dans un grand dénuement suite à sa déportation. Ils vivaient probablement cachés et ne pouvaient pas travailler légalement à cause du statut des juifs et des lois antisémites du régime de Vichy. Quand Abraham a été arrêté, « reconnu comme juif » par la police le 28 juin 1944, la famille a dû souffrir encore plus.
Sur cette date, nous avons trouvé des informations sur les conditions de vie, avec des arrestations sans arrêt. Pour le 28 juin seulement, dans le Rhône, à Rillieux, vers 6h45, la Milice, sur ordre de Paul TOUVIER, exécute contre le cimetière, 7 Juifs en représailles de l’exécution par la Résistance, la veille, de Philippe HENRIOT secrétaire d’Etat à l’information du gouvernement de Vichy ; à Villeurbanne, un peu après minuit, des soldats allemands tuent un chauffeur de taxi .Tout le mois, des résistants, des juifs, sont arrêtés, exécutés, déportés. Lyon est libéré le 3 septembre…mais Abraham est déjà à Auschwitz. Peut-être fait-il lui aussi partie de ces rafles organisées en cette fin de juin par Paul Touvier?
Le courrier d’Abraham semble dire que la mort rapide de ses parents, trois ans après la fin de la guerre, est due à ces conditions de vie cachées, où se nourrir était très compliqué Nous avons poursuivi nos recherches, en espérant avoir des nouvelles de la famille d’Abraham. Plusieurs documents indiquent que ses parents étaient Hersh Luzsczanowski et Anna Schurberg.
Dans le cadre de nos recherches sur internet sur Abraham et sa famille, nous sommes tombés sur l’Association l’Areshval 37, qui étudie la Shoah en Val-de-Loire. En nous connectant à leurs archives, nous avons trouvé plusieurs membres de la famille Luzsczanowski sur leur liste des internés ; notamment Abraham, Sabine, Berta, Herz, Perla Anna, Rosa, et Adolphe Jacob. En contactant l’association, nous avons appris qu’un certain Alexandre Luzsczanowski avait cherché à obtenir des informations sur sa famille. Il leur avait confirmé par mail que plusieurs membres de sa famille étaient décédés, notamment sa mère, Rosa, et que l’un de ses oncles, Adolphe Jacob, était en réalité Abraham.
LA FAMILLE D’ABRAHAM, L’INTERNEMENT ET LA FUITE
Nous avons envoyé un mail à Arolsen pour demander des documents supplémentaires concernant les dossiers d’Abraham, de sa mère et de son père. Anna parfois nommée, Anna Perla, née Schurberg, la mère, est née en Pologne le 14 août 1801 à Kolomea.
Nous avons aussi vu qu’Hersch, le père, avait un homonyme né à Radomsko en Pologne, né en 1895, déporté à Mauthausen.
Le père d’Abraham est né à Belchatow en Pologne (comme indiqué plus tard sur l’acte de naissance de l’une de ses filles). Nous avons retrouvé beaucoup de Luszczanowski à Belchatow nés dans les années 20 et déportés dans différents camps de la mort. Nous avons trouvé peu d’informations certaines sur Hersh et Anna Perla, les parents.
Areshval et d’autres document ont confirmé que la famille avait fui Duisbourg pour Nancy en 1933 ; puis elle avait été internée au camp de La Lande les Monts en 1940, avant de s’évader en 1941.
Le camp se trouvait en zone occupée, sur la commune de Monts dans l’Indre et Loire à 16 km au Sud de Tours. Près de la gare de Monts, il a fonctionné de novembre 1940 à janvier 1944. Il avait été ouvert en 1939 au départ pour les employés de la Poudrerie du Ripault. En 1940, après l’armistice, le camp vide, fut réquisitionné par la Gestapo qui l’utilisa dès lors comme « camp d’accueil pour étrangers ». Il était bien situé, proche de Tours, où vivaient les autorités allemandes, et de la ligne de train Paris-Bordeaux. Il avait une superficie de 7,5 hectares, et était l’un des plus grands camps en France en termes de population. Entre 6 et 700 Juifs y ont été emprisonnés entre fin 1940 et septembre 1942.
La plupart des Juifs du camp de la Lande venaient de Metz et de Nancy. En mai 1940, pendant l’invasion allemande, le gouvernement leur a demandé de quitter l’Est de la France pour aller à Bordeaux. Après l’arrivée du régime de Vichy, une loi de 1940 a rendu leur situation plus difficile. Vingt jours avant sa rencontre avec Hitler à Montoire, le 24 octobre 1940, Pétain a mis en place un système de camps spéciaux. Ces camps ont aidé les nazis à préparer la solution finale. Cette collaboration a commencé avant même qu’elle ne devienne officielle.
Carte des Archives de Touraine
« Nous Maréchal de France, chef de l’État français,
Décrétons
Art 1er. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence.
Art 2. Il est constitué auprès du ministre secrétaire d’État à l’intérieur une commission chargée de l’organisation et de l’administration des camps. »
Au début, le camp de la Lande accueillait surtout des réfugiés, français ou étrangers (Polonais, Allemands, Belges, Anglais). Ils avaient été arrêtés lors de rafles dans l’Ouest. À la fin de 1940, deux convois ont amené environ 700 personnes au camp. Beaucoup étaient des Juifs polonais qui avaient fui Nancy, Metz ou Strasbourg pour aller dans l’Ouest ou le Sud-Ouest, comme en Gironde, avant d’être arrêtés. Le camp était une étape avant d’autres camps.
Au départ, les internés avaient encore une certaine liberté de mouvement. Mais en août 1941, le camp devient un « centre de séjour surveillé » et un premier réseau de barbelés est installé. En novembre 1941, la surveillance est renforcée : le nombre de gendarmes passe de cinq à quinze, aidés par des gardes-civils. La nuit, des faisceaux lumineux surveillent la clôture. Malgré cela, des tentatives d’évasion ont lieu.
La famille d’Abraham s’est échappée au moment ou peu après la mise en place des barbelés. A-t-elle été aidée par des gendarmes ? Ils étaient cinq, avec Rosa âgée de 5 ans. La famille s’est-elle enfuie parce qu’elle devait être transférée ? La ligne de démarcation était proche du camp, l’ont-ils franchie et comment ?
Pour en savoir plus, notre professeure a demandé à Claire Podetti de Convoi 77 si elle pouvait avoir des renseignements sur Rosa, la plus jeune des sœurs car nous avions trouvé son nom en ligne dans les archives du Service Historique de la Défense
Nous avons découvert que Rosa avait demandé le titre de déportée politique en 1961, à l’âge de 25 ans. Elle vivait alors au 37 rue de Nazareth dans le 3e arrondissement de Paris.
Or, dans un mail des Archives de Duisburg, Dr Peter Klefisch nous avait écrit : » … Die Familie (Hersch, Anna, Albert u. dessen Schwestern) lebte nach dem Krieg 1946 in Paris, 37 Rue Notre-Dame-de Nazareth, Paris 3 e; Albert sowie die Schwestern lebten nachgewiesen (1956, 1961) in Paris, 37 Rue Notre-Dame-de Nazareth, Paris 3 e, Adresse 1966, 22 rue Custine , Paris 18 e. Der Todesort von Anna ist zwar Lyon. Letzte Wohnadresse war jedoch Paris »
Ce qui signifie: « …La famille (Hersch, Anna, Albert et les autres membres de la famille) vivait après la guerre en 1946 à Paris, 37 Rue Notre-Dame-de Nazareth, Paris 3 e ; Albert et ses sœurs ont vécu (1956, 1961) à Paris, au 37 Rue Notre-Dame-de Nazareth, Paris 3 e ; l’ adresse en 1966 est 22 rue Custine, Paris 18 e. Le lieu de décès d’Anna est certes Lyon. La dernière adresse de résidence était cependant Paris ». L’adresse rue Custine est aussi celle d’où Abraham fait l’une de ses demandes de reconnaissances du statut de déporté politique à l’administration.
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Arolsen Archives SUZANOWSKI Albert alias MARTEL Norbert TD 482561
Le 37 rue Notre-Dame de Nazareth, Paris 3e
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22 rue de Custine, Paris, 18e
Photo Google Earth
La lecture des documents pour Rosa nous a appris que la famille avait été arrêtée par la Gestapo en octobre 1940 à Bordeaux, quand elle avait quatre ans, qu’elle avait bien un frère (Abraham) et deux sœurs.
Le terme Gestapo (Geheime staatspolizei), utilisé couramment c’est-à-dire « police secrète d’État », est en fait le terme valable sur le territoire du Reich. À Bordeaux – comme dans le reste de la France occupée – c’est plutôt la section IV du KdS (Kommando der Sicherheitspolizei (SIPO) und des Sicherheitsdients (SD), soit le commandement régional des forces de police nazies. Elle est installée à Bordeaux le 1er août 1940 sous l’autorité du commandant SS Herbert Hagenle.
Nous avons aussi appris qu’avant La Lande, ils avaient d’abord été internés dans une « caserne militaire » de début novembre à fin novembre 1940. Le 3 octobre a en effet été publié le premier statut des Juifs. Et le 4 octobre, Vichy valide l’internement des Juifs des camps.
Nous avons ensuite écrit aux Archives municipales de Nancy en continuant nos recherches sur la famille. Grégory Thielen nous a envoyé une fiche de foyer avec un mail explicatif :
« Les documents que vous souhaitez consulter ne sont pas numérisés et donc ne sont pas accessibles en ligne. Les recherches effectuées dans la sous-série 1 F – Population, et plus particulièrement dans les fiches par foyer, ont permis de retrouver la trace d’une famille Luszczanowski venant de Duisbourg. Le document, issu de la liasse conservée sous la cote 1 F 3207, indique que cette famille s’installe à Nancy au courant du mois de juin 1933, au n°4 de la rue Jeannot avant de déménager en 1937, toujours à Nancy, au n° 92 de la rue de la Hache
Hélas la fiche de foyer ne fait pas mention d’un dénommé d’Albert, le seul fils de la famille était prénommé Adolphe. La présence d’une fillette nommée Rosa, née à Nancy le 1er janvier 1936, semble toutefois indiquer qu’il s’agit de la bonne famille « .
Nous avions en effet déjà eu ce prénom, Adolphe, sur le site Areshval (voir plus haut) où Adolphe Jacob, était en réalité Abraham.
Nous avons enfin demandé un acte de naissance à la mairie de Nancy concernant Rosa.
L’adresse de sa naissance, 98 rue de Strasbourg correspond à l’adresse d’une ancienne maternité départementale qui a pris plus tard le nom d’Adolphe Pinard.
Maternité Adolphe Pinard, Google Earth
Nous avons donc enrichi notre chronologie :
- 30 janvier 1924 : naissance d’Abraham à Duisburg
- Juin 1933 : arrivée à Nancy au 4 de la rue Jeannot, Abraham a 9 ans
- 1er janvier 1936 : naissance de Rosa à la maternité, au 98 rue de Strasbourg à Nancy,
- 1937 : déménagement au 92 rue de la Hache à Nancy
- Printemps 1940 : exode de Nancy à Tours au 48 rue de la Scellerie probablement. Abraham a 16 ans
- Octobre 1940 : arrestation à Bordeaux
- Novembre 1940 : internement dans une caserne militaire
- 4 décembre 1940 au 5 août1941 : internement à La Lande
- Entre 1941 et 1944, départ pour Lyon
- 28 juin 1944 : arrestation à Lyon, internement à Montluc, départ pour Drancy. Abraham a 20 ans.
- 31 juillet 1944 : par le convoi 77, Drancy- Bobigny – Auschwitz,
- Août 1944 : KL Auschwitz I
- 18/ 19 janvier 1945 : départ d’Auschwitz, marches de la mort
- 28 janvier 1945 : Gross-Rossen
- 23 avril 1945 : transfert à KL Dachau–Kommando ötztal – transféré le
- 1er mai 1945 : libération par l’armée US à Dachau
- 16 ou 17 mai 1945 : rapatriement : à Sarrebourg. Abraham a 21ans.
- 1946 : la famille s’installe au 37 rue Notre-Dame-de-Nazareth à Paris, 3e et y est encore en 1961 au moins
- 1948 : décès des deux parents, Hersch et Anna Perla. Abraham a 24 ans.
- 1966 : présence de la famille au 2 rue de Custine dans le 18e.
- Mariage à une date inconnue d’Abraham avec Suzanne Hernandez
- 27 décembre 1991 : dècès à Cannes d’Abraham
- 22 décembre 2013 : décès de Breina, sœur d’Abraham, veuve de Paul Désiré Messaoud Haï Tenim, au 1 square Got, Paris 20e.
- 16 septembre 2022 : décès de Rosa, plus jeune sœur d’Abraham, veuve de Charley James Attali, au 1 rue Abel Ferry, Paris 20e
Les Archives municipales de Nancy nous ont proposé de contacter le service des Archives de Meurthe-et-Moselle où Julie Delmas nous a orientés vers le recensement de 1936. Nous avons trouvé cette fiche, d’avant la naissance de Rosa, qui montre les prénoms modifiés de la famille :
Nous avons ensuite cherché les autres sœurs d’Abraham.
Sur Sabine ou son autre prénom, nous n’avons rien trouvé. Sur Bertha (nommée comme ça dans la fiche de foyer de Nancy), Breina, ou Breina Rachel ailleurs, nous avons demandé un acte de décès pour confirmer son identité.
Après tout cela, nous avons réalisé qu’après la mort de ses deux parents en 1948, Abraham qui avait subi les camps à l’âge de 20 ans, avait survécu, a dû prendre en charge ses trois sœurs âgées de 19, 17 et 12 ans et qu’ils ont vécu à quatre un certain nombre d’années. Deux des sœurs sont restées vivre sur Paris. Et Abraham est parti vivre à Cannes, entre 1966 et 1991.
CE QUE NOUS SAVONS DE LA VIE D’ABRAHAM DANS LES CAMPS :
DRANCY
De son passage a drancy, nous pouvons juste lire qu’il a du donner tout son pécule au chef de police du camp, le 25 juillet 1944.
AUSCHWITZ
Source : encyclopedia.ushmm.org
Abraham a été interné à Auschwitz I.
AUSCHWITZ I, NUMÉRO B3862
Dans le « livre de traitements » de l’infirmerie des prisonniers du KL Auschwitz, couvrant la période du 28 novembre 1944 au 17 janvier 1945, nous trouvons Abraham sous le numéro B 3862
Copy of 1.1.2.1 / 560149 in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives, Laboratory studies of the SS Hygiene Institute in Auschwitz
Un autre document daté du 3 novembre 1944, intitulé « test de laboratoire par l’Institut d’hygiène SS d’Auschwitz », utilise aussi le numéro B 3862 d’Abraham. Ce document concerne des tests effectués sur des échantillons d’urine, de sang, de selles et de crachats, et des prélèvements de gorge. Il est précisé que ces tests ont été faits sur des prisonniers travaillant dans des tâches comme l’épluchage des pommes de terre et en cuisine, le kommando des. Kartoffelschälerei Abraham apparaît parmi les sujets testés, avec son numéro entouré
Copy of 1.1.2.1 / 560151 in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives, Laboratory studies of the SS Hygiene Institute in Auschwitz
KOMMANDO DES KARTOFFELSCHÄLEREI
Copy of 1.1.2.1 / 129637305 Transport and transfer lists from Concentration Camp Auschwitz in conformity with ITS Digital Archive, Arolsen Archives
Nous avons lu des témoignages sur ce Kommando des Kartoffelschälerei. Nous ne savons pas combien de temps Abraham y est resté mais certains détenus trouvaient que c’était un endroit moins horrible que les autres car il y faisait plus chaud, le travail était « moins » difficile, et il n’y avait ni cris ni coups » (“Er hatte eine leichte Arbeit, in der Kartoffelschälerei wurde weder geschrien noch geschlagen.“ voir Engelmann)
Nous avons aussi trouvé que ce kommando aurait pu vivre dans le block 25 à travers plusieurs témoignages de déportés que nous avons lus en ligne et qui avaient travaillé dans ce kommando dans une geschlossenen Arbeitsbereiche, une zone de travail fermée.
Les cuisines du camp d’Auschwitz :
Source : fortitude-ww2.fr
Dans ces documents sur Abraham, on parle surtout des tests pour le typhus et la tuberculose. Abraham avait-il le typhus ?
Copy of 1.1.2.1 / 560151 in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives, Laboratory studies of the SS Hygiene Institute in Auschwitz
L’une des fiches récapitulatives fournie par Arolsen permet de croiser les informations médicales d’Abraham.
Copy of 6.3.3.2 / 99463170 in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives Correspondence file
Ce document parle d’« essais sur les humains » ou « Menschenversuche » : ce sont les expérimentations médicales sur les déportés.
En étudiant ces expériences, nous avons découvert les nombreux tests auxquels les déportés étaient soumis, parfois des tests de stérilisation, notamment par Joseph Mengele. Ces tests comprenaient des expérimentations de congélation, l’injection de médicaments, et des tests visant à prouver la soi-disante supériorité de la race aryenne. Lorsque l’armée rouge commença à libérer les camps en janvier 1945, Mengele prit la fuite, se cachant avant de fuir en Amérique du Sud, plus précisément au Brésil, où il mourut en 1979, sans jamais avoir été jugé pour ses crimes.
Parmi les expériences qu’Albert a subies, nous avons pu découvrir qu’il y avait eu des piqûres : quelles conséquences ont pu voir sur sa santé ces expériences ? Nous avons lu des récits de déportés qui ont subi des atteintes physiques irréversibles ; peut-être que leur vie en a même été écourtée.
Copy of 6.3.3.2 / 99463174,
Arolsen Archives SUZANOWSKI Albert alias MARTEL Norbert TD 482561
LES MARCHES DE LA MORT
Après Auschwitz, Abraham a été évacué vers Gross Rossen quand les soviétiques ont avancé vers les camps à l’est. Il a probablement participé aux marches de la mort pour évacuer les principaux camps avant l’arrivée des alliés. Dix jours séparent le départ d’Auschwitz d’une mention de sa présence à Gross Rossen (départ vers le 18 janvier, arrivée vers le 28 janvier). Son numéro de déporté passe alors de B862 à 13984, numéro qu’il garde à Gross Rossen et Dachau
Nous avons comparé avec les dates que les Historiens ont pu établir pour les marches de la mort.
Arolsen Archives Copy of 1.1.6.1 / 9908058 in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives Transport lists from various concentration camps to the concentration camp Dachau
Nous avons ensuite découvert un texte sur « cercleshoah » qui nous a fait imaginer ce qu’Abraham avait vécu ;
Marches de la mort : évacuation en janvier 1945 du camp d’Auschwitz I
Extraits de la transcription de l’enregistrement du témoignage de Henri Graff fait le 5 octobre 2005 pour l’UDA (Union de Déportés d’Auschwitz)
« Dix-sept ou dix-huit janvier … on entend : « Aujourd’hui vous ne partez pas travailler. On vous évacue. On évacue le camp ». Alors, ils avaient mis des tables devant la porte d’entrée. Il y avait plein de boîtes de conserve, plein de pain … Moi, j’ai pris deux pains et deux boîtes de conserve. J’avais une musette. Je ne sais même plus où je l’ai trouvée, cette musette … C’était en janvier 45, par -25°, avec une petite liquette sur le dos, une veste qui était comme de la paille, des sabots innommables aux pieds, et on a commencé à marcher. [Ce fut] le début de ce qu’on appelé, plus tard, la « marche de la mort » … On a fait soixante kilomètres dans la neige … On a marché pendant trois jours. Trois jours et deux nuits … [Là a commencé] la soif. La soif provoquée … par le froid et la sécheresse du climat. Parce que, là-bas, le froid est comme un coup de trique. Il ne fait pas un froid humide [mais] un froid sec, à couper au couteau … qui dessèche tout … Cette musette, ces deux kilos de pain et ces boîtes de conserve me pesaient. J’avais beau changer d’épaule … et j’ai fait comme les autres : j’ai tout jeté. Je n’avais rien à manger. Je n’avais pas faim tellement j’avais soif … On ramassait la neige, par terre, qui était sale … Il y avait deux ou trois mille personnes, devant nous, qui l’avaient piétinée. On ramassait la neige, on la suçait … Sur le moment, c’est glacé, ça fait du bien. Trente secondes après, ça brûle davantage encore … Derrière nous, on entendait les coups de feu. Tous ceux qui ne pouvaient pas suivre, qui tombaient, étaient tués par les SS … Et on est arrivé comme ça devant une petite gare qui s’appelle Gleiwitz. Là on nous a fait monter dans des wagons de marchandises découverts. Ces wagons avaient servi à transporter du charbon. Donc au fond des wagons, il y avait plein de poussière de charbon. Là-dessus il avait neigé … alors, avec la chaleur des corps, la fonte de la neige mélangée avec de la poussière de charbon, je ne vous dis pas dans quel état on était. Et on est arrivé à Gross-Rosen. »
GROSS ROSSEN
Le camp de Gross-Rossen :
Gross Rossen était un camp de concentration construit en 1940, un satellite de Sachsenhausen. Il s’agissait au départ d’un camp de travail dont la main-d’œuvre était employée dans les carrières de granit des environs.
Il fut libéré le 14 février 1945 par l’armée rouge. Il était siitué en Pologne, à côté de Rogoznica : 125 000 personnes y ont été enfermées et 40 000 d’entre elles sont mortes.
Gross Rossen avait plusieurs annexes. Avec l’arrivée des déportés d’Auschwitz en janvier 1945, le camp était surpeuplé.
A partir de Gross Rossen plus de 30 000 détenus sont embarqués dans des trains découverts pour une dizaine de jours de trajet. On dénombre une très forte mortalité parmi les détenus victimes du froid intense, de la faim et de la soif, de la promiscuité avec des malades ».
De Gross Rossen, Abraham est envoyé à Dachau.
DACHAU, SOUS LE NOM DE NORBERT MARTEL TOUJOURS
Prisoner registration form CC Dachau in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives Copy of 1.1.6.2 / 10194445
Dans la fiche de la Croix Rouge, nous avions lu la mention « ötztal » à côté de Dachau et nous avons cherché ce que cela voulait dire à Dachau.
LES KOMMMANDOS
Les Kommandos sont des groupes de prisonniers qui dépendent d’un camp de concentration. Ils sont détachés pour exécuter un travail à l’extérieur du camp. Otztal est en Autriche à 180 km et c’est aussi un camp satellite de Dachau. Dachau comptait des centaines de camps satellites. Dans le cadre des camps de concentration nazis, un camp satellite (allemand : KZ-Außenlager) ou camp annexe, est un centre de détention périphérique (Haftstätten) sous l’autorité d’un camp de concentration principal géré par les Schutzstaffel (SS) en Allemagne nazie et en Europe sous domination nazie. Les nazis faisaient une distinction entre les camps principaux (Stammlager) et les camps satellites (Außenlager ou Außenkommandos) qui leur étaient rattachés. Dans bien des cas, les conditions de survie pour les prisonniers dans les camps périphériques étaient plus difficiles que dans les camps principaux.
D’après nos recherches, le kommando Otztal travaillait dans un atelier de construction mécanique.
Lors de notre travail, nous avons découvert que
« le lundi 23 avril 1945, un ordre a(vait) été donné au camp de concentration de Dachau de former un peloton de prisonniers. Ce « Kommando Ötztal », composé de 1700 à 1800 prisonniers juifs, soviétiques et allemands, devait probablement faire avancer la construction d’une grande soufflerie dans la vallée tyrolienne de l’Ötztal, afin que la dernière « arme miracle », l’avion à réaction, puisse décider de la guerre à l’automne 1945. Mais beaucoup des quelque 10 000 personnes de Dachau qui sont poussées et conduites vers le Tyrol fin avril n’atteignent pas la frontière vivantes »
(source : https://www.podcast.de/episode/503228353/27-april-1945-teil-02-das-kommando-oetztal )
Or, c’est justement le 23 avril qu’Abraham rejoint le Kommando : la date est exactement la même dans le document de la Croix Rouge cité plusieurs fois. Là encore, il survit.
Copy of 1.1.6.1 / 9914909 in conformity with ITS Digital Archive,
Arolsen Archives Transport lists, departures from the concentration camp Dachau
Après le choc de l’histoire d’Abraham et avec lui le récit de la Shoah, nous avons aussi été très choqués des réponses très administratives aux demandes d’indemnisation des victimes :
Dans la réponse de la préfecture de Duisbourg à Abraham, le préfet refuse la demande de réparation pour le magasin car il écrit : « L’argument du demandeur selon lequel le défunt a dû liquider son entreprise en juin 1933 en raison de la situation du régime national-socialiste de l’époque est contredit par la liste de recensement de la taxe professionnelle de l’année 1931. Selon cette liste, le commerce a cessé dès le 1.12.1931 (p. 43)* ». Nous ne pourrons pas avoir accès à ces documents avant 2036. Il explique aussi que les dossiers de la Gestapo n’ont pas été retrouvés.
Sa sœur, Rosa, qui a demandé et obtenu le titre de déportée politique auprès du gouvernement français, a reçu 32 francs des Anciens combattants et victimes de guerre.
Abraham a aussi reçu le titre de déporté politique.
Cela leur donnait droit :
- à une pension de victimes civiles de la guerre
- à la prise en compte de la période de déportation ou d’internement dans le calcul de l’ancienneté de service exigée pour la retraite,
- à l’indemnisation pour pertes de biens
- au port de la ’Médaille de la déportation et de l’internement’
- à la qualité de ressortissant de l’office national des Anciens combattants et Victimes de guerre.
Abraham a eu un parcours qui nous a semblé impossible. Quel courage il lui a fallu, quelle envie de survivance pour résister à l’arrestation, aux conditions des internements, aux expériences médicales, aux marches de la mort, aux kommandos, à la mort de ses parents peu de temps après son retour, au soin de ses sœurs, pour affronter ensuite le refus de certaines administrations.
Nous avons bénéficié d’heures en plus pour travailler sur ce projet qui nous a permis d’en apprendre bien plus que durant notre seul programme sur l’Histoire de la Shoah. Nous sommes aussi retournés à Lyon pendant quatre jours pour suivre le parcours et l’histoire des Juifs déportés par le gouvernement français. Nous avons suivi des ateliers du Mémorial de la Shoah, avons assisté à des projections, participé au prix de la Maison d’Izieu. C’était un travail incroyable que nous aurions aimé continuer.
Ajout : à l’heure où je souhaite publier le texte des élèves et en effectuant les dernières mises à jour des recherches ce 1er janvier 2025, je découvre avec tristesse que l’épouse d’Abraham, Suzanne LUSZCZANOWSKI, née HERNANDEZ est décédée le 4 décembre 2024 à Mougins. Nous n’avions pas réussi à la retrouver. Elle avait 105 ans. L’histoire de cette recherche continue.
Bibliographie/ sitographie
- Le camp de la Lande (Indre et Loire), Localisation, intégration dans le système d’extermination nazi, mémorisation, par Jean-Paul Pinault, pages 141 à 153, dans Bibliothèques des Fondations, 2014 (en ligne)
- Reiner Engelmann, DER FOTOGRAF VON AUSCHWITZ, Das Leben des Wilhelm Brasse, 2019, Munich, p. 42
- Faux papiers. Un chapitre ignoré de la Résistance juive en Belgique, Ahlrich Meyer, p. 213-269, https://doi.org/10.4000/cmc.492
Difficile de recenser ici tous les sites parcourus. Les plus utilisés ont été :
- Memorial de la shoah
- https://www.memorialdelashoah.org/archives-et-documentation/ressources-en-ligne/selection-de-sites-web.html
- United States Holocaust Memorial Museum
- Yad Vashem
- Auschwitz
- Dachau
- La Lande
- AREHSVAL – Association de Recherche et d’Etudes Historiques sur la Shoah en Val de Loire
- Blog de Philippe RUER, ancien professeur au collège du Plan du Loup à Sainte-Foy-les-Lyon
Les élèves du groupe Convoi 77 et leur enseignante, année 2023-2024 remercient :
- Serge Jacubert et Claire Podetti pour leur avoir permis de participer au projet porté par Convoi 77 et les avoir soutenus,
- Aline Ambrogini du Lycée Aubanel, pour l’organisation des ateliers du Mémorial de la Shoah
- L’ Association Areshval, Association de Recherche et d’Etudes Historiques sur la Shoah en Val de Loire,
- Le CHRD, le Mémorial de Montluc, la Maison des enfants d’Izieu, pour l’organisation du séjour à Lyon
- Julie Denand des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle,
- La DILCRAH Vaucluse et particulièrement Richard Andréoni pour son soutien
- Elisabeth, secrétaire de la mairie de Fraize dans les Vosges,
- L’Hôpital Simone Veil de Cannes,
- Dr Peter Klefisch, Archives du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie Département Rhénanie, Düsseldorf/ Duisburg /Landesarchiv NRW Abteilung Rheinland Dezernat R 3 – Verwaltungs-, Justiz- und Finanzbehörden
- Frédérique Lapeyre des Mômes Trotteurs, pour l’organisation du séjour à Lyon,
- Les mairies de Paris 3e, 18e, 20e, Cannes, Fraize, Lyon, Nancy.
- Renata Mielczarek, Inspektor ds.Kancelaryjnych, Archiwum Państwowe w Łodzi, Łódź
- Leurs professeurs, Alexandre Veronese, Delphine Bassemon
- Messieurs Khadroui et Ménard, chefs d’établissement du collège Jean Brunet Avignon pour leur soutien,
- Vanessa Thiele, pour ses traductions
- Grégory Thielen, des Archives municipales de Nancy