Beya ACHOUR

1886-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Beya ACHOUR, dite Fortunée, née NABETS (1886 à Constantine – 1944 à Auschwitz)

Cette biographie a été établie par les élèves de deux classes, l’une en France, l’autre en Allemagne, qui ont travaillé à partir des documents du dossier de la DAVCC et celui, déposé aux Archives nationales, de « l’aryanisation » du commerce du couple Achour. Ce dossier, particulièrement riche et original, a permis aux élèves de comprendre le processus de spoliation dont ont été victimes les Juifs de France. Il met aussi en lumière le combat singulier d’une femme qui ne veut pas se laisser broyer par la machine nazie et tente, par les moyens qu’elle trouve, de sauver ses biens.

Ce texte est le résultat du travail de Sara, Yasmin, Mia, Anisa et Alina du Goethe Gymnasium Germersheim en Allemagne encadré par Philipp Steul et les élèves de 3ème du Groupe scolaire des Servites de Marie – Collège Saint Louis, Lycée Blanche de Castille de Villemonble encadrés par Tiffany Lobjoi.

BAYA ACHOUR : DE CONSTANTINE À PARIS

Une enfance algérienne

Beya ACHOUR, est née NABETS le 20 février 1886 à Constantine, en Algérie.

Elle est la fille de Bourak Nabets, tailleur d’habits né à Constantine le 12 janvier 1859, et de Louna Ziza, née le 11 mai 1861, mariés à Alger en 1884. Son grand-père paternel se nommait Messaoud Nabets, était bijoutier, et sa grand-mère paternelle était Messouka Itta. Son grand-père maternel se nommait Sadia Ziza, était tailleur, et sa grand-mère maternelle s’appelait Hanna Sadoum.

Elle semble être fille unique, un petit frère né après elle étant mort avant d’avoir un an.

Elle est de nationalité française. En effet, en vertu du décret Crémieux du 24 octobre 1870, les « Israélites indigènes d’Algérie » sont déclarés « citoyens français ».

Elle a adopté le prénom de Fortunée, qu’elle a dû préférer à celui de Beya, sans doute trop oriental à Paris, mais nous ne savons pas à quelle époque.

Mariage à Paris

Nous ne savons pas non plus quand Beya est arrivée en métropole. Ni où elle a rencontré son futur époux, Simon Achour, né le 14 mai 1878 à Saint Eugène, dans le département d’Alger, en Algérie. Lui est à Paris depuis 1892. Il a fait des études en pharmacie, et sera ensuite préparateur en pharmacie. Est-ce un mariage arrangé ?

Beya et Simon se marient le 7 avril 1908, à Paris, à la mairie du XVIIe. Le père de Beya est indiqué comme « disparu » et il est divorcé de son épouse, qui assiste, elle, aux noces à Paris et donne son consentement. Simon, né en 1878 et élève-pharmacien, est domicilié 156 rue de Courcelles, adresse à laquelle résident également Beya et sa mère. Beya est alors couturière.

Simon a un frère, Jacques, né deux après lui, qui est pharmacien à Paris[1], mais il n’est pas témoin à leur mariage. Et autre, plus âgé de deux ans, Léon.

Deux filles

Le couple s’installe 26 rue Lafontaine, dans le chic XVIe arrondissement de Paris. C’est à ce domicile que naissent leurs deux filles. En effet, peu de temps après leur mariage naît Simone-Julie, le 12 mars 1909 à Paris dans le 16e[2]. Le second enfant, Marcelle Léonie, naît longtemps après sa sœur, le 9 novembre 1923, également dans le 16e arrondissement.

De la vie de Baya / Fortunée avant l’Occupation allemande, nous savons peu de choses, sinon qu’elle a dû rester seule pour élever ses deux enfants alors que Simon était soldat au 143 RI pendant la Première Guerre mondiale, d’où il est revenu réformé-invalide avec une pension de 70%, et décoré de la Croix des Réformés.

L’Herboristerie Achour

Un commerce qui tourne bien

Au plan professionnel, Baya / Fortunée n’a pas poursuivi dans la couture. Avec son mari, ils se lancent dans l’herboristerie-parfumerie. Simon, d’après des témoignages élogieux sur son travail, aurait néanmoins à travailler dans des pharmacies en tant que préparateur en pharmacie.

En septembre 1924, le couple vend aux époux Christen un fonds de commerce-herboristerie-parfumerie, qu’ils exploitaient 47, rue de la Convention, à Paris dans le XVe arrondissement.

En mars 1929, ils ouvrent au 1, rue Pétion, tout près de la mairie du XIe arrondissement place Voltaire, « L’Herboristerie Achour ». Le quartier, non loin de la Bastille et proche du cimetière du Père-Lachaise, est populaire ; des familles juives originaires de Turquie commencent à s’y installer.

« Beya, dite Fortunée », est la propriétaire du fonds de l’herboristerie, qu’elle a achetée, en son nom, « 125.000 francs, marchandises non comprises[3] ». Quand ils l’achètent en 1929, à un moment où dira Beya Achour « les fonds de commerce avaient une valeur élevée », ils ont « versé peu de comptant ».

Simon Achour s’occupe de la partie commerciale. Sa femme, de la vente au détail. Ils n’ont pas d’employé, mais un comptable veille sur les comptes. Ils sont très scrupuleux, et leur bénéfice annuel modeste mais croissant.

L’herboristerie désigne l’art et la science de récolter, de préparer et d’utiliser les plantes médicinales à des fins thérapeutiques. C’est en quelque sorte une pharmacie qui ne vend que des plantes. Celle des époux Achour vend également des accessoires et de la parfumerie.

Le travail de Beya /Fortunée et son domicile se trouvaient à la même adresse.

Il s’agit, selon la description qu’en fait un des administrateurs nommés pour aryaniser « l’Herboristerie Achour » d’un rez-de-chaussée, avec la boutique, l’arrière-boutique, une cuisine, et un sous-sol. Au premier étage, l’appartement se compose de deux pièces et d’une cuisine. L’appartement dispose d’une entrée séparée de la boutique. Il est loué depuis 1936. Or, cette même année, sur le registre du recensement, seuls les parents Achour sont domiciliés rue Pétion, et Baya figure sous le prénom de Fortunée. On sait que Simone était mariée depuis 1932. A-t-elle hébergé sa jeune sœur alors qu’elle-même est devenue mère ?

LA MENACE D’ARYANISATION DE L’HERBORISTERIE ACHOUR  : UN DOSSIER TRES COMPLIQUÉ

L’antisémitisme d’État

Avant la Seconde Guerre mondiale, l’herboristerie est un métier garantit par une formation. Or, en 1941, le gouvernement de Vichy supprime le certificat d’herboriste. Le métier est dans le viseur des autorités.

Cette attaque contre la profession d’herboriste est un souci de plus pour Beya / Fortunée et son mari qui, comme Juifs, sont déjà menacés par les lois antisémites édictées depuis 1940 par les Autorités d’Occupation nazies et le gouvernement collaborationniste de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain.

Il se trouve, en effet, que les Achour se sont déclarés comme « Juifs » au commissariat de leur quartier (La Roquette), comme l’ordonnance du 27 septembre1940[4], puis le premier « statut des Juifs », du 3 octobre 1940, édicté par l’État français, les y obligeaient.

La loi de 1941 interdit ensuite aux Juifs d’exercer des professions libérales, telles que la pharmacie, la médecine, le droit, etc. Enfin, celle du 22 juillet 1941 organise la spoliation des biens des Juifs.

Les Achour sont triplement menacés : comme juifs, détenteurs d’un commerce et avec un métier qu’ils n’ont pas le droit de pratiquer. Et, depuis l’abrogation du décret Crémieux le 7 octobre 1940, les Juifs d’Algérie ne possèdent plus la nationalité française, bien que cela ne semble pas avoir été signifié aux époux Achour ; ils sont des « indigènes des départements de l’Algérie ».

Or, très vite le Commissariat général aux questions juives (CGQJ) s’intéresse au commerce des Achour pour, selon l’expression de l’époque, « l’aryaniser ». Ce terme signifiait que les Juifs étaient dépossédés de leurs outils de travail et n’avaient plus le droit de pratiquer leur profession. Leur entreprise ou commerce était évaluée et vendue à bas prix à un acquéreur qui devait faire la preuve qu’il n’était ni juif, ni lié avec la personne dont les biens étaient volés. L’argent revenait au CGQJ.

Mais la saisie des biens des époux Achour va donner du fil à retordre à l’administration française collaborationniste. Baya /Fortunée Achour ne se laisse pas faire et tente par tous les moyens d’empêcher l’aryanisation de son commerce.

Que s’est-il passé pour les Achour ?

Selon les directives sur l’aryanisation des commerces appartenant aux Juifs, l’herboristerie Achour est mise sous le contrôle d’un administrateur provisoire. En fait, ils seront plusieurs à se succéder pour décider de son sort, à savoir sa vente au plus offrant au profit du CGQJ.

Le 21 mai 1941, des ordonnances allemandes « prescrivent la fermeture des entreprises juives si elles ne sont pas pourvues antérieurement d’un commissaire-gérant », signale peu après A. Barthélémy, liquidateur judiciaire en charge de l’administration provisoire. Il demande donc une nomination « de toute urgence » à ce poste.

Un document provenant du Commissariat général aux questions juives, et plus précisément du Services des contrôles des administrateurs provisoires, nous indique qu’un administrateur provisoire a été nommé par la préfecture de police le 28 juin 1941, M. Houdier. Or ce dernier, se déclarant « incompétent » s’est récusé ; en conséquence, un autre administrateur a été désigné le 26 août 1941, M. Gillot. Il s’agit de continuer à faire fonctionner l’herboristerie et de trouver des acquéreurs.

Les comptes de l’herboristerie pour les années 1938 – 1939 et 1940 et 1941 sont vérifiés afin d’évaluer à combien elle peut être revendue. L’entreprise se porte bien, les comptes sont bien tenus et sont à jour. L’herboristerie Achour n’a pas de dettes et dégage un bénéfice de près de 20.000 francs en 1940.

L’affaire est « modeste mais saine », selon M. Gillot. Achetée 125. 000 francs en 1929, sa valeur représenterait le triple environ en francs 1939[5], se plaindra cependant le représentant du CGQJ devant des propositions à bas prix.

Beya / Fortunée affirme qu’elle est arabe, ou kabyle

Cependant, Beya / Fortunée se défend contre cette vente forcée. Beya Achour tenta à plusieurs reprises de prouver qu’elle n’était pas juive. Elle fournit des documents censés attester de ses origines arabes.

Elle déclare d’abord qu’elle et son mari ne sont pas de « race juive », mais « arabe » et qu’ils ne sont juifs que de religion[6]. Elle déclare que le nom « Achour » veut dire « dîme, impôt » en arabe. Et évoque une longue lignée d’Algériens kabyles musulmans qui remonte à la conquête de l’Algérie. Elle met également en avant que sa petite-fille est baptisée catholique depuis 1937 et que sa fille mineure, Marcelle, est en cours de baptême.

Gillot estimait, selon une lettre évoquée dans un courrier non signé daté du 9 avril 1942, que Baya Achour n’était pas juive, mais de « race KABYLE ». Elle serait, avait-il écrit, « descendante de Habid Achour, né vers 1835, musulman converti au judaïsme, mais dont la religion juive ne s’était pas perpétuée chez ses enfants », tous les quatre mariés à des femmes catholiques. Il est ajouté (à tort) que « Simon est le père de Mme Achour. J’ignore si la mère de celle-ci était aryenne ». En fait, Habib Achour est le père de Simon et pas celui de Beya, née Nabets[7].

Les protestations de Mme Achour entrainent des désagréments pour l’administrateur provisoire : alors qu’il avait de potentiels acheteurs, certains ont renoncé, pendant que les autres aimeraient bien savoir si, oui ou non, « l’entreprise doit être considérée comme juive ».

Gillot n’est plus en charge de l’affaire Achour. Le 22 novembre 1941, un M. Mathivat est nommé administrateur, mais lui aussi se récuse rapidement. Puis le 5 janvier 1942, c’est le pharmacien parisien Raoul Bonnay qui a le dossier entre les mains. Il prend sa fonction en février. En mars, il rend un rapport sur l’herboristerie, et ses comptes rendus aux autorités qui supervisent les spoliations ont tendance à accréditer les affirmations de Beya / Fortunée sur son ascendance arabe. Celle-ci envoie des pièces justificatives qui indiqueraient que son père est « arabe ».

Un acheteur potentiel est trouvé, mais il ne propose que 40 000 francs, bien loin de sa valeur réelle. L’entreprise sera revendue si Mme Achour n’est pas capable de prouver son « aryanité ». Le 31 mars, un autre potentiel acheteur est intéressé, un herboriste dans le XIXe arrondissement. Il a fourni les documents prouvant son « aryanité » et l’origine des fonds. Sa proposition est de 60.000 francs, arguant des faibles bénéfices de l’entreprise et du coût de l’enregistrement. Comme deux autres acquéreurs qui se sont désistés parce qu’ils considéraient le matériel comme désuet et que les travaux pour moderniser pourraient coûter trop cher, il met en avant la vétusté des lieux.

La réponse du CGQJ, le 9 avril 1942, est claire : il est important de savoir si Mme Achour est juive pour liquider l’affaire. « Il y a lieu de faire la preuve de son aryanisme ou à se confesser franchement juive », et « si elle est israélite la proposition d’achat que vous nous communiquerez est à retenir faute de concurrence ». Le rédacteur du courrier remarque cependant que l’affaire vaut bien davantage.

Le 3 avril 1942, toutefois, dans son deuxième rapport au CGQJ, M. Bonnay estime que « Mme Achour se montre maintenant beaucoup plus réticente quant à ses affirmations… »

Baya Achour explique pourquoi elle s’est déclarée comme juive en 1940

Son courrier du 2 mai 1942, montre au contraire que Beya / Fortunée n’a pas renoncé à se déclarer arabe. Elle n’est pas d’accord avec la vente, et maintient qu’elle n’est pas de race juive. En effet, dans cette lettre qui figure dans le même dossier d’aryanisation, elle explique les raisons pour lesquelles, écrit-elle, « j’ai fait ma déclaration comme juif alors que je suis Arabe ». Elle dit avoir respecté la première ordonnance du 27 mai 1940, qui mentionnait le fait d’être de « religion juive »[8]. « C’est mon cas, écrit-elle, j’ai donc fait la déclaration voulue. » « Mais par la suite, indique-t-elle, la question juive est devenue uniquement une question raciale ». Elle cite alors l’ordonnance du « 24 mars 1942, paragraphe 1. »[9] Et insiste « je suis de race arabe, bien qu’appartenant à la religion juive ». Beya / Fortunée demande donc une enquête du CGQJ en Algérie qui prouverait que ses deux parents sont arabes et, ajoute-t-elle à la main du courrier tapé à la machine, « ainsi que mes deux grands-parents ».

Le 4 mai, elle envoie les pièces d’état-civil de ses parents : « Impossible de trouver plus de précision, Constantine à cette époque n’était pas sous la dépendance de la France [10]». Elle explique qu’elle s’est fait recenser « étant de religion juive » et son nom commençant par lettre « A », elle devait le faire « à la première heure ». Non sans quelque inquiétude et elle avait « demandé conseil » au « commissaire de mon quartier ». Celui-ci lui aurait « déclaré que cela ne pouvait me causer aucun ennui et qu’il fallait mieux se mettre en règle ». « Or au sujet race, écrit-elle, je suis affirmative. Je suis de race arabe. »

Le 9 mai 1942, le « Rapport 3 » de l’administrateur Bonnay est plus sec. Il fait état des pièces envoyées par Mme Achour « pour prouver qu’elle n’est pas juive ». Sans prendre parti, il glisse que les noms (de ses parents) « sont typiquement arabes ». A propos de la « vente éventuelle », il signale que l’acquéreur fait une nouvelle proposition, à la baisse (48.000 francs). Et indique qu’il accepte le prix du loyer de l’appartement, fixé à 4200 francs, que Mme Achour peut continuer à occuper puisqu’il a « une sortie autre » que le commerce.

L’affaire traine en longueur

Au 27 juillet 1942, les discussions entre Raoul Bonnay et les fonctionnaires de Vichy se poursuivaient, hésitant entre vendre l’entreprise ou la restituer à Beya /Fortunée si elle était reconnue non juive

Dans son quatrième rapport, M. Bonnay aimerait bien que les choses soit fixées. Soit on considère que Mme Achour n’est pas juive et on lui « rendra sa maison », dit-il, soit, elle est juive, et « la vente doit être faite dans les plus brefs délais ». Son mandat (toujours fixé à six mois) expire dans un mois, et il est « donc urgent d’arriver à une solution à bref délai ». De plus le stock baisse, mais l’administrateur n’est pas autorisé à faire des achats.

Le 30 juillet 1942, un état des lieux est certifié : L’entreprise au 30 juin 1942 dégage un bénéfice brut de 18.018, 85 francs. Un fois retiré les salaires, le loyer, le gaz et l’électricité, impôts, etc., le bénéfice net est de 1261,85 francs.

Le 12 octobre 1942, les preuves avancées par Mme Achour sont jugées insuffisantes par M. Bonnay. Il a une proposition à 63.000 francs, avec le stock. Il faut se presser pour la vente, sinon ce sera une « liquidation », insiste-t-il auprès de son référent.

Étonnamment, l’histoire traine en longueur, Beya /Fortunée a une volonté de fer et a certainement le soutien d’un très bon avocat. Mais le 31 mars 1943, le couperet tombe : M. Bonnay doit mettre en vente l’entreprise de Mme Achour.

Le 11 juillet 43, la Direction générale de l’aryanisation économique, Section III demande les résultats des trois « précédents exercices » du commerce des Achour.

Le 20 décembre 1943, la Banque Barclay en France accuse réception auprès de Raoul Bonnay d’un chèque de 750 franc « que nous utilisons en faveur de la Treuhand u.Revisionsstelle im Bereich des Militärbefehlashabers in Frankreich, Paris ». Il est destiné à régler les émoluments du précédent administrateur, M. Gillot.

Pour autant, un courrier adressé à M. Bonnay le 19 avril 1944 par Jean Thomas, de la Direction générale de l’aryanisation économique, Section III, revient sur la question. Elle préconise que Mme Achour se fasse « délivrer par le Statut des personnes au Commissariat général aux questions juives un certificat de non appartenance à la race juive, faute de quoi son entreprise sera vendue à un aryen dans les délais les plus courts ». Ce même Jean Thomas, toujours le 19 avril, invite Madame Achour à faire établir ce certificat.

Mais en juillet 1944, le CGQJ ne semble plus avoir de doutes sur

ARRESTATION ET DÉPORTATION

Il est peu probable que Beya / Fortunée Achour se soit rendue au CGQJ, véritable souricière. Mai deux mois et demi après cette « invitation », le sort des époux Achour est scellé.

Beya Achour est arrêtée le 15 juillet 1944 par la Gestapo, ou la police française (les versions divergent) à son domicile 1 rue Pétion, à Paris, en même temps que Simon, son mari.

On les accuse d’écouter la radio anglaise, dira leur fille Simone dans le dossier qu’elle remplira ensuite.

Elle et Simon sont internés dans le camp de Drancy le 17 juillet 1944. Ils ont 637 francs sur eux, que Simon laisse contre un reçu à la « fouille » du camp.

Deux témoins attesteront plus tard de l’arrestation du 15 juillet : la concierge Mme Marie Roguet ou Roguel et Mme Marie Malissard. Les témoins contactés évoqueront « israélites » comme raison de leur arrestation.

Le 31 juillet, elle est déportée avec Simon et 1304 autres personnes vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Parti de la gare de Bobigny et après avoir effectué un trajet de 1300 km de Drancy à Auschwitz, le convoi 77 est arrivée dans la nuit du 3 août 1944.

Beya ACHOUR y est assassinée dans les chambres à gaz, à son arrivée au camp, en même temps que son mari. Elle avait 58 ans.

Carte réalisé par Alix, Julie, Bastien et Arthur

Trajet : Bobigny à Noisy le sec à Épernay à Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons en Champagne) à Bar-le-Duc à Noveant à Metz à Sarrebruck à Mannheim à Francfort-sur-le Main à Ronshausen Fossidorf àEngelsdorf Mette (banlieue de Lepzig) à Gorlitz (frontière actuelle de la Pologne) à Neisse à Cosel à Kotowice à Auschwitz.

L’APRÈS-GUERRE

Sa fille Simone-Julie, qui réside dans l’appartement du 1 rue Pétion en mai 1946, fait les premières démarches administratives pour faire établir le décès de sa mère. Elle collecte documents et témoignages en vue de faire reconnaître que sa mère a été une victime raciale.

Alice Abouav, également déportée par le convoi 77 et voisine, au 3 rue Pétion, des Achour, a témoigné à son retour de déportation dans une déposition du 28 mai 1946 qu’elle a vu « Monsieur et Madame Achour les emmenant vers les chambres à gaz, après un tri fait par les Allemands qui ?parait les internes inaptes au travail ».

Par erreur, une fiche du dossier de Beya indique que le couple serait passé par Compiègne. C’est en fait le dernier convoi parti de Drancy, le 17 août 1944, avec Aloïs Brunner à son bord, qui est passé chercher des prisonniers résistants internés au camp de Compiègne. Ils ne sont pas allés à Auschwitz.

L’acte de décès a été rédigé en 1946 par le ministère des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre. Le dossier de demande du statut de Déporté Politique a été ouvert en 1962 par ses filles Simone, qui vivait toujours au 1 rue Pétion, et Marcelle.

En 1963, Simone reçoit la carte de Déporté Politique comme ayant-cause de sa mère. En janvier 1965, elle perçut une indemnité de 120 francs pour les pertes subies.

La succession est établie et les filles de Beya et Simon purent recevoir leur héritage, une fois que les longues démarches pour établir leur mort en déportation furent terminées.

Car l’herboristerie Achour n’a pas été vendue… Le 8 octobre 1945, le chef des services des Restitutions au ministère des Finances adresse un courrier à « Mme Achour Beya ». C’est sa fille Simone qui répond, en marge d’un questionnaire imprimé : « Je suis rentrée en possession de mon commerce celui-ci n’ayant été ni vendu ni touché en aucune sorte ». Elle reprend l’herboristerie.

Le combat de Beya / Fortunée pour protéger son bien aura au moins servi, même s’il est peut-être à l’origine indirecte de son arrestation.

Notes & références

[1] Jacob Achour, dit Jacques, sera déporté par le convoi 67 du 3 février 1944. Cf. Mémorial de la Shoah https://ressources.memorialdelashoah.org/notice.php?q=fulltext%3A%28achour%29%20AND%20id_pers%3A%28%2A%29&spec_expand=1&start=5 .

[2] En 1941, elle est veuve avec une enfant née en 1934, selon le dossier d’aryanisation AN AJ38 2348 14108. Elle s’est remariée en 1947 et est morte à Paris 20e en 1982. Marcelle se marie en 1946, à Alger, et meurt en France en 1994.

[3] Dossier d’aryanisation, Archives nationales, AJ 38 2348 14108

[4] Cette ordonnance énonce les critères d’appartenance à la « religion juive » et ordonne le recensement de celles-ci. Les « juifs » ont l’interdiction de quitter leur zone de résidence (là où ils sont recensés) et la spoliation des entreprises et commerces débute.

[5] Voir dossier d’aryanisation, lettre du 9 avril 1942, non signée, loc. cit., Archives nationales, AJ 38 2348 14108

[6] Ils jouent ainsi sur les mots avec la notion de « race » chère à la doctrine nazie. De nombreux Juifs originaires d’un pays musulman ont tenté de jouer sur cette confusion, qui avait en plus l’avantage d’expliquer que les hommes fussent circoncis, la pratique étant commune aux deux religions. Le recteur de la mosquée de Paris a d’ailleurs témoigné en faveur de quelques Juifs algériens ou marocains qui cherchaient à se prémunir des arrestations. Ce ne fut pas le cas des Achour.

[7] Et il était rabbin. Il signe en hébreu l’acte de naissance de son fils Jacob (Jacques), le frère de Simon, en 1880. Achour est un nom de famille commun aux Juifs et aux musulmans. En revanche, Nabets, Nabet ou encore Nabeth est plus spécifique des familles séfarades d’Afrique du Nord, notamment dans le Constantinois.

[8] Il s’agit en fait de celle du 27 septembre 1940, voir plus haut.

[9] Ordonnance allemande du 24 mars 1942, qui élargit les critères d’appartenance à la « race juive ».

[10] Beurak Naberts est né le 12 janvier 1859 à Constantine. Son père, Messaoud, avait 40 ans. Constantine est prise par l’armée française en 1837.

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