Esther EIOLÉ

1903-1985 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Esther EIOLÉ

Enquête réalisée par les élèves de 3e du collège Nicolas de Staël à Maisons-Alfort durant l’année scolaire 2023-2024: Nejjari Nouaim ; Cau-Gourdon Valentin ; Ferreira Adrien ; Garcette Gabrielle ; Gatabazi Nuru ; Leroy Morgane ; Bousson Alexandre ; Sandrolini Léna ; Srour Raphaël ; Catel-Martin Julia ; Vlei Camélia ; Manot Rémi ; Cadoz Thomas ; Ogé Aurélien ; Gulia-Degomme Maxence. Élèves encadrés par Roso Adrien, professeur d’histoire-géographie.

 

Depuis le mois de janvier, nous travaillons sur deux déportés du Convoi 77, le dernier grand convoi de déportation de Juifs parti du camp d’internement de Drancy le 31 juillet 1944 en direction du centre de mise à mort d’Auschwitz Birkenau, en Pologne. Nous nous sommes attelés à rédiger les biographies d’Esther Eiolé et de son fils Jean Eiolé, qui vivaient à Maisons-Alfort au moment de leur arrestation fin juillet 1944. Esther a survécu et est revenue de déportation tandis que son fils Jean est décédé dans les premiers jours de sa déportation.

Nous avons eu l’occasion de nous familiariser avec des archives de provenances et de natures diverses, ce qui nous a permis de mieux comprendre la méthode de travail des historiens. Puisque nous vivons et étudions dans la commune où vivaient Esther et Jean, nous avons pu nous confronter dans le cadre d’une logique de micro-histoire au drame d’un destin bouleversé par les horreurs de la guerre et de l’antisémitisme, et ainsi consolider nos connaissances sur le système concentrationnaire nazi. Dans le cadre de ce projet, nous avons aimé le fait de mener une « enquête », de découvrir la vie d’une personne à mesure que les archives nous parvenaient. Ainsi, ce projet nous a permis de réaliser que le processus génocidaire que nous étudions en classe a coûté la vie à des hommes, des femmes, des enfants, qui avaient aussi une vie avant la guerre, des tracas du quotidien et des ambitions.

Nous tenons particulièrement à remercier pour leur aide et les précieux documents fournis, Françoise et Jean Jakubowiez, les petits-enfants d’Esther.

Nous tenons également à remercier (plus particulièrement notre professeur) Claire Podetti pour son aide précieuse dans la recherche d’archives.

I) La vie avant la guerre

Étant donné que nous n’avons pas eu accès à des sources d’origines polonaises, nous connaissons très peu d’éléments sur la jeunesse d’Esther. Elle est née le 30 mai 1903 à Pabjanice au sud de Lodz, en Pologne. Ses parents sont Davis Majerowicz, commerçant de vaisselle de Bohême et Hena Pogosa. Ne pouvant nous appuyer que sur des sources issues de l’administration française, il nous est seulement possible de reconstituer une partie de son trajet jusqu’en France. D’après les petits-enfants d’Esther, Madame Françoise Jakubowiez et Monsieur Jean Jakubowiez, les parents d’Esther auraient découvert la France à l’occasion de l’exposition universelle de Paris de 1900.

Nous savons qu’elle s’est mariée religieusement à Lodz avec Kiva Jakubowicz, né le 14 février 1898 à Predbora (en Pologne), fils de Pajivel et de Charva Borensztajn.

Ensemble, ils ont trois enfants dont les différents lieux et pays de naissance nous donnent des indices sur le parcours que le couple suit dans les années 1920 pour rejoindre la France. L’ainé du couple est Joseph Jakubowicz (qui se fera appeler Georges). Il naît le 16 janvier 1921 à Brunswick, en Allemagne. Esther accouche de Léon le 3 avril 1922 à Lodz, tandis que le dernier enfant du couple, Jacques, naît à Paris le 20 août 1924. On peut donc imaginer qu’elle rejoint la France et la région parisienne peu avant 1924. La famille s’installe alors à Maisons-Alfort au 7 rue Girard. Kiva travaille alors comme brocanteur à Ivry, tandis que les enfants sont scolarisés à l’école Paul Bert et sont reconnus par leur professeur comme des élèves à la « bonne conduite » et même comme « excellent élève » dans le cas de Joseph.

Registre de matricule tenu par les instituteurs de l’école Paul Bert à Maisons-Alfort
SOURCES : Archives Départementales du Val-de-Marne

Un article de l’hebdomadaire Détective paru le 20 août 1931 évoque la condamnation de Kiva pour faits de violence envers Esther. Kiva écope d’une peine d’un an de prison avec sursis. Il meurt le 28 décembre 1932.

Article de l’hebdomadaire Détective d’août 1931

On sait qu’Esther habite au 7 rue Girard à Maisons-Alfort, le 12 février 1933, jour de la naissance de son quatrième enfant, Jean Eiolé. Jean sera le seul enfant issu de son union avec Maurice Anatole Eiolé, qu’elle épouse civilement le 7 juillet 1934. Par ce mariage, elle obtient la nationalité française. Elle est alors sans emploi.

Extrait d’acte de mariage réalisé à Maisons-Alfort, 1953
SOURCES Esther Eiole (c) SHD de Caen, Dossier 21P6682138201

Maurice Eiolé, né le 25 septembre 1896 à Bracieux (Loir-et-Cher) est un employé de contentieux, précédemment marié Isabelle Robert. Il est, semble-t-il, un fervent Républicain et/ou communiste. En effet, il part se battre en Espagne dans le cadre des Brigades internationales contre les franquistes le 29 août 1936. La date du décès Maurice Eiolé est incertaine ; certaines sources mentionnent son décès sur le front du Jarama le 13 novembre 19361. D’autres sources situent son décès au 7 février 1937.

En 1940, Esther et ses quatre enfants déménagent au 17 Rue Bouley à Maisons-Alfort, où la famille occupe un pavillon pour un loyer annuel de 2400 francs. Alors que la moitié nord de la France (dans laquelle se trouve Maisons-Alfort) est occupée, les voisins d’Esther, Elie Bisson et Julien Philippon, lui conseillent de postuler pour un emploi au fort de Vincennes, où se sont installés les Allemands, afin de mieux dissimuler sa confession juive. Elle y est engagée à une date inconnue, en qualité d’interprète et de cantinière, pour un salaire de 3000 francs par mois. D’après une lettre envoyée le 4 juin 1965 au Ministre des Anciens Combattants, elle indique qu’elle pensait « se mettre à l’abri de l’arrestation et de celle de [ses] enfants ». Joseph et Jacques, ses fils, y sont également embauchés en tant qu’électriciens.

Lettre d’Esther à Monsieur le Ministre des Anciens combattants datant du 4 juin 1965, SOURCES : Esther Eiole (c) SHD de Caen, Dossier 21P6682138201

II) Arrestation et déportation

Il semble qu’Esther ait été arrêtée par les Renseignements Généraux, ou bien qu’elle ait fait l’objet d’une enquête en janvier 1943, puisqu’il existe un dossier à son nom aux archives de la préfecture de Police de Paris. Ce dossier contient un rapport rédigé le 15 janvier 1943, qui nous a été très utile puisqu’il récapitule les grandes étapes de la vie d’Esther. D’après ce rapport, Esther se prétendait « de confession orthodoxe » et déclarait avoir été baptisée à Lodz, tout en étant incapable de fournir une pièce permettant d’attester ces faits. Ce même rapport nous indique qu’elle déclare avoir fait baptiser tous ses enfants, sauf Jacques. Néanmoins, elle ne réussit à fournir une preuve que pour le cadet, c’est-à-dire Léon.

Extrait du rapport des Renseignements Généraux du 15 janvier 1943
SOURCES : Archives de la Préfecture de police de Paris 77W456

Ce rapport nous permet de supposer que dès le mois de janvier 1943, malgré la tentative d’Esther de cacher ses origines en travaillant au fort de Vincennes sous le nom d’Eiolé, l’appareil policier de Vichy commence à porter des soupçons sur elle. De même, il est permis de penser qu’en mentant sur son baptême et celui de ses enfants, Esther tente alors de protéger sa vie et la leur. En effet, depuis la rafle du Vél’d’hiv (16 et 17 juillet 1942) qui concerne des femmes et des enfants juifs, français et étrangers, les pressions exercées sur les Juifs s’accentuent sensiblement. Les rafles et déportations se multiplient au cours des années 1942 et 1943.

À partir de 1944, Esther partage sa vie avec son nouveau compagnon et futur époux, François-Xavier Ruffieux, né le 2 décembre 1901 à Le Pâquier, en Suisse.

Déclaration sur l’honneur des voisins concernant les circonstances de l’arrestation d’Esther et de Jean. SOURCES : Esther Eiole (c) SHD de Caen, Dossier 21P6682138201

Dans une lettre adressée au Ministre des Anciens Combattants datant du 4 juin 1965, Esther déclare avoir été arrêtée par la gestapo le 25 juillet 1944 sur son lieu de travail, au fort de Vincennes, « [les allemands] sentaient bien que j’étais contre eux et que je ne les servais pas docilement ». Jean Eiolé est appréhendé par la gestapo au 12 allée des Rosiers, chez M.Ruffieux, le compagnon d’Esther, parce que cette dernière refuse de livrer ses fils aînés. Cependant, la date à laquelle Jean Eiolé est arrêté est incertaine. Selon le procès-verbal de Julien Philippon, un voisin, il aurait été arrêté environ huit jours avant sa mère. Selon la lettre du 4 juin 1965 mentionnée plus haut lettre qu’Esther, Jean aurait été arrêté le 25 juillet en même temps qu’elle. Néanmoins, plusieurs sources avancent la date du 27 juillet, comme le fichier du camp de Drancy, la déposition de M.Ruffieux, qui explique avoir tenté de soustraire Jean à l’arrestation, ainsi que la lettre de la voisine au moment des faits, Madame Zimmerman.

Esther est alors internée avec Jean au camp de Drancy du 25 juillet au 31 juillet 1944 dans le baraquement 16.1, dans le 4e escalier du 3e dortoir. Sur la carte de son entrée à Drancy, il est indiqué qu’Esther s’était présentée comme « non juive ». De plus la lettre « B » inscrite en rouge indique qu’elle était « déportable » immédiatement. Son numéro d’internement est le 25 943. Il est intéressant de noter que son prénom est alors inscrit comme étant « Erna ».

Carte d’interné de Drancy issue des cahiers de mutation du camp de Drancy
SOURCES : Mémorial de la Shoah/ Archives nationales de France

La mère et le fils sont déportés à Auschwitz en Pologne par le convoi 77, parti de France le 31 juillet 1944. Jean meurt soit dans le train le menant à Auschwitz, soit dans le camp d’Auschwitz même, le 5 août.

Esther est libérée le 8 mai 1945 par l’Armée Rouge. Cependant, malade, elle ne rentre en France que le 20 juin 1945. Elle est alors rapatriée à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon.

III) Retour en France et le combat pour faire reconnaitre son statut

Esther se marie avec François-Xavier Ruffieux le 1er février 1955 et tous deux vivent au 25 rue des Solitaires à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne, Île-de-France). Elle travaille alors comme marchande foraine, plus précisément comme commerçante de bonneterie et de sous-vêtements.

D’après ses petits-enfants, Madame Françoise Jakubowiez et Monsieur Jean Jakubowiez, Esther était libre d’esprit et éprise de liberté.

Son retour en France est marqué par son combat pour obtenir le titre de déporté politique. Elle l’obtient d’abord pour son fils Jean avec la mention « mort pour la France » le 24 août 1955. Après avoir essuyé plusieurs refus, notamment en 1957 car n’ayant fourni aucune précision sur les motifs et circonstances de son arrestation, elle est enfin reconnue comme déportée et internée politique le 30 juin 1975. Le secrétariat d’État aux anciens combattants lui accorde à partir d’août 1975 une indemnité de 5130 francs.

Esther Ruffieux, née Majerowicz, décède le 23 mars 1985, à l’âge de 82 ans, à Sainte-Geneviève-des-Bois.

Carte de déporté politique
SOURCES : Archives familiales de la famille Jakubowiez

LIENS :

1 : https://maitron.fr/spip.php?article112009

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