Esther GRINBERG

1902 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Esther GRINBERG

Portrait d’Esther Gittel Grinberg (années 40 ?) © Yad Vashem

Nous avons pu retracer la vie d’Esther Gittel Grinberg grâce aux nombreux documents à notre disposition. Pour cette biographie, nous avons réalisé de nombreuses cartes qui constituent un « Atlas de la famille Grinberg » et nous avons également enregistré une série de podcasts sous la forme d’un reportage. Vous les trouverez intégrés au fur et à mesure de la biographie d’Esther.

Vous pouvez suivre ce lien vers l’Atlas.

Elle est née Esther Gittel Spatz (ou Schlank ou Shank) le 16 décembre 1902 à Siedlanka, un faubourg de Lezajsk en Pologne (alors empire austro-hongrois), petite ville à une cinquantaine de km au nord-est de Rzeszow. Sa mère était Hinde Spatz (et son père Zolme Schank).

La famille d’Esther a fait partir tous ces enfants « vers l’Amérique » pour éviter la misère et surtout les pogroms. De plus, sa ville natale, Lezajsk, a été la cible de combats entre Russes et Austro-Hongrois entre novembre 1914 et mai 1915 ce qui n’incitait pas à y rester.

Une famille d’immigrés venue d’Europe de l’Est

Son futur mari, Shil Grinberg était né quant à lui le 16 janvier 1904 à Bar (Vinnitsa) dans l’Empire russe (en Ukraine aujourd’hui, près de la frontière roumaine) mais, semble-t-il, il a grandi un peu plus au sud à Secureni en Bessarabie, dans ce qui serait aujourd’hui la Moldavie. D’après tous ses papiers, il est le fils de Leib (Louis) Grinberg et de Freida Rothstein mais il semble qu’il ait eu une seconde famille [1], Mendel et Chana Reider qui, avec leur fille Doudle, seront massacrés dans une marche de la mort en 1943. D’après son dossier de naturalisation, Shil avait également deux frères plus jeunes que lui.

Esther a rencontré Shil Grinberg en 1922 ou 23. Il arrivait de Bessarabie ou Moldavie, elle arrivait de Pologne, is n’avaient pas 20 ans et ils étaient en route l’un et l’autre pour émigrer vers l’Amérique (Esther avait une sœur à Brooklyn)… ce qui ne les a pas empêchés de rester à Paris. Shil est arrivé en France comme réfugié russe (il a eu un passeport délivré par l’Ofpra en 1924, renouvelé en 1930). Il était brocanteur au marché aux puces de Saint-Ouen (puis chauffeur-livreur, mais peut-être seulement en 1941). Ils se sont rencontrés dans un « asile » pour réfugiés, rue Lamarck puis ils sont allés vivre ensemble dans le quartier des puces de Saint-Ouen où se regroupaient de nombreux Juifs venus de l’Est de l’Europe. Ensemble, ils ne parlaient que yiddish. Ils ont été naturalisés français le 4 décembre 1933.

Ci-dessous, deux cartes retraçant les chemins de l’exil.

Esther, qui se faisait appeler Georgette, n’a jamais voulu apprendre à lire et à écrire dans son enfance, « c’était une sauvage », disait sa fille Renée en souriant. Elle l’a regretté plus tard et a imposé à ses enfants de ne pas suivre son exemple. C’est Renée qui dès l’âge de 6 ans lui lisait les journaux et l’aidait à apprendre le français. Elle refusait que ses enfants parlent yiddish, elle voulait qu’ils parlent français. Mais quand elle appelait « Kindlerkh, kimt shoyn !«  ils comprennaient, bien évidemment, qu’ils devaient venir — et si elle ajoutait « Kimt zim Tish ! », ils savaient que le dîner était sur la table.

De la zone aux HBM de la porte d’Aubervilliers

Au moment de la naissance de Rivbaka, Esther et Shil vivaient 35 rue du Couédic dans le 14e (mais ils n’y sont plus sur le recensement de 1926). A la naissance de Maurice, deux ans plus tard, ils étaient au 7 rue Saint-Laurent, dans le 10e. Ils se sont ensuite installés dans la zone, à Saint-Ouen. Les Grinberg se sont constitué tout un réseau de travail, de voisinage et d’amitié avec deux autres familles originaires d’Europe de l’Est également, les Blumberg et les Schloss( ou Szlos).

Shil et Esther avec leur fille Rivbaka dans leur cabane de la zone (fin des années 20 ?) © archives familiales

Shil et Est se sont mariés le 22 juillet 1930 à Saint-Ouen au nord de Paris où ils vivaient au 100 rue Jules Vallès, dans le marché aux puces — marché Malik ? Ils vivaient plus précisément dans la « zone », ce territoire d’habitations précaires (de bidonvilles) qui avaient remplacé les fortifications (le 100 rue Jules Vallès serait aujourd’hui sous le périphérique). Là ils ont vécu dans une cabane, très soignée et bien tenue. Shil Grinberg est devenu brocanteur, il chinait les vieux objets dans les beaux quartiers, d’abord avec une petite voiture à bras. Puis, pour pouvoir vendre de gros meubles et mieux gagner sa vie, il a acquis une charrette que tirait le cheval Kiki. Plus tard, il achetera une voiture : une Citroën décapotable. C’est cette voiture qui lui permettra de se faire chauffeur-livreur par la suite (peut-être seulement en 1941, quand il n’a plus pu travailler légalement).

Détal de maquette de la Zone vers Saint-Ouen, Musée Carnavalet © photo Darley

 

 

 

 

 

 

 

La rue Jules Vallès au marché aux Puces de Saint-Ouen, carte postale ancienne © Archives municipales de la ville de Saint-Ouen

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On voit ensuite lors du recensement de 1936 qu’ils se sont installés au 18 rue Charles Lauth dans le 18e. C’est un immeuble HBM, construit en 1935 et, en tant que HBM, accessible seulement aux Français (!) ce qu’ils étaient désormais.

L’appartement avait tout le « confort moderne » : deux chambres, un séjour, la cuisine avec une cuisinière à charbon, une douche et un WC.

La famille Grinberg vers 1939 : la famille compte déjà cinq enfants (de droite à gauche et par ordre d’âge : Rivbaka, Maurice, Jeannette, Berthe et Simone) © Mémorial de la Shoah

 

La famille était modérément religieuse : Esther faisait la prière le vendredi soir. Quant à Shil, il était plutôt communiste, racontait Renée, la sœur de Maurice.

La famille comptera sept enfants : Rivbaka (1925-2024) — Rebecca ou Rivka, mal orthographié par l’officier d’état civil —, Maurice (1927-1945 ?), Jeannette (1930-2018), Berthe (1933-2019), Simone (1935), Daniel (1940) et Monique (1942-1944). Sur la seule photo de famille dont nous ayons connaissance, seuls figurent les cinq aînés.

 

 

Premières inquiétudes

En 1934, la famille est allée en vacances en Pologne, dans la famille d’Esther. Esther a emmené les quatre enfants qu’elle avait alors : Renée qui avait 9 ans, Maurice qui en avait 7, Jeannette (4 ans) et Berthe (1 an). La famille n’avait pas de place dans le train et les enfants ont dû dormir dans les filets à bagages. Les enfants ont gardé un souvenir ébloui de la campagne polonaise, eux qui ne connaissaient que la zone de Saint-Ouen. La grand-mère était formidable, elle avait encore avec elle plusieurs de ses enfants mais les sœurs aînées, Rose et Rivka, étaient partie en Amérique (où Esther auraient dû la rejoindre), une autre sœur et deux frères, Isaac, Salomon étaient en Palestine.

Au cours de ce trajet, la famille a dû traverser l’Allemagne. Sans doute Esther a-t-elle entendu parler de la situation des Juifs dans ce pays, mais elle était encore modérée en 1934…

Esther voit son mari raflé disparaître

La famille avait sans doute été évacuée au début de la guerre en septembre 1939 : elle avait de nombreux enfants, Esther était enceinte. C’est ce qui explique qu’elle accouche de Daniel en janvier 1940 à Saint-Nazaire. De retour à Paris, la famille bat de l’aile : les parents se séparent un temps à cause de l’infidélité de Shil avant de se réconcilier.

La famille vit alors une situation de plus en plus difficile. Quand Esther demandait à son mari s’il avait bien travaillé, « Ni, vous mit dayne gesheftn ?« , il était de plus en plus négatif : « Gournisht mit gournisht » et les enfants comprenaient que non, rien de rien, que la situation était catastrophique « Finster iz mir ! A brokh ». Et là, « Oy vay ! Vous vet vern fin indz ? » aurait pu dire Esther, « Oh la la ! Que va-t-il advenir de nous ? »

Sans doute a-t-elle discuté avec Shil de ce qu’il fallait faire pour les enfants. Les mettre à l’abri ? Les cacher ? « Vous tit mit di kindas ? Zoln mir zey yo avekshikn ahin ? Ofn dorf ? » Les envoyer à la campagne ?

Mais le père de famille est arrêté dans un restaurant de Saint Ouen fréquenté par les brocanteurs juifs, lors de la grande rafle, menée par la police française et la Feldgendarmerie allemande à Paris entre le 20 et le 24 août 1941. Ils arrêtent les hommes juifs, français ou étrangers de 18 à 50 ans. Le 21, la rafle a visé le 18e arrondissement et les policiers n’ont eu que quelques mètres à franchir pour arriver à Saint-Ouen. 4 232 personnes sont envoyées au camp de Drancy, qui devient pour la première fois un camp d’internement pour les Juifs.

Shil est retenu dix mois à Drancy : sa famille ne peut pas ignorer ce qui s’y passe et donc ce qui les attend.

Le café qui fait face à la cité de la Muette à Drancy, aujourd’hui.

En effet, Esther et sa fille aînée, Renée, sont allées « voir » Shil à Drancy. Pour cela, elles se tenaient dans le bistro en face du camp (sans doute celui qui est toujours en face de la cité de la Muette) et les prisonniers se montraient aux balcons mais, racontait Renée, « il était très difficile d’entrer en contact avec eux car les gardes mobiles se montraient très menaçants ».

Esther parvient alors à recevoir une allocation, elle reçoit l’aide de l’UGIF [2] pour ses sept enfants, elle touche des tickets de rationnements ainsi qu’une allocation militaire (Shil a-t-il été à l’armée en 1939 ?). Elle doit vendre ce qu’elle possède et qui aurait de la valeur comme la voiture qu’utilisait Shil pour son travail.

 

On cache les plus jeunes enfants de la famille

Les plus jeunes enfants (sauf le bébé, Monique) seront cachés en Bretagne à partir de 1943 avec l’assistance du père Devaux de la communauté Notre-Dame de Sion.

Ce sont deux sœurs qui vont les accueillir à Amalis, près de Rennes. Deux jeunes filles, pupilles de l’Assistance publique, avaient décidé en 1943 de fonder à Janzé un foyer d’accueil pour enfants abandonnés. Elles y accueillent six enfants de la région parisienne, confiés par les religieuses de Notre-Dame de Sion et convoyés par une assistante sociale qui les informe qu’il s’agit d’enfants juifs dont les parents avaient été déportés et qu’ils n’avaient pas de cartes d’alimentation. A la fin de l’année 1943, le refuge est transféré à Amanlis. Ils seront aidés et ravitaillés par un réseau local de solidarité : des agriculteurs, un boulanger et Les Docks du Ménage, une entreprise de Rennes. Jeannette, Berthe, Simon et Daniel Grinberg ont été placés dans deux familles du village. Ils furent amenés par leur sœur ainée Renée : Leur mère, Esther, a un trop fort accent polonais pour circuler discrètement en ces temps dangereux. Ils ont été sauvés, comme tous les enfants cachés dans ce village et Renée viendra les chercher après son retour de camp, en mai juin 1945.

Mais Esther n’a pas eu la force de laisser à Amanlis la petite Monique en 1943, elle la confiera à Renée fin mai ou début juin 1944, juste avant le débarquement en Normandie, pour essayer une nouvelle fois de la mettre en sûreté en Bretagne mais Renée n’en a pas été capable une fois sur place : ce n’était vraiment encore qu’un bébé ! Renée a donc ramenée Monique à Paris, ce qu’elle regrettera toute sa vie …

Arrêtée et déportée à son tour, avec ses deux aînés et la plus jeune de ses enfants

Esther et trois de ses enfants, Renée, Maurice et Monique, sont arrêtés dans la nuit du 8 juillet 1944, chez eux, par un groupe de cinq hommes de la Gestapo ou de la Milice, au prétexte d’une vérification d’identité. D’autres personnes de l’immeuble sont arrêtées en même temps comme Léone (ou Anna) Ribault, qui témoignera après-guerre de l’arrestation des Grinberg, ou la famille Blumberg dont la fille, Madeleine, a plus ou moins l’âge de Renée et Maurice.

Emmenés tous quatre à Drancy, ils vont être retenu escalier 18 chambrée 2 (sauf Maurice qui sera gardé dans le même escalier mais chambrée 4 avec les hommes) jusqu’au départ pour Auschwitz par le convoi 77, le 31 juillet 1944. D’après Renée, pendant les trois jours de l’épouvantable trajet dans un wagon à bestiaux, sur la paille, serrés à 60 personnes sans air et quasiment sans eau, vers Auschwitz, Maurice essaie d’organiser au mieux l’installation de sa mère et de ses sœurs dans le wagon ainsi que le partage de l’eau. Quand il peut, il soulage sa mère en prenant la petite Monique dans ses bras mais celle-ci, affolée, reste agrippée à sa mère.

Esther a été gazée dès l’arrivée avec Monique tandis que ses deux aînés étaient sélectionnés pour le travail.

D’après Renée, les parents d’Esther se sont cachés en Union soviétique pendant la guerre et ils ont été tués par des Polonais après la guerre (fin 1945 ?) quand ils ont voulu rentrer chez eux. Les parents de Shil, quant à eux, ont été tués sur les routes de Bessarabie au cours de marches forcées.

 

Notes

[1] Cette seconde famille reste un mystère mais Renée et Jeannette Grinberg ont rempli une feuille de témoignage à Yad Vashem pour ces deux personnes en se déclarant leurs petites-filles et nièces.

[2] L’UGIF était un organisme sous le contrôle du Commissariat général aux Questions Juives, créé en novembre 1941, qui assurait, entre autres tâches, quelques secours aux Juifs dans le besoin.

Sources

  • Le dossier du DAVCC d’Esther Grinberg née Spatz ;
  • Le dossier du DAVCC de son conjoint, Shil Grinberg, déporté par le convoi n°3 en juillet 1942 ;
  • Le dossier de naturalisation de Shil et Esther Grinberg ;
  • Les fiches des différents membres de la famille élargie sur le site de Yad Vashem ;
  • Le témoignage de leur fille, Renée Nedjar née Grinberg, enregistrée en 2006.

Remerciements

Nos remerciements vont au fils de Renée Nedjar, Alain, et à ses neveux, Jacques Nedjar et Olivier Szlos pour leurs récits et les documents précieux encore en leur possession  qui ont enrichi ce travail ; à David Choukroun qui nous a aidé à retrouver la famille de Renée Nedjar, la fille d’Esther, nous a fourni le dossier de naturalisation de Shil et Esther Grinberg et qui nous a guidé dans nos recherches.

Merci également à Claire Stanislawski au Mémorial de la Shoah à Paris et aux conférencières du Mémorial à Drancy ; merci à Charlène Ordonneau des Archives municipales de la ville de Saint-Ouen qui nous a permis d’explorer les archives de la « zone » et du marché aux Puces, merci à Macha Fogel de la Maison de la culture yiddish pour nous avoir donné une brève leçon de yiddish.

Merci enfin à Laurence Klejman pour sa relecture et pour la richesse des informations qu’elle nous a apportées en complément et qui font de ces biographies les plus détaillées qu’on puisse souhaiter !

Ce travail a été mené conjointement par la classe de 3ème A du collège J.B. Poquelin à Paris, sous la conduite de leur professeure d’histoire-géographie, Camille Lambin et par un groupe d’élèves volontaires de 3ème du collège Pierre Alviset, à Paris également, guidés par leur professeure d’histoire-géographie, Stéphanie Duthé, et leur professeure d’allemand, Christine Tallon-Gascuel. Nous devons aux élèves de Camille Lambin les cartes qui ont illustré cette biographie, et à ceux de Stéphanie Duthé les podcasts. Ils ont tous bénéficié des conseils de Catherine Darley, professeure d’histoire-géographie.

Contributeur(s)

Ce travail a été mené conjointement par la classe de 3ème A du collège J.B. Poquelin à Paris, sous la conduite de leur professeure d'histoire-géographie, Camille Lambin et par un groupe d'élèves volontaires de 3ème du collège Pierre Alviset, à Paris également, guidés par leur professeure d'histoire-géographie, Stéphanie Duthé, et leur professeure d'allemand, Christine Tallon-Gascuel. Nous devons aux élèves de Camille Lambin les cartes qui ont illustré cette biographie, et à ceux de Stéphanie Duthé les podcasts. Ils ont tous bénéficié des conseils de Catherine Darley, professeure d'histoire-géographie.

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