Gisèle APEL

1935-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Gisèle APEL

« Ici aussi on n’oublie pas » tel est le credo qui a été fixé aux élèves de terminale ST2S du lycée Jean Bouin à Saint-Quentin par leur professeur d’histoire-géographie M. Bressolles lors de l’année scolaire 2023-2024. Conscient de l’absence d’une étude historique sur la communauté juive de Saint-Quentin, et d’une mémoire de la Shoah peu représentée sur la scène mémorielle locale,

Bressolles a associé ses élèves à ses recherches pour co-écrire l’histoire de la communauté juive de Saint-Quentin pendant l’Occupation. L’objectif fixé était de retracer le parcours des familles victimes de la Shoah, et de celles qui ont réussi à y échapper pour embrasser le plus fidèlement possible la diversité des trajectoires que les membres de la communauté juive locale ont traversées.

Après un long travail de collectes d’archives dans plus de vingt départements et quatre pays, d’accès à des archives privées, de collectes de témoignages, les élèves et leur professeur ont réussi à suivre le parcours d’une trentaine de familles un peu partout en France, et en Europe. En complément, un travail a été réalisé autour des représentations de la Shoah. Avec l’aide de Mme Robin, professeur d’arts appliqués, les élèves ont été initiés à la lino-gravure et ont illustré eux-mêmes les biographies des familles à partir de leur représentation.

Pour l’année 2024-2025, le projet d’écriture se poursuit avec la nouvelle génération de 1e du lycée Jean Bouin qui va réaliser de nouvelles biographies en lien avec le Convoi 77, mais pas seulement. L’objectif, à terme, est de réaliser un ouvrage retraçant le parcours des 73 familles juives résidant à Saint-Quentin avant la guerre. Un projet de circuit mémoriel est également envisagé avec une demande associée à la mairie de Saint-Quentin de poser des pavés de la mémoire. Affaire à suivre.

Fratrie Apel : Apel Gisèle (1935-1944) – Apel Joseph (1939-1944)

Photos extraites du Mémorial des enfants, site internet de la fondation Serge Klarsfeld

D’origine juive polonaise, Apel Gisèle est née le 28 avril 1935, à Saint-Quentin (Aisne) et Apel Joseph, né le 26 août 1939, à Saint-Quentin (Aisne). Leurs parents, Apel Jacob, né le 23 juin 1896 à Czerwinsk nad Wisla (Pologne) et Apel Chaya, née Kopek, le 14 novembre 1898, à Dzialoszysce (Pologne) quittent la Pologne en 1931, et s’installe à Saint-Quentin, rue des Bouchers. De cette union, ils ont cinq enfants, Apel Jules [Jerachmiel], né le 26 novembre 1926, à Varsovie (Pologne), Apel Léon, né le 15 janvier 1931, à Varsovie, Apel Simon, né le 8 octobre 1932, à Saint-Quentin, et les deux petits derniers Gisèle et Joseph.

Le père Jacob exerce le métier de tailleur Tandis que Chaya n’exerce aucune profession[1]. Pendant ce temps, les enfants fréquentent la synagogue et les cours d’école talmudique de la synagogue[2]. En dehors de la sphère religieuse, la famille noue des amitiés avec la communauté juive saint-quentinoise et partagent des sorties entre familles d’immigrés polonais[3].

Avant l’arrivée des Allemands, en mai 1940, la famille Apel est évacuée au même titre que la population saint-quentinoise qui n’a pu se déplacer par ses propres moyens. Selon le plan de la défense passive, les familles prennent la direction du centre de la France (Mayenne, Sarthe, Creuse)[4]. Gisèle et Joseph connaissent alors l’épreuve de l’exode. Ce refuge est temporaire puisque la famille Apel retourne s’installer à Saint-Quentin dès la fin de l’année 1940[5]. Dès lors, la famille Apel subit les mesures discriminatoires en vigueur dans la zone occupée. Le 9 mai 1942, un nouveau stade est atteint avec la 8e ordonnance allemande qui stipule que : « Il est interdit aux Juifs, dès l’âge de 6 ans révolus, de paraître en public sans porter l’étoile juive. L’étoile juive est une étoile à 6 pointes ayant les dimensions de la paume d’une main et des contours noirs. Elle est en tissu jaune et porte en caractères noirs l’inscription “JUIF”. Elle devra être portée bien visiblement sur le côté gauche de la poitrine solidement cousue sur le vêtement. Les infractions à la présente ordonnance seront punies d’emprisonnement et d’amende ou de l’une de ces deux peines. Des mesures de police telles que l’internement dans un camp de Juifs pourront s’ajouter ou être substituées à ces peines. La présente ordonnance entrera en vigueur le 7 juin 1942. Der Militärbefehlshaber in Frankreich »[6] Dès lors, avant le 6 juin 1942, la famille Apel est contrainte de se rendre à la sous-préfecture pour récupérer leurs étoiles contre des points de textile. Seul, Joseph n’est pas astreint au port de l’étoile jaune en raison de son âge.

Après la rafle du Vel d’Hiv 16-17 juillet 1942 qui touche la région parisienne, la Picardie n’est pas épargnée par ce phénomène d’arrestations massives des juifs étrangers. Pour préparer cette rafle, le 16 juillet 1942, la SIPO-SD rédige une liste pour les trois départements de Picardie (Oise, Somme, Aisne). Celle-ci comporte 79 noms pour les trois départements de Picardie. Pour l’arrondissement de Saint-Quentin, 16 noms apparaissent sur la liste remise à la gendarmerie dont quatre membres de la famille Apel[7].

Dans les matinées du 18 juillet au 20 juillet, la police française frappe aux portes et procède aux premières arrestations. Les rapports de police[8] font état de onze arrestations au petit matin. Jacob Appel, père de famille, sa femme et le fils ainé Jules [Jerachmiel] sont arrêtés. La tante, Apel Chaia est arrêtée qu’en à elle, en décalé et quatre personnes n’ont pu être interpellées[9]. Les personnes sont arrêtées à leur domicile, le plus souvent en couple, et devant les yeux de leurs enfants.

D’après une directive allemande[10], les enfants qui ont moins de seize ans doivent être confiés à une association juive obligatoirement, en l’absence d’association, c’est le cas ici à Saint-Quentin, un juif est désigné afin de s’occuper des enfants, celui-ci doit être signalé à la gendarmerie. Les quatre enfants Appel dont Gisèle et Joseph sont confiés à Mozek Glicensztajn, résidant 9 rue des Arbalétriers[11]. D’après le témoignage de Michel[12], petit-fils de Mozek Glicensztajn, « il n’existait aucun lien de parenté entre la famille Apel et la famille Glicensztajn, hormis une éventuelle relation de voisinage ». Ces propos sont complétés par le témoignage de Michèle[13] qui insiste sur le fait que « les enfants Apel sont restés seuls après l’arrestation de leurs parents sous l’œil bienveillant des Glicensztajn.». Déportés par le convoi n°12 du 29 juillet 1942, les parents des enfants Apel et leur grand frère sont exterminés au camp d’Auschwitz-Birkenau.

Le 6 octobre 1942, les autorités allemandes dévoilent une nouvelle liste de juifs étrangers à arrêter « avec le concours de la police française le 9-10 octobre 1942 »[14]. Cette rafle change de nature puisque les enfants ne sont plus épargnés : « doivent être arrêtés toutes les personnes juives à partir de trois ans, c’est-à-dire toutes les personnes des deux sexes »[15] qui sont indiqués sur la liste. Les enfants de moins de trois ans seront remis à des juifs de nationalités françaises, et les personnes alitées doivent être confiées à des « associations de bienfaisances juives ou à des juifs français pour être soignées provisoirement »[16]. Le préfet se charge de relayer des consignes précises qui réglemente et minute la rafle : « l’arrestation des juifs doit être effectuée d’un seul coup, à savoir les 9 et 10 octobre. Autant, que possible, les arrestations doivent déjà être terminée le 9-10-42 »[17].

La veille de la rafle, la gendarmerie de Saint-Quentin reçoit une liste de 14 noms dont 8 enfants, dont l’âge est compris entre 3 et 14 ans. Entre le 8 et 9 octobre, 12 d’entre eux sont arrêtés (liste rédigée le 16 octobre 1942)[18].

Liste des Juifs de Saint-Quentin pour évacuation, 8 octobre 1942,
Archives départementales de l’Aisne, 984 W 139.

Les enfants Apel et Kane arrivent à Drancy le 16 octobre 1942[19]. La fratrie Apel est rapidement divisée. En effet, les frères plus âgés, Léon et Simon Appel sont confiés d’après le tampon au dos de leur fiche d’enregistrement à Drancy [Mention TTTA], le 3 novembre aux Allemands[20]. Ils sont déportés le lendemain via le convoi n°40, destination Auschwitz dont ils ne reviendront pas. Ce qui peut paraître étonnant c’est que les plus jeunes des enfants n’apparaissent pas sur la liste du convoi malgré la mention de leur lien de parenté avec leurs frères déportés. Tout laisse à penser que les enfants ont bénéficié d’une aide extérieure pour que ceux-ci n’apparaissent pas sur la liste du convoi n°40.

D’après leur fiche d’internement, le 1e novembre 1942, Gisèle Apel (5 ans), puis le 3 novembre, Joseph Apel (3 ans), sont tous les deux évacués de Drancy vers l’hôpital Claude Bernard pour raison de santé[21]. Au recto de leur fiche, il est inscrit qu’ils sont « libérés » le 25/11/1942, et ensuite placés sous la protection de l’UGIF qui a demandé leur libération. Ces annotations sont étayées par un courrier envoyé par Léo Israelowich de l’UGIF envoyé au Directeur François de la Préfecture de Police en date du 23 novembre 1942[22] « Nous nous permettons de vous remettre, sous ce pli, les ordres de libération ci-dessous, signés par SS-Obersturafhurer Roethke […] l’ordre pour les enfants malades, actuellement à l’Hôpital Claude Bernard : Apel Gisèle – Apel Joseph »

L’UGIF est une association créée par les nazis pour représenter la population juive auprès des autorités françaises et d’occupation, ils possèdent un bureau de liaison avec le Bureau de la Gestapo pour les affaires juives. Parfois décriée, cette intervention de l’UGIF peut être vue comme un acte de résistance à la déportation puisque les enfants semblent être « arrachés des griffes des Allemands » mais la situation est plus complexe. En effet, grâce à l’action de l’UGIF, plusieurs enfants ont été sauvés, évacués, ou cachés entre 1942 et 1944. Néanmoins, il convient de diviser en deux catégories les enfants placés sous protection. En effet, certains sont considérés comme des « enfants libres », c’est-à-dire des enfants qui n’ont jamais connu l’internement, et n’apparaissant sur aucune liste. Ceux-ci sont donc plus facilement « sauvables ». La deuxième catégorie désigne les « enfants bloqués », c’est-à-dire les enfants qui ont été déjà internés, ou qui apparaissent sur des listes. Pour ceux-ci, le travail de l’UGIF est beaucoup plus complexe. Il apparaît donc que malgré leur acte de résistance pour les enfants Apel, l’UGIF avait les mains liées, et ne pouvait seulement que retarder leur déportation.

En absence de leurs parents déportés, les enfants sont placés dans des structures d’accueil d’orphelins dans la banlieue parisienne, administrés par l’UGIF sous contrôle allemand. Les enfants Apel sont placés au n°67 de la Rue Edouard Noirtier, à Neuilly-sur-Seine, dans une ancienne clinique désaffectée transformée en un centre de l’UGIF, pour enfants en bas âge[23]. Les quatre enfants résident pendant deux ans dans les structures de l’UGIF jusqu’à ce terrible

Au mois de juillet 1944. Le climat dans la région parisienne est instable. C’est le moment choisi par le commandant de Drancy, Alois Brunner, pour lancer une dernière rafle d’envergure. Dans la nuit du 21/22 au 25 juillet 1944, les Allemands procèdent à l’arrestation de 250 enfants des foyers de l’UGIF de la banlieue parisienne. Les enfants sont ramenés par la Gestapo à Drancy. Cette rafle frappe directement les enfants Apel. Dans un premier temps, les 17 enfants de la pouponnière de la rue Édouard-Nortier à Neuilly sur-Seine avaient été oubliés. Ils sont dispersés le 23 juillet à l’aube. Le colonel Edmond Kahn, directeur du centre de la rue Lamarck, devenu à partir de mai 1943 inspecteur des maisons d’enfants de l’UGIF de la région parisienne, obéissant aux consignes d’Alois Brunner, le commandant du camp de Drancy, ordonne le 24 juillet le retour des enfants, qui sont arrêtés le 25 juillet à l’aube. Le 31 juillet 1944, le convoi n°77, dernier transport en provenance de Drancy prend la direction d’Auschwitz. A son bord, il y a plus de 300 enfants dont les deux enfants Apel. Le convoi 77 arrive à Auschwitz-Birkenau le 3 août 1944.

La mémoire de ces deux enfants est entretenue sur le monument commémoratif de Saint-Quentin, et sur la plaque, apposée sur le lieu de leur arrestation à Neuilly au 67, rue Edouard Noirtier.

Plaque à la mémoire de 17 enfants déportés,
67 rue Edouard Nortier, Neuilly sur Seine, 92200

[1] Liste des personnes à arrêter dans le cadre de la première rafle de Picardie en juillet 1942

[2] Témoignage Michèle d’Alméida-Zolty, octobre 2023

[3] Ibidem

[4] Rapport d’Icek Goldring en septembre 1945, intitulé « Les juifs à Saint-Quentin », CMXXV/10/2/1 : rapport de la section UJRE de Saint-Quentin (sept. 1945), Mémorial de la Shoah.

[5] Liste des Juifs réalisée du département de l’Aisne réalisée par les autorités allemandes après le recensement de 1940-1941 (p.1), Archives départementales de l’Aisne.

[6] Législation anti-juive : Journal officiel, instructions générales aux sous-préfet (1940-1942), SC 11250 : Archives départementales de l’Aisne

[7] Liste des Juifs étrangers à arrêter dans l’arrondissement de Saint-Quentin, 984 W 139, Archives départementales de l’Aisne.

[8] Rapport du capitaine Ouvrard, Commandant la section de Gendarmerie de Saint-Quentin sur l’arrestation des juifs étrangers (19 juillet 1942), 984 W 139

[9] Ibidem

[10] Instruction de la SIPO SD au préfet de région sur l’arrestation des Juifs étrangers, 984 W 139, Archives départementales de l’Aisne

[11] Rapport du capitaine Ouvrard, Commandant la section de Gendarmerie de Saint-Quentin sur l’arrestation des juifs étrangers (19 juillet 1942), 984 W 139.

[12] Témoignage Michel Glicensztajn, octobre 2023.

[13] Témoignage de Michèle d’Alméida-Zolty, octobre 2023.

[14] Liste des Juifs de Saint-Quentin pour évacuation, le 8 octobre 1942, 984 W 139, Archives départementales de l’Aisne.

[15] Instruction du préfet sur les modalités d’arrestation de la rafle du 8-9 octobre 1942, 984 W 139, Archives départementales de l’Aisne.

[16] Ibidem

[17] Ibidem

[18] Liste des Juifs de Saint-Quentin arrêtés, 18 octobre 1942, 984 W 139

[19] Fiches individuelles d’internement de Drancy, 16 octobre 1942, Archives du Mémorial de la Shoah

[20] Fichier Drancy enfants, fiches individuelles d’internement de Drancy de Léon et Simon Apel, 16 octobre 1942, Archives du Mémorial de la Shoah

[21] Fichier Drancy enfants, notes individuelles d’internement, Mémorial de la Shoah, Archives nationale de France

[22] Correspondance du 23/11/1942 échangée entre Léo Israelowicz de l’Union générale de France, zone nord, et Monsieur J. François, directeur des affaires administratives de la police générale de Paris, au sujet des demandes de libération de détenus internés à Drancy, CDXXIV-44, Archives du Mémorial de la Shoah

[23] https://convoi77.org/liste-des-deportes-du-convoi-77 /, complétée par la notice individuelle du Mémorial de la Shoah disponible sur le site internet de la fondation Klarsfeld.

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de terminale ST2S du lycée Jean Bouin à Saint-Quentin, encadrés par leur professeur d'histoire-géographie M. Bressolles, lors de l'année scolaire 2023-2024.

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