Léa GRYCMAN
Léa (surnommée Louisette, sans doute à droite sur la photo) et Nanette Grycman, déportées par le convoi 77.
Mordka Aron, dit Max Grycman, né le 3 juin 1908 à Kielce en Pologne, arrive à Paris en 1925. Il a 17 ans et s’établit rapidement tailleur de peaux, transformant une pièce de l’appartement qu’il loue en petit atelier. Il rencontre Brandla Minc, née elle aussi en Pologne, avec qui il se marie. Le 29 septembre 1931, naît à Paris dans le XII°, leur fille Léa, qui sera surnommée Louisette, puis le 17 août 1933, toujours à Paris XII, leur fille Nanette. Ils mènent la vie tranquille des Parisiens laborieux et vont passer leurs vacances à la campagne, à Savigny-sur-Braye, dans le Loir-et-Cher.
À la déclaration de guerre en septembre, Max s’engage dès le 18 comme volontaire polonais dans l’armée française. Il est incorporé au 21e RMVE. Il fait la campagne de France, dans les Ardennes, et est fait prisonnier de guerre, le 21 juin 1940.
Pendant sa captivité de combattant, Brandla et ses filles viennent se mettre à l’abri à Savigny, auprès de la famille Cholet (nom également orthographié Chollet). Les deux fillettes y fréquentent l’école.
Arrivé au pouvoir, le maréchal Pétain met en place le régime de Vichy et les persécutions antisémites « au nom de la loi » qu’il a promulguée.
En juillet 1942, Brandla est arrêtée. Au même moments, d’autres Juifs polonais sont raflés dans tout le département. Tous sont immédiatement déportés sans retour, vers Auschwitz-Birkenau par le convoi 6 du 17 juillet. Louisette et Nanette, dont les Allemands ne veulent pas à cette date, restent sous la garde de la famille Cholet, à Savigny sur Braye ; un témoignage indique que les fillettes seraient restées avec une personne réfugiée répondant au nom de Gross. À la rentrée suivante, elles retournent à l’école.
Début octobre, les Cholet reçoivent un ordre de conduire les fillettes Grycman à Orléans. Le mari s’exécute et les emmène à Orléans.
Mme Veuve Cholet témoignera en 1956 après la guerre sur ces faits en disant ignorer quel fut le destin des fillettes.
Le 10 octobre, elles sont transférées à Beaune-la-Rolande avec les autres Juifs étrangers raflés ce jour-là, enfants compris, cette fois-ci.
Elles sont seules, sans parents, elles ne savent pas ce qu’ils sont devenus, ignorent que leur mère est morte là-bas à l’est, que leur père vient d’être libéré de son stalag le 25 septembre 1942, car malade. Lui ne sait pas où est sa famille. À son retour, il ne les trouve pas et se réfugie en zone sud, à Lyon, chez des amis grecs chrétiens.
Il y est arrêté par la police française, le 25 avril 1943, lui qui s’était engagé pour défendre la France contre l’Allemagne nazie. Il est déporté, par le convoi 55, à Auschwitz, où il est « sélectionné » pour le travail, puis à Buchenwald d’où il est libéré en mai 1945. Commence alors la recherche désespérée de sa famille. Il n’a plus rien, ses biens ont été spoliés, il n’a plus d’atelier et ce n’est qu’en 1949 qu’il pourra récupérer son appartement.
Louisette et Nanette avaient été retirées du camp de Beaune-la-Rolande et placées par l’UGIF successivement dans 3 orphelinats étroitement contrôlés par les nazis.
En juillet 1944, elles sont au centre de Saint Mandé. Léa et Nanette figurent, avec les petites Korman, sur la photo emblématique des enfants du centre de Saint Mandé, que nous reproduisons ci-dessous.
C’est là que, le 21 juillet, en pleine nuit, le commandant du camp de Drancy, Aloïs Brunner en personne, vient les arrêter. Elles sont parties, comme tous les enfants arrêtés à cette date, le 31 juillet 1944 par le dernier grand convoi, le numéro 77, trois semaines avant la libération de Paris. Pas un seul parmi les jeunes enfants ne reviendra.
En 1950, Max fait la connaissance d’une jeune femme, Édith, déportée du ghetto de Lodz à Auschwitz. Elle est également la seule rescapée de sa famille. Ils se marient et ont deux filles Sylviane et Hélène, qui vivent actuellement aux États Unis. Max est décédé en 1986, grand-père de trois garçons, Édith vit toujours à Paris, début 2018.
Depuis l’année 2000, une plaque en souvenir de Brandla, Louisette et Nanette, se trouve au pied du monument aux morts de Savigny-sur-Braye.
Yvette Ferrand, Tours, le 17 février 2018, avec la collaboration de Convoi 77
co-fondatrice de AREHSVAL ,
Association de Recherches et d’Études Historiques sur la Shoah en Val de Loire
Sources:
- Archives départementales du Loir-et-Cher
- Direction des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, Caen
- Mémorial de Serge Klarsfeld
- Témoignages recueillis en 2000 à Savigny
- Témoignage d’Édith Grycman et photo fournie par ses soins.