Hersh RAK
Nous nous appelons Marta et Ola. Nous sommes originaires de Włocławek, une ville située en Pologne centrale. Avant la Seconde guerre mondiale c’était une ville multiculturelle, d’environ 65 mille habitants, dont 14 ou 15 mille – soit un quart des citoyens – étaient de confession juive. La ville comptait deux synagogues, un hôpital juif, un club sportif Maccabi, l’association « Scène artistique juive », une corporation d’artisans juifs, une école Talmud Torah, une école des garçons Mizrahi, le gymnase mixte de la Communauté juive, des écoles privées, l’organisation de jeunesse Hachomer Hatzaïr. Dans la communauté juive de Włocławek naquirent le futur Prix Nobel Tadeusz Reichstein, et le critique littéraire Marcel Reich-Ranicki. L’élite locale était constituée également de médecins, avocats, négociants et entrepreneurs juifs. Naturellement, il y avait aussi une classe moyenne et un grand nombre de pauvres.
Aujourd’hui, ils ne sont plus là, leurs descendants non plus ; la plupart des lieux énumérés n’existent plus… Nous savons, en revanche, où se trouvait le ghetto. En allant à l’école, nous passions tous les jours devant l’ancien hôpital juif, persuadées qu’il avait toujours été un hôpital dermatologique !
En septembre 2020, nous avons entendu parler du projet et nous avons décidé d’y participer. D’une réunion à l’autre, nous avons davantage appris sur un homme qui a vécu ici il y a 100 ans.
D’abord, nous avons découvert l’histoire du convoi 77. Dans le groupe de 1310 déportés, il y avait environ 200 Polonais, parmi lesquels notre compatriote Hersh Rak. Qui était-il ? Où habitait-il ? Que faisait-il dans la vie ? Comment s’est-il retrouvé en France ?
Lors d’une réunion, nous avons décidé d’approfondir nos connaissances sur le convoi lui-même. Nous avons appris qu’il était parti de France le 31 juillet 1944 et que son trajet s’était terminé au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Notre Hersh faisait partie de ce convoi. Au moment de l’arrestation, il avait 33 ans. Nous l’avons appris par des documents français. Nous y lisons entre autres qu’il naquit le 2 novembre 1911 et que ses parents se prénommaient Rakhmiel et Hannah Mirla.
Lors d’une visite à l’Institut historique juif, grâce à madame Anna Przybyszewska-Drozd et à monsieur Matan Shefi qui nous ont retrouvé l’extrait d’un journal datant de décembre 1938, contenant les félicitations des frères et sœurs de Hersh à l’occasion de son mariage avec Fania, nous avons appris que le mariage avait eu lieu à Paris. Un autre document précise que c’était le 30 décembre 1938. Les voeux et les félicitations avaient été signés par les frères et sœurs de Hersh. C’est ainsi que nous avons connu leurs prénoms: Szutek, Fawek, Edzia et Lila. Cependant, sur le site de l’Institut Yad Vashem, nous avons trouvé un autre frère encore et les dates de naissance de tous les enfants de Yerakhmiel et Hannah Rak, ainsi que leurs propres dates de naissance.
La reconstitution de l’histoire de la famille, élaborée à partir de l’analyse de toutes les sources accessibles, se présente de la manière suivante :
Hersh (mentionné dans les documents aussi sous les prénoms d’Herman, Henri et Zvi) était le fils de Yerakhmiel (Rakhmiel) Rak né en 1885 à Kutno et de Hannah Rak, née Mirla en 1888 à Włocławek. Hersh naquit lorsque son père avait 26 ans et sa mère 23 ans. Tout laisse à penser que les grands-parents de Hersh du côté des deux parents vivaient à Włocławek, c’étaient : du côté du père –Mordekhaï et Esther, et du côté de la mère – Moshe et Malka. Nous avons pu établir que Rakhmiel Rak mourut à Auschwitz et Henna à Łódź. Hersh avait cinq frères et sœurs : trois frères – Hhil (Yekhiel/Volf) Rak (1912), qui avant la guerre vivait à Paris et était marié; Shalom (Shulim/Shulin) Rak (1914), le seul à avoir survécu ; Fabush Shraga Rak (1917), et deux sœurs – Edzia Esther Rak (1925), Lilka Lea Rak(1929). Probablement, tous les enfants de Rakhmiel et Hena naquirent à Włocławek.
Hersh était marié avec Fajga Laja Szpiczak qui en France utilisait le prénom de Fanny. Née à Stryków, elle était la fille de Henock Szpiczak et de Chewcia Fefer. Ils se marièrent le 26 septembre 1939 à Paris, dans le 14e arrondissement. Hersh avait 28 ans à l’époque et Fajga 26. Hersh et son frère Yekhiel étaient partis pour la France. Hersh avait alors 27 ou 28 ans.
Son père Yerakhmiel mourut à Auschwitz, sa mère Henna et les enfants plus jeunes à Łódź, notre Hersh à Ebeensee, et son frère Khil fut déporté de Pithiviers, dans le convoi n° 6, et mourut le 17 juillet 1942 à Auschwitz.
Shalom (Shulin) Rak était enseignant et il a survécu à la guerre en URSS. Toutes ces informations nous viennent de lui.
Les documents français nous ont renseignées également sur le domicile et la profession de Hersh. Il était commerçant, il avait conservé la nationalité polonaise et vivait dans le 3e arrondissement de Paris, 18 rue du Pont-aux-Choux. Nous avons vérifié, c’est à peu près à mi-chemin entre le fameux cimetière du Père-Lachaise et le Louvre. La rue et la maison avec ce numéro existent encore aujourd’hui. Il y a là un immeuble de cinq étages.
Hersh fut également actif dans la Résistance, sous le pseudonyme de Bourseau, et il rejoignit les rangs des Forces Françaises de l’Intérieur en 1943. Il participa à plusieurs actions et avait le grade de sergent. On sait qu’il agit en Creuse du 1er décembre au 8 juin 1944. C’est alors qu’il fut envoyé défendre la ville de Guéret avec ses troupes. Il était alors sous le commandement du capitaine Leylaverge et fut arrêté par la Wehrmacht. Il fut ensuite interné à Montluçon, puis à Drancy – du 9 juin 1944 jusqu’au 31 juillet 1944. Il fut détenu dans le camp d’Ebensee en Autriche du mois de juillet 1944 jusqu’au 15 mars 1945 et c’est là qu’il mourut. Nous avons cherché à établir s’il était certain qu’il n’était pas parvenu à Auschwitz. Malheureusement nous n’avons pas obtenu la réponse.
Au moment de l’arrestation, il avait 32 ans et il est mort à l’âge de 34 ans. Par lettre au ministère du 9 mars 1950, la veuve de Hersh, Fania Rak, a sollicité pour lui la mention « Mort pour la France ». Une lettre autorisant l’inscription de cette mention honorifique dans le registre de la mairie lui est arrivée le 24 avril 1950.
Vers la fin de nos recherches sur la vie de Hersh, nous avons décidé de nous concentrer de nouveau sur Shulim Rak, son frère cadet, le seul survivant. Il s’est avéré que vers la fin de sa vie il vivait en Israël. Nous tenions évidemment à obtenir le plus d’informations possible sur Hersh, c’est pourquoi nous avons pris la décision de contacter, par l’intermédiaire de l’Institut historique juif, les seuls membres de la famille vivants. On nous a informé que malheureusement Shalom est mort sans enfants en 1983, ainsi que sa femme quelques années plus tard, en 1998.
Malgré nos recherches dans les archives, malgré l’aide des employés de l’Institut historique juif, notre visite au Musée Polin et à la mairie de Włocławek ainsi que notre analyse des documents français, nous ne sommes pas parvenues à apprendre tout sur notre héros. Nous croyons tout de même avoir appris beaucoup de choses.
Le travail sur ce projet a été très intéressant. Grâce à son coordinateur, monsieur Dariusz Łoboda, nous avons pu visiter nombre d’endroits que nous ne connaissions pas avant : l’Institut historique juif, le Musée Polin à Varsovie, les Archives nationales et les archives de la mairie de Włocławek.
Grâce à cela, nous avons pu connaître l’histoire d’un homme dont auparavant nous ne savions rien. Nous sommes devenues détectives. Nous avons découvert un homme qui fut un véritable héros, nous avons connu son prénom et le sort de sa famille.
Nous avons appris qu’il a été décoré du titre « Mort pour la France ». Il devait être courageux ! Il combattit contre les Allemands car il voulait un monde meilleur. Il partagea le sort de millionss de Juifs, le sort de sa famille, le sort de milliers d’habitants de Włocławek et de Polonais.
Pour nous, il est devenu important. Aujourd’hui, nous regardons notre ville d’un œil différent.
Ola et Marta
Nous remercions tout particulièrement madame Aleksandra Engler-Malinowska, coordinatrice du Projet pour la Pologne, madame Anna Przybyszewska-Drozd et monsieur Matan Shefi de l’Institut historique juif, madame Mirosława Stojak de la mairie de Włocławek et monsieur Rafał Więckowski des Archives nationales de Toruń, bureau de Włocławek.
Bibliographie:
- Żydzi Włocławscy, Aneta Baranowska, Wydawnictwo Naukowe Grado, Toruń 2008
- Utkane sercem włocławskim Żydom, Mirosława Stojak, Miejsca Biblioteka Publiczna we Włocławku, 2015
- Atlas Historii Żydów Polskich, wydawnictwo Demart, 2010
Sites internet consultés:
- https://sztetl.org.pl/pl/miejscowosci/w/307-wloclawek/99-historia-spolecznosci/138251-historia-spolecznosci
- http://zydzi.wloclawek.pl/
- https://yvng.yadvashem.org/index.html?language=en&
- www.jri-poland.org
- http://meldunkowe.genealodzy.pl/
- https://billiongraves.pl/grave/%D7%A9%D7%9C%D7%95%D7%9D-%D7%A8%D7%A7/12389148?fbclid=IwAR1VqXpWYu0zcIOE6dkscGpVPAtjH–lzBsLV2zs7volA60st57WTU4bSEM