Jeannette MARKUS
Photo : Jeannette devant le portail de l’UGIF, publié par Serge Klarsfeld dans le Mémorial des enfants juifs déportés de France.
Introduction
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs ont été victimes d’un génocide perpétré par Hitler et les nazis. La France a été envahie par les nazis en 1940. Le Régime de Vichy a participé à ce génocide. Des dizaines de milliers de Juifs français ont été exterminés dans les centres de mise à mort, c’est le cas de Jeannette Markus et de sa famille. Voici son histoire.
1 – Jeannette
Jeannette Markus est née le 8 mai 1930 dans le XIIème arrondissement à Paris. Sur son acte de naissance, ses parents sont domiciliés au 18 rue de Belleville en 1930.
Elle est la fille de Icek et Dora Markus et la sœur de Alice, Berthe et Léopold[1]. Elle est d’origine polonaise, mais apparaît comme française dans tous les documents consultés, notamment sur le registre scolaire de l’école Constantin Pecqueur.
Elle est scolarisée à partir du 2 février 1937 à l’école Constantin Pecqueur, dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Dans les registres de l’école, Jeannette est décrite comme “ une enfant gentille ” et d’un niveau scolaire “ moyen ”. Lors de son inscription dans cette école le 2 février 1937, elle est domiciliée au 22 rue Francoeur, dans le XVIII arrondissement. On apprend grâce à ce registre que Jeannette était auparavant scolarisée dans une école de Jouy-le-Moutier (95), puis scolarisée à Pontoise (95). Le 22 rue Francoeur, dans le XVIII arrondissement de Paris est la dernière adresse connue de la famille Markus, comme mentionnée sur la fiche d’internement à Drancy.
Registre d’école consulté en salle de lecture aux Archives de Paris, Paris XIX
Elle est raflée une première fois le 25 mars 1943, à l’âge de 14 ans, avec sa sœur Berthe. Elles sont ensuite internées à Drancy. Le 9 avril 1943, Jeannette est libérée, certainement car elle est française et mineure. Berthe, elle, sera déportée à Auschwitz. Jeannette va demeurer un an dans un foyer pour jeunes enfants juifs, n’ayant plus personne pour s’occuper d’elle (voir ci-dessous les biographies des autres membres de la famille). Ce foyer est situé au 21 rue François-Debergue à Montreuil, dirigé par l’UGIF (Union générale des israélites de France). Les témoignages recueillis de deux jeunes filles, Rosette et Paulette nées Widawski, et ayant vécu dans le foyer avec Jeannette avant d’être elles-mêmes déportées, nous donnent quelques informations sur le caractère de celle-ci : « A Montreuil, je me rappelle de Jeannette Markus […] Jeannette Markus était la chef d’une équipe dont Anna Jagla faisait partie et Anna Jagla c’était devenu son idole. Quand je suis arrivée, j’ai créé un autre groupe où il y avait Rosette, où il y avait… tous les autres vous comprenez ? » »[2]
Montreuil-sous-Bois, juin 1943
Enfants et moniteurs du centre n° 52 de l’U.G.I.F.
Collection Henri Tziboulsky. Mémoires juives. Patrimoine photographique.
Pendant cette période, elle est scolarisée à l’école Marcelin-Berthelot à Montreuil. On y trouve aujourd’hui une plaque commémorative pour tous les enfants juifs déportés. Le nom de Jeannette y figure.
Elle est raflée une deuxième fois le 22 juillet 1944, avec 14 autres jeunes enfants et 3 monitrices. Tous les enfants et les accompagnants des maisons de l’UGIF à Paris et en banlieue sont internés à Drancy, sur ordre de Alois Brunner, officier SS. 243 enfants demeurant dans les foyers de l’UGIF ont été internés à Drancy.
En consultant Les Juifs dans la banlieue parisienne de Laloum, nous comprenons que Jeannette a entretenu des liens avec la famille Bernholc. Madeleine, qui a écrit cette lettre à Laloum en 1991, était la fille (âgée de neuf ans à l’époque) des correspondants de Jeannette lorsqu’elle vivait à Montreuil. Jeannette semble avoir choisi le prénom Jeanine, au moins avec les Bernholc. Voici un extrait de l’ouvrage concernant Jeannette :
“Celle qui est appelée « leur fille » est Madeleine, la fille du couple Bernholc. Ce qu’elle relate se passe à la Libération (lorsqu’ils sont allés à Montreuil). « Quand je suis arrivée à la maison, se souvient leur fille, j’ai demandé des nouvelles de Jeanine. Avec papa, nous sommes allés à Montreuil avec l’espoir de la ramener chez nous. Quand nous sommes arrivés, il n’y avait plus personne. Les voisins nous ont dit que les Allemands les avaient tous emmenés. Un jour, un homme nous a apporté une lettre, en s’excusant du retard qu’il avait mis pour venir, il était cheminot, il avait trouvé cette enveloppe sur la voie. À l’intérieur, il y avait des photos de sa famille et un petit mot d’adieu, écrit au crayon : “J’espère que cette lettre vous parviendra, là où je vais on ne revient pas” ».”[3]
Jeannette est déportée à Auschwitz le 31 juillet 1944, par le convoi 77. Jeannette y est tuée le 5 août 1944. On suppose qu’elle a survécu au trajet en train et qu’elle a été assassinée à son arrivée dans une chambre à gaz.
Le 26 mars 2006, une plaque mémorielle a été installée dans l’école primaire Constantin Pecqueur (Paris XVIII arrondissement) fréquentée par Jeannette, avec plusieurs autres noms d’enfants juifs, déportés et exterminés pendant la Shoah.
Plaque commémorative de l’école Marcelin-Berthelot, à Montreuil
2 – Le père de Jeannette, Icek Markus
Icek est né à Wieluna en Pologne, le 13 janvier 1894. Icek a probablement rencontré sa femme Dora aux alentours de Wieluna, celle-ci étant également née dans cette ville, en 1886. On suppose qu’ils ont immigré en France entre 1916 et 1920 car Alice, leur première fille, est née en Pologne tandis que Berthe, la cadette, est née en France en 1920.
En France, Icek changea plusieurs fois de prénoms pour s’intégrer : on le trouve sous le nom de Isaac ou encore de Isidore. Ces changements de prénoms sont le cas de beaucoup d’immigrés d’Europe de l’Est qui s’installent en France à partir des années 1920. Icek a été plongeur, puis boulanger.
Durant l’entrée en guerre, nous supposons qu’il vit avec sa famille au 22 rue Francoeur (Paris XVIII arrondissement). Le 16 juin 1940, Icek meurt lors d’un bombardement à Étampes, provoqué par l’Allemagne, car il fuyait probablement l’invasion allemande. On sait que Icek était accompagné de sa femme, et qu’ils se sont perdus de vue pendant l’Exode. Selon une fiche signalétique disponible aux archives municipales d’Étampes, il a été hospitalisé à l’Hôtel-Dieu d’Étampes où il rendra son dernier souffle malgré les soins qui lui ont été apportés. On suppose que Jeannette était également en exode car elle était encore jeune.
Album photo des bombardements à Etampes, photos prises à Etampes par un soldat allemand de passage en juin 1940, mis en ligne par le Corpus Etampois.4
3 – La mère de Jeannette, Dora Markus
Dora Korn (parfois écrit Corn) est née en 1886, à Wieluna, en Pologne. Dora Korn était mariée à Icek Markus. Dora et Icek ont eu quatre enfants, Alice, Berthe, Léopold et Jeannette. Elle est déclarée “ménagère”.
Le 11 février 1943, Dora est internée dans le camp de Drancy. Elle sera déportée le 23 mars 1943 par le convoi 52 en direction du centre d’extermination de Sobibor. Elle meurt le 28 mars 1943, très certainement dans une chambre à gaz, à l’arrivée de son convoi.
4 – La grande soeur de Jeannette, Laja Alice
Laja Alice Markus, est née le 26 septembre 1916 à Wieluna, en Pologne. Elle est secrétaire artistique en 1943. Selon Guylène Trajan, une descendante d’un ami de Léopold Markus, elle travaillait dans un cinéma à Paris au début de la guerre. Selon un extrait du recensement de 1931, Alice est “dactylo”.
Elle est la première de la famille Markus a être déportée. Elle est internée à Drancy (date inconnue) puis a été déportée à Auschwitz le 30 septembre 1942 par le convoi 39. Elle meurt le 5 octobre 1942 à Auschwitz.
5 – La deuxième grande soeur de Jeannette, Berthe
Berthe Markus est née le 1er novembre 1920, dans le XIIème arrondissement. A sa naissance, la famille résidait au 5 bis rue de la Présentation, dans le XIème arrondissement. Elle est comptable en 1943. Berthe a été internée à Drancy le 25 mars 1943. Elle a été déportée à Auschwitz le 23 juin 1943 par le convoi 55. Elle meurt le 28 juin 1943 à Auschwitz. Jeannette a été arrêtée en même temps que sa sœur Berthe mais elle a été libérée de Drancy le 9 avril 1943. Elles s’y sont vues pour la dernière fois.
6 – Le grand frère de Jeannette, Léopold Markus
Photo du groupe de résistants dirigé par Léopold, mis en ligne par le site Vendée Résistance et dans un article intitulé « Mervent : la Résistance honorée » du Ouest France du 19 août 2001
Né le 7 février 1923 à Paris, dans le XIIème arrondissement, Léopold est le troisième enfant de la famille Markus, après Alice et Berthe, et est le grand frère de Jeannette. La famille était, à sa naissance, domiciliée au 53 boulevard de Belleville, Paris XXème.
De gauche à droite : Léopold, Colette et Robert
Durant la Seconde Guerre mondiale, Léopold est résistant. Depuis Paris, il est envoyé en Vendée. Il sert au sein du groupe des Forces Françaises Intérieures (FFI) “Guy Môquet”, situé en Vendée, dans la forêt de Mervent. Ce groupe est dirigé par Léopold et Robert Brunet. Des documents des FFI datés de 1944 nous indiquent qu’il était surnommé “Loulou”, et qu’il était considéré comme “le tueur de la Résistance”, après avoir exécuté un milicien. “Le 8 mai 1944, une première équipe mobile est formée sous le commandement du lieutenant Léopold Marcus (ou Markus) dit Leroy, vingt et un ans, passé dans la mémoire populaire sous le nom de Loulou. Le groupe est appelé “Guy Môquet”, en souvenir du jeune homme fusillé avec les vingt-sept otages de Châteaubriant le 22 octobre 1941. Quant à Léopold Markus, on sait qu’il était d’origine juive polonaise et qu’il avait de fortes raisons d’entrer en lutte armée contre les nazis et leurs collaborateurs français.”[4] Plusieurs actes de résistances sont recensés, comme des sabotages de ligne téléphonique de chemin de fer. Nous savons également que lors d’un acte de sabotage à la Roche-sur-Yon, Loulou, pour échapper à des miliciens, se réfugie à l’hôtel du Croissant, place circulaire à la Roche-sur-Yon. Il arrive à s’échapper par les toits, avec l’aide de la fille du patron de l’hôtel. Ensuite, “le vendredi 21 juillet, Loulou et un camarade reçoivent l’ordre (ou l’autorisation) de s’attaquer à un gros gibier. Ils ont observé que le secrétaire départemental de la Milice, Alain de Gouyon, rentrait chaque soir à son domicile de Saint-André-d’Ornay vers 18h (20h à l’heure officielle allemande) ; infirme, il se déplaçait en voiturette. Cible facile, mais de première importance et dont l’atteinte ne manquerait pas d’impressionner. Mais elle pouvait aussi être lourde de conséquences pour le tireur, et pour la population, en ce mois de juillet où la percée d’Avranches n’avait pas encore ouvert la route de Paris et de l’Allemagne aux armées alliées et découragé les derniers vichystes de sévir. Les deux FTP à bicyclette suivent la voiturette. Loulou abat le milicien d’un coup de revolver dans la nuque.”[5] Après cette exécution, Léopold Markus trouve refuge chez Églantine Daviet, une commerçante à la Chaize-le-Vicomte. Le lieutenant Léopold Markus fait acquitter Mme Daviet le 24 janvier 1945 alors qu’elle est accusée à la chambre civique d’avoir “trafiqué avec les Allemands”. Léopold témoigne : “Lors de l’attaque du maquis de Château-Fromage, je me suis réfugié avec mes camarades chez Madame Daviet ; elle nous a toujours bien reçu. Le soir du meurtre du chef milicien de Gouyon, elle nous a également hébergés et cachés”.[6] Léopold opère aussi dans le maquis de la forêt de Mervent (Vendée). Il récupère des armes, incendie un convoi allemand à Breuil Barret et exécute des miliciens. Après la guerre, il garde des contacts amicaux avec la famille Trajan, dont certains membres étaient dans la Résistance à ses côtés. Guylène Trajan dont le père était camarade de Léopold nous dit : “[…] ma famille avait de l’amitié pour Léopold dont on a surtout retenu en Vendée qu’il était le tueur de miliciens. Bien que FTP, je ne pense pas qu’il était communiste, mais il avait la rage, c’est vrai. Il voulait en découdre, ce qui semble bien humain avec ce qu’il a vécu. […]”.
Selon les notes inscrites par l’officier de l’état civil dans la marge de l’acte de naissance de Léopold, il se marie une première fois le 24 septembre 1947 avec Bernadette Marie Angélique Augustine Boulineau (née le 3 février 1923 à Mouilleron-le-Captif et décédée en 2012 à La Roche-sur-Yon) à Asnières, le 20 Septembre 1947. Ils divorcent le 20 juillet 1949 au Tribunal de Fontenay-le-Comte.
Marge de l’acte de naissance de Léopold Markus, consulté aux Archives de Paris, Paris XIX
Léopold se remarie le 28 mars 1953 avec Gabrielle, Marie, Hélène Rui (née à Caen le 10 avril 1925 et décédée le 13 février 2015 à Montigny-lès-Cormeilles). Ils ont une fille Muriel Jeaninne Markus, née dans le Xème arrondissement de Paris, le 13 novembre 1954. Muriel est donc la nièce de Jeannette. La famille est domiciliée au 186 rue du Faubourg Saint-Denis, à Paris X arrondissement à sa naissance. Léopold était radio technicien et Gabrielle, sans profession.
C’est dans les années 1950/1960 que Léopold entame les démarches administratives pour faire reconnaître Jeannette comme étant morte en déportation.
Muriel Markus se marie avec Manuel Pereira Gomes, le 29 janvier 1977. Elle était secrétaire et Manuel était opérateur qualifié. Muriel est décédée à Pontoise le 2 septembre 1994. Manuel semble être encore en vie, et résiderait encore à Beauchamp. Nous avons essayé de le contacter mais nous n’avons pas eu de retour. Muriel et Manuel ont eu un fils, Olivier Pereira Markus. Nous avons eu son contact mais il n’a pas pour le moment donné suite à nos sollicitations.
Léopold, lui, est décédé le 7 juillet 2005, à Eaubonne (95).
Fiche analytique extrait du dossier de démarches administratives entamé par Léopold Markus
Chronologie de la Famille MARKUS
- Naissance de Dora en 1886, à Wielun en Pologne.
- Naissance de Icek en 1893, à Wielun en Pologne.
- Naissance de Laja Alice en 1916, à Wielun en Pologne.
- Arrivée en France de la famille Markus après 1916.
- Naissance de Berthe en 1920. Famille domiciliée au 5 bis rue de la Présentation, Paris 11.
- Naissance de Léopold en 1923. Famille domiciliée au 53 boulevard de Belleville, Paris 20.
- Naissance de Jeannette en 1930. Famille domiciliée au ?
- Jeannette étudie à l’école Place Constantin Pecqueur (18e) à partir de janvier 1937.
- Exode de la famille Markus (Icek et Dora sur) en juin 1940. Mort de Icek.
- La famille retourne à Paris, dans le XVIIIème, 22 rue Francoeur.
- Laja Alice est déportée en Septembre 42.
- Dora est internée en Février 43 et déportée le 23 Mars 43.
- Berthe et Jeannette sont internées le 25 mars 43, deux jours après la déportation de Dora.
- Jeannette est libérée le 9 avril 43, placée sous contrôle de l’UGIF dans le foyer de Montreuil.
- Berthe est déportée le 23 juin 43.
- Jeannette va à l’école Marcelin Berthelot.
- Jeannette est raflée et internée à Drancy le 22 juillet 43.
- Jeannette est déportée le 31 juillet 43.
- Léopold exécute Alain de Gouyon, un milicien, le 21 juillet 44.
- Léopold se marie avec Bernadette Boulineau le 20 septembre 47.
- Léopold et Bernadette divorcent en 1949.
- Léopold épouse Gabrielle RUI en 1953.
- Naissance de Muriel Markus en 1954 à Paris X, fille de Léopold et Gabrielle.
- Léopold entame des démarches pour Jeannette à partir de 1959.
- Muriel épouse Manuel Pereira Gomes le 29 janvier 1977.
- Naissance de Olivier, petit-fils de Léopold, en 1984.
- Muriel décède en 1993, à Pontoise.
- Léopold décède en 2005, à Eaubonne.
- Gabrielle décède en 2015.
Notes & références
[1] Acte de naissance de Jeannette Markus
[2] Le Monde Juif 1990/3 N° 139, L’U.G.I.F. et ses maisons d’enfants : témoignages, Recueillis par Jean Laloum, Pages 121 à 145
[3] Laloum, Les Juifs dans la banlieue parisienne, Pages 275-276
[4] Michel Gautier, Occupation et Résistance en Vendée, 2020. p.230 et 231.
[5] Michel Gautier, Occupation et Résistance en Vendée, 2020. p.231 et 232.
[6] Ouest-France du 25 janvier 1945.
This biography of Jeannette MARKUS has been translated into English.