Joseph WACHSPRESS

1909-1996 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Joseph WACHSPRESS

Il était juif, résistant et communiste
… sur les traces d’un FTP-MOI

Sur les traces de Joseph Wachspress

En cette année où la Nation rend hommage aux Francs-Tireurs et partisans-Main d’Oeuvre immigrée par le biais des figures de Missak et Mélinée Manouchian et de leur groupe, un projet initié au départ collectivement avec l’association « convoi 77 » nous a conduit à vouloir rendre hommage à notre façon à un de ses immigrés qui s’est battu pour la liberté et contre la déportation.
Qui se souviendra de lui ? Qui lui rendra hommage si personne ne connaît son existence? Il a participé à la lutte contre l’Occupant, le harcelant par de multiples actions, aussi dangereuses qu’héroïques. Il est de notre devoir de partager et de conserver sa mémoire, et donc de vous retracer son histoire.
C’est dans cette optique que nous voulions explorer toutes les pistes possibles afin de retrouver les traces de la vie de Joseph Wachspress, un immigré polonais qui s’engagea dès la première heure dans les rangs des FTP-MOI, aux côtés de Marcel Langer, à Toulouse à la fin de l’année 1942.
Nous avions donc décidé de mener des recherches en nous divisant en petits groupes pour mieux se concentrer chacune sur une partie différente de son parcours.
La première difficulté fut de comprendre que quasiment systématiquement son nom était mal orthographié (Waschpress / Wachpress / Waschpresse), ce qui a pu rendre les recherches plus compliquées au début. Ensuite, comme il n’a pas laissé de témoignage facilement accessible comme d’autres de ses camarades, cela rend plus compliqué la reconstitution de son parcours de résistant et de déporté.
Enfin il y a pu avoir des confusions dans l’histoire de son groupe (la 35e Brigade) parce qu’ils sont deux à avoir porté le même pseudonyme, « commandant Robert ».
Peu bavard, héros dans l’ombre, absent au moment de la Libération, il fallait trouver un autre moyen pour comprendre ses actions. Son parcours aurait dû nous mener de la Pologne à la Palestine, dans différents centres d’archives de la région Occitanie ou à Paris, voire en Allemagne. Nous avons donc fait le choix d’effectuer un travail d’historiennes, en recoupant les informations en notre possession, en prenant contact à distance avec des archivistes ou des descendants de personnes qui avaient pu le côtoyer. Et surtout nous avons pu constater que des actions lui étaient attribuées sans que l’information donnée ne repose sur des sources sûres et vérifiables.
Nous avons pu être aiguillées sur certains points grâce à une rencontre dans notre lycée avec l’ancienne directrice des Archives Nationales, Isabelle Neuschwander. Nous avons mieux compris la complexité des mouvements de résistance dans la région en visitant le musée de la Résistance et de la Déportation à Toulouse. Le comité français de Yad Vashem a répondu à nos appels et a pu nous transmettre des informations qui n’apparaissaient nulle part pour l’instant.
Nous avons pu compléter les quelques pages que Jean-Yves Boursier lui consacre dans son livre à partir d’un entretien qu’il a réalisé avec lui en 1989 (où sont les enregistrements ?); et nous nous somme appuyés sur un court article de Joseph Wachspress écrit en 1975 – pour l’instant jamais référencé.
Nous avons donc travaillé essentiellement à partir d’une documentation extraite des dossiers d’homologation constitués par Joseph Wachspress pour être reconnu comme déporté-résistant ou recevoir la médaille de la Résistance. On a donc essayé de dépasser la sécheresse des informations administratives en illustrant son parcours par quelques photos, la généalogie familiale, une carte, et en contextualisant son parcours qui se fond dans l’histoire mouvementée de la 35e Brigade.

Notre tableau d’enquête

 

On souhaiterait que ce petit dossier incite des historiens ou des historiennes à se pencher à nouveau sur l’histoire d’un des membres fondateurs de la 35e Brigade, ou au moins que les erreurs sur les sites en ligne puissent être corrigés.

Son oubli tient sans doute à plusieurs raisons :

  • En 1943, il poursuit les coups de mains et les attentats avec un autre groupe FTP entre le Lot-et-Garonne et la Dordogne, où il était un Polonais parmi des Italiens.
  • Il n’a manifestement pas tenu à transmettre au delà d’un cercle proche cette partie de son histoire. Peut-être n’a-t-il pas voulu prendre la lumière alors que ses amis, Marcel Langer ou Jacob Insel, connaissaient une fin tragique.

Pour lutter contre cette histoire occultée – il mériterait d’avoir une notice dans Le Maitron ! – et afin de répondre à quelques unes de nos interrogations, nous espérons suggérer des pistes de recherches pour que sa trace ne s’estompe plus avec le temps.

Archives consultées

Service historique de la Défense

  • Vincennes
    GR 16P 599998 Dossier individuel du bureau Résistance : Joseph Wachspress
  • En ligne sur le site Mémoires des hommes
    GR 19P 31-24 35e Brigade Marcel Langer et 3402e Compagnie
    GR 19P 47-19 35e Brigade MOI / bataillon indomptable (Lot-et-Garonne)
  • Caen
    AC 21P 690 366 Dossier de déporté résistant de Joseph Wachspress

Mémorial de la Shoah

  • Paris
    CMXXV-12-2 Dossier de Joseph Wachspress
    La revue Notre Volonté, 1975 (numérisée en ligne)

Comité français pour Yad Vashem

  • Dossier de Lucienne Deguilhem (avec de très maigres informations sur Wladimir et Yael Wachspress)

The Emanuel Ringelblum Jewish Historical Institute

  • Acte de naissance de Joseph Wachspress

Site de Légifrance

  • Journal Officiel
  • décret du 31 mai 1947, publié au Journal Officiel du 5 juin 1947
  • décret du 25 février 1966, publié au Journal Officiel du 2 mars 1966
  • décret du 12 avril 1984, publié au Journal Officiel du 15 avril 1984

Une partie des archives a été aimablement numérisée par Cécile Podetti, dans le cadre du projet « convoi 77 », ainsi que par Elerika Leroy du Musée de la Résistance et de la Déportation à Toulouse.

Bibliographie

Marcot, François, Dictionnaire histoire que de la Résistance, Robert Laffont, 2006.

Les FTP-MOI

  • Manessis, Dimitri et Vigreux Jean, Avec tous des frères étrangers. De la MOE aux
    FTP-MOI, Libertalia, 2024.
  • Wieworka, Annette, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Perrin, 2018.

La Résistance à Toulouse

  • Goubet Michel, La Résistance dans le Midi toulousain, Privat, 2015.
  • Goubet Michel, « La résistance étrangère à Toulouse (1940-1944) », Bulletin de
    l’Institut d’Histoire du Temps Présent, Supplément n°8, 1995, p. 71-81.
  • Goubet Michel et Paul Dzbauges, Histoire de la Résistance en Haute-Garonne,
    Milan, 1986.

Les FTP-MOI de la 35e Brigade

  • Brafman, Marc, « Les origines, les motivations, l’action et les destins des combattants juifs (parmi d’autres immigrés) de la 35e brigade FTP-MOI de
    Marcel Langer, Toulouse 1942-1944 », Le Monde juif, n° 152, décembre 1994, p. 79-95.
  • Boursier, Jean-Yves, La guerre de partisans dans le Sud-Ouest de la France, 1942-1944. La 35e brigade FTP-MOI, éd. L’Harmattan, 1992.
  • Lamazères, Greg, Marcel Langer, une vie de combats. 1903-1943. Juif, communiste, résistant… et guillotiné, Privat, 2003.
  • Verbizier, Gérard de, Ni travail, ni famille, ni patrie. Journal d’une brigade F.T.P.-
    M.O.I., Toulouse, 1942-1944, éd. Calmann-Lévy, 1994.
  • 35e brigade / Marcel Langer, France-tireurs et partisans de la main d’œuvre
    immigrée, Toulouse 1940-1944, édité par l’Amicale de la 35e brigade, 1983,
    réédition 1944.

Témoignages des FTP-MOI de la 35e Brigade

  • Claude Lévy, Les parias de la résistance, éd. Calmann-Lévy, 1970.
  • Damira Titonel-Asperti, Carmela Maltone, Écrire pour les autres – Mémoires d’une résistante – Les antifascistes italiens en Lot-et-Garonne sous l’occupation,
    Presses universitaires de Bordeaux, 1999.

Sur Joseph Wachspress

  • Joseph Wachspress, « Mon combat dans la 35e Brigade des F.T.P.F », Revue
    Notre Volonté, février 1975.

Site de la fondation de la Résistance
Site personnel de Sari Wachspress (article mis en ligne en 2019)

« Il n’y aura bientôt plus personne », c’est ainsi que Marie Vaislic, rescapée des camps de concentration, interpelle ses contemporains [1].
Parfois, il n’y a déjà plus personne, les années s’égrenant, « l’ère des témoins » (Annette Wievorka) disparaît et leur mémoire également.
En 1989, Joseph Wachspress a été interviewé par Jean-Yves Boursier pour écrire un ouvrage sur la 35e Brigade. Le résistant a 80 ans. Alors qu’il est un des membres fondateurs de ce mouvement de résistance toulousain, l’ouvrage ne lui consacre que trois pages.
En 1993, Mosco Levi Boucault réalise un film sur le groupe des FTPMOI toulousains. Beaucoup sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale, déportés, fusillés, guillotinés. Les survivants, déjà âgés témoignent, mais pas Joseph Wachspress, qui n’est cité qu’à deux reprises. Ces anciens partisans ont intégré le groupe FTP-MOI après la mort de Marcel Langer, et notre résistant n’est plus dans le groupe des FTP toulousains quand ils recrutés pour leurs missions de renseignement ou leurs actions de sabotage.
En 1996, Joseph Wachspress décède. Comment revisiter la figure de ce partisan dont l’histoire se dilue dans le groupe, l’anonymat et la clandestinité ?
Un patient travail dans les archives commence, avec des documents n’apportant pas toutes les précisions voulues. Il faut aussi composer avec des sources administratives assez sèches et répétitives. Les archives de la répression n’ont pas été consultées, car la masse de documents à consulter est trop importante dans le temps contraint de ce concours.
Nous avons donc cherché à contextualiser son parcours, à croiser les informations pour rétablir les événements auxquels il a pu participer et ainsi comprendre comment son parcours s’inscrit dans la lutte contre la déportation, en tant que juif et surtout en tant que résistant.

Les Wachspress, des juifs polonais

L’histoire familiale de Joseph reste assez insaisissable et la documentation retrouvée pour l’instant est assez aride : des actes d’état civil, extrait du livret de famille le plus souvent. Quelques glanages sur l’internet permettent de savoir que des cousins ont émigré aux Etats-Unis, et leurs descendants y vivent : à quelle date et dans quelles conditions sont-ils partis ? Que sont devenus les parents de Joseph ? Pour l’instant, ces questions sont sans réponses.

La Galicie, dont sont originaires les Wachspress, est une région qui accueille des Juifs depuis le XVe siècle. Au sud, Rzeszow, surnommée « la Jérusalem de Galicie » est leur berceau familial. La population juive y était estimée à plus de 8000 en 1910, soit plus d’un tiers de la population de la ville.

Photo 1 : Une rue à Rzeszów, Carte postale, 1915
Photo 2 : Vue du cimetière juif à Rzeszów, 2003. Photographie de Marc Sagnol, ©mahJ

A la suite de la Première Guerre mondiale, la communauté juive galicienne est victime du conflit polono-ukrainien, subissant une série de pogroms. Il est possible que la famille, ou une partie, est décidée de partir dès cette période.
Selon l’entretien accordé par Joseph à Jean-Yves Boursier le 30 octobre 1989 [2], il militait dans une organisation scout juive, “Hashomer Hatzair”. C’est par le biais de ce mouvement de jeunesse sioniste socialiste de gauche qu’il avait obtenu des Anglais un certificat d’immigration pour la Palestine, sous mandat.

Il peut ainsi fuir les persécutions antisémites, et rejoindre une ferme collective dans la région de Tel-Aviv en 1929. Il y fait la connaissance d’autres juifs polonais, Jacob Insel et de Mendel Langer, futurs fondateurs de la 35ème brigade à Toulouse, et de sa femme, Yael, une émigrée ukrainienne. Déjà gagnés au communisme, ils adhèrent au Parti
communiste palestinien (PKP). Dans un contexte troublé entre les commuantes arabes et juives, ils sont arrêtés pour avoir participé à la lutte anticolonialiste contre les Britanniques. Joseph est emprisonné à Jaffa, Yael à Béthléem. Libéré en 1933, il quitte la Palestine pour la France, via l’Egypte.

Cette période de la vie Joseph n’est connu que le biais de son témoignage. Il s’inscrit dans le quotidien des juifs immigrants d’Europe de l’Est, qui s’installent dans des kibboutz. Mais en militant au PKP, qui promeut la solidarité de classe au-delà des divisions ethniques et religieuses, il a peut-être été confronté aux divisions internes à cause des tensions nationalistes croissantes entre les communautés juives et arabes. Et surtout, son activité considérée comme subversive, l’oblige à quitter au plus vite le pays.

Il y a sans doute des traces de son passage dans les geôles britanniques, il faudrait consulter les archives du Royaume-Uni : The National Archives contiennent une vaste collection de documents relatifs à la période du Mandat britannique sur la Palestine, dont des documents relatifs à l’administration civile et militaire.

Joseph Wachspress, un immigré communiste

Arrivé en France en 1933, il séjourne brièvement chez son frère, Marcel, à Lille, et vit de petits boulots ensuite à Paris. Sans papiers pendant deux ans, il milite à la «section juive» du parti communiste et à la commission intersyndicale juive de la CGTU. Il est déjà considéré comme un cadre communiste en 1936, et contrairement à Jacob Insel, il n’est pas envoyé en Espagne pour combattre dans les Brigades internationales.

Après la signature du pacte germano-soviétique, la dissolution du parti communiste et des organisations qui lui sont affiliées est prononcée le 26 septembre 1939, la MOI et sa section juive qui entrent alors dans la clandestinité. Sans qu’on en connaissent les détails, Joseph et sa femme, enceinte, partent se réfugier en zone libre au moment de l’Exode, et achèvent leur parcours à Villeneuve-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne, alors en zone libre. La naissance de son fils Wladimir est enregistrée le 10 octobre 1940 dans cette commune. D’après son entretien, Joseph indique avoir travaillé dans une ferme école de l’ORT (Organisation Reconstruction Travail), qui aide les Juifs nécessiteux, et dont une partie du personnel est communiste. Il y avait trois sites de l’ORT dans le département. Il était sans doute employé dans celle des Angiroux, tout près de Monbahus. En effet, son fils et sa femme ont été cachés par Lucienne Deguilhem, qui habitait une ferme dans ce village.

Vue sur la campagne autour de Monbahus.
A.D. Lot-et-Garonne, 7Fi 174/7

 

Ce n’est donc pas la promulgation du 1er statut des Juifs en octobre 1940 qui a provoqué le départ du couple, mais bien leurs activités politiques. Cette expérience de la clandestinité leur permet d’échapper à l’arrestation. Elle est sûrement utile aussi pour éviter le recensement des juifs prescrit par la loi du 2 juin 1941.
Quand la zone sud est envahie par les Allemands en novembre 1942, Joseph, cadre communiste aguerri, passe de la lutte des classes à la lutte armée, en s’engageant comme FTP-MOI.

Résister à la déportation : le « Commandant Robert »

En tant que militant communiste, Joseph Wachspress fait déjà l’expérience de la clandestinité. D’après ses déclarations dans le dossier pour obtenir le statut de déportés et internés de la Résistance et son entretien d’octobre 1989, il fait partie des premiers membres de la 35e brigade. A la fin de l’année 1942, en contact avec les responsables politiques de la MOI, il est désigné pour rejoindre les « partisans ».
À Toulouse, le noyau fondateur de la 35e Brigade FTP-MOI est très cosmopolite. Déjà rompus au militantisme clandestin, au combat armé en Espagne ou à l’expérience de la guérilla urbaine en Palestine, ces antifascistes viscéraux, juifs d’origines polonaise, roumaine, hongroise, ou Républicains espagnols se nomment : Mendel Langer, Jacob Insel, Joseph Wachspress, Abraham Mittelman, Zeff Gottesman, José Linares-Diaz,
Wladislaw Hamerlak, Stefan Barsony, Luis Fernandez, Sevek Michalak, Rachel Perelman.

 

Cette petite internationale clandestine, créée sur la consigne du Parti communiste, décide donc de recourir à la lutte armée pour échapper à la répression et à la persécution. Au sein de la 35ème Brigade, Joseph Wachspress prend le pseudonyme de « Commandant Robert ». Il a des responsabilités militaires, en étant à la tête du C.O.R. (Commission aux Opérations de la Résistance).

Les actions des FTP-MOI toulousains ont revêtu des formes variées, et visées plusieurs d’objectifs :

  • saboter les voies ferrées afin de gêner l’approvisionnement de la Wehrmacht en vivres et munitions.
  • frapper des militaires allemands ou des responsables de la Milice, responsable de la déportation des Juifs et de ceux et celles qui leur viennent en aide.

La plupart des actions militaires de la 35e Brigade ont lieu à l’intérieur des villes de Toulouse, Agen et Montauban, et ils peuvent s’appuyer sur un service de renseignement composé essentiellement de femmes. Aux origines de la brigade, les cadres participent eux-mêmes aux actions. Il est souvent difficile d’identifier les actions individuelles au cœur des activités collectives.
Plusieurs opérations menées par le commandant Robert ont pu être identifiées de façon certaine en croisant les témoignages et les archives de la répression. Il a pu participé à des sabotages dans les gares ou sur les voies ferrées, mais il a surtout pris part à des attentats, et à l’exécution de responsables allemands.

Pistolet semi-automatique de calibre 7,65mm.
Musée de la Résistance Nationale/fonds Henri Jablon, (Inv. 2006).
Comme il n’y a pas assez d’armes pour toute la brigade, elles sont récupérées à chaque fin d’opération, avant d’être redistribuée pour l’action suivante.

 

Le commandant Robert fait l’expérience de la violence. On ne dispose que de très peu d’informations sur le vécu de cette violence, mises à part les blessures qu’il a pu subir lors d’une opération en particulier :

  • La première opération se déroule au mois de mars 1943, avec son ami Jacob Insel et Sewer Michalak alias « Charles », responsable technique de la Brigade et qui fabrique des bombes artisanales. Après une période de repérage, Wachspress se porte volontaire pour déposer deux engins explosifs dans l’hôtel restaurant toulousain L’Ours blanc, où était installé des services de l’armée allemande. La première bombe doit attiré du monde, la deuxième doit exploser une ou deux minute plus tard afin de causer le plus de dégâts possibles.
  • Le 13 juin 1943, selon la même technique, et toujours avec deux autres FTP-MOI, il dépose des bombes devant la Feldgendarmerie (police militaire allemande) à Toulouse. Plusieurs officiers nazis sont tués, dont le commandant Von Speicher, adjoint du chef de la Gestapo de Toulouse et deux autres officiers sont blessés. À la suite de cette opération, la Kommandatur ordonna le couvre-feu.
  • Quelques jours plus tard, le 17 juin 1943, il est chargé de l’exécution d’un agent de la Gestapo. Selon son témoignage, il se présente déguisé en télégraphiste au domicile de la cible et lui remet la « sentence de condamnation et d’exécution sur le champ » [3]. Mais un garde du corps riposte et il reçoit plusieurs balles dans une jambe. Il réussit à s’enfuir et peut finalement être soigné. « Robert » poursuit sa
    convalescence chez « Charles », caché au dessus de son dépôt d’armes.

Recherché pour « activités terroristes » [4], Joseph Wachspress est muté par les responsables des FTP en Dordogne avec la fonction de responsable militaire pour le Lot-et-Garonne, le Gers et la Dordogne à partir de juillet ou août 1943 (la date varie selon les sources). A priori, il n’est donc plus à Toulouse quand Marcel Langer est guillotiné le 23 juillet 1943 à la prison Saint-Michel.

Il poursuit ses activités de sabotages, visant principalement les voies ferrées, et les attaques contre des responsables la Gestapo ou de la Milice. Il réorganise les FTP du « bataillon indomptable », en recrutant des jeunes militants qui servent de base arrière et de réservoir pour les combattants de la Brigade [6]. En juillet 1943, le détachement compte à peine 80 hommes et femmes, dont une majorité d’immigrés italiens.
L’exemple le mieux documenté est celui de Damira Totinel (1923-2011), issue d’une famille italienne ayant fuit le fascisme, qui raconte dans ses mémoires comment elle fut recrutée par le commandant Robert6. Ayant surpris des discussions entre le chef des FTP-MOI et son père, elle demande au commandant Robert à entrer dans la Brigade. Elle commence par transporter des écrits clandestins et des armes pour les opérations de
guérilla. Au printemps 1944, elle se fait arrêter en gare de Toulouse Matabiau. Détenue, torturée, cinq mois en prison, elle ne parle pas. Le 24 juillet 1944 elle est déportée à Ravensbrück dont elle sera libérée le 3 mai 1945.

Tout en continuant d’organiser des opérations spécifiques aux zones rurales, comme des incendies de gerbières de blé pour qu’elles ne soient pas livrées aux Allemands, le commandant Robert poursuit la lutte armée contre les nazis en Dordogne, parfois accompagné d’Enzo Lorenzi, alias « Robert » [7] et d’Axel Simondy, dit « François » :

  • En octobre 1943, le 9 ou le 17, il commande la destruction par explosif du siège de la Gestapo à Périgueux. Deux bombes explosent successivement faisant de nombreuses victimes. Le groupe est sauvé de l’arrestation grâce à l’intervention de Lorenzi.
  • Une des actions plus spectaculaires est rapportée ainsi par Joseph Wachspress après la guerre : « Sous mon commandement a eu lieu l’exécution de l’agent de la Gestapo Conrad, de Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne) dépisté par notre service spécial. L’exécution a eu lieu un dimanche matin dans le café de la localité. Le café était plein de monde (il y avait même des gendarmes français) et le camarade chargé de l’exécution ne connaissait pas le traître. Il s’avança vers le patron en lui disant avoir un message à remettre à ce monsieur. Le patron indiqua le personnage. Sans hésitation, en vérifiant encore si sa protection était en place, notre camarade remit au traitre sa condamnation, exécuta aussitôt sa mission et se dirigea vers la sortie sans être dérangé par personne. »[8]

Les pièces établies après la Libération, par les chefs de groupements en vue d’obtenir la reconnaissance de leurs formations comme unités combattantes, sont beaucoup plus laconiques mais permettent de reconstituer la chronologie des opérations. L’attaque de Sainte-Livrade est bien répertoriée et datée du « 12/43 ». Le récit de Robert Wachspress correspond aux méthodes employées par les autres groupes FTP-MOI, comme celui de Manouchian.

En faisant le choix d’utiliser la lutte armée comme moyen de s’opposer à la déportation, et alors que les opérations contre les officiers de la Gestapo ou les miliciens s’intensifient, le commandant Robert s’expose de plus en plus à la violence de la répression. Recherché comme résistant par l’occupant, il est arrêté à Agen le 12 mars 1944 les armes à la main.

Joseph Wachspress, un déporté politique

Transféré à Toulouse à la prison Saint-Michel le lendemain, Joseph est atrocement torturé, « en danger de perdre la vue à la suite de ces traitements, malgré cela garde un mutisme absolu afin de ne pas compromettre ses camarades et son organisation »[9].
Pendant l’Occupation, la prison Saint-Michel devient le principal lieu d’enfermement des résistants [10]. La Gestapo utilise trois ailes de la prison, où s’entassent des centaines d’hommes et de femmes arrêtés pour résistance. Ce quartier est surveillé par des soldats allemands. À partir de l’été 1944, les résistants ne restent à Saint-Michel que quelques semaines, ils sont éliminés ou déportés.

Emprisonné le 13 mars, Joseph est déporté le 14 juin 1944 vers le camp de Royallieu à Compiègne, camp de détention de la police allemande. Les archives de ce camp n’ayant pas pu être consultées, on ne sait pas dans quelle partie du camp, Joseph Wachspress est interné, celui des politiques ou des juifs ? Toujours est-il que le 31 juillet 1944, il est sur la liste du convoi 77 à Drancy.

Vues de la prison Saint-Michel

D’après les travaux de l’historien allemand Volker Mall, et ceux de l’association « convoi 77 », l’histoire du dernier grand convoi de déportés de Drancy est mieux connue. Le 31 juillet 1944, il emporte vers le camp d’extermination d’Auschwitz 324 enfants et 986 femmes et hommes, dont Joseph Wachspress, 35 ans.

 

D’après Alexandre Doulut, Serge Klarsfeld et Sandrine Labeau, « Mémorial des 3943 rescapés juifs de France », catalogue de l’exposition Le temps des rafles, Mars 1992 p.90-91. Une seule citation laconique de Joseph Wachspress se rapporte à sa déportation: «l’enfer des camps de concentration».

A partir de son numéro de déporté (B-2933), il semble possible de retracer son itinéraire entre son arrivée à Auschwitz-Birkenau (Pologne) le 3 août 1944 jusqu’à la libération du camp de Dachau (Allemagne) par les Américains le 29 avril 1945. Dès leur arrivée, 836 déportés sont dirigés vers les chambres à gaz, les autres sont sélectionnés pour le travail, 183 femmes et 291 hommes. Au moins 75 hommes, portant les matricules entre B-3675 à B-3955, sont envoyés au camp de concentration du Stutthof, à côté de Dantzig, le 16 octobre 1944. Pour l’instant, il n’est pas possible de savoir si Robert Wachspress a fait partie de ce convoi.
Il est aussi possible qu’il ait été transféré vers le camp de Vaihingen-surl’Enz près de Stuttgart en février 1945, puis évacué vers Dachau en avril. En effet, dans son dossier de déporté, il ne mentionne jamais Auschwitz comme lieu de déportation, mais uniquement Dachau. Dans son témoignage en 1989, il indique qu’il a figuré au nombre des déportés qui ont enduré les marches de la mort, et « il aurait payé de sa personne en sauvant plusieurs déportés » . Par ailleurs, le mémoire [11] pour l’obtention de la médaille de la Résistance appuie son récit, mentionnant que comme « déporté à Dachau, il se signale encore par une conduite exemplaire »[12], sans que l’on puisse en savoir davantage.
Lors de la libération du camp de Dachau le 29 avril 1945, ils ne sont plus que quatre détenus provenant de ce convoi.

Survivants de Dachau après la libération du camp.
Photographie US Holocaust Memorial Museum

Joseph Wachspress, un déporté-résistant décoré

Pour avoir su résister à l’occupant en s’attaquant aux responsables de la déportation des Juifs et des Juives, des résistants et des résistantes, pour avoir « lutté pour la liberté, contre la guerre, le fascisme et l’oppression »[13], Joseph Waschpress reçoit une première reconnaissance de son engagement en obtenant la nationalité française en 1946. Ses
services pour faits de résistance sont également reconnus avec la délivrance de la Médaille de la résistance le 31 mars 1947 [14].
Son action militaire est reconnue par l’obtention de la Croix de Guerre avec citation à l’Ordre de l’Armée le 17 février 1948 [15].
Enfin, il est élevé à la dignité de chevalier de la Légion d’Honneur le 31 mai 1947 « pour services de guerre exceptionnels », obtient le grade d’officier le 25 février 1966 et celui de commandeur le 14 avril 1984 [16].

Photo 1 : Médaille de la Résistance
Photo 2 : Croix de Guerre, avec citation à l’ordre de l’Armée
Photo 3 : Remise de la cravate de Commandeur de la Légion d’honneur à Robert Wachspress (Agen, 1985)

En revanche, l’obtention du titre de déporté-résistant est octroyée le 6 avril 1955, non sans difficulté ! En effet, les responsables des FTP n’ont pas toujours fourni un historique détaillé de leurs unités. C’est le cas de la 35e brigade pour la bonne raison qu’une partie est morte au combat ou en déportation, ou exécutée par les Allemands. Ainsi après une démarche débutée en décembre 1953, Joseph Wachspress reçoit un courrier du Ministère des Anciens Combattants, daté du 15 février 1954, lui demandant
la « production d’une attestation émanant de Monsieur Jean Fouquet, responsable des FTPF de la Haute Garonne, formation FFI à laquelle vous apparteniez et précisant le motif de votre arrestation »[17].

Tout au long de ce parcours, deux personnes s’effacent dans les archives : sa femme et son fils. Après des recherches généalogiques, nous avons pu établir que son fils a été sauvé par Lucienne Deguilhem (1898-1980), secrétaire de mairie, dans une ferme dans le Lot-et-Garonne.
En contactant sa fille puis le comité français pour Yad Vashem, nous avons appris qu’elle avait reçu la distinction de « Juste parmi les Nations » en 2013 à titre posthume. Elle avait caché plus de vingt juifs dont treize enfants, parmi eux : Vladimir et Yaël <[18].

Immigré et juif, il a lutté contre la xénophobie et l’antisémitisme afin de lutter contre la déportation de ses proches, mais il a englobé dans son militantisme politique et son activité de résistant tous ses aspects finalement consécutifs de sa lutte.

Avec ce travail de recherche, qui doit se poursuivre, nous avons fait entrer Joseph, accompagné de Yael, dans notre Panthéon personnel.

Généalogie de Joseph Wachspress

D’après les actes d’état-civil donnés pour la constitution du dossier de déporté résistant,
la publication de l’annonce du décès de Joseph Wachspress dans Le Monde du 16 janvier 1996, p.1, et un article mis en ligne sur internet par « le fils d’un cousin de son père » (publié le 3 mai 2019).

Joseph et Yael Wachspress en 1933.
Photographie publiée sur le site https://ashtoveen.wordpress.com

Annexes

  • Acte de naissance de Joseph Wachspress
  • Dossier d’homologation de grade FFI
  • Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance
  • Résumé chronologique des opérations de la 35e Brigade (extrait)
  • Dossier d’instruction judiciaire contre Claude et Raymond Levy, et
    Jacob Insel mentionnant Joseph Wachspress (décembre 1943)
  • Témoignage de Joseph Wachspress (1975)

Acte de naissance de Joseph Wachspress (Archives d’État à Rzeszów) Numérisé par The Emanuel Ringelblum Jewish Historical Institute

Traduction de l’acte dans le dossier individuel du bureau de Résistance.
(SDH, GR 16P 599998)

Dossier d’homologation de grade FFI
(SHD- GR 16P 599998)

Dossier d’homologation de grade FFI
(SHD- GR 16P 599998)

 

Dossier d’homologation de grade FFI
(SHD- GR 16P 599998)

Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance
Dossier de l’Ordre de la Libération

Résumé chronologique des opérations de la 35e Brigade (extrait)
SHD, GR 19P 31-24

Dossier d’instruction judiciaire contre Claude et Raymond Levy, et
Jacob Insel mentionnant Joseph Wachspress (décembre 1943)
Archives Départementales de la Haute-Garonne, 5795W 610/616

Photographie de Joseph Wacspress, trouvée dans les affaires des frères Levy lors de leur arrestation : utilisée pour faire de faux papiers ?

Témoignage de Joseph Wachspress
Revue Notre Volonté, février 1975
(Mémorial de la Shoah, Fonds de l’UEVACJEA)

Sources

  • [1] Marie Vaislic avec Marion Cocquet, Il n’y aura bientôt plus personne, Grasset, 2024.
  • [2] Jean-Yves Boursier, La guerre de partisans dans le Sud-Ouest de la France, 1942-1944. La 35e brigade FTP-MOI, éd. L’Harmattan, 1992, p.68-70.
  • [3] Joseph Wachspress, « Mon combat dans la 35e Brigade des F.T.P.F », Revue Notre Volonté, février 1975.
  • [4] Archives départementales de la Haute-Garonne, 5795W 610/616, décembre 1943.
  • [5] SHD, 19P 47/19 35e brigade FTP-MOI.
  • [6] Damira Titonel-Asperti, Carmela Maltone, Écrire pour les autres – Mémoires d’une résistante – Les antifascistes italiens en Lot-et-Garonne sous l’occupation, Presses universitaires de Bordeaux, 1999, p. 41.
  • [7] Les deux hommes ont le même pseudonyme, il est parfois difficile de savoir qui est à l’origine d’une opération.
  • [8] Joseph Wachspress, « Mon combat dans la 35e Brigade des F.T.P.F », Revue Notre Volonté, février 1975.
  • [9] Musée de l’ordre de la Libération, dossier Wachspress, mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance.
  • [10] La prison Saint-Michel, un lieu de mémoire au coeur de Toulouse, Publication du Conseil général de haute-Garonne, janvier 2008.
  • [11] Boursier, Idem, p.71.
  • [12] Musée de l’ordre de la Libération, dossier Wachspress, mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance.
  • [13] Dernière phrase de l’article écrit par Joseph Wachspress.
  • [14] Journal officiel, décret du 31 mars 1947.
  • [15] Journal officiel, décret du 17 février 1948.
  • [16] Journal officiel, décrets des 31 mai 1947, 25 février 1966 et 14 avril 1984.
  • [17] SHD 21P 690 366
  • [18] https://yadvashem-france.org/dossier/nom/12532/

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de Terminale du Lycée Simone De Beauvoir à Gragnague (31), sous la direction de leur enseignante Madame Garrigues.

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