Karl GUTMANN (1892–1944)
Cette biographie a été établie par les élèves de deux classes, l’une en France, l’autre en Allemagne, qui ont travaillé à partir des documents du dossier de la DAVCC et celui, déposé aux Archives nationales, de « l’aryanisation » du commerce du couple Achour.
Ce texte est le résultat du travail de Sara, Yasmin, Mia, Anisa et Alina du Goethe Gymnasium Germersheim en Allemagne encadré par Philipp Steul et les élèves de 3ème du Groupe scolaire des Servites de Marie – Collège Saint Louis, Lycée Blanche de Castille de Villemonble encadrés par Tiffany Lobjois.
Karl Gutmann est né en 1892, le 12 ou 16 décembre, à Alzey, en Rhénanie-Palatinat en Allemagne. Il était commerçant.
De confession juive, il a été confronté très tôt à la montée de l’antisémitisme sous le régime nazi. Avant la Seconde Guerre mondiale, il aurait résidé à Lyon, en France, et au moment de son arrestation, en juin 1944[1], il habitait à Paris, à l’hôtel Reynold, avenue du parc Monceau dans le 17e arrondissement.
Persécuté en Allemagne
Karl Gutman s’est marié une première fois à Berlin, dans le quartier de Charlottenburg, le 20 mars 1923, à l’âge de 30 ans. Son épouse s’appelait Rosalie Annie Koller[2].
Il s’est remarié le 1er décembre 1931, à 38 ans, avec Annelise Moser, née à Berlin le 1er novembre 1905[3], qui fut plus tard déportée par le convoi 34. Le mariage eut lieu à Berlin-Wilmersdorf, où Karl vivait.
Durant les années de persécution, Karl Gutmann a été identifié comme juif et interné une première fois au camp de travail de Sachsenhausen du 30 novembre 1938 au 18 janvier 1939, selon un dossier de la Croix-Rouge. Il fut arrêté là-bas pendant une courte période mais devait être libéré le 20 décembre 1938[4].
Ce genre d’arrestation était connu sous le nom de Schutzhaft (détention préventive).[5] C’était une méthode utilisée par le régime nazi pour contrôler ses opposants. Le prétexte était la prévention de crimes, mais en réalité, les personnes emprisonnées n’étaient souvent pas des criminels, simplement des individus qui ne correspondaient pas aux attentes de la société nazie : Juifs, opposants politiques, Sinti et Roms.
France, terre d’Asile ?
Comme de nombreux Juifs allemands, Karl Gutmann a cru trouver un refuge en France. Au début de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, la majorité des Juifs allemands avaient déjà fui vers d’autres pays. Entre 1939 et 1941, les Juifs furent dépossédés de leurs biens et souvent aussi de leur emploi. La vie en Allemagne devenait de plus en plus difficile. Puis, en 1941, le gouvernement se radicalisa davantage, et tous les Juifs furent obligés de porter l’étoile jaune. Les premières déportations commencèrent alors.
On ne sait pas quand Kurt est entré en France et avec quel statut, mais son épouse Anneliese a une fiche à la Sûreté de Paris qui date de 1937[6]. Sont-ils arrivés ensemble ?
Avant la guerre, il aurait résidé 5, rue de la Fromagerie à Lyon, selon Marthe Kann, qui vit en janvier 1947 à Cahors. La mère de Kurt, Madame Babette Gutmann, née Kahn, qui habitait alors aux États-Unis, au 5405 Ingelside Avenue, à Chicago (Illinois) l’a chargée de faire des recherches sur son fils. Celle-ci a reçu de ses nouvelles pour la dernière fois le 14 septembre 1942. Mais une lettre qu’elle lui adressa en août 1942 lui fut retournée en janvier 1943 avec la mention opened by examiner (ouverte), ce qui témoigne de la surveillance du courrier international en temps de guerre. Le courrier de Marthe Kann, qu’elle a chargée de faire des recherches pour elle, évoque le fait que Karl Gutmann se serait réfugié à Cannes, dans le sud de la France, pour échapper aux Allemands, après la fin de la zone « sud » sous contrôle de Vichy. On lui aurait dit qu’il serait tombé malade et serait mort. Toutefois, d’autres sources indiquent qu’il s’est installé à Paris.
Son épouse, Anneliese Gutman[7] est déportée par le convoi 34 du 18 septembre 1942. Sa fiche Drancy indique qu’elle demeurait 14, rue Buffet, à Paris. Tristement, son nom avait été barré de la liste, puis une mention « bon » a été ajoutée pour signifier sa déportation[8]. La date officielle de son décès est le 23 septembre.
La dernière résidence de Karl, où il a été arrêté plus tard, en juin 1944 est 6, avenue du Parc Monceau, au chic hôtel Reynolds.
Arrestation et déportation
A la suite de son arrestation, Karl est interné le 6 juin au camp de Drancy sous le matricule 23.680. Il dépose une forte somme à son arrivée au camp : 56.421 francs et un petit album de timbres de collection. Il est seul : sa fiche ne mentionne pas qu’il est lié à quelqu’un qui arriverait avec lui.
Drancy était un camp de transit vers Auschwitz, destiné aux Juifs qui affluaient par train de toute la France pour y être prisonniers puis déportés. Ce camp, qui était une cité ouvrière (La cité de la Muette) dont la construction n’avait pas été terminée, était situé près de Paris. Les conditions de vie y étaient extrêmement dures : manque de nourriture, de médicaments, d’hygiène de base. Le camp était surpeuplé, les maladies se propageaient rapidement, et les prisonniers vivaient dans des conditions physiques et morales très difficiles. Drancy fut libéré le 18 août 1944. Mais Karl Gutmann n’a pas vu cette libération. Il a déporté à Auschwitz le 31 juillet 1944, par le convoi dit « 77 » alors que les Alliés approchaient de Paris.
Ce dernier grand convoi parti de la gare de Bobigny a emporté 1306 personnes, dont un nourrisson de 15 jours, né au camp, et des vieillards de plus de 80 ans. Ils venaient de toute la France et étaient originaires de différents pays d’Europe, d’Algérie, de Turquie ou encore de Grèce. Les enfants et adolescents pris en charge par les maisons d’enfants de la région parisienne de l’UGIF, un organisme créé par les nazis et le gouvernement collaborationniste de Philippe Pétain, avaient été raflés quelques jours plus tôt et ont été déportés également. De nombreux résistants avaient été extraits de la prison de Fresnes pour être adjoints à cet ultime grand « transport ». Les résistants juifs, sauf ceux qui furent fusillés, étaient pour la plupart déportés comme juifs et non comme résistants.
La trace de Karl Gutman se perd après le départ du train de Bobigny. Voyageant sans famille, il était intégré à un des wagons de « célibataires », les wagons où les nazis enfermaient les hommes seuls pour mieux les contrôler. Karl faisait-il partie du wagon dont les occupants ont tenté de s’évader ? Certainement dénoncés, ils ont été repérés en cours de transport par les soldats allemands, enfermés dans un « wagon prison » en tête du train, entièrement nus, laissés sans eau ni nourriture jusqu’à l’arrivée à Auschwitz où ils ont été immédiatement conduits vers les chambres à gaz. Ou bien, en raison de son âge, Karl n’a-t-il pas été sélectionné pour entrer travailler dans le camp d’Auschwitz et désigné pour le même sort que ceux qui avaient tenté l’évasion ?
Des recherches après la guerre
La mère de Karl tenta de retrouver sa trace. Outre la demande de renseignements concernant son sort formulée par Marthe Kann, domiciliée au ,28 boulevard Gambetta, à Cahors, probablement une parente, la mère de Karl étant née Kahn, Karl Gutmann est également mentionné dans un courrier de 1956 de l’URO (United Restitution Office), basée 19 rue de Téhéran à Paris 8e et à Berlin-Wilmersdorf, organisation venant en aide aux victimes du nazisme et à leurs familles après la guerre, notamment pour la restitution de biens spoliés. F. Herzfelder, directeur de l’UNRO, fait des recherches[9].
En janvier 1947, le Bureau de l’état civil des déportés de Paris remit à sa mère Mme Babette Gutmann résidant à Chicago, des informations concernant Karl Gutmann : sa date de naissance, sa dernière adresse et la date de sa déportation[10]. Aucun autre détail sur sa mort ne fut communiqué.
Le destin de Karl Gutmann, comme celui de tant d’autres, demeure marqué par des zones d’ombre, mais témoigne avec force de la violence des persécutions subies par les Juifs d’Europe durant la Shoah.
L’hôtel Reynolds, qui fut la dernière adresse de Karl Gutmann.
Notes & références
[1] GUTMANN Karl, SHD de Caen, DAVCC, dossier 21P 460710
[2] tmp_1751021312589 (ancestry.de)
[3] tmp_1751021780596 (ancestry.de)
[4] IST. KLSachsenhausen 30-11-1938 – 18 -1 -1939. Lagger Orienburg.
[5] GUTMANN Karl, SHD de Caen, DAVCC, dossier 21P 460710
[6] Fichier de Moscou, Archives nationales, cote : 19940462/526, dossier 51640.
[7] Anneliese MOSER est la fille d’Ernest et Gertrude (née Hoffmannn); elle avait une soeur Edith, née en 1907. Son milieu social était la haute bourgeoisie juive. https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn597298?rsc=204886&cv=4&x=2206&y=2313&z=1.6e-4
[8] Mémorial de la Shoah, fiche GUTMAN (avec un seul N) Aneliese
[9] Le nom de Herzfelder apparaît comme étant celui de Sonja, épouse de Karl Max Gutmann, né dans le Palatinat en 1897. Sont-ils de la même famille que notre Karl ?
[10] GUTMANN Karl, SHD de Caen, DAVCC, dossier 21P 460710.