Monique GRINBERG

1942-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Monique GRINBERG

Portrait de Monique Grinberg, 1944 (?) © Yad Vashem

La petite Monique Eliane est née le 23 avril 1942 à l’hôpital Bichat, tout près de l’appartement familial rue Charles-Lauth, près de la porte d’Aubervilliers, dans le 18e arrondissement de Paris. Ce « bébé de la réconciliation » n’avait que 2 ans lorsqu’elle fut déportée.

Nous avons pu retracer sa courte vie grâce aux nombreux documents à notre disposition. Pour cette biographie, nous avons réalisé de nombreuses cartes qui constituent un « Atlas de la famille Grinberg » et nous avons également enregistré une série de podcasts sous la forme d’un reportage. Vous les trouverez intégrés au fur et à mesure de la biographie de Monique.

Vous pouvez suivre ce lien vers l’Atlas.

 

Une famille d’immigrés venue d’Europe de l’Est

Son père, Shil Grinberg était né le 16 janvier 1904 à Bar (Vinnitsa) dans l’Empire russe (en Ukraine aujourd’hui, près de la frontière roumaine) mais, semble-t-il, il a grandi un peu plus au sud à Secureni en Bessarabie, aujourd’hui la Moldavie.  Shil  était brocanteur au marché aux puces de Saint-Ouen (puis chauffeur-livreur, mais peut-être seulement en 1941).

La mère de Monique, née Esther Gittel Spatz (ou Schlank ou Shank) le 16 décembre 1902 à Siedlanka, un faubourg de Lezajsk en Pologne (alors empire austro-hongrois), petite ville à une cinquantaine de km au nord-est de Rzeszow. La mère d’Esther, donc la grand-mère de Monique, était Hinde Spatz (et son père Zolme Schank). La famille d’Esther a tenté de faire partir tous ses enfants « vers l’Amérique » pour éviter la misère et surtout les pogroms. De plus, sa ville natale, Lezajsk, a été la cible de combats entre Russes et Austro-Hongrois entre novembre 1914 et mai 1915 ce qui n’incitait pas à y rester.

Ci-dessous, carte retraçant les chemins de l’exil pour les parents de Monique.

Les parents de Monique se sont rencontrés en France en 1922 ou 23. Il arrivait de Bessarabie ou Moldavie, elle arrivait de Pologne, ils n’avaient pas 20 ans et ils étaient en route l’un et l’autre pour émigrer vers l’Amérique (Esther avait une sœur à Brooklyn)… ce qui ne les a pas empêchés de rester à Paris. Ils se rencontrent dans un « asile » pour réfugiés, rue Lamarck à Montmartre, puis ils sont allés vivre ensemble dans le quartier des puces de Saint-Ouen où se regroupaient de nombreux Juifs venus de l’Est de l’Europe. Ensemble, ils ne parlaient que yiddish — même si Monique n’a vécu que deux ans, même si sa sour et son frère lui parlaient en français, elle a sûrement eu cette langue dans les oreilles, quand sa maman se lamentait « Oy vay ! Vout vet vern fin indz ? » — Oh la la ! que va-t-il advenir de nous ? Peut-être Monique a-t-elle ses premiers mots en yiddish « A git your » — pour dire bonjour autour d’elle, et « Naan » parce que tous les petits enfants disent « non » mais aussi « A dank » parce qu’on lui a appris à dire merci.

Ils avaient été naturalisés français le 4 décembre 1933 et donc leurs enfants aussi étaient français — mais ils seront dénaturalisés en 1943 : Monique n’a légalement plus aucun droit.

Une famille nombreuse

Au moment où la petite septième de la famille naît, les Grinberg ont depuis longtemps quitté la « zone » à proximité du marché aux Puces de Saint-Ouen. La famille s’est installée dans un appartement neuf, dans les HBM au 18, rue Charles-Lauth, porte d’Aubervilliers, dans le nord de Paris : c’est le seul lieu de vie que va connaître Monique, jusqu’à l’arrestation et la déportation (voir la carte ci-dessous).

Mais Monique, fruit de la réconciliation de son père et de sa mère, un temps séparé en raison de l’infidélité de Shil, n’a connu ni son père ni ses frères et sœurs, hormis Renée et Maurice, restés à Paris quand les plus jeunes étaient cachés à la campagne, grâce à l’aide du réseau des Sœurs de Sion.

La famille avait été évacuée en 1939 : une famille nombreuse, de tous jeunes enfants, leur mère enceinte. De ce fait, en janvier 1940, Là, Esther avait accouché de Daniel en janvier 1940 à Saint-Nazaire. De retour à Paris, la famille vit une situation de plus en plus difficile. La famille bat de l’aile pour une autre raison : les parents se séparent un temps à cause de l’infidélité de Shil, avant de se réconcilier… comme le montre la naissance de Monique. Celle-ci est la septième enfant de la famille, sa sœur Rivbaka, qu’on appelle Renée, a alors 17 ans, Maurice a 15 ans, Jeannette 12, Berthe 9 et Simone 7. Le plus jeune, Daniel n’a quant à lui que 2 ans : il va donc y avoir alors deux bébés dans la maison.

Le père de Monique, raflé, disparaît avant sa naissance

En août 1941, bien avant la naissance de Monique, le père de famille a été arrêté lors d’une des premières grandes rafles de Juifs à Paris et sa banlieue proche. Il se trouvait alors dans un restaurant fréquenté par des brocanteurs juifs. Il eut le triste privilège d’être parmi les premiers (mais ils étaient quand même plus de 400) à inaugurer le camp de Drancy comme un camp de transit pour les Juifs devant être déportés « à l’Est ».

Shil est détenu dix mois à Drancy : la famille ne peut ignorer ce qui s’y passe et donc ce qui les attend. Shil. A moins qu’Esther la lui a montrée de loin, Shil n’a donc jamais vu sa fille — et la petite Monique n’a pas connu son père. Mais comme on ne sait rien alors du destin de Shil, son décès n’est pas mentionné sur l’acte de naissance de la fillette.

On cache les plus jeunes enfants de la famille… sauf Monique

De la petite Monique, on ne sait rien, sinon que sa mère a tenté une fois de la placer à la campagne, mais n’a pas eu le cœur de se séparer d’elle. Fin mai ou début juin 1944, juste avant le débarquement en Normandie, sa grande sœur Renée a de nouveau tenté l’expérience, partie seule avec la petite sous le bras, Esther risquant d’attirer des ennuis avec son accent yiddish. Mais, Renée n’a pas réussi non plus à abandonner sa mignonne sœur, « qui n’était encore qu’un bébé ». (voir la biographie d’Esther et de Renée)

Cette langue yiddish, Monique l’a-t-elle entendue ? Forcément, sa mère ne parlait pas vraiment le français, et même si sa sœur Renée et son frère Maurice lui parlaient en français, elle a sûrement eu cette langue dans les oreilles quand sa mère se lamentait en yiddish pour que les enfants ne les comprennent pas (mais les enfants comprennent toujours quand il s’agit de leur sort). « Oy vay ! Vous vet vern fin indz ? » avait pu répéter Esther, cette phrase que Monique a dû entendre bien souvent, « Oh la la ! Que va-t-il advenir de nous ? » Mais Monique, née trop tard, n’a pas pu entendre la discussion entre ses parents, Shil et Esther, de ce qu’il fallait faire pour les enfants ? Les mettre à l’abri ? Les cacher ? « Vous tit mit di kindas ? Zoln mir zey yo avekshikn ahin ? Ofn dorf ? » Les envoyer à la campagne ?

Ses parents et ses frères et sœurs (comme elle, tous nés en France), étaient de nationalité française, naturalisés le 4 décembre 1933. C’était important pour faire sa vie en France… et c’est censé être un faible avantage quand on est Juif en ces temps d’antisémitisme d’État, après juin 1940. Un avantage qui a pris fin quand le maréchal Pétain a donné son aval à une politique de dénaturalisation. En 1943, Esther et ses enfants perdent la nationalité française. Monique est donc née sans nationalité.

Jeannette, Berthe, Simone et Daniel, les plus jeunes enfants — mais pas Monique, tout bébé encore — seront cachés en Bretagne à partir de 1943 avec l’assistance du père Deveaux de la communauté Notre-Dame de Sion.

Ce sont deux sœurs qui vont les accueillir à Amanlis, près de Rennes. Deux jeunes filles, pupilles de l’Assistance publique, avaient décidé en 1943 de fonder à Janzé un foyer d’accueil pour enfants abandonnés. Elles y accueillent six enfants de la région parisienne, confiés par les religieuses de Notre-Dame de Sion et convoyés par une assistante sociale qui les informe qu’il s’agit d’enfants juifs dont les parents avaient été déportés et qu’ils n’avaient pas de cartes d’alimentation. A la fin de l’année 1943, le refuge est transféré à Amanlis. Ils seront aidés et ravitaillés par un réseau local de solidarité : des agriculteurs, un boulanger et Les Docks du Ménage, une entreprise de Rennes. Jeannette, Berthe, Simon et Daniel Grinberg ont été placés dans deux familles du village. Ils furent amenés par leur sœur ainée Renée car leur mère, Esther, avait un trop fort accent polonais pour circuler discrètement. Ils ont été sauvés, comme tous les enfants cachés dans ce village et Renée viendra les chercher après son retour de camp, en mai juin 1945.

Mais ni Renée ni sa mère n’ont eu la force de laisser à Amanlis la petite Monique, en 1943 et encore une fois fin mai ou début juin 1944, juste avant le débarquement en Normandie : ce n’était vraiment encore qu’un bébé !

Arrêtée et déportée à son tour, avec sa mère, l’aîné de ses frères et la plus âgée de ses sœurs

Esther et trois de ses enfants, Renée, Maurice et Monique, sont arrêtés à une heure du matin le 8 juillet 1944, chez eux, par « la Gestapo de Drancy », au prétexte d’une vérification d’identité. Des voisins et amis, comme les Blumberg, sont arrêtés en même temps qu’eux.

Ils sont tous emmenés immédiatement au camp de Drancy, dans la banlieue nord de Paris. Ils y reçoivent un matricule. Malgré son jeune âge, Monique reçoit également le sien : 24.946.

Les quatre Grinberg et leurs voisins arrêtés la même nuit vont être détenus dans ce camp inconfortable et sans hygiène jusqu’au départ pour Auschwitz par le convoi 77, le 31 juillet 1944.

Les déportés sont enfermés à 60 dans des wagons à bestiaux. Alors que les enfants des maisons de l’UGIF, qui ont été raflés par Aloïs Brunner, le commandant de Drancy, sont regroupés dans des wagons avec un peu de nourriture, Monique est avec sa mère, son frère et sa sœur dans un banal wagon, sans air, ni eau (un seau pour 60 personnes, alors qu’avant même de partir, le train est resté en plein soleil toute la matinée !) La fillette est terrorisée. D’après Renée, pendant les trois jours de cet effroyable trajet vers Auschwitz, Maurice essaie d’organiser au mieux l’installation de sa mère et de ses sœurs dans le wagon ainsi que le partage de l’eau. Quand il peut, il soulage sa mère en prenant la petite Monique dans ses bras mais celle-ci, affolée, reste agrippée à sa mère.

Elle a été gazée dès l’arrivée à Birkenau, comme tous les enfants et leurs mères. Dans les bras de sa mère, sans doute. Elle avait 27 mois.

Morte pour la France

Quand elle rentrée de déportation, seule survivante, Renée a retrouvé dans l’appartement familial à peine vandalisé la petite chaussure qui avait glissé du pied de Monique alors que la famille, réveillée en pleine nuit, devait se hâter de descendre dans la cour avant d’être embarquée dans une camionnette.

Renée, qui s’en est toujours voulue de ne pas avoir laissé Monique en pension en Bretagne dans le village si accueillant qui cachait ses autres frères et sœurs, a dû faire les démarches pour faire reconnaître le décès de sa jeune sœur en déportation. Son amie Simone Benhamu, arrêtée la même nuit qu’elle et avec laquelle elle a fait tout son parcours de déportation jusqu’au retour, a dû attester de la déportation de Monique, de même que sa voisine Léone Blumberg, épouse Ribault, également arrêtée cette nuit du 8 juillet 1944.

L’acte de disparition de Monique a été dressé le 9 août 1952, huit ans après sa mort. Elle reçoit le statut de déporté politique (un terme qui veut dire « racial »). Elle est déclarée de nationalité française, les dénaturalisations ayant été abolies. Elle peut ainsi voir portée la mention « Mort pour la France » sur son acte de décès.

Sa sœur Jeannette autorise Renée à toucher la compensation pour l’arrestation, l’incarcération en France à Drancy et la mort en déportation, dite le « pécule » – la somme dérisoire de 1200 (anciens) francs – à sa place.

Sources

  • Le dossier du DAVCC de Monique Grinberg et les dossiers du DAVCC des autres membres de sa famille (Shil, Esther, Rivbaka et Maurice) ;
  • Le dossier de naturalisation de Shil et Esther Grinberg ;
  • Les fiches des différents membres de la famille élargie sur le site de Yad Vashem ;
  • Le témoignage de sa sœur, Renée Nedjar née Grinberg, enregistrée en 2006 par Jérémy Nedjar.

Remerciements

Nos remerciements vont au fils de Renée Nedjar, Alain, et à ses neveux, Jacques Nedjar et Olivier Szlos pour leurs récits et les documents précieux encore en leur possession  qui ont enrichi ce travail ; à David Choukroun qui nous a aidé à retrouver la famille de Renée Nedjar, la fille d’Esther, qui nous a fourni le dossier de naturalisation de Shil et Esther Grinberg et qui nous a guidé dans nos recherches.

Merci également à Claire Stanislawski au Mémorial de la Shoah à Paris et aux conférencières du Mémorial à Drancy ; merci à Charlène Ordonneau des Archives municipales de la ville de Saint-Ouen qui nous a permis d’explorer les archives de la « zone » et du marché aux Puces, merci à Macha Fogel de la Maison de la culture yiddish pour nous avoir donné une brève leçon de yiddish.

Merci enfin à Laurence Klejman pour sa relecture et pour la richesse des informations qu’elle nous a apportées en complément : elles font de ces biographies les plus détaillées qu’on puisse souhaiter. Contrairement à nous, elle a connu Renée et ses échanges avec elle lui ont permis d’en savoir plus, en particulier sur Monique.

Ce travail a été mené conjointement par la classe de 3ème A du collège J.B. Poquelin à Paris, sous la conduite de leur professeure d’histoire-géographie, Camille Lambin et par un groupe d’élèves volontaires de 3ème du collège Pierre Alviset, à Paris également, guidés par leur professeure d’histoire-géographie, Stéphanie Duthé, et leur professeure d’allemand, Christine Tallon-Gascuel. Nous devons aux élèves de Camille Lambin les cartes qui ont illustré cette biographie, et à ceux de Stéphanie Duthé les podcasts. Ils ont tous bénéficié des conseils et de l’expérience de Catherine Darley, professeure d’histoire-géographie.

Contributeur(s)

Ce travail a été mené conjointement par la classe de 3ème A du collège J.B. Poquelin à Paris, sous la conduite de leur professeure d'histoire-géographie, Camille Lambin et par un groupe d'élèves volontaires de 3ème du collège Pierre Alviset, à Paris également, guidés par leur professeure d'histoire-géographie, Stéphanie Duthé, et leur professeure d'allemand, Christine Tallon-Gascuel. Nous devons aux élèves de Camille Lambin les cartes qui ont illustré cette biographie, et à ceux de Stéphanie Duthé les podcasts. Ils ont tous bénéficié des conseils et de l'expérience de Catherine Darley, professeure d'histoire-géographie.

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