Luna MORDO
Cette biographie de Luna MORDO, née ESKENAZY est copiée sur celle de son mari, Avram.
Avram MORDO, mon grand père est né le 24/11/1880 à Smyrne (l’actuelle Izmir) dans l’ancien Empire Ottoman.
En 1908 à Smyrne il se fiance avec Luna ESKENAZY ma grand-mère, également smyrniote et née le 19/10/1881.
Pour les juifs la vie n’est pas facile à Smyrne en ce début de XX siècle, en général car les agressions antisémitismes sont fréquentes, les juifs sont accusés de crimes rituels, et pour lui en particulier.
Il est maroquinier, sa situation financière n’est pas brillante. Son cousin BENJACAR nouvellement émigré en France et l’avait informé du bon accueil fait aux juifs à cette époque et de la possibilité d’y travailler. Il décide donc de partir pour la France « en éclaireur » et de s’installer à Lyon. Il devient vendeur itinérant dans les communes de la banlieue lyonnaise, part en car ou en vélo tous les matins avec son « éventail » et va vendre des boutons et des objets variés.
Un an après son arrivée à Lyon il demande à sa fiancée de venir le rejoindre. A cette époque c’est une véritable aventure pour une jeune fille de faire un tel voyage. Elle arrive donc à Lyon avec une dizaine d’autres jeunes filles venues en France pour trouver un mari ou retrouver un fiancé. Elle est hébergée par la famille Counio 67 quai Pierre Scize à Lyon 5°.
Ils se marient le 22/11/1910 à Lyon à la marie du 5° arrondissement et s’installent 55 quai Pierre Scize.
Mon grand père achète une boutique, et exerce le métier de cordonnier au 32 rue Montesquieu, dans le quartier de la Guillotière où résident de nombreux juifs immigrés en provenance de Turquie, de Grèce ou d’Europe de l’Est. Ils sont souvent commerçants dans le textile et le prêt à porter.
En 1912 nait leur premier enfant Alexandre Emmanuel, mon père. Ils auront ensuite deux filles : Mathilde en 1914 et Judith en 1916.
En 1920, ils accueillent dans leur foyer la grand-mère Mazeltov MORDO. Elle vivait avec son fils Moïse à Smyrne, mais ce dernier, accompagné de sa famille et de sa sœur Berhora, avait choisi d’aller s’installer en Argentine où vivent toujours leurs descendances et ils laissent la grand-mère déjà âgée, en Europe. Elle vivra jusqu’en janvier 1944 et sera enterrée à l’âge de 96 ans au cimetière de La Mouche à Lyon.
Ils ont une vie familiale agréable entourés d’amis, tout le monde travaille, ils parlant le ladino, sont solidaires, se reçoivent mutuellement et marient leurs enfants entre familles d’origine turque .
Avram MORDO et d’autres « turquinos » fondent en 1919 la « Communauté des Israélites Sépharades de Lyon » de rite espagnol. La première synagogue se situe rue du Gourguillon puis est déplacée rue des Trois Rois et enfin rue Montesquieu. Cette communauté est à l’origine de la synagogue Neve Shalom toujours en activité à Lyon.
La famille déménage pour se rapprocher de la boutique et s’installe toujours dans le quartier de la Guillotière, 13 rue Passet.
Avram et Luna Mordo demandent et obtiennent la nationalité française le 01/10/1927.
Pendant la guerre mon grand père continue à travailler dans sa cordonnerie située à cette époque 106 rue Moncey, Lyon 3°. C’est un philosophe qui a pris pour habitude de fermer sa boutique et de rentrer chez lui quand il a encaissé la somme qu’il considère comme suffisante pour la journée quelle que soit l’heure et au contraire est capable de rester très tard au travail quand il n’a pas atteint la somme fixée, ce qui a le pouvoir d’exaspérer son épouse.
C’est ainsi que vers 11 heures le 18 juillet 1944, il se trouve dans sa boutique en compagnie son ami Nissim Meyohass, tous deux s’apprêtent à sortir quand un véhicule « Citroën traction » s’arrête devant la boutique, trois agents de la gestapo en sortent et font irruption dans la cordonnerie pour les arrêter (témoignage du propriétaire du café d’en face). Après l’arrestation il est contraint d’aller chercher ma grand mère à leur domicile. Un témoignage de leur voisine a été recueilli plus de soixante ans après les faits. Ce témoin âgée alors de 95 ans a décrit la violence extrême de l’arrestation de ma grand-mère à laquelle elle avait assisté de sa fenêtre. Ma grand-mère, malvoyante a été bousculée, frappée, jetée à terre puis a du monter dans le fourgon au milieu des cris vers 12h30. Elle avait pris soin d’emporter son coffret à bijoux !
Sans le savoir, elle a sauvé la vie de ma mère qui était venue la voir. Une demi heure avant l’arrivée de la gestapo elle lui a demandé de partir rapidement sans aucun motif. Ma mère avait été surprise et un peu vexée…. Hasard, prémonition ?
Mes grands parents Luna et Avram Mordo ainsi que Nissim Meyoass sont internés au Fort de Montluc du 18 au 23/07/1944 lieu de détention des personnes Juives arrêtées à Lyon.
De Montluc ils sont transférés à Drancy le 23 juillet 1944. La fiche 6914 de Drancy datée du 24 juillet note que mon grand père était en possession de la somme de 16 685 francs (ponctionnée de 3.000 Frs…) et d’une montre homme en or, et celle de ma grand-mère, n° 6937, qu’elle avait 1.000 Frs mais rien sur les bijoux…
Ils ont été déportés dans le convoi 77 qui a quitté la gare de Bobigny le 31 juillet 1944, dans le dernier convoi…..sélectionnés pour être gazés dès leur arrivée à Auschwitz le 04/08/1944.
Ce que je sais de mes grands parents tient en deux pages et quelques photos jaunies…. Mes parents ont peu et tardivement parlé, portant jusqu’à leur mort une profonde blessure béante.
Petites filles de victimes de la shoah mes sœurs et moi avons été privées de nos grands parents, de l’histoire de nos ancêtres et portons le poids de leur douleur mais avons la volonté de garder et transmettre leur mémoire.
Paris, 15/02/2016
In memoriam. N’ oublions jamais.