Daniel NAIMAN
Résister à la déportation en France et en Europe
Session 2023-2024 du Concours National de la Résistance et de la Déportation.
Recherches prosopographiques : éléments biographiques concernant Camille Meyer et Daniel Naiman, déportés du Convoi 77.
Dans Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France [1], Serge Klarsfeld écrit à propos du convoi N°77: » Le nombre des déportés était de 1300. Ce convoi 77 (…) entraîne vers les chambres à gaz d’Auschwitz plus de 300 enfants de moins de 18 ans. (…) 291 hommes furent sélectionnés avec les matricules B 3673 àB 3963; de même pour 283 femmes (A 16457 à A 16739). Il y avait en 1945 209 survivants dont 141 femmes ».
« Et leurs noms survivront à jamais » (Isaïe, Bible, 56 V)
Table des matières
- Introduction
- Le projet européen Convoi 77
- L’UGIF
- La rafle de la rue Vauquelin
- Daniel Naiman
- Annexe
- Bibliographie
Propos liminaire
A propos de Camille Meyer et de Daniel Naiman, déportés dans le Convoi 77 : il existe de nombreux éléments sur la vie de M. Naiman. En revanche, les données sur la vie de Mme Meyer sont très lacunaires. Les recherches ont néanmoins permis de dessiner quelques éléments de son existence.
La demande a été faite sur arolsen.org : des éléments ont été communiqués sur M Naiman, en revanche, les archives Arolsen ne disposent pas d’information sur Mme Camille Meyer née Belaich. Seules des bribes d’information ont en effet pu être trouvées à son propos sur d’autres sites de recherche.
Pour mener le travail de mémoire sur Camille Meyer et Daniel Naiman, il faut rappeler les travaux réalisés dans le cadre du projet européen Convoi 77. Il convient aussi de rappeler le contexte dans lequel Mme Meyer se trouve à l’UGIF, rue Vauquelin, et la rafle qui s’y produit.
Introduction
Les deux biographies que nous écrivons portent sur deux déportés français. Elles sont écrites dans le but de contribuer aux travaux de l’Association Convoi 77, projet européen, qui consiste à regrouper les biographies de chaque déporté du convoi.
Survivre c’est aussi résister, il y a plusieurs formes de résistance et tout le monde ne le fait pas de la même manière. De nombreux déportés ayant survécu n’ont pas pu en parler avant des années, soit par difficulté d’évoquer l’indicible, par la volonté de vivre un semblant de vie normale de nouveau, soit par manque de « public », la réalité de la déportation et des camps n’étant que très progressivement connue. La France a longtemps vécu sur l’idée d’une inexistence juridique du régime de Vichy. La thèse qui dominait était que la République avait été exportée à Alger et Londres. C’est ce que signifient les ordonnances de rétablissements de la légalité républicaine adoptées dès 1944 [2]. Le président Chirac reconnaît l’existence juridique du régime de Vichy en 1995, ouvrant la voie à une nouvelle étape dans la mémoire des Résistants et des Déportés. Par exemple, le Conseil d’Etat, juge administratif suprême pourra ainsi reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la déportation et la spoliation et ouvrir la voie à des indemnisations des victimes et ayant-droits.
Poursuivre des recherches aujourd’hui sur des Résistants est une forme de résistance à l’oubli, permet de conserver leur mémoire. Les derniers rescapés sont peu nombreux à être encore vivants et les générations suivantes se doivent de désormais reprendre le flambeau, pour que ces vies brisées ne soient jamais oubliées.
C’est un devoir pour les générations d’aujourd’hui et de demain de se souvenir de leur existence, car peu de témoignages écrits permettent d’assurer la transmission de la mémoire. La date du 24 avril est celle de la commémoration des victimes de la déportation. C’est une manière d’avoir un rendez vous régulier contre l’oubli.
Il existe des récits racontant le quotidien d’un médecin et de sa femme infirmière, dans la déportation et précisément à Auschwitz. Il en est ainsi du livre d’Eddy de Wind, « Terminus Auschwitz ». Cet ouvrage est l’un des rares à avoir été écrit dans les camps, directement, sans laisser au temps la possibilité d’altérer la mémoire. Ce livre a été publié à plusieurs reprises, une première fois, avec seulement très peu d’édition, en 1946, aux Pays Bas, son pays d’origine. Après l’échec de cette première tentative d’édition, le livre est tombé dans l’oubli . Il a été publié en 2020, en France. Il faut aussi citer Claude Lanzmann qui réalise Shoah, en 1985, un film documentaire de 10 heures expliquant le génocide des Juifs et s’appuyant sur des témoignages et des prises de vue sur les lieux du génocide.
Les livres et films ont un grand rôle dans la résistance, ils ont été écrits par les survivants ou leurs enfants. Survivre c’est résister, en écrivant des livres ils informent, et luttent contre les risques de négationnisme.
Il existe aujourd’hui de nombreux lieux de Mémoire de la déportation et de la Résistance en France et en Europe. Dès les années 1950, l’initiative de la construction d’un Mémorial est prise par l’association « Réseau du souvenir » fondée en 1952 par l’avocat et résistant rescapé du camp de Mathausen, Paul Arrighi, et d’Annette Lazard, veuve d’un déporté mort à Auschwitz. Le Mémorial est inauguré dans le 4e arrondissement de Paris en 1962 par le président De Gaulle [3]. Depuis, de nombreux mémoriaux et lieux d’études ont été construits, notamment le Mémorial de la Shoah, inauguré en 2005, rue Geoffroy Lasnier. Le 12 mars 2024, le Mémorial de Paris et la ville de Nice ont décidé de la création d’un musée du Mémorial dans cette ville.
A l’échelle européenne, des actions ponctuelles sont aussi menées pour perpétuer la mémoire de la Résistance et de la Déportation. Par exemple, le Parlement européen mène des travaux sur la Mémoire de l’Holocauste [4] ; dès 1995, il adopte des résolutions rappelant le devoir de mémoire non seulement par des commémorations, mais aussi grâce à l’éducation. En novembre 2018, l’Union européenne devint un partenaire international permanent de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH). Sur le plan juridique, le Digital service act, adopté en 2022, permet de lutter contre la haine en ligne et, notamment les formes de négationnisme.
Des réflexions sont en cours pour créer un “monument européen” à Bruxelles [5], qui cristalliserait l’émergence de cette nouvelle forme de mémoire de la Shoah, encore en construction, commune à l’ensemble du continent.
Le projet européen Convoi 77
Ce projet européen [6] propose un travail de mémoire et de recherches pour constituer des recueils de biographie de personnes juives déportées pendant la 2e Guerre mondiale.
Le Convoi numéro 77 du 31 juillet 1944 est le dernier grand convoi de déportation de Juifs parti du camp d’internement de Drancy pour la gare de Bobigny et à destination du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau.
Le Convoi 77 est parti du camp de Drancy, le 31 juillet 1944. Il a déporté 1 309 personnes, dont 324 enfants et bébés, entassées dans des wagons à bestiaux.
Il est arrivé dans la nuit du 3 août et la « sélection » est immédiatement pratiquée. La date officielle retenue pour la mort des déportés qui ne sont pas entrés dans le camp de concentration pour le travail est celle du 5 août 1944.
À la fin de la guerre, le 9 mai 1945, seuls 251 déportés de ce convoi ont survécu ; 847 ont été assassinés dans les chambres à gaz dès leur arrivée.
Aloïs Brunner, le commandant du camp de Drancy, pressé par l’avancée des troupes alliées depuis le débarquement du 6 juin 1944 et aidé par la confusion qu’entraîne l’attentat raté contre Hitler le 20 juillet, en profite pour poursuivre jusqu’au bout sa folie meurtrière. Il tient à ne laisser aucun enfant juif derrière lui et procède à des rafles là où il est sûr de trouver les enfants : dans les maisons d’enfants et les hommes de l’Union générale des israélites de France (UGIF) de la région parisienne, ou ceux dans lesquels elle les avait placés, et qui n’avaient pas dispersé les orphelins ou enfants isolés dont l’organisation avait officiellement la garde.
Plus de 300 enfants (dont 18 nourrissons et 217 enfants âgés de 1 à 14 ans) sont arrêtés, emmenés à Drancy puis déportés dans le convoi 77. Parmi eux se trouvent les 20 petites filles de l’orphelinat de Saint-Mandé et leur directrice, Thérèse Cahen, qui les accompagnera dans la chambre à gaz.
Dans des wagons à bestiaux, debout, sans eau, sans nourriture, Léon voyage pendant trois jours. Arrivé à Auschwitz, des hommes en costume rayé gris et bleu l’invitent à descendre et à se séparer des autres : les hommes à gauche et les femmes à droite !
La majorité des déportés sont nés en France (55 %) : 35 nationalités sont représentées, dont – outre les Français (y compris algériens) – les Polonais, les Turcs, les Soviétiques (notamment Ukrainiens) et les Allemands, pour les plus nombreuses.
Le nombre des enfants déportés est important (324) : 125 sont âgés de moins de 10 ans.
Nous reprenons ces éléments du site de l’association Convoi 77. Cette association est très importante à la fois pour savoir ce qui s’est passé et faire vivre la mémoire de ces vies arrachées. Des travaux venant d’élèves de plusieurs pays européens se trouvent sur ce site : des rencontres entre ces élèves seraient une bonne idée.
Daniel Naiman
L’essentiel des données concernant Daniel Naiman viennent du site Convoi777 et des Archives consultées.
Le site des Archives Arolsen dispose de nombreux documents qu’ils nous ont communiqués en janvier 2024 ( avec demande de respecter les règles d’utilisation de ces archives) et le site convoi 77 comporte une biographie (Daniel NAIMAN – Convoi 77)
Daniel est né le 2 avril 1910 à Bucarest en Roumanie. Le site Convoi 77 nous apprend que son père Simon est négociant et sa mère Dori, née Davidsohn, est sans profession.
Il est naturalisé français, à 27 ans, le 15 avril 1937 (Décret paru au Journal Officiel de la République Française N° 97 du 25 avril 1937 page 4671). Il est domicilié 37, rue Barbet de Jouy à Paris (7ème) avant la Guerre. Il est alors médecin.
Source Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains.
Source Bibliothèque Nationale de France (site Internet Gallica naturalisations, cité par Convoi 77).
Daniel est mobilisé en 1939 comme médecin assistant au 18ème Régiment de Pionniers à Nancy. Il est fait prisonnier en 1940 au lieudit Le Rouge Gazon à Saint-Maurice-sur- Moselle (88), il est transféré à l’Oflag XIII A à Nuremberg où il reçoit le matricule N° 3573 (comme la photo ci-dessus le montre).
Source : Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, liste des internés.
Daniel est transféré le 16 janvier 1941 au Frontstalag 194 à Châlons-sur-Marne, dans l’attente du règlement du sort des prisonniers de guerre. (Les Frontstammlager étaient des camps de prisonniers de l’armée allemande installés à l’extérieur de l’Allemagne, principalement en France).
Daniel Naiman est libéré en 1941. Il épouse Yvonne Patureau le 12 juin 1941 à Paris. Le couple part s’installer dans la capitale de la Zone Libre à Vichy (03), car Yvonne est employée comme sténo-dactylo au Ministère du Travail qui se trouve au N° 17, rue Alquié à Vichy.
Ils sont logés à l’Hôtel Colombia, puis à l’Hôtel Belle-Ile qui est une annexe de l’Hôtel Plaisance, ces hôtels étant réquisitionnés pour loger les employés du Ministère du Travail.
L’exercice de la médecine est interdit suite à la loi du 3 octobre 1940 sur le statut des Juifs.
Daniel quitte Vichy pour se cacher dans le village de Cindré (03), à trente de kilomètres de Vichy.
Il est arrêté par la Milice le 29 juin 1944 à l’Hôtel Belle-Ile alors qu’il venait voir clandestinement sa belle-mère souffrante, selon la note des Renseignements Généraux en date du 1er avril 1954.
(site Convoi 77)
Il est interné au Château des Brosses, prison de la Milice à Bellerive-sur-Allier (03) pendant deux semaines avant d’être transféré le 15 juillet à Drancy où il reçoit le matricule N° 25162.
Source Archives Arolsen
Le 31 juillet 1944 il est déporté de Drancy à Auschwitz dans le convoi N° 77.
Source : extrait de la liste du convoi 77. Source : Mémorial de la Shoah C 77_45.
Source : Archives Arolsen
A son arrivée à Auschwitz en août 1944, Daniel est sélectionné pour le travail et reçoit le matricule N° B 3878. Selon son témoignage il travaille d’abord dans divers Kommandos avant d’être affecté à l’infirmerie.
Il fait partie de l’évacuation sur le camp de concentration de Gross Rosen.
GROSS ROSEN est situé en Silésie au sud de l’Oder et à 60 kilomètres de Breslau, près de la ville portant le même nom (Rogosnica en polonais), le KL Gross Rosen est d’abord un Kommando de Sachsenhausen. Ouvert en août 1940, il devient un camp autonome à l’automne 1941 avec ses propres kommandos de travail.Quelques mois avant la fin de la guerre, des déportés transférés d’autres camps transitent par Gross Rosen. Ce sont en particulier les détenus des camps de l’Est, comme Auschwitz, évacués face l’avancée de l’Armée Rouge. La surpopulation entraîne la propagation d’une épidémie de typhus et, entre le 8 février et le 23 mars 1945, le camp doit être à son tour évacué vers les KL Buchenwald, Flossenbürg, Dachau et surtout Dora et ses Kommandos dont la Boelke Kaserne à Nordhausen Plus de 30 000 détenus sont ainsi embarqués dans des trains découverts, conditions entraînant une effroyable hécatombe. Le 5 mai 1945, les troupes soviétiques entrées dans le camp ne trouvent que quelques survivants.
Source : Livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Cité sur le site Convoi 77
Daniel est ensuite transféré à Buchenwald. Il y reçoit un autre matricule, le N° 113331, puis il est évacué vers Ravensbrück. Il est rapatrié le 18 mai 1945 par le centre de Valenciennes.
La carte de Déporté Politique N° 1.101.12750 lui est attribuée le 21 septembre 1954.
Source du document ci-dessus: Archives de Paris 3595 W 138.
Source du document ci-dessus: Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains.
Ainsi, selon le Service Historique de la Défense de Vincennes (Dossier GR 16 P 439315), Daniel est homologué en tant que Résistant au titre de la R.I.F. (Résistance Intérieure Française). On en conclut donc qu’il a rejoint un réseau à Vichy et que la Milice française a procédé à son arrestation pour cette raison, puis qu’il a été déporté en tant que Juif.
Malheureusement nous n’en savons pas plus sur ses activités et les circonstances de son arrestation.
Source Archives Arolsen
© AFMD de l’Allier
Bibliographie
Sources Archives
- Archives Départementales de l’Allier 1580 W 9, 1756 W 2 N° 5860,
- Archives de Paris 3595 W 138
- Bibliothèque Nationale de France sur site Internet Gallica naturalisations – Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains
- Centre de Documentation Juive Contemporaine – Etat civil de Paris (7ème)
- Klarsfeld Serge Liste des transferts de Vichy à Drancy le 15 juillet 1944 – Klarsfeld
- Serge Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France FFDJF 1978
- Livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation
- Service Historique de la Défense (Dossier GR 16 P 439315)
Articles
- Michel LAFITTE, « L’UGIF, collaboration ou résistance ? », Revue d’Histoire de la Shoah 2006/2 (N° 185), pages 45 à 64.
Sites internet
- Enfants juifs à Paris, 1939-1945 – L’enfant et la Shoah (lenfantetlashoah.org)
- Mémorial de la déportation des Juifs de France – Serge Klarsfeld | Fondation Shoah
- Convoi 77 – Enseigner autrement l’histoire de la Shoah
- CIVS
Notes & références
[1] C’est en 1975 que Serge Klarsfeld a commencé à dresser la liste des victimes de la Shoah en France. La première édition du Mémorial de la déportation des Juifs de France} a été publiée en 1978.Par la suite, Serge Klarsfeld a publié d’autres ouvrages de référence qui ont permis une meilleure compréhension des persécutions antisémites pendant la guerre. Il est l’auteur de : Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France (1983), Le calendrier de la persécution des Juifs de France (1993) et le Mémorial des enfants juifs déportés de France (1994). La nouvelle édition du Mémorial de la déportation des Juifs de France publiée en 2012 est le fruit de 15 années de travail. Cité par Mémorial de la déportation des Juifs de France – Serge Klarsfeld | Fondation Shoah
[2] L’ordonnance du 9 août 1944 indique que « la forme du Gouvernement est et demeure la République. En droit, celle-ci n’a pas cessé d’exister ». L’objectif est de minimiser la responsabilité de la France et des Français dans le régime de Vichy, que De Gaulle considère comme « nul et non avenu ». (cours de terminale de Mme Morisseau Lycée Henri IV)
[3] Mémorial des martyrs de la Déportation | ONaCVG (onac-vg.fr)
[4] Magdalena Pasikowska-Schnass et Philippe Perchoc Service de recherche pour les députés, L’Union européenne et la mémoire de l’Holocauste, site du Parlement européen 2020.
[5] Peut-il y avoir une mémoire européenne de la Shoah ? Touteleurope.eu
[6] Convoi 77 – Enseigner autrement l’histoire de la Shoah