Nelly LINDNER

1905-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Nelly LINDNER, née MITTELCHTEIN

Le XXe siècle, connu dans l’historiographie sous le nom de « siècle des extrêmes » ou « siècle des camps », a été une période de changements radicaux dans les domaines politique, social, économique et culturel pour la Roumanie et l’Europe, marquée par les deux guerres mondiales et par l’exclusion et l’extermination de la population juive européenne, installée sur le continent depuis l’antiquité.

L’Holocauste ou Shoah ( »catastrophe ») est le terme utilisé dans les sources historiques pour définir le processus d’extermination de la population mosaïque, qui s’est déroulé de l’Europe occidentale aux régions orientales du continent pendant la Seconde Guerre mondiale.

Parmi les victimes de la Shoah, on trouve des Juifs d’origine française ou naturalisés français au début du XXe siècle, mais aussi des Juifs d’origine roumaine, victimes du régime antonien de Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale, qui était allié à l’Allemagne nazie. Il est cependant frappant de constater que la plupart des 75 000 Juifs déportés de France vers les camps d’extermination du Troisième Reich n’étaient pas tous d’origine française, la plupart ayant été naturalisés au cours des quatre premières décennies ou ayant été des réfugiés de guerre accueillis par l’État français en 1940. Les Juifs roumains naturalisés ont donc été victimes de l’Holocauste en France. Mais quelle était l’origine de ces Juifs roumains en France ?

Dans le cas de Nelly Lindner, victime de l’Holocauste, la réponse se trouve dans la « ville aux sept collines » de Roumanie, Iasi, d’où sa famille a émigré au début du 20e siècle. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la population juive de Roumanie a augmenté de manière significative, en particulier dans la région de Moldavie, où se sont installés les Juifs émigrés de la Galicie, dominée par l’Autriche-Hongrie, ou du reste des régions polonaises et ukrainiennes, alors sous le contrôle de l’Empire russe. Ils se sont souvent réfugiés en Roumanie parce qu’ils n’avaient plus de moyens de subsistance dans ces régions, ce qui explique que la plupart des Juifs qui sont arrivés dans la région moldave étaient issus des couches sociales inférieures ou de la persécution ethnique qui existait dans l’Empire Tsariste[1].

En 1878, le nombre total de Juifs enregistrés était de 218 304, et en 1899, il était passé à 269 015, dont 197 000 Juifs vivaient dans la région de Moldavie. Ainsi, au début du XXe siècle, les Juifs représentaient 4,5 % de la population totale de la Roumanie. À la fin du 19e siècle, environ la moitié de la population de la ville cosmopolite était juive[2]. Ils ont également contribué à la vie culturelle de Iași, en créant le premier théâtre au monde en yiddish. Même l’hymne national de l’État d’Israël, intitulé Hatikvah (Espoir) en hébreu, a été composé à Iasi, dans sa première version en 1877, par NaftaliHerzImber, un Juif d’origine galicienne[3].

Cependant, au début du XXe siècle, la Roumanie et la Russie, deux pays aux politiques diamétralement opposées, étaient les seuls pays d’Europe qui continuaient à refuser la citoyenneté aux communautés mosaïques. Bien que l’article 7 de la Constitution roumaine de 1866 ait été amendé en 1879 pour prévoir l’octroi de la citoyenneté roumaine à la population juive, au cours des deux premières décennies du XXe siècle, les Juifs n’ont toujours pas été naturalisés. Le recensement de 1912 montre que la population juive de Roumanie s’élevait alors à 241 088 personnes (4,5 % de la population du pays), dont 228 430 n’étaient citoyens d’aucun État et n’ont pas obtenu la citoyenneté roumaine. Par conséquent, les Juifs de Roumanie au début du 20e siècle ne menaient pas une vie idéale d’un point de vue politique, n’ayant pas le statut de citoyens, ce qui alimentait le courant antisémite présent dans le pays depuis le 19e siècle, mais avec le temps, les Juifs ont réussi à augmenter leur part dans les domaines économique et financier, dans certains desquels ils sont devenus dominants, tels que le commerce et la finance[4].

Il faut cependant mentionner qu’entre 1899 et 1905, 50 000 Juifs ont émigré de Roumanie pour des raisons économiques et qu’en 1914, 90 000 étaient partis, soit près d’un tiers de la communauté[5].

Après la Première Guerre mondiale, la population juive s’est finalement vu accorder le droit à la citoyenneté roumaine en 1919, droit qui a ensuite été garanti par la Constitution de 1923. L’octroi du droit de citoyenneté n’a pas mis fin à la tendance antisémite ; au contraire, celle-ci est devenue endémique et s’est répandue dans de nombreux milieux sociaux de la Grande Roumanie, notamment les milieux étudiant, politique, financier, etc. Selon le recensement de 1930, la population juive de Roumanie comptait 728 115 personnes, soit 4,03 % des 18 millions d’habitants de la Roumanie. La majorité des personnes de confession mosaïque vivaient dans la capitale du pays, Bucarest, dans les régions de Moldavie, de Bessarabie, de Bucovine et de Transylvanie du Nord[6].

Entre 1922 et 1933, le pays est confronté à une recrudescence permanente d’émeutes antisémites, souvent sanglantes, dont les principaux acteurs sont des étudiants et des lycéens stimulés par l’action et la propagande d’organisations d’extrême droite, dont les plus importantes sont la Ligue nationale de défense chrétienne (LANC), fondée par le professeur A. C. Cuza, la Légion de l’Archange Michel, créée par son disciple CorneliuZelea Codreanu en 1927, connue dans les années 1930 sous le nom de Garde de fer et Tout pour le pays[7].

Dans l’entre-deux-guerres, une première étape de la législation antisémite peut être définie, lorsque les Juifs de la Grande Roumanie ont été visés par ces actes législatifs, qui ont restreint puis annulé leurs droits fondamentaux de citoyenneté et préparé le terrain pour la déportation et l’anéantissement de la population juive.

Une première étape de la politique antisémite, promue au niveau de l’État, s’est matérialisée sous la forme de lois affectant les citoyens juifs de Roumanie. La loi sur la conversion des dettes agricoles et urbaines (7 avril 1934) a été la première mesure du gouvernement Tătărescu (janvier 1934 – décembre 1937) à affecter les Juifs. Une deuxième mesure antijuive a été la loi pour l’utilisation de personnel roumain dans les entreprises (16 juillet 1934), qui stipulait qu’au moins 80 % des employés de toutes les entreprises en Roumanie et au moins 50 % des membres de leurs conseils d’administration devaient être roumains[8]. La politique de roumanisation sous le gouvernement Tătărescu s’est également concrétisée en 1937, avec l’adoption de 13 lois discriminatoires pour les Juifs travaillant dans l’éducation, le commerce et la finance.

La politique du gouvernement Tătărescu a culminé avec la législation raciste du gouvernement Goga-Cuza, le premier gouvernement pro-nazi de Roumanie et le deuxième gouvernement antisémite d’Europe, qui, par le biais d’ordonnances gouvernementales et de lois à caractère explicitement antisémite, a privé la population juive de tous ses droits de citoyenneté. Certaines des ordonnances du gouvernement faisaient référence à l’interdiction des journaux écrits et dirigés par des journalistes juifs (Dimineața, Adevărul et Lupta), tels que Constantin Graur ou SanielLabin. D’autres décisions ministérielles prévoient le renvoi des Juifs de toutes les administrations publiques, l’expropriation des entreprises ou des biens juifs, l’interdiction de vendre aux Juifs les produits monopolisés par l’État et l’interdiction d’employer un serviteur chrétien de moins de 40 ans, copiant la législation nazie de Nuremberg (1935). L’avalanche de décrets antisémites culmine avec la loi de révision de la citoyenneté, qui entraîne une véritable crise économique, provoquant la chute de la Bourse de Bucarest et l’effondrement du gouvernement Goga-Cuza après 44 jours de mandat, et la dictature royale du roi Charles II (1938-1940). Entre le 21 janvier 1938 et le 15 septembre 1939, la situation de 617 396 Juifs est examinée. Les droits de citoyenneté ont été maintenus pour 392174 (63,3 %) et retirés pour 225222 (36,7 %). Une nouvelle vague de répression antisémite en Roumanie a lieu en août 1940, sous le gouvernement de Ion Gigurtu, homme politique pro-nazi et ami de Hermann Goring. Deux décrets-lois sont promulgués, le premier contenant une définition raciale des Juifs, englobant non seulement les personnes de confession juive mais aussi les Juifs baptisés. Le second décret-loi se traduit par l’interdiction des mariages mixtes entre Juifs et Roumains. Ces deux lois ont écarté les Juifs des fonctions publiques et de l’armée, restreint les professions libérales et annulé les changements de nom[9].

Jusqu’en 1940, la politique de l’État français s’est caractérisée par une relation complexe avec les Juifs, mais par rapport à la Roumanie du début du 20e siècle, le gouvernement français a fait preuve d’une certaine tolérance d’un point de vue juridique, en autorisant leur naturalisation. Cependant, la communauté juive de France, ainsi que la société et la politique françaises dans leur ensemble, ont été fortement affectées à la fin du 19e siècle par l’affaire Dreyfus, qui est rapidement devenue un symbole d’injustice, d’antisémitisme et de conflit au sein de la société française[10]. En 1906, l’officier Alfred Dreyfus a été blanchi de toutes les accusations, l’antisémitisme diminuant considérablement dans les années suivantes et encore plus après la Première Guerre mondiale, en raison du service des Juifs dans l’armée française. Dans les années 1920, plusieurs journaux français antisémites ont été interdits[11]. Au début du XXe siècle, l’afflux d’émigrants juifs en provenance des régions de l’Empire tsariste ou de Roumanie a parfois entrainé des tensions avec les élites françaises, qui avaient des opinions laïques et étaient pleinement intégrées dans la société française.

Dans les années 1930, le radicalisme politique est également présent en France comme en Roumanie, mais pas dans la même mesure, car les lois antisémites n’ont pas été appliquées dans la démocratie française jusqu’en 1940. Il existe cependant des organisations conservatrices ou d’extrême droite, telles que les Croix de Feu ou l’Action française, cette dernière ayant été fondée en 1908, deux ans après le triomphe de l’antisémitisme lors du procès Dreyfus. Cela montre que l’antisémitisme n’a pas disparu de France après 1906. Ces organisations connaissent une ascension fulgurante, d’autant plus après 1936, date de la création du Front populaire, dont la figure emblématique est le Premier ministre Léon Blum[12].

Après la capitulation de la France en juin 1940, qui suit la création des deux zones, la zone d’occupation allemande et la zone dite libre, sous contrôle du régime de Vichy, la question juive devient une préoccupation majeure. La première loi antisémite votée par le régime de Vichy est le Statut des Juifs du 3 octobre 1940, rédigé par le ministre de la Justice Raphaël Alibert, mais il semble que Pétain ait été d’autant plus cruel que le gouvernement a débattu du projet. Ce statut n’est pas imposé par les Allemands, mais certains responsables du régime pensent que l’antisémitisme d’État est un moyen de gagner leur bienveillance. Le 27 septembre, les Allemands publient un ordre obligeant les Juifs de la zone occupée à se faire enregistrer auprès des autorités. Un mémorandum allemand montre que les nazis voulaient appliquer cette mesure avant les Français de la zone libre. Dans les douze mois qui suivent la création de l’État juif, Vichy applique 26 lois et 24 décrets concernant la situation des Juifs. En juin 1941, un second statut des Juifs élargit la définition de la judéité et introduit plusieurs professions interdites, suivi de décrets imposant des quotas d’avocats, de médecins, d’architectes, etc. À partir du 4 octobre 1940, les Juifs étrangers peuvent être déportés dans les camps de la zone libre à la discrétion des préfets. Quelque 40 000 Juifs sont hébergés dans sept camps principaux, dont 3 000 meurent avant le début de la Solution finale, de froid et de malnutrition. Pour l’essentiel, le régime de Vichy, dans la perspective de la Solution finale, a fait des Juifs français des citoyens de seconde zone et a considéré les Juifs étrangers comme un fardeau[13].

En même temps que les politiques antisémites du régime de Vichy, Theodor Dannecker, un officier du Bureau principal de sécurité du Reich (SD), a promu son propre programme antisémite à Paris, en faisant pression sur la radicalisation antisémite. Ce faisant, les fonctionnaires de Vichy sont confrontés à un dilemme : laisser les autorités allemandes agir dans la zone occupée au risque de mettre en péril l’unité nationale en France, ou appliquer ces règles sous leur tutelle. C’est souvent cette dernière solution qui est retenue. Par exemple, le 18 octobre 1940, les Allemands publient une ordonnance exigeant que toutes les entreprises juives de la zone occupée soient « aryanisées ». Cependant, le régime de Vichy ne pouvait accepter que ces entreprises soient reprises par des ressortissants allemands, et une agence d’administrateurs temporaires (SCAP) a donc été mise en place pour s’assurer qu’elles étaient françaises. À l’été 1941, la moitié de la population juive de Paris avait perdu ses moyens de subsistance à cause de cette politique[14].

Les Allemands font pression à l’automne 1941 pour la création d’un office juif chargé de coordonner les politiques antisémites. C’est ainsi que naît le Commissariat général aux questions juives (CGQJ), dirigé par Vallat Xavier, à l’image du Centre juif roumain, fondé en 1942. Après la création du CGQJ, Dannecker souhaite que tous les Juifs de France adhèrent à une organisation unique, à l’instar du Judenrat d’Europe de l’Est, mais Vallat retarde cette mesure et, en novembre 1941, l’Union générale des israélites de France est fondée, qui regroupe les organisations juives des deux zones sous son autorité. Cette mesure montre qu’en France, contrairement au reste de l’Europe, dans des zones telles que la Pologne, la Biélorussie ou la Lituanie occupées par les Allemands, ou la Roumanie alliée à l’Allemagne nazie, il n’y a pas de ghettoïsation de la population juive. Au contraire, ce CGQJ a fonctionné, au moins jusqu’en 1943, sans que les Allemands aient une bonne opinion de l’efficacité de cette organisation, et d’autant plus perturbés par le fait que les Français à la tête de cette organisation étaient des aryens autoproclamés[15].

Au même moment, dans la Roumanie de Ion Antonescu, à partir de septembre 1940, avec l’abdication du roi Carol II, l’antisémitisme atteint son paroxysme. Comme nous venons de le montrer, cette politique d’État, dirigée contre les Juifs, n’était pas nouvelle. Les deux années suivantes, 1941 et 1942, ont marqué l’histoire de l’Holocauste en Roumanie, qui est devenu l’un des phénomènes les plus complexes d’extermination de la population juive en Europe. L’Holocauste roumain a été inégal et étrange, extrêmement brutal au début de la guerre, notamment dans les territoires libérés comme la Bucovine du Nord et la Bessarabie ou la Transnistrie occupée, puis de plus en plus maîtrisé une fois que le pouvoir d’Hitler s’est progressivement évaporé[16]. En fait, après les Allemands et les Autrichiens, ce sont les Roumains qui ont le plus contribué à l’extermination des Juifs, et plus encore pendant l’Holocauste par balles[17].

Le catalyseur de l’extermination à grande échelle des Juifs par les autorités roumaines, représentées notamment par la Gendarmerie roumaine et les forces armées roumaines, se situe en juin 1941, avec l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne nazie, soutenue par son alliée la Roumanie. En effet, l’une des directives émises par le Quartier général le 30 juin 1940 était de donner aux commandants de l’armée roumaine toute latitude pour exécuter les Juifs[18].

Mais les massacres contre les adeptes de la foi mosaïque ne seront pas seulement pratiqués dans les territoires énumérés ci-dessus, mais aussi à Iasi, la ville cosmopolite de Moldavie, qui sera le théâtre du plus grand pogrom de Roumanie. Dans la nuit du 28 au 29 juin 1941, Ion Antonescu ordonne la déportation totale de la population juive de Iași. La décision devait être révisée le lendemain, ne laissant que la population masculine adulte à déplacer. L’ordre prévoit également l’exécution sommaire des personnes suspectes. La situation dégénère après la mise en œuvre de l’ordre imprécis d’Antonescu. Le massacre, qui devait commencer le 27 juin, atteint son apogée les 29 et 30 juin, lorsque des milliers de Juifs sont massacrés dans la Chestura de la police à Iași[19]. Au même moment, les « trains de la mort » qui quittaient Iasi se composaient de deux trains, le premier avait entre 33 et 39 wagons de marchandises et entre 2430 et 2590 « passagers », à destination de Călărăși, la plupart de ceux qui se trouvaient dans ce transport n’ont pas pu supporter les conditions insoutenables, dans les wagons, souffrant de soif, d’asphyxie, d’inanition, etc., l’itinéraire emprunté étant aberrant, la distance entre Iasi et Targu Frumos, à 40 km, a été parcourue en 17 heures en été, 654 cadavres ayant été descendus[20]. Le deuxième « train de la mort », composé de 18 wagons, 1902 Juifs, a voyagé pendant 8 heures de Iași à Podul Iloaiei, parfois le train allait si lentement que des escortes armées de la gendarmerie et de l’armée suivaient à pied. Les conditions de ce transport étaient identiques à celles du premier train, avec pour destination Iași-Călărași[21]. Le nombre de victimes du pogrom de Lași, selon certaines sources, se situe entre 3200 et 12000 personnes[22].

Après le début des opérations militaires en Bessarabie et en Bucovine du Nord, un processus de nettoyage ethnique, ou « nettoyage des terres », terme euphémique utilisé dans les documents de l’administration d’Antonesk, a également commencé. Des milliers de Juifs sont tués dans des endroits tels que Vijnița, Chernivtsi, Noua Suliță, Chudei ou à Herța, où 1 500 Juifs de la ville sont rassemblés dans les synagogues de la ville et fusillés. Le 17 juillet 1941, le massacre a lieu à Chisinau, la capitale administrative de la Bessarabie, où plus de 10 000 Juifs sont tués, des Roumains collaborant avec l’Einsatzgruppe D. Au moins 45 000 Juifs perdent la vie en Bessarabie et dans le nord de la Bucovine.

Au cours de l’été 1942, le Bureau principal de la sécurité du Reich (RSHA) a exigé la remise des Juifs des États alliés tels que la Roumanie et leur transport vers les camps d’extermination dans les territoires occupés par les nazis. Dans un premier temps, Antonescu avait accepté la demande de Himmler de céder la population juive. Dans la presse nazie de l’époque, il était annoncé que la Roumanie serait dépourvue de Juifs en 1943. Les Juifs du Banat et du sud de la Transylvanie sont les premiers visés par la déportation, qu’Adolf Eichman a planifiée pour le 10 septembre. Le nombre total de personnes qui devaient être envoyées dans les camps était de 280000[23]. En octobre 1942, Antonescu arrête les déportations vers la Transnistrie et les bloque sous la pression allemande. Selon l’historien Timothy Snyder, « la politique roumaine était que les Juifs devaient être tués tant qu’ils représentaient une minorité qui pouvait être éliminée au cours de la guerre sans conséquences politiques majeures ». Ainsi, lorsque ce calcul a changé et que les politiques d’extermination de l’État roumain ont évolué, diminuant en intensité, les responsables américains ont signalé que les atrocités commises par les nazis ne resteraient pas impunies après la guerre. A cette époque, pour les crimes commis contre les Juifs entre 1941 et 1942, sur ordre de Ion Antonescu et de ses collaborateurs, il était possible d’observer « les conséquences politiques majeures ».[24]

On ne peut qu’imaginer ce qu’a ressenti Nelly Linder lorsqu’elle a été déportée au camp d’extermination d’Auschwitz le 31 juillet 1944. Souvenons-nous un instant de son arrivée en France en provenance d’un pays d’Europe de l’Est alors qu’elle n’avait que cinq ans, réussissant finalement, avec sa famille, à s’intégrer dans la société française et à mener une nouvelle vie. A-t-elle réalisé à ce moment-là que son destin et celui de sa famille étaient scellés, ou a-t-elle cru à l’illusion que la fin de la Seconde Guerre mondiale serait son salut. Nous ne le saurons jamais. Mais nous savons aujourd’hui que Nelly Lindner a été une victime de l’Holocauste, l’une des six millions de personnes de confession juive anéanties par les autorités nazies et leurs collaborateurs.

L’histoire de Nelly Lindner, née Mittelchstein, ne commence pas en France, mais dans sa Roumanie natale, dans la ville de Iasi, que nous avons décrite plus haut comme la « ville aux sept collines ». Elle est née à Iași le 19 septembre 1905. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la ville était un centre cosmopolite, habité par divers groupes ethniques, dont des Juifs. Le père de Nelly Mittelchstein était Jack Mittelchstein, un juif né à Varsovie, administrée par l’Empire russe, l’actuelle Pologne, le 14 mars 1878. Lui et ses parents, Abraham et Feiga, ont vraisemblablement émigré de Varsovie à Iasi en raison des persécutions ethniques subies par la population juive dans tout l’empire tsariste. Il suffit de mentionner le pogrom organisé à Varsovie en 1881 par la population polonaise, sans aucune réaction des autorités russes. Cela a conduit certains Juifs à émigrer entre 1881 et 1884 vers les États-Unis ou vers les pays voisins comme la Roumanie. La mère de Nelly était Rachel, née Gronfeld, le 9 janvier 1880, à Iasi. Nelly avait aussi un frère aîné nommé Charles, né le 12 janvier 1904[25].

Vers la fin de la première décennie du XXe siècle, la famille Mittelchstein décide d’émigrer de Roumanie en France. Les raisons de ce départ définitif du pays ne peuvent peut-être pas être attribuées à des considérations politiques. Bien que la plupart des Juifs de Roumanie n’aient pas la citoyenneté roumaine, il n’y a pas eu de massacres dirigés contre les Juifs, du moins pas dans les zones urbaines, en comparaison avec les pogroms dans l’Empire russe. Cependant, la cause la plus évidente de l’émigration de la famille Mittelchstein vers la France est la crise économique en Roumanie entre 1899 et 1901, qui, en 1914, avait conduit plus de 90 000 Juifs de Roumanie à construire un avenir acceptable ou prospère dans un autre pays européen[26].

Ainsi, la première mention de la présence de la famille Mittelchstein en France, selon les documents d’archives, date du 29 octobre 1910. À cette date, la naturalisation des membres de la famille a été demandée dans une requête signée par Jack Mittelchstein auprès du ministère de la Justice. Bien entendu, pour que le certificat de naturalisation soit délivré, les données personnelles des demandeurs devaient être fournies. Parallèlement, le ministère de la Justice a porté la demande de naturalisation de Jack Mittelchstein à la connaissance du préfet de Paris. Les documents nécessaires à la délivrance d’un tel certificat, qui signifie en pratique que les membres de la famille recevront la nationalité française, sont les actes de naissance ou de mariage de la famille du demandeur, la preuve du service militaire, les actes de naissance des enfants mineurs, dont Nelly, l’acte de mariage, la preuve d’une résidence ininterrompue en France depuis dix ans (carnet de travail, attestations de l’employeur, quittances de loyer). Il est précisé que si l’épouse du demandeur était d’origine étrangère, elle n’avait qu’à signer la demande de son mari[27].

Enfin, pour que sa demande de naturalisation soit acceptée, Jack Mittelchstein a adressé au ministre de la Justice une demande d’attribution de la nationalité française à sa famille. La demande est également signée par son épouse Rachel. Le même document montre qu’à l’époque, la famille vivait au 36 rue Vieille du Temple, à Paris[28]. Cependant, en janvier 1911, Jack Mittelchstein envoie une lettre au ministère de la Justice pour informer les autorités qu’il a changé sa résidence du 36 rue Vieille du Temple à Paris, pour l’Impasse Cristi, 7, 11e arrondissement, Paris[29].

Le 8 février 1911, une note du préfet de police au ministère de la Justice indique que Jack Mittelchstein a effectué toutes les démarches administratives nécessaires à la naturalisation de son enfant mineur, né en France. L’enfant de Jack Mittelchstein est Jarry, né en France le 15 décembre 1909 à Paris. Cela montre que la famille était à Paris depuis la fin de l’année 1909, la naturalisation étant accordée par décret adopté le 18 mars 1911[30].

Un droit de naturalisation est également perçu pour ceux qui souhaitent obtenir la nationalité française, dans le cas de la famille Mittelchstein, les deux époux s’engageant à verser 26 francs pendant deux ans. La naturalisation de la famille est autorisée et le certificat de réception de la nationalité française est envoyé le 22 mars 1911, avec les frais d’envoi. Un droit de timbre de trois francs et un droit de scellement de seize francs étant imposés, la dépense totale s’élève à 1932.

Jack Mittelchstein a également envoyé une lettre datée du 17 décembre 1934 au ministère de la Justice dans l’entre-deux-guerres. Dans cette lettre, il mentionne l’origine polono-roumaine de sa famille, ainsi que l’origine roumaine de leurs deux enfants, Charles et Nelly. La lettre nous apprend également le lieu de résidence actuel de la famille Mittelchstein, 44 rue Cheyne, Ivry Seine, près de Paris. Cependant, l’objet de la lettre concerne son troisième fils Jarry, né à Paris le 15 décembre 1909. Jack Mittelchstein souhaite obtenir une copie de l’acte de naissance pour son fils Jarry, qui a besoin d’une copie de son acte de naissance. L’acte de naissance a d’ailleurs été mis à la disposition du ministère de la Justice lors de la naturalisation de la famille en mars 1911, et une copie en a été faite. Jack Mittelchstein avait donc besoin de cette copie, l’original ayant vraisemblablement été perdu[31].

Le mariage de Nelly avec Joseph Lindner, juif d’origine française, né le 16 octobre 1902 à Paris, constitue une étape importante de sa biographie. Le 7 juin 1930 naît leur unique enfant, Maryse[32].

Comme le reste de la population mosaïque française d’environ 300 000 personnes, ils ont été affectés par la disparition de la Troisième République française au profit du Troisième Reich pendant la Seconde Guerre mondiale et du régime de Vichy en zone Sud. Deux zones ont été créées en lieu et place de l’État français unitaire. La zone occupée par les Allemands et une zone dite libre qui n’était, en fait, qu’un régime fantoche dans le sud du pays, connu sous le nom de Régime de Vichy.

Outre l’abolition des libertés citoyennes pour les Juifs français et étrangers vivant en France et non naturalisés, les autorités allemandes de la zone occupée ont imposé l’aryanisation de l’économie française en 1940 en confisquant les entreprises contrôlées par les Juifs, ce qui a eu un effet direct sur les Lindner[33]. Les archives montrent qu’ils étaient commerçants et qu’ils possédaient probablement une entreprise[34]. Par la suite, après cette mesure de confiscation des biens économiques juifs par des personnes d’origine française, la moitié des Juifs parisiens sont privés de toute source de revenus commerciaux ou industriels en 1941. En mai 1944, plus de 40 000 entreprises industrielles ou commerciales ont été confisquées et placées sous la tutelle du ministère de la Production industrielle, qui a autorité économique dans les deux zones, dont les trois quarts ont été vendues à des citoyens français[35].

À Paris, où Nelly Lindner vit avec sa famille, l’occupation allemande a également des conséquences dramatiques sur la vie quotidienne des Juifs. À partir d’août 1941, il leur est interdit de posséder des radios et des bicyclettes, ce qu’elle possédait sans doute puisqu’il s’agissait d’une famille de commerçants. À partir de février, il leur est interdit de quitter la maison à certaines heures. En juin, Nelly Lindner et les autres Juifs de la zone occupée sont contraints de porter l’étoile jaune ou l’étoile de David pour être reconnus. En même temps, ils sont autorisés à voyager dans le métro parisien, mais seulement dans le dernier wagon du train. Il leur est interdit d’entrer dans les lieux publics tels que les cinémas, les parcs, les terrains de sport, les bibliothèques ou les restaurants[36].

Le 14 mai 1941, la première rafle à Paris est organisée par les Allemands contre la population juive d’origine étrangère, principalement polonaise et tchèque, et environ 3710 personnes sont arrêtées. En août, une rafle dans le 11e arrondissement, où vivent des Juifs français issus de la couche aisée de la société française, aboutit à l’arrestation de 4 230 Juifs, étrangers et français. Nelly Lindner vivait à l’époque à Ivry-sur-Seine, géographiquement au sud-est de Paris. En ce sens, les Juifs de ces régions ont vécu les rafles organisées par les autorités allemandes avec l’aide des autorités françaises avec moins d’ampleur que les Juifs du centre de la capitale, du moins si l’on se réfère strictement à l’année 1941. Les arrestations de cette année-là ne sont qu’un prélude à la grande rafle de Paris de l’été 1942, qui a très probablement conduit Nelly Lindner et sa famille à se réfugier dans le sud de la France. La plupart des Juifs arrêtés à Paris en juillet 1942 par la police française ont été déportés au camp de Drancy, où Nelly Lindner finira deux ans plus tard. Il convient également de mentionner la collaboration entre la police française de Paris, dirigée par René Bousquet, et la complicité du Premier ministre du régime de Vichy, Pierre Laval, et du maréchal Philippe Pétain[37].

Après la rafle du Vel d’Hiver en juillet 1942, de nombreux Juifs de Paris se sont réfugiés dans le sud de la France, pensant y être en sécurité. Probablement après les arrestations de juillet 1942, Nelly Lindner, son mari Joseph Lindner et leur fille Maryse se sont d’abord réfugiés sur le territoire du régime de Vichy, dans la ville de Toulouse[38]. Ils s’installent ensuite à Cannes, sur la Côte d’Azur. Il est à noter qu’entre 1940 et 1943, la région des Alpes maritimes, où se trouve Cannes, n’était pas sous administration allemande ou le régime de Vichy, mais sous le contrôle administratif de l’Italie fasciste, un État qui a commencé à mener une politique antisémite à partir de 1938[39].

Mais alors que Nelly Lindner se réfugie dans le sud de la France, les autorités françaises de la zone libre promettent aux Allemands d’arrêter les Juifs et de les déporter en zone occupée. En fait, elles ont dépassé leur quota de 10 000 Juifs. Ce qui est certain, c’est que l’année où le taux de déportation a été le plus élevé reste 1942, avec 41951 Juifs déportés de France vers les camps d’extermination du Troisième Reich. En 1943, le nombre de Juifs déportés est nettement inférieur : 17069 personnes[40].

Si Nelly Lindner, avec le reste de sa famille, n’a pas fui vers le sud après la rafle de juillet 1942, il est possible qu’elle soit partie après les arrestations parisiennes du 10 février 1943, bien que cela semble peu probable étant donné que 1549 Juifs étrangers non naturalisés ont été arrêtés à ce moment-là, dont 500 étaient âgés de plus de 70 ans. Un mois plus tôt, en janvier 1943, la police allemande (Ordnungspolizei) en France, dirigée par Karl Oberg, ainsi que la Gestapo et la police française dirigée par René Bousquet, avaient organisé une rafle contre les Juifs dans la ville de Marseillia. Quelque 40 000 Juifs sont rassemblés dans la ville, 30 000 sont expulsés du Vieux-Port et 2 000 sont déportés vers le camp de Royallieu-Compiègne, dans le nord de la France, puis vers les camps d’extermination[41].

Dans le cas de Nelly Lindner, selon les archives, sa famille s’est installée dans la ville de Toulouse, dans le sud-ouest de la France. Ils se sont vraisemblablement installés dans cette région parce qu’ils avaient l’intention de fuir vers l’Espagne, comme des dizaines de milliers d’autres Juifs français qui ont tenté de le faire. La présence de Nelly Lindner avec son mari et sa fille dans la commune de Saint-Girons, dans le département de l’Ariège, est également attestée. Elle se trouve à moins de 50 kilomètres de la frontière espagnole.

On peut supposer qu’ils avaient pour projet de fuir la France vers l’Espagne en espérant trouver dans un village de montagne comme Saint-Girons un guide fiable qui les aiderait à franchir les Pyrénées. Le passage de la frontière n’était pas une mince affaire, d’autant plus que la frontière franco-espagnole était lourdement gardée par les polices française et allemande. Par ailleurs, la sécurité n’est pas garantie dans l’Espagne franquiste, puisque 300 Juifs français ont été déportés entre 1942 et 1943. C’est précisément pour cette raison que la famille Lindner a également pensé que la meilleure option serait de traverser la frontière et d’atteindre ensuite un port espagnol ou portugais afin de quitter le continent européen[42].

Les raisons de la réticence de Nelly Lindner à franchir la frontière espagnole ne sont pas consignées dans les archives, mais nous pouvons supposer qu’ils ne pouvaient probablement pas trouver de guide (« passeur ») à qui confier leur vie. En même temps, on peut aussi penser que leurs possibilités financières pour payer un guide n’étaient pas assez élevées. Après tout, la plupart des guides n’aidaient les Juifs qu’en échange d’argent, et nombre d’entre eux étaient sans scrupules. D’autre part, il est possible qu’à l’époque, ils aient eu peur du grand nombre de patrouilles de police françaises et allemandes qui surveillaient la frontière.

On ne sait pas si la famille Lindner a tenté de traverser les montagnes en passant par les villages isolés d’Aulus-les Bains, près de la commune de Saint-Girons, où des milliers de Juifs ont tenté de s’enfuir avec l’aide de guides locaux, mais une chose est sûre, c’est qu’elle est restée en France. Le lieu suivant répertorié dans les documents d’archives est Nice, qui était sous administration italienne. L’antisémitisme italien, comparé à l’antisémitisme allemand, n’a pas favorisé l’idée d’exterminer la population juive ou de la déporter dans des camps d’extermination jusqu’en 1943. C’est pourquoi plus de 30 000 000 de Juifs vivaient dans la seule ville de Nice, la plupart d’entre eux étant des réfugiés du nord de la France occupée par les Allemands. Mais la situation change radicalement en 1943, lorsque tous les territoires européens occupés par l’Italie passent aux mains des Allemands. Alois Bruner (bras droit d’Adolf Eichmann), commandant SS du camp de Drancy, connu pour son sadisme, pour avoir liquidé les Juifs du ghetto de Thessalonique et arrêté les Juifs de Paris, entreprend d’exterminer la population juive de Nice. Les opérations d’arrestation des Juifs de Nice se déroulent de manière assez chaotique, la Gestapo ou la police française ne disposant pas de données claires sur le statut de tous les Juifs de la ville. 1800 Juifs ont été arrêtés, soit beaucoup moins que ce qu’espéraient les Allemands[43].

En 1944, par rapport à 1943, la stratégie allemande va changer. Ils estiment que trop peu de Juifs ont été arrêtés en 1943. A la tête du Commissariat général aux questions juives, Louis Darquier est remplacé par Paty de Clam. Parallèlement, en 1944, la police française va réduire son soutien aux Allemands en renforçant ses liens avec l’organisation extrémiste française Milice Française. Au cours des huit mois de 1944, alors que l’armée allemande reste sur le territoire français jusqu’à sa libération, 14 833 Juifs sont déportés vers les camps d’extermination des territoires de l’Allemagne nazie[44]. Cette année-là, la famille Lindner figure parmi les victimes de l’Holocauste en France. La date de l’arrestation des membres de la famille Lindner, dont Nelly, est fixée au 8 juin 1944, dans la ville du Cannet sur la Côte d’Azur, dans le département des Alpes-Maritimes. Nelly Lindner est arrêtée, avec son mari Joseph et sa fille Maryse, à la Villa Jeanne d’Arc au Cannet, vraisemblablement un lieu d’hébergement. Il n’y a pas de détails exacts sur l’auteur de l’arrestation de la famille Lindner, mais il y a plusieurs possibilités. La première serait allemande, dans laquelle la police allemande (Ordnungspolizei) ou la Gestapo aurait mené l’action. La deuxième hypothèse est française et désigne la police française, le groupe paramilitaire Milice française ou l’organisation Carlingue (Gestapo française).

Les causes de l’arrestation de la famille Lindner sont complexes. La raison principale, qui a très probablement conduit à leur arrestation, est la complicité d’un ressortissant français qui aurait informé les autorités françaises ou allemandes de la présence de la famille Lindner, de confession juive, à la villa Jeanne d’Arc. La question reste cependant posée de savoir qui était l’informateur. Tout d’abord, les informateurs ou collaborateurs de la France de la Seconde Guerre mondiale avaient des motivations différentes pour collaborer avec les autorités allemandes. Le plus souvent, on trouve dans les rangs des délateurs des sadiques, des opportunistes, parfois membres du grand banditisme des années 1930, des aventuriers, des antisémites, des fanatiques, sans oublier des individus désireux de régler leurs comptes avec leurs rivaux[45].

Grâce aux documents disponibles, nous savons que Joseph Lindner, 41 ans, époux de Nelly Lindner, a travaillé au Commissariat général aux affaires juives (UGIF) dans un centre pour enfants juifs appelé Lamarck-Secrétan. Le centre Lamarck-Secrétan était situé au 70 avenue Secrétan, dans le 19e arrondissement de Paris. Ces centres étaient destinés aux mineurs de confession musulmane dont les parents avaient été arrêtés et déportés dans les camps de concentration. A partir de l’été 1944, la Gestapo a commencé à arrêter les employés de ces centres, y compris les enfants. Un cas célèbre en France est celui de la maison d’enfants d’Izieu, où plus de 44 personnes, dont des mineurs âgés de 4 à 17 ans, ont été arrêtées par la Gestapo de Lyon dirigée par Klaus Barbie (le boucher de Lyon)[46].

Il est intéressant de noter que le centre Lamarck-Secrétan où travaillait Joseph Lindner a fait l’objet d’une perquisition dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, à la suite de laquelle 125 enfants et 52 adultes ont été arrêtés. La même nuit, quatre autres perquisitions ont été effectuées dans d’autres centres appartenant à l’UGIF. Il est à noter que le mari de Nelly Lindner fait partie des quelques employés adultes qui ont été arrêtés dans d’autres villes que Paris et, surtout, qu’il est probablement la première personne appartenant à cette institution à avoir été arrêtée par les autorités depuis le 8 juin, soit 44 jours avant la rafle de Paris[47].

Après l’arrestation de Nelly, Joseph et leur fille Maryse sont interrogés à Nice. Grâce au rapport de l’Office de la déportation du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre de 1962, établi à partir des archives du camp de Drancy, nous savons qu’ils ont été internés le 12 juillet. Entre le 8 juin, date de l’arrestation de Nelly Lindner, et le 12 juillet, ils ont été déportés dans un petit camp d’internement du sud de la France, appelé le National. Bien entendu, après leur arrestation, Joseph Lindner a très probablement été interrogé par la Gestapo, car il travaillait au centre de Lamarck-Secrétan, que les Allemands voulaient éliminer lors d’une opération en juillet. Alois Bruner, l’officier SS qui a donné l’ordre de liquider les centres pour enfants juifs, était déjà connu pour les rafles de Paris (1942) et de Nice (1943). Alois Bruner est également responsable du camp de Drancy, géré par les autorités françaises depuis 1943. Dans ce camp de transit, environ 70 000 Juifs sont internés puis envoyés dans des camps d’extermination dans les territoires occupés par les nazis, dans des régions comme la Pologne, alors appelée Gouvernement général. Une fois au camp de Drancy, Nelly reçoit un numéro d’enregistrement que reçoivent tous les Juifs dans les camps d’internement ou d’extermination. Dans son cas, il s’agit du numéro 25052[48].

Le 31 juillet, Nelly Lindner, le reste de sa famille et 1 300 autres personnes sont déportés dans les camps de la mort de la Pologne occupée par les nazis. Seulement 25 jours plus tard, Paris devait être libéré par les troupes alliées, mais il était bien trop tard pour les Lindner. Le transport de Nelly vers Auschwitz-Birkenau arrive le 3 août. Pendant ce temps, sur les 1 300 personnes qui sont montées dans les wagons, destinés au transport du bétail, il y a probablement eu aussi des cas de personnes qui n’ont pas pu supporter les conditions inadaptées. Une fois arrivées au camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau, la situation est totalement différente de celle du camp d’internement de Drancy. Dans le camp d’Auschwitz dirigé par Rudolf Hoss, dès sa création, environ 2 000 Juifs sont exterminés chaque jour. De mai au début de l’automne 1944, environ 10 000 Juifs sont exterminés chaque jour, le nombre d’opérations étant intensifié par l’arrivée de plus de 400 000 Juifs hongrois. Au début du mois d’août, l’image du camp, que Nelly Lindner a vue pendant quelques instants, est véritablement apocalyptique, l’incinération des corps dans les crématoires d’Auschwitz I, Auschwitz II et Auschwitz-Birkenau atteignant un paroxysme[49].

 

Le projet de travail biographique sur Nelly Lindner s’est déroulé du 15 octobre 2023 au 1 juin 2024. Douze élèves ont participé à ce projet : Andronache Luciana, Boambă Bianca, Cazacincu Bianca Maria, Ciorsac Elena, Dimitriu Paula, Dughilă Larisa, Grecu Cristiana, Marciuc Octavian, Tătărușanu Sebastian, Vacariu Cosmin et Vasilos Alexandra, encadrés par leur professeures : Mme Rodica Mighiu, Mme Tana Onofrei et Mme Gabriela Mangir.

Plusieurs étapes nous ont permis d’enrichir la biographie de Nelly Lindner.

  1. Présentation du projet (en roumain)
  2. Voir des films ensemble/ en autonomie (Le Pianiste, La vie est belle….. à dresser une liste pour les élèves)
  3. Lire des romans + discussions (à dresser une bibliographie !)
  4. Visite de la synagogue avec Mr dl. Fredi Goldinberg – presedintele Comunitatii evreilor din Botosani
  5. Visite guidée du cimetière
  6. Inviter des historiens (pour un aperçu général sur la vie des juifs en Roumanie ? et à Botoşani)
  7. Prendre contact avec les (éventuels) descendants de Nelly LINDNER (dite LINDWEISS) née MITTELCHTEIN.
  8. Rechercher des témoins et les interviewer
  9. Recherche dans les archives
  10. Recherche dans la presse locale et française de l’époque
  11. Recherche dans des livres/ documents historique s
  12. Rédiger la biographie
  13. Publier la biographie

Le projet a été valorisé sur le site du lycée, sur le site Convoi 77, dans la presse locale mais aussi lors d’une exposition au lycée.

Notes & Références

[1]http://efnord.eforie.ro/web-holocaust/europa.htm

[2]https://www.gandul.ro/actualitate/evolutia-comunitatii-evreiesti-din-romania-de-la-peste-700-000-in-anii-30-la-situatia-din-prezent-istoria-comunitatii-scrisa-si-in-cartea-sfanta-20070840

[3]https://www.yadvashem.org/education/other-languages/romanian/educational-materials/iasi-pogrom.html

[4]https://www.zf.ro/ziarul-de-duminica/romani-si-evrei-in-secolul-xx-de-petre-turlea-12155045

[5]Carol Iancu, Româniainterbelică. Modernizarea politico-instituționalășidiscursnațional, coordonatori Sorin Radu, Oliver Jens Schimitt, EdituraPolirom, Iași,2023, p.473

[6]https://www.rri.ro/ro_ro/minoritatea_evreiasca_din_romania_mare-2658453

[7] Carol Iancu, op.cit, p.493

[8]http://holocausttransilvania.ro/ro/exhibits/show/legislatia-antisemita-exp/legislatia-antisemita-ro

[9] Carol Iancu, op.cit, pp.499-503

[10]https://en.wikipedia.org/wiki/Dreyfus_affair#Consequences_of_the_Dreyfus_affair

[11]https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_the_Jews_in_France#Dreyfus_affair

[12] Paul Johnson, O Istorieevreilor, Editura Humanitas, București, 2019, pp.525-526

[13] Julian Jackson, Franța – Anii întunecați 1940-1944, pp.515-516

[14]https://encyclopedia.ushmm.org/content/en/article/france

[15] Julian Jackson, op. cit., pp.517 și 519

[16] Ovidiu Raețchi, IstoriaHolocaustului. Desființareaomului de la ascensiunealui Hitler până la execuțialui Eichmann, EdituraLitera, București, 2022, p.326

[17]Paul Johnson, op. cit, p.573

[18]Jean Ancel, Contribuții la istoria românilor. Problema evreiască 1933-1944. Vol.1, Editura Hasefer, București, 2001, p.113

[19]https://historia.ro/sectiune/general/amintiri-de-la-masacrul-evreilor-din-iasi-video-585107.html

[20]Radu Ioanid, Pogromul de la Iași, EdituraPolirom, Iași, 2021, p.70

[21] Radu Ioanid, op. cit., p.95

[22] Ibidem, p.106

[23]Ibidem, p.350

[24]Timothy Snyder, Pământul negru. Holocaustul ca istorieșiavertisment, Editura Humanitas, București, 2018, p.255

[25] Document 1

[26]Carol Iancu, România interbelică. Modernizarea politico-instituțională și discurs național, coordonatori Sorin Radu, Oliver Jens Schimitt, Editura Polirom, Iași,2023, p.473

[27]Documents 2-3

[28]Document 5

[29]Document 11

[30]Document 6; ’’Ca răspuns la telegramadumneavoastrădin 28 ianuarieprivindcererea de naturalizare a lui Jack Mittelchstein, amonoarea de a vă informa căsolicitantul, după ce aprimitinstrucțiuniledumneavostră, și-a făcutcunoscutăintenția de a completafărăîntârzieredeclarațianecesarăpentru a conferidefinitivcetățeniafrancezăcopiluluisău minor născutînFranța. Acesta a primitdocumentelepe care mi le-ațitrimisînacestscop.’’

[31]Document 13-14

[32]https://ressources.memorialdelashoah.org/notice.php?qt=dismax&q=lindner&start=0&rows=1&fq=diffusion%3A%28%5B4%20TO%204%5D%29&from=resultat&sort_define=&sort_order=&rows=

[33]https://encyclopedia.ushmm.org/content/en/article/france

[34]Document 32

[35] Julian Jackson, op.cit., p.518

[36]Ibidem, p.519

[37]Ibidem, p.521

[38]Yad Vashem, Feuille de Temoignage

[39]OvidiuRaețchi, op.cit., ,Editura Litera, București, 2022, p.479

[40] Julian Jackson, op.cit., p.522

[41]https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_de_Marseille

[42]Spania, Yad Vashem, Centrul de documentare al Shoahului

[43] Julian Jackson, op.cit., p.522

[44]Ibidem, p.523

[45]Ibidem, p.289

[46]https://www.yadvashem.org/yv/en/exhibitions/childrens-homes/izieu/index.asp

[47]https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_de_l%27avenue_Secr%C3%A9tan

[48] Document 28

[49] Timothy Snyder, op.cit., p.230

Contributeur(s)

Le projet de travail biographique sur Nelly Lindner s’est déroulé du 15 octobre 2023 au 1 juin 2024. Douze élèves ont participé à ce projet : Andronache Luciana, Boambă Bianca, Cazacincu Bianca Maria, Ciorsac Elena, Dimitriu Paula, Dughilă Larisa, Grecu Cristiana, Marciuc Octavian, Tătărușanu Sebastian, Vacariu Cosmin et Vasilos Alexandra, encadrés par leur professeures : Mme Rodica Mighiu, Mme Tana Onofrei et Mme Gabriela Mangir.

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