Rachel LEMEL
L’édito
Rachel et Denise Lemel avaient 13 et 11 ans quand elles sont descendues du train qui les a amenées de Drancy à Auschwitz. 13 et 11 ans quand leur vie s’est arrêtée un jour de l’été 1944. Tuées parce qu’elles étaient nées « juives », selon la définition des nazis, reprise à son compte par l’État français. Ce sont ces deux petites filles, deux parmi des centaines dans ce train, parmi des milliers dans le court laps de temps entre 1939 et 1945, qui ont été l’objet de votre attention, vous, élèves à peine plus âgés que ces deux fillettes, pendant votre année scolaire 2021-2022.
Alors que rien ne vous y préparait, vous êtes devenus à la fois ceux qui portent haut le flambeau de leur mémoire et des apprentis historiens, vite expérimentés.
Grâce à votre travail collectif, que résume ce présent journal, vous retracez quels furent les moments cruciaux qui jalonnent la « solution finale des Juifs » mise en place par le régime nazi et ses collaborateurs. Vous nous plongez dans les archives françaises qui détaillent le parcours personnel de Rachel et Denise, tout en ouvrant plus largement sur l’histoire de la déportation en France (les lois raciales, le camp de Drancy, le camp de Beaune-la-Rolande, les camps de travail et le camp Lévitan, la maison d’enfants UGIF de Saint-Mandé, etc.).
Vous dessinez avec délicatesse les portraits et l’histoire familiale, lacunaire, des deux enfants. Avec vous, on vit à Belleville, on entend le bruit des machines à coudre (et j’ai même appris des termes sur le métier de tailleur que j’ignorais, malgré un grand-père devenu tailleur en France à son arrivée de Pologne).
Avec vous, on suit les fillettes arrêtées avec leur mère, Gitla, et leur sœur aînée, Berthe ; on découvre qu’elles sont finalement rayées de la liste des déportés, et vous vous demandez pourquoi, tout en indiquant, en vrais historiens, que la réponse ne peut pas être donnée. On les suit dans leur errance de Drancy à Beaune-la-Rolande puis à nouveau Drancy.
On les découvre ensuite placées par un organisme créé par les nazis, l’UGIF, dans un centre où sont accueillies des fillettes orphelines ou dont les parents sont disparus ou internés. A Saint-Mandé. Elles y vivent à l’abri quelques mois… avant la rafle du 21 juillet. Le directeur du camp de Drancy, Aloïs Brunner, a voulu qu’aucun pensionnaire de ces maisons d’enfants n’échappe à la déportation alors que la défaite allemande est assurée et que les Américains sont aux portes de Paris… La maman de Rachel et Denise, détenue dans un camp de travail dans Paris les rejoint dans le convoi 77, ayant appris la prochaine déportation de ses filles. Seuls leur grande sœur, n’ayant pas été déportée et leur petit frère, ayant échappé à l’arrestation, sont là pour se souvenir d’elles.
Avec votre superbe travail, sérieux, documenté, empathique mais sans pathos, élèves des classes de 3e3 et 3e6 du collège de la Forêt, avec l’appui de vos professeurs Nathalie Berna et Marie Pourriot, et le soutien de M. Wald et Mme Dardaine, Principal et Principale-adjointe de votre établissement, vous avez contribué à sortir Rachel et Denise de l’oubli. Et, grâce à leur tragique histoire, vous avez sans doute compris qu’il faut rester vigilant contre l’antisémitisme, le racisme et toutes les exclusions.
Bravo !
Laurence Klejman
Petite-fille de Golda Klejman, déportée du convoi 77
La Shoah ?
Définition de « Shoah »
En France, la Shoah débute en 1940 et se termine en 1944. Le terme « Shoah » signifie en hébreu « catastrophe », « destruction ». Ce terme signifie la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d’Europe par l’Allemagne nazie à cause de leur identité juive.
En France, on emploie le terme Shoah depuis 1985, date à laquelle est sorti le film de Claude Lanzmann, intitulé Shoah.
Qu’est-ce qu’un génocide ?
Un génocide se définit comme l’intention d’anéantir entièrement un peuple et une civilisation.
Un génocide mobilise des moyens criminels massifs par un appareil d’Etat.
Un génocide se caractérise aussi par son nombre de victimes.
Le nazisme
Le nazisme débute en 1933 en Allemagne et s’étend dans les pays de l’ouest rapidement. Le régime du IIIème Reich prend fin en 1945 avec la défaite de l’Allemagne nazie contre les alliés.
La Shoah en Europe
La Shoah marque une rupture brutale dans l’histoire de l’espèce humaine avec la haine envers les Juifs : l’antisémitisme. Jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir nazi se débarrasse des Juifs en les forçant à émigrer. Environ 150 000 Juifs quittent l’Allemagne dans les cinq premières années du régime mais après le rattachement de l’Autriche en mars 1938, 185 000 Juifs sont rattachés au Reich. Du 6 au 15 juillet 1938, une conférence internationale est organisée à Evian, pour chercher une « solution » aux réfugiés essentiellement juifs.
Le tournant de l’année 1938 en Allemagne
L’année 1938 est marquée par la politique antijuive du régime nazi. Le 26 avril, les Juifs sont contraints de déclarer tous les biens qu’ils possèdent. C’est le début d’un processus appelé « aryanisation ». Les entreprises, commerces et travailleurs indépendants sont contraints de fermer ou d’être confisqués.
La Shoah en Pologne
Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes envahissent la Pologne.
L’Armée rouge prend la défense polonaise à revers en appliquant les dispositions secrètes du pacte germano-soviétique, signé le 23 août par l’Allemagne et l’URSS qui se partagent le territoire polonais, après quatre semaines de combat. Au total, 1 900 000 Juifs habitent dans ces deux zones. Les premiers ghettos apparaissent à la fin de l’année 1939 dans la zone annexée au Reich, et au printemps 1940, dans le «Gouvernement général» de Pologne.
Enfin, la destruction des Juifs est cachée à la population grâce au vocabulaire employé comme « Vent printanier » (nom de code pour une « rafle coordonnée mi-juillet en France, Belgique, Hollande… à Paris, cela a donné la rafle du Vel d’hiv » nous a expliqué L. Klejman, « la solution finale de la question juive », « transfert à l’Est », « traitement spécial »…
Les débuts de la Shoah en France
Dès septembre 1940, les Juifs de France sont frappés de plein fouet par des lois antisémites, après l’invasion allemande en mai 1940 et la signature de l’armistice par le maréchal Pétain, en juin. Dès octobre, la France coopère avec l’Allemagne qui occupe une partie du territoire français, la « zone occupée ». Un Commissariat aux Affaires juives est créé en mars 1941. Les Allemands demandent à ce que la police française arrête Juifs et Résistants. A partir du 29 mai 1942, tous les Juifs de plus de 6 ans résidant en « zone occupée » doivent porter un signe distinctif, une étoile jaune pour pouvoir les identifier dans la rue ou à l’école pour les enfants. Certains métiers sont interdits pour eux (professeur, politicien…) tout comme certains lieux : par exemple, les parcs, les bibliothèques.
Les 16 et 17 juillet 1942, une rafle est mise en place. On l’appelle « Rafle du Vel d’Hiv » : celle-ci cause l’arrestation d’environ 13 152 Juifs (hommes, femmes et enfants) qui ont des destinées variées au cœur de la tourmente.
Loane et Manon, 36
Les débuts de notre enquête
Présentation du projet
Nos professeures, Mme Berna et Mme Pourriot, nous présentent le projet en octobre 2021.
Nous faisons la connaissance de Rachel et Denise Lemel grâce à une photographie de groupe, que nous pensons être une photographie de classe, comme nous en faisons tous les ans, à la rentrée des classes…
Nous remarquons tout d’abord qu’il n’y a que des jeunes filles : est-ce une école de filles, comme c’était le cas à l’époque ? Les jeunes filles ont l’air souriantes.
Puis, un détail nous interpelle. Presque toutes ont une étoile cousue sur le côté gauche de leur vêtement…
Pourquoi portent-elles toutes une étoile…?
Nous entrons dans la vie de la famille Lemel à la date de cette photographie, prise le 18 décembre 1943, à Saint Mandé. Nous constatons alors que certaines des petites filles ne sont pas identifiées. Pourquoi n’a-t-on pas leur identité ?
Premières archives : 1956… ?
Nous découvrons alors les premiers documents d’archives en notre possession : le dossier de Rachel Lemel avec pour mention « Acte de décès – Mort pour la France »…
Le dossier est daté de 1956, douze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale…
Que s’est-il passé ? Pourquoi a-t-il fallu attendre onze ans, le 30 novembre 1956, pour qu’elle soit reconnue « déportée politique » ? Et surtout, pourquoi ce statut ?
Notre enquête commence…
Les élèves dépouillent les archives minutieusement en mettant en commun leurs découvertes au moyen d’un outil de travail collaboratif. Puis, petit à petit, ils se répartissent les différents lieux, les éléments contextuels qui jalonnent le parcours de vie de la famille pour produire des articles de presse.
Bravo aux élèves pour leur persévérance et leur implication dans ce projet…
Les professeures.
Le statut de « déporté politique »
Le premier dossier d’archives…
Nous découvrons deux dossiers administratifs de 1956, issus du Ministère des Anciens Combattants et des Victimes de guerre.
Les dossiers font 29 et 34 pages : nous entrons dans la vie de Rachel et Denise…
30 novembre 1956. Le ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre attribue à Rachel et Denise Lemel le statut de « déporté politique ». Pourquoi ?
Le statut de déporté politique
Les déportés sont des personnes qui ont été arrêtées après le 16 juin 1940, sous le régime de Vichy et lorsque les autorités allemandes se sont installées en France.
Sont considérés comme déportés politiques les Français transférés par l’ennemi hors du territoire national, puis incarcérés ou internés, pour tout autre motif qu’une infraction au droit commun.
L’obtention de ce titre donne droit à une « prime de déportation » d’un montant de 5000 Francs ainsi qu’à une carte officielle de déporté politique. Cette carte est délivrée par le service de l’Office National des Anciens Combattants.
Il y a deux statuts distincts, les « Résistants » considérés comme des combattants volontaires et les « politiques », victimes civiles définies comme ceux qui ont été arrêtés pour tout autre motif qu’un acte de Résistance. Les deux titres désignent des personnes victimes de persécutions raciales, des otages et des victimes de rafles, ainsi que toutes les personnes arrêtées en raison de leur opinion politique.
La loi de septembre 1948
Le statut des déportés et internés politiques est institué par la loi n°48-1404 du 9 septembre 1948, déclarant dans son premier article « La République française reconnaissante envers ceux qui ont contribué à assurer le salut du pays, s’incline devant eux et devant leurs familles, détermine le statut des déportés et internés politiques, proclame leurs droits et ceux de leurs ayants cause ».
Le 9 septembre 1948, est créée également la Médaille de la Déportation et de l’Internement politique. Cette médaille est attribuée à 76 000 déportés depuis le territoire français et internés en France. Il est à noter toutefois que les étrangers ont pu obtenir le statut de déporté politique, à condition d’être résident en France avant le 1er septembre 1939 et que la mention « Mort pour la France » est réservée aux seuls citoyens français.
Enfin, la loi a changé le titre de déporté racial et l’a remplacé par « déporté politique ».
Le statut d’interné politique
Une personne dite « interné politique » signifie qu’elle a été internée sur le territoire français, dans un camp (la France métropolitaine en comptait plusieurs dizaines).
Le statut d’interné politique est attribué aux personnes de nationalité française qui, « à la suite de leur arrestation, pour tout autre motif qu’une infraction de droit commun, ont été internés par l’ennemi ». Pour les étrangers, il faut « que la date à laquelle ils ont commencé à résider en France soit antérieure au 1er septembre 1939 ». Ils bénéficient alors du statut d’interné politique.
Obtention du titre de déporté politique
Un formulaire permet à une personne qui a été déportée de demander le titre de déporté politique. Le formulaire comprend les renseignements d’état-civil, des informations sur son arrestation, son internement, sa déportation et son rapatriement.
Les droits accordés aux déportés politiques
A partir de 1948, les « déportés politiques » ont le droit à :
- une pension de victime civile de la guerre
- à l’indemnisation pour perte de biens
- au port de la médaille de la déportation et de l’internement
- à la qualité de ressortissant de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de guerre.
Margot et Ryanna, 36
Brzeziny et Rawa, début XXème siècle …
Gitla Zylberberg naît le 24 juin 1898 à Brzeziny, en Pologne.
Zelman Lemel naît, quant à lui en 1905, à Rawa Mazowie. La date exacte de sa naissance ne figure pas sur l’acte de décès que nous avons retrouvé. Il est le fils de Genendla Lemel.
Tous deux se marient à Brzeziny, en Pologne le 29 octobre 1929.
Avant leur mariage, ils ont déjà une petite fille, Bejla ou Bayla (francisée en Berthe). Cette dernière naît, quant à elle, le 25 mai 1929…
Vraisemblablement, Zelman a parcouru les 1530 km qui séparent Brzeziny de Paris peu de temps après son mariage car le 29 novembre 1929, Zelman arrive en France, sans doute poussé par la montée de l’antisémitisme et les lois restrictives nombreuses qui fleurissent en Pologne.
Il est rejoint par sa femme et sa fille, le 6 décembre 1930.
En France, on retrouve aussi la mère de Zelman, Genendla Lemel, ainsi que sa sœur (la famille Morawiecki : David et Idessa, née Lemel).
Brzeziny
Nous avons trouvé deux villes portant le nom de Brzeziny. Toutefois, nous pensons que la ville d’origine de Gitla est une ville du centre de la Pologne. Elle se situe dans la voïvodie de Lodz (équivalent d’une région). Brzeziny est aussi le chef-lieu du Powiat (division administrative et collectivité territoriale) de Brzeziny.
Brzeziny se situe au sud de Lódz, à environ 21km et au sud-ouest de Varsovie à 101km environ.
Pourquoi ce nom ? La ville se situe à la place d’un ancien bois, le bois de bouleau (qui se dit « brzozy » en polonais).
Brzeziny pendant la Seconde Guerre mondiale
Dès mai 1940, les nazis établissent un ghetto dans une partie de la ville. Ce ghetto est liquidé le 14 mai 1942. Les survivants de celui-ci sont déplacés vers le ghetto de Lódz.
Entre 1942 et 1944, ce sont donc 6 000 habitants juifs vivant à Brzeziny qui sont assassinés par les forces allemandes.
Julien, 36
Rawa Mazowiecka
Cette ville se situe au centre de la Pologne dans la voïvodie de Lódz.
Elle se trouve à 80km de Varsovie et une trentaine de kilomètres de Brzeziny.
Malo, 36
La famille LEMEL part en France en 1929 et 1930. Ils ne connaissent donc pas l’invasion allemande. En effet, les villes ont été envahies en 1939.
Paris 20ème, Quartier de Belleville, 1930
Gitla a 32 ans lorsqu’elle arrive en France, Zelman en a 25 et Berthe 1 an ½.
La famille s’installe au 12 passage Ronce, dans le 20ème arrondissement de Paris, dans le quartier de Belleville.
Nous les retrouvons recensés en 1931, au 12 Passage Ronce.
Nous avons eu la chance cette année d’assister à la conférence d’Esther Senot, qui a vécu au 10 Passage Ronce. Nous lui avons demandé si elle connaissait la famille Lemel… Malheureusement, elle ne se rappelle pas.
Paris, 20ème, dans les années 1930-1940
Le quartier Belleville est rattaché à Paris en 1860. Le 20ème arrondissement se situe à l’est de Paris. Le 20ème arrondissement, situé sur la rive droite de la Seine, est le dernier des vingt arrondissements de Paris.
Entre 1918 et 1939, de nombreux migrants d’origines différentes s’y installent.
Ce sont des gens de la classe populaire, de diverses origines : des Arméniens, des Grecs et des Polonais de confession juive. Ils contribuent énormément au développement de l’artisanat, plus précisément celui du cuir, qui est déjà présent à Paris.
Camilia et Aubane, 33
« A l’époque, nombre d’immigrés juifs d’Europe centrale et orientale trouvaient un premier logement dans ces secteurs de la capitale, nord, est, et faubourgs des communes limitrophes. […] Nous, Juifs originaires de Pologne, je pense que nous étions les plus nombreux. […] Il faut savoir que dans les premières décennies du vingtième siècle, la France était perçue un peu comme une terre promise. Beaucoup de Juifs fuyaient la misère et l’antisémitisme, fondant une espérance profonde en ce pays. Dans notre imaginaire familial, c’était un peu une anti-Pologne ! Les mots de liberté et d’égalité faisaient rêver une population condamnée à la pauvreté, à l’exclusion, terrorisée par les pogroms ou leur menace. » (La Petite fille du Passage Ronce, E. Senot, 2021, p.16)
Le métier de presseur et tailleur d’habits …
Zelman travaille comme tailleur d’habits comme beaucoup de ses voisins de quartier. On apprend dans le dossier de Berthe et Henri, fourni par l’OSE, qu’il acquiert un atelier au bout de quelques années.
La famille s’agrandit.
Rachel naît à Paris (12ème) le 28 septembre 1931.
Denise naît à Paris (12ème) le 12 décembre 1933.
Henri naît à la Varenne, le 17 novembre 1936.
Malheureusement, Zelman décède le 24 juillet 1937, d’une crise d’urémie.
La famille doit faire face à des difficultés financières, Gitla ne travaillant pas…
La profession
Définition du métier de tailleur
Le tailleur, également tailleur d’habits, est un artisan qui coupe et confectionne des vêtements essentiellement des complets sur mesure pour homme.
Le métier de tailleur consiste à couper, coudre, fabriquer et vendre des vêtements, à étoffer les pièces nécessaires à la confection d’un vêtement.
A partir du XIXème, l’industrie de la confection se développe considérablement, conduisant à une marginalisation du métier de tailleur, lequel appartient aujourd’hui pour l’essentiel à l’industrie du luxe.
Les conditions de travail sont liées à la saisonnalité, aux fêtes religieuses, aux manifestations culturelles et aux besoins spécifiques de chaque client. Les horaires de travail sont souvent irréguliers et rythmés par les mariages et les fêtes religieuses.
Dans le travail du tailleur, il y a le saladeur qui prépare les buches : ce sont des pièces pour les doublures; l’apiéceur qui procède aux modifications des costumes; le culottier qui assemble des pièces (pantalons); le giletier qui assemble les pièces (gilet); le boutonniériste qui confectionne les boutons pour les costumes.
Dans l’Entre-deux guerres, 70% des ouvriers du vêtement sont des Juifs d’Europe orientale. Dès les années 1840, près de la moitié des tailleurs à Paris sont originaires d’Allemagne, de Hongrie et de Pologne, mais la plupart de leurs ouvrières sont françaises. Ils se tournent parfois vers des professions qui rebutent les autres comme la teinturerie, la maroquinerie, la cordonnerie.
« Les émigrés juifs venus de Pologne ne sont pas forcément tailleurs avant d’arriver en France, mais les migrants se spécialisent par groupe ethnique : les maçons italiens d’abord, espagnols ensuite, les tailleurs juifs polonais. » ajoute L. Klejman.
La Deuxième Guerre mondiale a un effet dévastateur sur l’industrie. Pénurie des moyens, concentration économique imposée par le régime de Vichy, et « aryanisation » des maisons juives qui décime le secteur. On estime que la moitié des travailleurs à domicile juifs est déportée.
Enola et Nell, 33
L’école des filles, rue Etienne Dolet
Nous retrouvons la trace de Berthe, Rachel et Denise dans les registres d’école, fournis par les Archives de Paris.
Elles sont vraisemblablement scolarisées jusqu’en 1940 ou 1941…
L’école des filles se trouve dans le quartier de Ménilmontant. Il est associé au quartier de Belleville.
A la suite du témoignage d’Esther Senot, on découvre que le quartier de Belleville n’est pas très riche. Les enfants vivent dans la rue, ce qui montre une forme de liberté et d’indépendance. Elle nous explique aussi se rappeler que « les appartements sont petits » et qu’ « ils sont plusieurs dans le même appartement. » Elle ajoute dans son ouvrage que le logement Passage Ronce « était très modeste. Dans cette ruelle étroite, où ne passaient pas les voitures, il s’agissait d’une bâtisse de deux étages. » (Ibid., p.16/17). Une forte population d’immigrés est très présente dans le quartier de Bellevile.
Ménilmontant est l’un des principaux contributeurs à l’alimentation en eau de Paris. Il reçoit aussi les tous premiers télégraphes (= système de communication sur de grandes distances rapides et fiables). Ce quartier se situe entre le 19e et 20e arrondissement.
Aujourd’hui, quand nous évoquons le quartier de Belleville, nous parlons plus du quartier administratif.
L’école élémentaire de Berthe, Rachel et Denise Lemel se trouve à Paris, dans le 20ème arrondissement, rue Etienne Dolet.
De 1933 à 1965, les filles et les garçons étudient dans des locaux différents. De nos jours, l’école est toujours ouverte. Les enseignants y exercent encore et il y a actuellement 139 élèves pour huit classes.
Pendant la guerre…
En 1939, la guerre commence. Les écoles sont alors évacuées de peur que Paris ne soit bombardée. Pendant un mois, les élèves restent dans les campagnes puis l’école reprend fin 1939.
En mai-juin 1940, tout le système scolaire change durant l’exode. Les épreuves nationales ne sont pas maintenues. Les enfants vivant à Paris sont emmenés en zone non occupée, à la campagne. La rentrée suivante, en 1941, les écoles rouvrent. La propagande se poursuit. Les professeurs doivent prêter serment de fidélité au maréchal Pétain, qui multiplie les visites d’école (on fait accrocher une photographie de Pétain dans chaque salle de classe).
Les conditions de vie à l’école sont difficiles. En effet, les enfants souffrent de sous-alimentation dans les cantines. Comme la France est occupée par les Allemands, il devient difficile de se fournir.
Enfin, dès le 3 octobre 1940, les enseignants juifs sont exclus. Etant Juifs, ils n’ont plus tous les droits ni les mêmes accès que les autres personnes non-juives. Les écoles se vident de leurs élèves juifs, cachés ou déportés.
Chloé, Eline, 36
Fin 1940, le recensement des juifs … Eté 1942, un remariage de complaisance …. ?
Le 18 août 1942, Gitla se remarie avec Roger Eugène Seeuws (né le 28 mai 1909 à Paris et décédé le 20 août 1959 à Paris, 20ème), un Français dont la profession est couvreur-plombier.
Est-ce un vrai mariage d’amour ou un mariage de complaisance pour permettre à Gitla d’obtenir la nationalité française ?…
En effet, nous avons constaté qu’il ne se manifeste dans aucun des documents pour faire reconnaître le décès de sa femme, de même qu’il n’est pas impliqué dans le processus de mise sous tutelle du jeune Henri…
Le statut des Juifs
A la suite de l’ordonnance allemande du 27 septembre 1940, les Juifs doivent se faire recenser. C’est la préfecture de police française qui communique par voie de presse et d’affiches.
Les « ressortissants juifs devront, en conséquence, se présenter dans les commissariats des quartiers ou circonscriptions de leur domicile, munis de pièces d’identité. »
Le recensement a lieu du 3 au 19 octobre 1940.
Puis, deux lois encadrent le statut des Juifs sous le régime de Vichy: la loi du 3 octobre 1940 puis la loi du 2 juin 1941.
Que dit la loi d’octobre 1940 ? Elle exclut les Juifs de tous les postes de la fonction publique, des professions libérales… et proclame la notion de « race juive ». Elle permet la mise en œuvre d’une politique raciale et antisémite.
La « loi » de juin 1941 s’étend à tout le territoire français, occupé ou non occupé.
C’est l’ordonnance allemande du 29 mai 1942 qui impose aux Juifs, en France, le port de l’étoile jaune. Celle-ci est distribuée par les commissariats.
La naturalisation est une procédure qui permet d’obtenir la nationalité française pour un ressortissant étranger. Cette procédure n’est pas automatique. D’une part, la naturalisation est soumise à plusieurs conditions, et d’autre part, elle doit faire l’objet d’une demande auprès des autorités compétentes.
D’après les archives historiques de la nationalité française, un appel massif à la main d’œuvre étrangère est mené en 1919. En effet, à la fin de la Première Guerre mondiale, en France, le bilan humain est lourd : un million et demi d’hommes morts et plus de deux millions de personnes handicapées.
Par conséquent, la France fait massivement appel à la main d’œuvre étrangère. Celle-ci vient notamment de Pologne. Des Juifs polonais viennent alors s’installer en France, pensant être protégés de toute menace dans le pays des droits de l’homme.
Le régime de Vichy, mis en place en 1940, met fin à ce sentiment de protection. En effet, la promulgation des lois antisémites à partir de septembre 1940 ne permet plus aux Juifs étrangers dans un premier temps puis français ensuite de se sentir protégés.
Pour que les étrangers s’intègrent facilement, la loi du 10 août 1927 facilite l’accès à la nationalité française. La durée de résidence est réduite à trois ans, le 10 août 1927. Cette loi permet également aux enfants nés d’une mère française et d’un père étranger de devenir Français.
Cette situation est très fréquente. Le nombre de naturalisations s’élève à 38 000 par an en moyenne de 1927 à 1938. En 1938, elle atteint 81 000 naturalisations.
1940, suspension des naturalisations
Le gouvernement de Vichy met fin aux naturalisations et reproche à la loi de 1927 « d’avoir fait des Français trop facilement ».
La loi du 22 juillet 1940, annulée en 1944, impose le principe d’une révision générale des naturalisations accordées depuis 1927.
La nationalité française est donc retirée par décret. Elle est enlevée après avis d’une commission. Il faut que cette commission contienne la composition et le mode de fonctionnement qui sont fixés par arrêté du Garde des Sceaux.
500 000 dossiers sont ainsi réexaminés et la nationalité française est retirée à 15 000 personnes, en grande partie des personnes d’origine juive.
En conséquence de la loi du 23 juillet 1940, de nombreux Résistants comme le général de Gaulle, Philippe Leclerc de Hautecloque, Pierre Mendès-France…. sont aussi déchus de la nationalité française.
Qu’est-ce qu’être Juif dans les années 1940 ?
Le régime de Vichy promulgue un nouveau « statut des juifs ». Désormais, « est considéré comme juif, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race si son conjoint lui-même est juif ». Être juif n’est donc pas une question de religion, mais bien de «race».
Gitla pense probablement que se marier avec M. Seeuws, Français non juif, peut la sauver, elle et ses enfants, de la déportation. « Ma mère s’est remariée, je ne sais pas quand ; je pense qu’elle s’est remariée uniquement pour avoir la nationalité française, en espérant nous protéger. Je sais que j’ai revu ce Monsieur, une fois, étant tout jeune ; Berthe avait eu besoin de le voir, je me trouvais à Paris à ce moment-là, elle m’a emmené le voir, il était à l’hôpital. […] Depuis, je n’ai jamais entendu parler de lui. » (in Vivre, aimer avec Auschwitz au cœur, 2002, p.162)
Malheureusement, se marier avec celui-ci ne l’a pas sauvée.
1945, lois de Vichy annulées
Après la Libération, le gouvernement du général de Gaulle rétablit la légalité républicaine en annulant la plupart des lois de Vichy.
Il promulgue, le 19 octobre 1945, le code de la nationalité française.
Ce sont d’abord les étrangers ayant participé à la Résistance qui sont récompensés par la naturalisation.
Elisa et Clémence, 33
Puis, vient le moment de l’arrestation…au 12 Passage Ronce, à Paris (20ème), en décembre 1942…
Dans son ouvrage La Petite fille du passage Ronce (2021), E. Senot précise que « dans notre passage Ronce, 27 familles ont été concernées, 68 personnes ont été assassinées. » (p.124)
L’arrestation puis Drancy
En décembre 1942 (le 15 ou le 16 ?), la famille Lemel est arrêtée par la Gestapo chez elle, sauf Henri qui est « chez une voisine » (in Vivre, aimer avec Auschwitz au cœur, 2002, p.162) et échappe donc à la rafle. Il se peut que les trois filles n’aient pas été arrêtées en même temps que leur mère car les dates, sur les documents, ne correspondent pas tout à fait. En effet, aux AN, dans le fichier F9 5729, il est indiqué la date du 16 décembre 1942 pour Gitla tandis que sur les fiches d’internement de Beaune des trois filles, il est indiqué la date du 15 décembre 1942… Quant à celles de Drancy, on lit la date du 16 décembre 1942…
Toutefois, elles se retrouvent toutes les quatre internées à Drancy, pendant près de trois mois.
Le 11 février 1943, Berthe, l’aînée, qui a alors 14 ans et sa sœur Denise, 10 ans, apparaissent sur la liste du convoi n°47 (AN_Bad Arolsen_1.1.9.1 VCC 87b. Listes – De Drancy vers Auschwitz, 11-02-1943), au départ de Drancy, direction Auschwitz. On sait, grâce aux archives qu’elles ne sont jamais parties…
Berthe et Denise ont-elles été enlevées à la dernière minute des déportés de ce convoi parce que leur mère avait un statut de « non déportable » en raison de son mariage avec un Français ?… Nous l’ignorons.
Drancy …
Gitla, Berthe, Rachel et Denise se retrouvent alors internées au camp de Drancy, après leur arrestation de décembre 1942.
Drancy
Situé dans la banlieue est de Paris, à 4 km de la capitale, Drancy est une ville plutôt ouvrière. Le site qui sert de camp pendant l’Occupation s’appelle la Cité de la Muette.
La création du camp
Le camp d’internement de Drancy est le principal camp de transit des Juifs de France déportés dans les camps de concentration ou les centres de mise à mort nazis, en Pologne.
Au départ, le camp n’est qu’un ensemble de bâtisses à quatre étages, en forme de U et encadré de cinq tours. En effet, dès les années 1930, des logements y sont construits pour loger à bon marché des familles venant de Drancy. La construction de ces bâtiments s’est déroulée de 1931 à 1937. La construction, ayant commencé en 1931, est encore inachevée lorsque la guerre commence.
Occupés par les troupes allemandes en juin 1940, les lieux servent d’abord de camp d’internement pour des prisonniers de guerre et des civils étrangers.
Première période (1941-1942)
C’est sous la pression des Allemands que la Préfecture de police y crée le 20 août 1941 un camp destiné aux Juifs. Le camp est cerné par une double rangée de barbelés et par un chemin de ronde. Enfin, des miradors sont mis en place aux quatre coins du camp. Les premiers Juifs internés arrivent le 20 août 1941. Parmi eux 4 230 hommes dont 1 500 Français.
Rapidement, à cause des mauvaises conditions d’hygiène, une dizaine d’internés meurt dans les premiers jours.
Couchés sur des planches ou à même le sol, sans paillasse ni couverture, les Juifs internés sont à 50/60 par chambrée, après avoir été dépouillés de leurs papiers d’identité et de toute somme d’argent supérieure à 50 francs. En guise d’alimentation, ils reçoivent chaque jour 250 grammes de pain et trois soupes sans légume, qu’ils boivent dans des récipients de fortune qu’ils partagent à plusieurs. Les colis sont interdits. Les internés n’ont aucune activité, sauf quelques corvées exigées pour l’entretien du camp. Les sorties de la chambrée sont réduites à une heure par jour, escalier par escalier.
Les plus faibles ne sortent que pour l’appel, qui rythme la journée, une à deux fois par jour. Les conditions sanitaires sont rudimentaires : la dysenterie* rôde.
Pour se laver, les 5 000 détenus, internés de 1941-1942, n’ont que 20 robinets à leur disposition. La vermine se multiplie, les internés sont dévorés par les poux et les punaises.
Les fenêtres ferment mal et le vent s’engouffre dans les chambrées. En hiver, le chauffage est nettement insuffisant.
Pour tout acte d’indiscipline, un interné est condamné à quelques jours de cachot après avoir eu la tête rasée.
L’improvisation des premiers temps laisse bientôt place à un début d’organisation
Le service du courrier est pris en charge par les internés. Les douches fonctionnent. Les appels ont désormais lieu dans les chambrées.
Le 20 septembre 1941, la Croix-Rouge est autorisée à installer une permanence dans le camp et à fournir le ravitaillement collectif. Des paillasses, des couvertures, des lits superposés arrivent enfin. Le courrier est autorisé mais réduit à une seule carte tous les quinze jours.
En novembre 1941, 750 internés sont libérés sous le contrôle d’une commission de médecins de la Préfecture et des militaires allemands.
En décembre 1941, certains grands malades sont transférés à l’hôpital Tenon, puis à l’hôpital Rothschild. Le 3 juillet 1942, à 6 heures, tous les malades sont rapatriés à Drancy par la police française.
Les colis alimentaires, autorisés depuis le 1er novembre 1941, sont éventrés pour s’assurer qu’ils ne contiennent rien de suspect. Les gendarmes chargés de la fouille en profitent souvent pour confisquer tout ce qu’ils peuvent pour leur propre compte ou pour alimenter le marché noir. Les visites étant interdites, certaines familles tentent d’apercevoir un des leurs en s’approchant du camp.
Le 12 décembre 1941, un détachement allemand avec à sa tête Theodor Dannecker, chef du service des affaires juives auprès de la Gestapo en France, vient chercher 50 Juifs qui sont fusillés avec d’autres otages non-juifs. 300 autres détenus sont transférés à Compiègne pour compléter un convoi de déportés vers l’Est. Entre décembre 1941 et mars 1942, plusieurs dizaines de Juifs sont enlevés de Drancy pour être fusillés, le camp étant alors utilisé par les Allemands comme « réservoir d’otages ».
Le début de la « Solution Finale » en France
C’est à partir du printemps 1942 que partent les premiers convois vers les centres de mise à mort dans l’Est de l’Europe.
En effet, le 27 mars 1942, le premier convoi de déportés part du camp de Drancy, en direction du centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau, emportant 1 112 déportés.
Deuxième période (1942-1943)
Cette période, sous la direction du S.S Heinz Röthke, est la plus marquante en raison des déportations massives.
En 12 mois, 40 000 personnes, qui en majorité sont des enfants, des femmes et des vieillards sont déportées dans les différents centres de mise à mort de l’est de l’Europe comme celui d’Auschwitz – Birkenau. Cette période est aussi marquée par la rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, où un peu plus de 13 000 Juifs sont arrêtés par la gendarmerie française. Ils sont ensuite entassés dans le Vélodrome d’Hiver, à Paris. Ces 13 000 hommes, femmes et enfants, sont ensuite internés progressivement à Drancy ou dans les camps d’internement du Loiret, avant de partir dans les centres de mise à mort.
Durant cette période, ce sont trois convois de 1 000 déportés par semaine qui sont envoyés à la mort. En tout, 30 000 Juifs sont déportés en trois mois.
Troisième période (1943-1944)
En 1943, un autre S.S, Aloïs Brunner, prend la direction du camp de Drancy.
En dépit de la priorité accordée aux trains de déportation, les difficultés rencontrées par l’armée allemande sur les différents fronts, provoque un ralentissement du rythme des déportations des Juifs de France.
La vie dans le camp est plus organisée, mais la violence quotidienne des Allemands continue. Ceux-ci sont peu nombreux, donc ce sont des détenus qui sont chargés de l’organisation interne du camp.
Entre temps, l’administration française a été remplacée par une administration allemande. En revanche, les gendarmes français assurent toujours la surveillance du camp.
Un événement dramatique marque le camp en 1944 : c’est l’arrestation de 300 enfants juifs gardés dans des orphelinats de l’Union Générale des Israélites de France (UGIF). Ce sont des enfants de 2 à 13 ans qui sont arrêtés et déportés, dont Rachel et Denise.
Le 31 juillet 1944 (25 jours avant la libération de Paris), le dernier convoi, le convoi 77 quitte Drancy avec un peu plus de 1 300 déportés dans lequel on compte les 300 enfants arrêtés un peu plus tôt.
Bilan
Plus de 80 000 Juifs ont été détenus à Drancy, entre mai 1941 et août 1944.
64 trains sont partis de Drancy soit 73 853 déportés au total.
De nos jours, le camp de Drancy est un Musée-Mémorial, en l’honneur des victimes de la Shoah. Il a été inauguré par le Président de la République, François Hollande, le 21 septembre 2012.
Anthony, 36
Kalina et Margot, 33
* Dysenterie
Diarrhées très importantes causées par une infection bactérienne, un parasite ou des produits toxiques irritants.
L’arrivée au camp de Beaune-la-Rolande …
C’est alors que Gitla, Berthe, Rachel et Denise sont transférées au camp de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, pendant une courte période : du 9 mars au 23 mars 1943.
Nous avons retrouvé leurs fiches d’internement.
Elles sont ensuite de nouveau transférées à Drancy le 23 mars 1943.
Le camp de Beaune-la-Rolande
Beaune-la-Rolande se situe au centre de la France, dans le département du Loiret.
En 1937, la ville de Beaune-la-Rolande possède un terrain de sport et une salle de gymnastique.
En 1938, ce terrain de sport est occupé par de nombreux baraquements (en bois, disposant de châlits à étages recouverts de paille) dans le cadre du plan d’évacuation des populations civiles. Ces baraques deviennent vite « le camp ».
Dès 1940, les Allemands y enferment des prisonniers de guerre français par milliers.
Rapidement, les autorités allemandes agrandissent ce camp. Les prisonniers en trop grand nombre repartent dans les fermes voisines ou chez l’habitant pour aider aux travaux mais surtout pour y être nourris. Ils font acte de présence, au début, deux fois par semaine à la Kommandantur (services locaux d’un commandant d’armes allemand). Ils le font ensuite tous les matins jusqu’au jour où les prisonniers n’ont pas le droit de repartir. Ils sont alors transportés, en train, puis répartis dans les camps en Allemagne (tels que Dachau, Auschwitz-Birkenau…).
Le premier départ, le 4 octobre 1940, est le plus important. En mars 1941, les derniers prisonniers sont évacués dans des stalags (camp de prisonniers de guerre) en Allemagne.
A partir du 14 mai 1941, le camp accueille des hommes, Juifs français raflés en France occupée par la police française. Après la rafle du Vel d’hiv, près de 8000 femmes et enfants y sont internés, puis des enfants seuls, dont les parents ont été déportés.
Au début, les sorties et les visites pour les Juifs sont occasionnellement autorisées. L’envoi et la réception de courriers et colis sont réglementés et soumis à la censure. Puis, tout est stoppé.
Plusieurs s’échappent, aidés par l’ancien député-maire, Henri Chevrier et les habitants de Beaune. Mais la surveillance (entièrement française) augmente et tous sont convoyés par train depuis la gare de Beaune-la-Rolande dans des conditions inhumaines vers des centres de mise à mort tels que Auschwitz-Birkenau ou encore Majdanek.
C’est pendant l’été 1942, que des familles juives, soit plus de 3 000 personnes, sont internées à Beaune-la-Rolande. A l’image de la rafle du Vel d’Hiv (le 16/17 juillet 1942), où les familles juives sont entassées dans le vélodrome, la situation sanitaire est catastrophique.
Des maladies contagieuses apparaissent : les malades sont transférés par une voiture sanitaire de la Croix Rouge vers l’hôpital, tout comme ceux du camp de Pithiviers, avant d’être dirigés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau.
Les mères sont séparées de leurs enfants pour être déportées avant ces derniers les 4 et 6 août 1942.
« Les séparations des mères et des enfants sont des scènes abominables. On arrache de force les enfants aux parents. » raconte Annette Krajcer, qui avait 12 ans lorsqu’elle a été séparée de sa mère. » (in https://www.musee-memorial-cercil.fr/pithiviers-beaune-la-rolande/)
Les enfants restent donc dans le camp, certains sont tellement jeunes qu’ils ne savent pas encore dire leur nom. C’est le 13 août 1942, depuis Berlin, que les autorités allemandes donnent leur accord pour la déportation des enfants. 4 400 enfants sont assassinés dès leur arrivée dans le camp d’Auschwitz-Birkenau
En mars 1943, plus de 120 internés Juifs arrivent à Beaune-la-Rolande venant de Drancy, dont la famille Lemel…
Le camp ferme le 12 juillet 1943 et est détruit en 1947. Une école ménagère a été construite sur ces lieux, puis le Lycée Professionnel Agricole, un lycée agricole régional, toujours en place.
Un monument a été érigé ainsi qu’un mur des noms pour honorer la mémoire des personnes qui ont été internées dans ce camp.
Mélyne, 36
Extraits du Billet vert, D. Diamant, 1977
« Le camp de Beaune-la-Rolande se composait de vingt baraques, dont chacune pouvait accueillir de 120 à 180 personnes et parfois même 200. Quelques-unes furent réservées, partiellement ou totalement, aux services du camp (cordonnerie, « salon » de coiffure, lavoirs, douches, cuisines, infirmerie, sans oublier un bâtiment destiné à servir de prison. [Cette baraque était surnommée le gnouf.] Ultérieurement, une baraque fut consacrée au théâtre et aux offices religieux. Le sol des baraques était en ciment. Quelques-unes seulement étaient pourvues d’un plancher. Pendant l’hiver, on souffrait terriblement du froid ; l’été on était accablé de chaleur. »
« A Beaune-la-Rolande, les internés avaient inventé un moyen peu commun de se chausser : ils découpaient des planchettes de bois dans de vieilles caisses, et, avec les ficelles ou les bandelettes de cuir qu’ils pouvaient trouver, ils se fabriquaient des « choses » destinées à leur protéger les pieds. »
L’hôpital Rothschild
De retour à Drancy, Gitla doit être opérée en urgence à l’hôpital Rotschild de Paris, le 05 juin1943, tandis que les filles sont « libérées » et confiées à l’UGIF.
Les trois filles, Berthe, Rachel et Denise, sont séparées de leur mère à ce moment-là.
Les origines de l’hôpital Rothschild (1852-1940)
L’hôpital Rothschild a été créé par James de Rothschild, en 1852. Ce banquier français naît en Allemagne, dans une célèbre famille du monde des affaires. Son père, Mayer Amschel Rothschild (né Bauer) voit le jour dans un ghetto juif à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne en 1744, et fait fortune dans le monde de la finance.
Appelé « hôpital israélite », l’hôpital Rothschild a initialement pour vocation de soigner et accueillir des personnes juives. Il ouvre ses portes le 25 mai 1852.
Il se situe à Paris dans le 12ème arrondissement, rue de Picpus. C’est à l’origine un hôpital et un hospice pour les personnes âgées juives. De 1912 à 1914, à l’initiative du baron Edmond de Rothschild, l’hôpital est intégralement reconstruit dans la rue Santerre afin d’accueillir davantage de malades. Il dispose de 340 lits en 1937. L’ancien hôpital devient exclusivement une maison de retraite. Déclaré hôpital auxiliaire militaire durant la Première Guerre mondiale, il reçoit les blessés du front et les civils victimes de la guerre sans distinction religieuse. Au lendemain de la guerre, il retrouve sa fonction initiale d’hôpital destiné à soigner les malades de confession juive.
L’hôpital Rothschild sous l’Occupation allemande (1940-1944) : un hôpital transformé en centre de détention
Lors de la déclaration de guerre en septembre 1939, l’hôpital est partiellement fermé. Au cours de l’année 1940, des services sont à nouveau ouverts, comme la maternité. Mais il faut attendre le mois de novembre pour que le service de médecine générale accueille à nouveau des malades. On y soigne les Résistants torturés par la Gestapo (une police politique secrète allemande) mais surtout les Juifs malades enfermés dans le camp d’internement de Drancy avant leur déportation vers les camps de concentration, notamment le camp d’Auschwitz. En décembre 1941, la Préfecture de police réquisitionne 140 lits pour soigner les détenus juifs du camp de Drancy. L’hôpital est alors entouré de barbelés et surveillé par la police française. C’est ainsi que pendant l’Occupation de la France par les nazis, l’hôpital Rothschild est transformé en « hôpital-prison ».
Cet hôpital, réservé aux Juifs, possède une liste de patients qui est une source d’information importante pour les nazis. Il est le seul à accueillir les femmes juives, afin qu’elles y accouchent et ainsi les enfants sont fichés dès leur naissance. A partir de 1941, cet hôpital prison est le seul hôpital où peuvent encore exercer des médecins juifs et donc le seul endroit où les Juifs peuvent être soignés.
Un réseau de résistance s’organise : des médecins et infirmières essayent de sauver des enfants juifs en les faisant passer pour mort-nés par exemple.
Au moment de la rafle du Vel’ d’hiv, les 16-17 juillet 1942, 13 152 personnes, dont 4 115 enfants, vont être arrêtées par la police française. Certains d’entre eux sont envoyés à Rothschild pour y être soignés et parfois par chance sauvés grâce au réseau de résistance mis en place par l’assistante sociale de l’hôpital et son adjointe. Les médecins prolongent ou inventent des maladies, font des faux registres de décès et organisent des évasions.
Des hommes d’Eglise font partie du réseau de l’hôpital, comme l’abbé Ménardais, qui contribue au sauvetage des enfants en procurant de faux certificats de baptême. Des couvents ou des familles accueillent ensuite les enfants. Dix mille enfants seraient ainsi sauvés par ce réseau (mais il n’y a pas d’archives écrites pour le prouver).
En 1943, Alois Brunner (commandant SS du camp de Drancy depuis le 18 juin 1943) transforme les bâtiments de l’hôpital en camp d’internement et organise des déportations de mères, de vieillards, de malades et d’enfants de l’hôpital pour compléter des convois vers Auschwitz.
En 1944, les autorités allemandes prennent le contrôle de l’hôpital. Les soignants sont traités comme des prisonniers.
Le 18 aout 1944, l’hôpital est libéré par les FFI (Forces Françaises Intérieures) ; le même jour, le consul de Suède, Raoul Nordling et la Croix-Rouge se rendent à Drancy, d’où sont partis les Allemands, et confirment aux 1467 prisonniers présents qu’ils sont libres.
Quels liens entre l’hôpital Rothschild et les sœurs Lemel ?
Rachel et Denise Lemel sont nées à Paris dans le 12ème arrondissement, en 1931 et 1933, certainement dans cet hôpital. La maternité, en 1931 et 1933, n’est pas « réservée » aux Juifs, mais est destinée à les accueillir, car elle respecte les règles religieuses alimentaires et d’hygiène juives. Rattachée à la fondation Rothschild, elle est à but non lucratif.
Clément et Gauvain, 36
Romain et Shun, 33
Le camp Levitan …
Après son passage à l’hôpital Rothschild, Gitla est envoyée par les Allemands dans l’un des trois camps annexes ou satellites parisiens du camp de Drancy : le camp Lévitan. Elle y trie les affaires dont ont été spoliés des Juifs jusqu’au 27 juillet 1944.
C’est un « avantage » : la vie y est moins dure qu’au camp de Drancy. Elle a ce « privilège » car elle est mariée à un Français non juif (conjointe d’Aryen).
Création
Le magasin Lévitan est un magasin de meubles créé en 1920 par Wolf Levitan, né le 2 décembre 1885, à Misnitz (Myszyniec), en Russie.
Le magasin Levitan se trouve au 85/87 rue du Faubourg Saint-Martin, à Paris. A l’été 1943, la Dienststelle Westen – Service pour l’Ouest, dévolu au pillage des biens juifs à Paris (1942-1944) – réquisitionne l’immeuble. « On appelle ce pillage organisé (France, Belgique, Pays-Bas) l’« Opération Meuble », nous précise L. Klejman. Il devient alors un camp de travail : le Lager-Ost (camp-est). 120 internés du camp de Drancy sont transférés au Lager-Ost ou camp Lévitan, le 18 juillet 1943, dont Giltla Lemel fait partie.
Giltla Lemel travaille dans ce camp. Les détenus travaillent la journée pour les nazis et sont encadrés par les forces allemandes dans les étages au tri des objets qui arrivent quotidiennement et en grand nombre. Ils les vident, nettoient leur contenu et rangent méthodiquement l’ensemble du butin provenant des biens juifs spoliés (= dépouiller quelqu’un par la violence, fraude ou abus de pouvoir). Le soir, ils mangent peu et dorment au dernier étage. Ils sont de temps en temps autorisés à se rendre sur la terrasse qui est la seule possibilité pour eux de prendre l’air et de voir de la lumière. Pendant leur détention, qui doit rester secrète pour ne pas que cela engendre des plaintes, les habitants de la rue du Faubourg Saint Martin n’ont pratiquement pas connaissance de ce qui se passe à l’intérieur du camp car les vitres sont occultées pour qu’on ne voie pas ce qui s’y passe.
Libération
Le 12 août 1944, les Juifs n’étant pas déportés (environ 740) et demeurant encore au Lager-Ost sont évacués en autobus à Drancy. Certains détenus s’évadent lors du transfert (environ 16 s’échappent) et les autres sont finalement libérés le 18 août 1944.
Gaëtan et Matthieu, 36
Les trois camps satellites parisiens de travail forcé
Il existe trois camps satellites parisiens de travail forcé du camp de Drancy (Dienststelle Westen) : le camp dit Lévitan (85-87 rue du Faubourg Saint-Martin, Paris Xe) ; le camp Austerlitz du 43 quai de la Gare (Paris XIIIe), où l’on regroupe et trie les biens volés aux Juifs ; et celui du 2 de la rue de Bassano, l’ancien hôtel particulier de la famille juive Cahen d’Anvers (la grand-mère de L. Klejman y a passé ses derniers mois avant sa déportation. On y faisait de la haute couture et de la fourrure de luxe.)
Rachel et Denise, à la maison d’enfants de St-Mandé …
Berthe, Rachel et Denise sont « libérées » : elles sont alors prises en charge par l’UGIF (Union Générale des Israélites de France).
Vraisemblablement, les trois sœurs sont séparées à ce moment-là car Berthe est envoyée au centre rue Lamarck puis rue Vauquelin tandis que Rachel et Denise sont accueillies au centre de St Mandé-les-Tourelles.
Elles ont désormais le statut dit d’« enfants bloqués » : les enfants sont sortis du camp mais gardent le statut de prisonniers.
Les maisons de l’UGIF
La création du centre de Saint-Mandé
Tout d’abord, la création du centre de Saint-Mandé est inaugurée au début du mois de juin 1943. Il est créé grâce à l’initiative d’Elie Danon, appuyée par la communauté juive du XI° arrondissement de Paris. Elie Danon initie les sorties du dimanche. Il exerce la profession de « représentant en tissus ». Il est par la suite vice-président de la « Fédération des sociétés juives de France ». Puis en 1940, il fait partie du « comité de coordination des œuvres de bienfaisance israélites du Grand-Paris ».
Le 29 novembre 1941, il devient chef de service des cantines. Le centre n’ouvre pas tout de suite mais prend en charge, les dimanches, plusieurs dizaines d’enfants qui sont par la suite placés dans les centres des rues Guy-Patin, Lamarck, ou encore l’orphelinat de Rothschild, mis en place par l’UGIF*.
La maison d’enfants de Saint-Mandé : Centre 64 de l’UGIF
Le nouveau centre de l’UGIF est installé dans une ancienne maison d’accouchement qui appartient au docteur Pitowski. La maison a la capacité d’accueillir une vingtaine de lits. Il est situé à proximité du bois de Vincennes, à Saint-Mandé. La maison est destinée à accueillir des jeunes filles à la santé fragile. Le centre ouvre pour la première fois ses portes en juin 1943.
Douze jeunes filles y sont transférées le 1er juin. Dix jours plus tard, six autres petites filles arrivent. La nouvelle direction de la maison d’enfants est confiée à Sam Modjar. Puis, la direction est ensuite assurée par Clémence Mosse pendant les années 1943-1944. Il est, par la suite, dirigé par Thérèse Cahen et Salomon Dubowsky. Dans la maison d’enfants de Saint-Mandé, les petites filles vont le matin et l’après-midi à l’école communale où elles sont conduites par Thérèse Cahen. Lorsque les fillettes ne sont pas à l’école, des activités sont proposées telles que la couture, le théâtre et la chorale. Puis, elles peuvent aussi se promener dans Saint-Mandé sous la surveillance d’une dame qui les accompagne. Les enfants peuvent aussi participer aux sorties collectives. Les dimanches, des sorties dominicales se font sous la présence d’Elie Danon. Ces balades permettent aux enfants, qui, bien souvent sont des orphelins, de pouvoir sortir le temps d’une journée, pour se changer les idées. Les enfants retrouvent une atmosphère familiale qu’ils n’ont plus. Leur journée consiste à passer un moment de liberté au sein d’une famille d’accueil qu’on peut retrouver chaque semaine. Lors de ces sorties, les fillettes portent des uniformes ou une tenue particulière telles que des blouses claires et noires qui leur sont réservées.
La rafle de Saint-Mandé
La rafle se déroule pendant la nuit du 21 juillet au 22 juillet 1944 dans des maisons de l’UGIF qui se situent en région parisienne. La rafle de Saint-Mandé commence le samedi 22 juillet 1944, au numéro 5 de la Grandville, au centre de l’UGIF.
Dans la maison, ce sont vingt enfants qui sont victimes de cette rafle. Les fillettes qui habitent dans la maison d’enfants de Saint-Mandé sont emmenées à Drancy, où elles restent une semaine.
Les enfants sont ensuite déportés le 31 juillet 1944 par le convoi n°77 dans lequel il y a un peu plus de 1300 personnes. C’est le dernier convoi à partir de la gare de Bobigny vers Auschwitz.
La commémoration
Tous les ans, en avril, la municipalité de Saint-Mandé organise une cérémonie à la mémoire des enfants et de la directrice qui ont été raflées dans la maison et assassinées à Birkenau. En leur souvenir, on énonce un à un le nom de la directrice et des vingt fillettes de la maison d’enfants de Saint-Mandé. Le 30 mai 1948, le maire de Saint-Mandé, Jean Bertaud dévoile sur la façade de la maison une plaque commémorative pour le souvenir des occupantes de la maison.
Océane et Gwendoline, 36
* L’UGIF
L’Union Générale des Israélites de France est une organisation réservée aux Juifs. Leur mission est surtout d’action sociale : l’UGIF verse aux Juifs, privés de revenus, des allocations et financent les cantines populaires et les hospices. Tous les Juifs qui demeurent en France sont tenus d’y adhérer. Les administrateurs de ces organismes appartiennent à la bourgeoisie juive française.
L’UGIF a un rôle d’interface entre les Juifs et les occupants en zone nord et entre les Juifs et le gouvernement de Vichy dans les deux zones. Elle est instituée à l’initiative des nazis, à l’image des judenrats (Conseils Juifs) des pays occupés en Europe. L’UGIF s’avère rapidement destinée à servir les desseins de l’occupant.
Amandine, 33
A la mémoire de Rachel, Denise et leur mère, Gitla …
Rachel et Denise, dans le convoi 77, direction Birkenau …
Grâce à l’ouvrage de Jean Laloum, « Les maisons d’enfants de I’UGIF : le centre de Saint-Mandé » in Le Monde Juif 1995/3 (N° 155), pages 58 à 109, on découvre plusieurs éléments.
Tout d’abord, « lorsque la nouvelle de la rafle des maisons d’enfants de l’UGIF lui parvient, Gitla demande à être transférée du camp de Lévitan à Paris, où elle se trouve, en tant que « conjointe d’aryen », à celui de Drancy. Il est même indiqué qu’un soldat allemand du camp de Lévitan essaie de la dissuader en tentant de la convaincre de l’inutilité de sa démarche mais rien n’y fait. » (p.102) Gitla est donc déportée, à sa demande, en même temps que ses deux fillettes.
Histoire du convoi 77
Fin juillet 1944. Les alliés approchent à grands pas. De plus, un attentat contre Hitler a échoué huit jours auparavant.
Aloïs Brunner (1912-2001) est le commandant du camp de Drancy, lors du convoi 77. Il veut s’assurer personnellement que tous les enfants confiés à l’UGIF seront déportés.
Face à ces évènements, le commandant profite de la confusion pour rafler les maisons de l’UGIF de la région parisienne via ses commandos. Des centaines d’enfants ainsi que dix-huit nourrissons sont envoyés à Drancy entre le débarquement et le départ du convoi 77.
Le convoi 77 part de Drancy, le 31 juillet 1944, et emmène avec lui 1306 hommes, femmes et enfants. Il s’agit du dernier grand convoi de déportés de Juifs en partance de Drancy. Ce dernier convoi « parisien » est organisé dans l’urgence : les cheminots sont en grève mais n’empêchent pas le train du convoi 77 de partir alors que les Américains et Anglais sont tout près…
Parcours du convoi 77
Le convoi part de Drancy le 31 juillet 1944 au départ de la gare de Bobigny. Pendant trois jours, il traverse plusieurs villes comme Epernay et Lérouville en France, Mannheim Erfurt et Leipzig en Allemagne et Liegnitz, Neiße et Kattowitz en Pologne. Tout le trajet est effectué dans des wagons à bestiaux. Yvette Levi, déportée résistante et « Juive », survivante raconte : « On nous a entassés à une centaine par wagon. Impossible d’être toutes assises : une moitié l’était et l’autre était assise sur les genoux des copines. On a alterné toutes les 10 minutes et ainsi de suite. Dans chaque wagon il y avait un seau d’eau pour boire et un autre seau pour les besoins naturels. Pour tout ravitaillement pour les enfants, on disposait de beaucoup de boîtes de lait Nestlé sucré mais il n’y avait pas d’eau pour faire les biberons. Il faisait une chaleur terrible, les gamins crevaient de soif et nous aussi. Au fur et à mesure du voyage, le tonneau s’est rempli de nos excréments. Avec les coups de frein du train, il a fini par déborder. A partir de ce moment-là, nous ne pouvions plus rester assises, c’était mouillé partout et quelle odeur ! »
Le convoi arrive finalement le 3 août 1944, à Auschwitz-Birkenau où un tri est directement effectué entre valides pour le travail forcé et les autres, dont les personnes au-dessus de 50 ans, les enfants et ceux et celles qui tiennent un enfant par la main. C’est ici que Gitla, Rachel et Denise Lemel sont envoyées vers les chambres à gaz pour y mourir deux jours plus tard : il est indiqué le 5 août 1944 dans leur dossier.
Bilan humain du convoi 77
Sur les 1306 déportés dont la moitié sont d’origine française, 832 sont assassinés dès leur arrivée à Birkenau. Cela représente environ 64% du convoi. Les 474 autres déportés commencent le travail forcé. 250 d’entre eux (157 femmes et 93 hommes) survivent aux travaux forcés et aux différentes privations à la fin de la guerre surtout en mai 1945. Finalement, environ 1/5 du convoi survit à l’univers concentrationnaire nazi d’Auschwitz-Birkenau.
Hugo, 36
Rachel et Denise, à Birkenau …
Enfin, grâce à l’ouvrage de Jean Laloum, « Les maisons d’enfants de I’UGIF : le centre de Saint-Mandé » in Le Monde Juif 1995/3 (N° 155), p. 104, on sait que, « sur la rampe de sélection de Birkenau, selon une rescapée du convoi 77, Janine Akoun, Gitla est dirigée vers la file des femmes aptes au travail. » Toutefois, elle refuse de se séparer de Rachel et Denise et les accompagne à la mort… On ne sait pas précisément quand les personnes ont été assassinées après l’arrivée du train, en pleine nuit mais les documents indiquent une date de « convenance » : le 5 août 1944.
Gitla Seeuws, veuve Lemel, née Zylberberg, décède le 5 août 1944 à Birkenau.
Elle a 46 ans.
Rachel Lemel décède le 5 août 1944 à Birkenau. Elle a 13 ans.
Denise Lemel décède le 5 août 1944 à Birkenau. Elle a 11 ans.
La construction de Birkenau
Tout d’abord, le complexe concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau commence à être construit dans le sud de la Pologne occupée, sur les ruines de l’ancien village de Brzezinka (Birkenau en allemand) et sur la commune d’Oswiecim (Auschwitz en allemand). Auschwitz II, dit Birkenau, est construit à l’initiative d’Heinrich Himmler qui est considéré comme le Reichführer SS. Il ouvre le 8 octobre 1941.
Birkenau regroupe un centre de mise à mort, construit fin 1941, et un second camp de concentration destiné au travail forcé, créé au printemps 1942.
Le centre de mise à mort de Birkenau est équipé de cinq chambres à gaz (maison rouge (KI), maison blanche (KII), KIII, KIV et KV), et de crématoriums, chacun pouvant accueillir 2500 prisonniers. Il y a environ 300 baraques à Auschwitz-Birkenau. Les premiers assassinats débutent en mars 1942.
Tout le camp s’étend sur 170 hectares, entourés par 16 kilomètres de barbelés.
Les différentes étapes de déportation jusqu’au centre de mise à mort
Le processus de sélection et de destruction est planifié et organisé.
Les déportés arrivent par des wagons à bestiaux (wagons contenant 1 seau d’eau pour environ 50 personnes, pas de nourriture et très peu de luminosité…). Certaines personnes sont déjà mortes à leur arrivée : de soif, de faim, de maladie… « Des wagons de marchandises, fermés de l’extérieur, et dedans, entassés sans pitié comme un chargement en gros, hommes, femmes et enfants, en route pour le néant, la chute, le fond. Mais cette fois c’est nous qui sommes dedans. », témoigne Primo Levi dans son récit Si c’est un homme, déporté juif d’Italie à Auschwitz puis libéré en 1945.
Ensuite, une sélection est faite à l’arrivée des déportés. Les nouveaux arrivants ont pour ordre de former deux files : hommes et garçons d’un côté, femmes et filles de l’autre. Les médecins SS procèdent à la sélection.
Enfin, les personnes jugées « utiles » sont déshabillées, puis rasées de la tête aux pieds pour éviter les poux, mais aussi pour leur enlever leur identité. A partir du printemps 1942, tous les déportés jugés « utiles » sont tatoués sur l’avant-bras gauche. Ce tatouage remplace leur nom. Ils ne sont plus qu’un numéro. On leur donne une tenue qu’ils gardent tout au long de leur internement.
Les chambres à gaz
Une chambre à gaz contient environ 2 000 personnes à la fois.
Les chambres à gaz de Birkenau sont faites de trois parties. Tout d’abord, la première partie est une salle, considérée comme des vestiaires, où les personnes jugées « non utiles » (femmes, enfants, vieillards…) doivent se déshabiller.
Ensuite, la deuxième salle est une fausse salle de douche chauffée avec des pommeaux de douche, où toutes les personnes sont ensuite enfermées pour être assassinées avec du Zyklon B.
Enfin, la troisième salle est le four crématoire : il permet de brûler les corps qui viennent d’être gazés. Des personnes examinent ensuite les corps pour récupérer leurs éventuelles bagues ou dents en or.
Bilan humain
Environ 1,1 million de personnes dont 960 000 Juifs, 75 000 Polonais, 21 000 Tsiganes et 15 000 prisonniers de guerre soviétiques sont tuées à Birkenau.
Zoé et Louison, 36
Alyxane et Marie, 33
Auschwitz
Le camp d’Auschwitz, dit aujourd’hui Auschwitz I, se situe dans la Pologne occupée. La création du camp est décidée par les SS en février 1940 et il ouvre le 20 mai 1940.
C’est d’abord un camp de concentration et de travail forcé. Il est implanté sur le site d’une ancienne caserne de l’armée polonaise à Oswiecim, incorporée par les nazis au IIIème Reich.
Les personnes déportées dans ce camp sont les opposants politiques, les Juifs, les Tziganes, les prêtres et prélats politiques, les témoins de Jéhovah, les homosexuels et les « éléments asociaux » comme les criminels, vagabonds, etc.
1er mars 1941 : le Reichführer S.S. et chef de la police allemande, Heinrich Himmler s’inquiète de la capacité d’accueil du camp alors que les usines d’à côté utilisent des prisonniers pour les travaux forcés. Pendant sa visite, il ordonne à la fois l’agrandissement du camp d’Auschwitz pour que sa capacité d’accueil atteigne les 30 000 prisonniers et la construction d’un camp à coté : Birkenau.
3 septembre 1941 : les premiers gazages de prisonniers se déroulent à Auschwitz. Les tests sont faits dans une chambre à gaz improvisée dans la cave du block n°11.
Emma et Lou-Anne, 33
Berthe et Henri, restés en France …
Contrairement à ses deux jeunes sœurs et à sa mère, Berthe échappe à la déportation.
En effet, dans le dossier retrouvé à Caen (cote 21 P 561 074), lorsqu’elle établit une demande d’attribution du titre d’interné politique, elle raconte son périple :
« Arrêtée le 16 décembre 1942, je suis restée à Drancy jusqu’au mois de juin 1943, date à laquelle ma mère a été emmenée à l’hôpital Rothschild. Moi et mes deux sœurs, nous avons été placées à l’UGIF, rue Lamarck 2, Paris XVIIIe ; ensuite toujours l’UGIF 5 ou 7 rue Vauquelin, Paris Ve. Au cours d’une sortie, j’ai pu me sauver jusqu’à chez une amie de ma mère, Mme Ziegler, 70 Bd Davout chez qui je suis restée jusqu’à la Libération. Mes deux sœurs ont été retransférées à Drancy d’où elles ont été déportées à Auschwitz ainsi que toutes mes camarades de l’UGIF, notamment Melle Evelyne Khan et Mlle Jeanine Akoun, revenues elles d’Auschwitz. »
(Paris, 29 décembre 1953)
1957, Berthe reçoit le titre d’interné politique …
D’après ses écrits, dans le dossier conservé à Caen (21P561 074), Berthe s’est cachée jusqu’à la Libération chez Mme Ziegler, amie de sa mère.
Dans les documents transmis par l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants), il est indiqué qu’elle est prise en charge par l’OSE de 1944 à 1948 et qu’elle a été « pupille de la Nation jusqu’à sa majorité. »
A la fin de la guerre, Berthe a 16 ans. En janvier 1946, on sait qu’elle est placée chez un certain M. Reiter, à Lyon, et qu’elle n’a pas de nouvelles de son petit frère Henri, depuis juillet 1945. Elle ignore s’il est vivant, malade ou mort.
Nous constatons le nombre important de courriers qui sont échangés afin que Berthe soit de nouveau en contact avec son petit frère. Elle travaille chez un fourreur, passage Coste. Elle gagne 2400 Frs par mois et verse 1000 Frs à M. Reiter. Ce dernier est ensuite muté à Paris, Berthe le suit.
Elle multiplie les démarches administratives pour faire reconnaître ses droits.
En novembre 1947, Berthe est trop âgée pour continuer à dépendre de l’OSE mais son état est fragile et elle ne peut rester seule. Le 29 novembre 1950, l’OSE fait pour elle une demande d’acquisition de la nationalité française.
En 1951, Berthe se fiance à M. Pierre Yun, d’origine chinoise, né à Paris en 1932, qui est alors au chômage.
Le 10 septembre 1952, naît Jean-Patrick Yun.
Dès le début des années 1950, Berthe entreprend de nombreuses démarches administratives : la reconnaissance de sa mère et de ses deux sœurs comme déportées politiques, la demande de titre d’interné politique pour laquelle elle obtient satisfaction et monte un dossier de « revendications en Allemagne ».
Par ailleurs, elle souhaite installer un atelier de montage en bonneterie. Ils vivent dans le plus grand dénuement (pas de chauffage, meubles prêtés par l’OSE, vêtements donnés par l’OSE pour leur fils). Puis, Berthe tient l’entreprise Finette (tricots et pulls), 40 rue Bréguet, dans le 11ème arrondissement de Paris.
Nous avons envoyé un courrier au fils et au petit-fils de Berthe Lemel pour leur montrer notre travail. Il est malheureusement resté sans réponse…
Henri, enfant caché …
Pendant la guerre, Henri est pris en charge par l’Entraide Temporaire depuis l’arrestation de sa mère, Gitla. D’après son témoignage dans Vivre, aimer avec Auschwitz au cœur (2002), il raconte qu’il est d’abord « placé chez Mme Rivière, à Jouy, qui recevait des Allemands chez elle (p.163) ». Il est ensuite retiré de chez elle et envoyé à Sours.
En mai 1947, on apprend qu’un Conseil de famille est organisé pour les enfants Lemel, au Greffe de la Justice de Paix, du 20ème. Il serait envisagé qu’une cousine de la famille, Mme Braun, née Butler, prenne en charge les deux enfants. Cela n’aboutit pas.
En avril 1949, on sait qu’Henri est confié à « Mme Roger, à Moulin Neuf, sur la commune de St Priest, Jouy. » (Ibid., p.163) Il s’agit d’une femme, veuve de guerre, qui a une petite fille. Il y reste jusqu’à ses 15 ans. Henri est toujours inscrit à l’école communale de Jouy « jusqu’au certificat d’études. » (p.164)
Il va quelques mois au collège de Chartres, puis est retiré de la famille Roger.
Toujours pris en charge par l’Entraide et par le Ministère des Anciens Combattants, il se retrouve dans un centre, le château de Laversines, donné par les Rothschild, à côté de Creil. Il en ressort sans formation, sans métier, sans CAP.
Henri et Berthe ne se voient pas beaucoup, la distance ne facilitant pas les choses.
En 1953 ou 1954, il part dans un kibboutz, en Israël. Il y est bien mais, comme il parle français, on veut le changer de kibboutz, ce que ses trois camarades et lui refusent. Ils reviennent donc en France.
Il cumule les petits emplois, puis travaille dans un garage. On découvre dans le dossier fourni par l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) qu’il vit chez sa sœur Berthe à partir de janvier 1957.
Ensuite, il rencontre sa future femme, Marie-Rose, et se marie en mars 1957. Un fils naît de cette union en juin 1957 : Philippe. Il reprend un travail dans une petite entreprise de métallurgie jusqu’en 1958. Enfin, il entre chez Renault, où il reste jusqu’en 1993.
Henri décède en 2012.
Sources:
1. Source : DAVCC, 21P 475 788
2. Source : DAVCC, 21P 475 786
3. Source : DAVCC, 21P 537 780
4. Source : DAVCC, 21P 561 074
5. Archives de Paris, D2M8 459
6. Mairie de Paris, 20ème
7. Archives de Paris, 2811W1
8. Archives Bad Aroslen, 1.1.9.1 VCC 87b listes
9. AN, F9 5745
10. AN, F9-5770-30853 L
11. AN, F9-5763-296485 L
12. Memorial de la Shoah
13. Yad Vashem
> Feuilleter le journal de la classe avec Calaméo
This biography of Rachel LEMEL has been translated into English.
Bonjour,
Mon frère me vient de partager cette article sur notre grand mère Berthe de surnom « Finette » et de sa famille. Je n’étais pas au courant que vous nous aviez sollicité. En tout cas, c’est un super travail que vous avez fait et tout ces détails, je ne les connaissais pas. Notre grand mère nous en a pas souvent parlé de cette période et surtout quand je lui posais des questions, elle restait très vague et n’aimait pas en parler. En tout cas ça fait bizarre de connaître cette période de ma grand mère via un article sur le web alors que j’aurai tant aimé qu’elle me raconte son vécu.. malheureusement je ne sais pas si je peux apporté quoi que ce soit sur cette partie de l’histoire de ma grand mère mais peut être quelqu’un qui lui a posé des questions sur sa vie pourrait me raconter comment ça s’est passé.
Merci d’avance.
Nicolas YUN.
Petit fils de Pierre et Finette YUN (comme on l’appelait)
Fils de Jean-Patrick YUN