Élie SEBAG
Cette biographie a été rédigée par les élèves de troisième 5 du Collège Les Blés d’or de Bailly-Romainvilliers (Seine-et-Marne) avec l’aide de leurs professeurs d’Histoire et de Français, mesdames Garillière et Jorrion. Nous avons choisi cette personne car il avait le même nom de famille qu’une élève de la classe. Cela a été notre point de départ. Le travail de recherches et d’analyse a été commencé avant le confinement mais la rédaction a eu lieu pendant le confinement.
Le père d’Élie, Benjamin est né en 1879 tandis que sa mère, Maissa (son nom de famille était Turjman avant son mariage) est née en 1888, ils habitent à Tunis et mettent au monde Félix en 1906, Albert et Jules en 1908, Juliette en 1911 et Alexandre en 1913. Le père est forain. Entre 1913 et 1915, la famille déménage de Tunis pour venir vivre en France, à Marseille où naîtront René en 1915, Marcelle et Estelle en 1918. Ils vont ensuite vivre à Paris où Élie naîtra en 1920 dans le 4e arrondissement, puis Simon en 1923 et enfin André et Victor en 1926. C’est une grande famille de 12 enfants qui vit donc à partir de la fin de la première guerre mondiale à Paris. Dès le recensement de 1926, on retrouve la famille Sebag dans le 12e arrondissement, dans le quartier Picpus, au 10 rue Touneux. Les grands frères travaillent, Félix en 1926 est chauffeur, Jules et Albert sont imprimeurs. En 1931, après la crise de 1929, le père est sans travail, tout comme Jules, Albert devient manœuvre, Alexandre est chapelier et René imprimeur. En 1936, le père est manœuvre, Alexandre est au chômage tout comme son frère René. Marcelle travaille Place Daumesnil et Élie au jardin zoologique.
Élie, Isodore Sebag est né le 11 Mars 1920 à Paris dans le 4e arrondissement. Durant son enfance, il vivait dans un appartement avec sa grande famille. Il est sûrement allé à l’école jusqu’à son certificat d’étude à 14 ans car en 1936, il travaille déjà au jardin zoologique. Dans quelle école est-il allé ? Nous n’avons pas eu le temps de trouver. Était-il un bon élève ? A-t-il arrêté ses études alors qu’il aurait pu aller au collège ? Ou a-t-il quitté l’école parce qu’il n’aimait pas les études ? La famille étant importante, il fallait bien nourrir tout le monde. Le jardin zoologique est à vingt minutes à pied. Quelles sont les tâches qu’il réalise au jardin zoologique ? s’occupe-t-il des animaux ? des plantes ?
Entre temps, la famille vit des moments sûrement durs car certains qui peuvent ramener de l’argent à la maison sont au chômage mais aussi des moments heureux comme des mariages. On a retrouvé que Félix, le frère né en 1906 à Tunis vit au 60 rue du Rendez-vous dans le quartier Bel Air dans le 12e arrondissement dans le recensement de 1936. Il est marié à Henriette, née dans la Seine en 1904. Elle est vendeuse, il est chauffeur. En 1936 ils n’ont pas d’enfant.
Sur la photo en exergue, Élie paraît heureux, bien habillé. Est-ce pour un mariage justement ? Ou une fête importante ?
La montée de l’antisémitisme en France a-t-il atteint Élie et sa famille ? En a-t-il été victime ?
En tout cas en 1940, on a retrouvé Élie sur un registre militaire : il devait faire son service. Son numéro de matricule 3091 prouve que tout était prêt pour qu’il parte. (Suspendu en 1940, l’appel au service militaire sera rétabli en 1946 pour une durée d’un an). Il est donc prêt à défendre sa patrie. Mais le 10 mai 1940, les Allemands passent à l’offensive et mettent fin à la « drôle de guerre » commencée en septembre 1939. Cette période a été nommée ainsi à cause de l’absence de conflits, bien que la France soit entrée en guerre depuis plus de huit mois. Le Haut Commandement militaire français avait opté jusque-là pour une stratégie défensive : la ligne Maginot. C’est une ligne de fortification construite en France aux frontières belges, allemandes, suisses et italiennes. Elle est composée de souterrains reliant les différents postes de combat. Ces derniers pouvaient être blindés et aménagés pour accueillir des mitrailleuses ou des mortiers.
Imaginons Élie à cette époque : Français juif, il devait se sentir à l’abri de toute menace. Comme beaucoup de Français, on faisait confiance à son armée. Puis une fois l’arrivée des troupes allemandes aux portes de Paris, beaucoup de Parisiens partent en exode pour fuir : est-ce le cas de la famille Sebag ? Sont-ils restés à Paris ? Est-ce que toute sa famille s’est cachée pendant la guerre ? Ou ont-ils essayé de vivre comme « avant la guerre » ?
De plus durant la période de l’Occupation allemande, le régime de Vichy a édicté plusieurs lois sur le statut des Juifs, faisant de ces derniers une catégorie à part de la population. Comment réagit-il ?
Le 14 mai 1941 : La première grande rafle collective, concernant les Juifs polonais, âgés de 18 à 40 ans, tchécoslovaques et autrichiens, âgés de 18 à 60 ans. Se sent-il protégé parce que Français ?
Le 28 mai 1941 : blocage des comptes bancaires juifs, désormais soumis au Service du Contrôle des Administrateurs provisoires.
Le 14 juin 1941 : l’ordonnance allemande qui étend le deuxième statut allemand des Juifs de la zone occupée à la zone libre.
Le 13 août 1941 : l’ordonnance allemande qui interdit aux Juifs de posséder un récepteur radio. À Paris, les appareils doivent être déposés à la préfecture de police ou dans les commissariats de police d’arrondissements au plus tard le 1er septembre 1941. Le fait-il ou fait-il de la résistance en le cachant chez eux ?
Le 28 septembre 1941 : l’ordonnance allemande imposant le versement à la Caisse des dépôts et consignations de l’argent de la vente des biens confisqués aux Juifs dans le cadre de l’aryanisation.
Le 17 décembre 1941 : l’ordonnance allemande imposant aux Juifs une amende d’un milliard de francs à prendre sur les sommes séquestrées à la Caisse des dépôts et consignations.
Le 7 février 1942 : l’ordonnance allemande imposant un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin pour les Juifs et leur interdisant de déménager.
Le 27 mars 1942, zone occupée : premier convoi de Juifs déportés par les autorités allemandes depuis le camp de Compiègne. Qu’en sait-il ? A-t-il eu des amis qui sont déjà raflés et partis dans ces camps ? A-t-il des proches qui lui en parlent ? Qu’en pense-t-il ?
Le 29 mai 1942 : l’ordonnance allemande imposant aux Juifs le port de l’étoile jaune par tous les Juifs de plus de 6 ans, en application le 7 juin. S’est-il senti humilié ? L’a-t-il porté ? Ou a-t-il refusé de le faire ?
En juin 1942 : les services de la SS sont chargés de rechercher et d’arrêter tous les Juifs.
Le 12 juillet 1942 : ordre par le Service allemand des affaires juives dirigé par Theodor Dannecker d’arrêter tous les Juifs en zone occupée.
Le 16 juillet 1942 : La rafle du Vel d’Hiv eut lieu entre le 16 et le 17 juillet 1942. C’est la plus grande arrestation de Juifs en France durant la Seconde guerre mondiale, arrestation massive en zone occupée de Juifs étrangers qui sont internés au Vélodrome d’Hiver. Plus de 13 000 personnes furent arrêtées, dont un tiers étaient des enfants, lors de cette rafle. Connaissait-il des gens qui l’ont subie ? Qu’en a-t-il pensé ? Est-ce que sa famille s’est sentie menacée ?
Que s’est-il passé pour lui jusqu’en 1944 ? Comment a-t-il vécu le débarquement ? L’avancée des troupes alliées vers Paris ? Si on en croit des témoignages, chacun a fêté cette nouvelle le 6 Juin 1944, chacun pouvait penser que la guerre allait bientôt être finie, que les arrestations allaient cesser, que la vie allait pouvoir de nouveau être meilleure. A-t-il fait moins attention ?
Mais le 12 Juillet 1944, il fut arrêté par la police française car il était Israélite. A-t-il été dénoncé ? L’a-t-on appréhendé dans la rue ? Son nom apparaît au numéro d’entrée 12388 dans le registre d’écrou des consignés provisoires en date du 12 juillet 1944 à 20 heures. D’après ce registre, il aurait été arrêté par des agents de la sous-direction des Affaires juives de la Direction de la police judiciaire. Il est transféré au camp de Drancy à 18 heures. Il arrive dans ce camp avec douze francs en poche. Sur certains papiers il est noté qu’il habite 10 rue Tourneux, d’autres 11 impasse Tourneux. Avait-il déménagé ? Se savait-il en danger et était allé vivre dans une petite impasse pour être plus discret ? Ou sa famille s’était-elle éparpillée pour ne pas rester ensemble ? Habitait-il déjà avec son frère Jules imprimeur dans cette impasse ?
Le camp de Drancy, construit en octobre 1939, est à l’origine un ensemble immobilier (la cité de la Muette) qui va devenir un camp d’internement puis une zone de transit des Juifs qui y sont internés à destination des centres d’extermination. Neuf juifs déportés de France sur dix passèrent par ce camp lors de la Shoah. Près de 63000 seront déportés depuis ce camp. Le dernier convoi part de Drancy et de Compiègne le 17 août 1944.
Mémoires de guerre
Élie est interné à Drancy le 13 juillet 1944, veille de la fête de la prise de la Bastille. Il passe dix-huit jours. Il a logé dans la partie des hommes. A-t-il pu prévenir sa famille ? A-t-il reçu des colis de sa part ? Ses frères ont-ils essayé de le faire sortir ? Comment a-t-il vécu là-bas ? C’était l’été, il devait faire chaud. Les conditions étaient déplorables. Est-il monté au 4e étage pour pouvoir voir les gens libres dehors ? Que pouvait-il penser ? C’est long 18 jours à attendre quoi ? Qu’a-t-il pu penser quand on lui a annoncé qu’il partait le 31 juillet 1944 ? Pensait-il que les Alliés allaient arriver à temps pour les libérer ? Élie est parti 17 jours avant la libération du camp. [À titre d’information, en mémoire de cette période, en 1976, un mémorial est construit à Drancy par Shlomo Selinger, lui-même déporté, à côté du Wagon-Témoin, après un concours international. Puis, en 1989, est créée l’association du Conservatoire historique du camp de Drancy. Le 25 mai 2001, un arrêté de classement architectural de la cité de la Muette sur la liste des monuments et des sites protégés est signé par Catherine Tasca, alors ministre de la Culture.]
Le 31 Juillet 1944, il quitta le camp de Drancy à bord du convoi 77 composé de 1310 hommes, femmes et enfants (350 enfants de 0 à 18 ans, raflés quelques jours avant dans les orphelinats sur l’ordre d’Aloïs Bruner, chef du camp de Drancy qui voulait absolument remplir son convoi correctement). Le voyage dure 4 jours, 3 nuits. Tous entassés, il n’y avait de place ni pour s’allonger ni pour s’assoir. Les conditions de vie étaient désastreuses.
Ils ont été nourris avant de partir mais pendant toute la durée du voyage ils n’ont eu aucune ressource. Ils avaient une citerne pour boire dans chaque wagon. Ils étaient jusque cent par wagon. Pour faire leurs besoins ils avaient un pot au milieu du wagon qui était rempli au bout d’une heure. Il a fait très chaud ces jours-là, la soif et la faim devaient les tenailler. Qu’a pensé Élie pendant ce voyage ? Qu’il allait travailler pour l’économie allemande ?
D’après le témoignage de Daniel Urbejtel, qui faisait partie du convoi 77 comme Élie, l’arrivée à Auschwitz fut une terrible épreuve pour les enfants comme pour les adultes. Quand ils descendent des wagons à bestiaux où ils avaient passés plusieurs jours, les Allemands les attendaient pour procéder à une sélection en triant les hommes d’un côté et les femmes et les personnes âgées de l’autre.
Daniel Urbejtel ajoute que les 726 personnes de la file de gauche, dont 271 enfants furent gazées le jour même sachant qu’ils étaient plus de 1300 au départ. En fonction de leur apparence physique, les prisonniers sont envoyés vers les travaux forcés ou vers les chambres à gaz, au gré des décisions des SS. Pourquoi Élie, alors qu’il avait 24 ans, a-t-il été le 5 août 1944 immédiatement gazé ? Il devait avoir le physique de pouvoir travailler. Sauf s’il était malade ou si après ce long voyage, il s’est dit que les camions qui étaient là à les attendre seraient un bon moyen d’aller facilement il ne savait où. Lui qui devait être apte à travailler s’est laissé embarquer vers les chambres à gaz sans le savoir. Par contre tous les témoignages sont unanimes pour dire qu’Élie a dû sentir cette odeur indescriptible qui se dégageait des grandes cheminées qui se dessinaient dans la nuit.
Ceux qui ont eu la chance d’être sélectionnés, ont subi plusieurs étapes : ils étaient tous réunis dans une cour d’appel. La première étape qui était la plus humiliante, était de se mettre nus devant tout le monde puis d’être rasés et pour finir désinfectés. Après toutes ces étapes affreuses, les allemands procédaient au tatouage de leur matricule sur l’avant-bras, cela symbolisait la perte d’identité. Enfin venait la distribution de « vêtements » à rayures qui n’étaient pas forcement à leur taille, ni adaptés pour eux puis de leurs « gamelles » qui étaient un objet très précieux pour leur survie dans les camps. À ce moment-là, ils devenaient DÉPORTES. Élie n’a pas eu cette petite chance de survie.
Élie est informé comme les autres qu’ils vont être désinfectés dans des « douches ». Une mise en scène très cruelle fait croire qu’ils vont retrouver leurs affaires qu’il faut mettre au vestiaire, en retenant son numéro. Ensuite les gardes nazis les insultent ou les battent souvent et leur donnent l’ordre d’entrer dans les « douches » les bras levés afin que le plus grand nombre possible de personnes puissent entrer dans les chambres à gaz. Plus l’entassement était grand, plus rapidement les victimes suffoquaient. L’extermination se fait au moyen d’un gaz du nom de Zyklon B, une substance qui a déjà été testée sur des prisonniers de guerre soviétiques. Les portes de la pièce sont verrouillées et le gaz est introduit. Une fois les victimes assassinées, leurs dents en or sont arrachées et la chevelure des femmes est tondue par les Sonderkommando – des groupes de Juifs affectés aux fours crématoires. Les corps sont jetés dans les fours pour y être incinérés, les ossements sont pulvérisés et les cendres répandues dans les champs.
Ainsi Élie partira en cendres comme plus d’un million de personnes à Auschwitz sans qu’on puisse retrouver son corps, sans qu’on puisse lui donner une sépulture, comme l’avaient programmé les nazis. Cependant il semble le seul de sa famille à avoir été déporté. Seul son nom se trouve sur le mur des déportés au Mémorial de la Shoah.
À la fin de la guerre, ses frères se sont sûrement tournés vers l’hôtel Lutetia pour retrouver sa trace mais en vain.
En 1946, son frère André Sebag essaya de récupérer le logement où Élie habitait puis en 1961 son autre frère Jules Sebag qui habite 11 impasse Tourneux, tout près de la rue Tourneux, imprimeur, entreprend des recherches sur son frère Élie Sebag pour savoir ce qui lui est arrivé vraiment et obtenir une indemnité qui lui a été refusée car il n’était que son frère. Jules ne semble pas s’être marié.
Nous n’avons pas réussi à trouver de proches d’Élie vivants. Nous aurions tellement aimé trouver des personnes proches qui l’auraient connu pour essayer de reconstituer le puzzle en entier, de retrouver des traces que les Allemands ont eu à cœur d’effacer. Le confinement ne nous a pas aidés également : nous devions aller à Drancy pour mieux comprendre les lieux et les conditions, nos professeurs devaient se déplacer aux Archives de Paris et sur internet tout n’est pas encore mis en ligne… Mais en faisant ce travail avec ce que nous avons réussi à trouver, et à savoir grâce à l’association, nous avons essayé d’effacer ce travail de destruction des nazis, de rendre « l’histoire de sa vie » à un inconnu pour qu’il ne soit pas totalement oublié, et de faire ainsi un devoir de mémoire.
Bravo à vous pour cette recherche ! Je suis passionné de généalogie et étudie la communauté juive de Sfax, en Tunisie et celle des Sebag dans ce pays (ma mère est née Sebag).
Je suis la petite fille de Marcelle sebag qui me parlait souvent de son frère disparu après le veld’hiv . Je suis très émue par cette recherche et j’ai informé les deux enfants de Marcelle qui sont mes oncles , de ce travail fait par des élèves et leur professeurs .
Vous parlez du frère de ma grand mère . Elle me parlait souvent de ce frère disparu après la rafle du veld’hiv.
Épouvantable période que mes oncles Huet (catholiques convaincus) ont combattue, pendant des années.
Très cordialement
Bertrand Ogerau-Solacroup