Sami BITNER
En l’absence de photographie de Sami Bitner, nous reproduisons ici la carte de Roumanie avec le lieu supposé de sa naissance, qui vient de Saint-Georges en roumain.
Cette biographie a été rédigée par les élèves de troisième du Collège Les Blés d’or de Bailly-Romainvilliers (Seine-et-Marne) à l’aide de leurs professeurs d’Histoire et de Français, mesdames Garillière et Jorrion. Le travail de recherches et d’analyse a été commencé avant le confinement mais la rédaction a eu lieu pendant le confinement.
Avant la guerre
Sami Bitner est né le 28 janvier 1886 sûrement à Giurgiu en Roumanie, non loin de la capitale de la Roumanie, Bucarest. Mais avant de découvrir qu’il était né en Roumanie, nous pensions fortement qu’il était originaire de Seine-et-Marne à Guigne comme il était indiqué sur la liste du convoi -et comme nous sommes de Seine-et-Marne, nous avions notre point d’accroche,- mais il s’est avéré que ce n’était pas le cas quand la mairie de Guignes nous a répondu que sur leurs registres, il n’apparaissait pas son nom à la date de naissance. Selon certains documents historiques, il serait né à Bucarest ou à Giurgiu.
Il est l’enfant de Loupain Bitner et de Satainfeld Caroline, comme il est Roumain, on peut supposer que ses parents le sont aussi. Mais les noms de famille de la mère comme du père nous font penser qu’ils sont originaires des pays de l’est.
Nous n’avons malheureusement pas trouvé de photographie de Sami Bitner.
Quand a-t-il décidé de quitter la Roumanie pour venir en France ? Quand est-il arrivé en France ? Nous avons retrouvé sa trace dans le recensement de la population de 1926 à Paris. Donc est-il arrivé jeune avec ses parents ? adulte et donc seul ou accompagné ? Difficile de le savoir ! Nos recherches ne nous le permettent pas.
Il a habité à Paris au 73 rue Caulaincourt dans le 18ème arrondissement, dans le quartier de Montmartre. Cet immeuble abrita pendant longtemps des artistes peintres. Au numéro 73 de la rue Caulaincourt habita le peintre Auguste Renoir vers 1902-1903. Ce fut aussi le domicile du peintre, dessinateur et lithographe suisse Théophile Alexandre Steinlen à la même époque. C’est également là qu’il mourut le 13 décembre 1923. Le couple d’artistes peintres, Jules Pascin et Hermine David, habita aussi à la même adresse dans les années 1920. Il a pu les côtoyer s’il est arrivé à Paris dans ces années-là. Dans cet immeuble on peut lire dans les archives des recensements qu’il y avait aussi des pianistes, chef d’orchestre…
Sa compagne se nomme Alphonsine Guglielmazzi. Elle est née le 8 août 1892 et décédée le 16 février 1972. Elle était couturière et Sami Bitner était tailleur pour dames, employé chez Etzenman. Il était illettré. Ils vivaient avec la mère d’Alphonsine, Hortense qui était giletière puis boutonniériste un temps. Elle était née en 1869 et avait comme nom de famille Bourgeois. Ils ont toujours vécu en concubinage et n’ont pas eu d’enfant. Dans la famille de sa femme, ses frères sont morts l’un pendant la première guerre mondiale avant d’être marié, Maurice et l’autre n’a pas eu aussi de descendance, Jules. Donc on ne peut retrouver de membre de sa famille même éloignée.
Pendant la guerre
Comment Sami Bitner a -t-il réagi au début de la guerre ? S’est-il senti en sécurité au pays des droits de l’homme ? A -t-il vécu l’exode comme des milliers de Parisiens qui ont fui l’arrivée des Allemands ? Comment a -t-il réagi aux premières mesures ?
Dès leur arrivée, les autorités allemandes mettent en place des mesures contre les Juifs. La première mesure en juillet 1940 contre les Juifs est qu’ils ne peuvent pas exercer un certain nombre de professions comme être enseignant, fonctionnaire, journaliste, dirigeant des entreprises, etc… Ils n’ont aucune liberté. Les Juifs ont dû rendre leurs vélos, ils n’ont pas le droit de prendre le tram, de circuler en autobus et même de circuler dans une voiture particulière. Les Juifs ne peuvent aller que dans un coiffeur juif, ils n’ont pas le droit de sortir dans les rues de huit heures du soir à six heures du matin, de fréquenter les théâtres, les cinémas et autres lieux où ils pouvaient se divertir, d’aller à la piscine, de jouer au tennis ou d’autres sports , ils ne peuvent pas pratiquer aucun sport en public, ils n’ont pas le droit de rester dans leur jardin après huit heures du soir, de rentrer chez des Chrétiens. Les enfants juifs doivent fréquenter des écoles juives. Et en plus de ces lois, les Juifs doivent absolument porter l’étoile jaune.
Il a dû ressentir toutes ces humiliations. Comment a -t-il pu réagir ? A-t-il porté l’étoile ou a -t-il refusé de le faire ? Vivait-il reclus chez lui ? Ou se déplaçait-il encore pour le travail à la vue de tous ? ou en se cachant ?
Puis il y a eu les rafles, celle du « billet vert » le 14 Mai 1941 qui concernait les Juifs étrangers. Comment y a -t-il échappé ? Pourquoi n’a -t-il pas été arrêté ? A -t-il été averti qu’il ne fallait pas venir se présenter ? Ou la rafle du Vélodrome d’hiver qui a eu lieu les 16 et 17 Juillet 1942. S’était-il caché ? L’avait-on averti de le faire ? Il s’agit de la plus massive arrestation massive de Juifs en France avec l’aide de la police française. Au total, 13 152 Juifs sont arrêtés, dont la plupart sont des Juifs étrangers ou apatrides. Les Allemands avaient peur que les Juifs surtout étrangers et venant des pays de l’Est ne soient en mesure de préparer des attentats contre eux. Ces personnes sont laissées près de cinq jours sans eau ni nourriture dans le Vélodrome, avant d’être déportés au camp d’Auschwitz en passant par Beaume-la-Rolande et Pithiviers. Seuls quelques adultes (moins d’une centaine) en échapperont.
Le but des nazis étant de rafler l’intégralité des Juifs pour s’en débarrasser, de nombreuses autres rafles ont eu lieu, nous pensons que Sami a dû se sentir plus en danger qu’à d’autres moments, et une fois la rafle terminée, se sentir à la fois chanceux et indigne peut-être de survivre alors que tant d’autres sont partis et ne donnent plus de nouvelles d’eux. Avant de reprendre une vie quasiment « normale », Sami a dû vivre dans un état de peur absolue, redoutant de croiser à chaque angle de rue un SS ou un membre de la police française qui l’arrêterait, mettant fin à la chance dont il avait bénéficié de survivre.
De plus pendant l’occupation allemande, les citoyens vivaient affreusement mal car des bombardements ont pu avoir lieu mais surtout c’est s’alimenter qui était compliqué du fait qu’il fallait faire ses courses grâce à des tickets de rationnement. Il y en avait 5 sortes tous différents et donnés par tranche d’âge. Le ticket E était destiné aux enfants entre 0 et 3 ans. Ce ticket n’offrait quasiment aucune nourriture. Le ticket J1 qui était destiné aux enfants de 3 à 6 ans. Le ticket J2 destiné aux enfants de 6 à 14 ans ce qui représente beaucoup d’enfants compte tenu de la distance entre l’âge minimum et l’âge maximum. Le ticket J3 destiné aux adolescents de 14 à 21 ans. Il était le ticket qui offrait le plus de nourriture aux enfants. Le ticket A destiné aux plus de 21 ans. Et le ticket V destiné aux vieillards à partir de leur retraite. Certains aliments tel que le café ont complètement disparu ou l’huile que l’on trouvait seulement au marché noir. Ce marché servait à acheter très cher des rations supplémentaires. Comment Sami a-t-il réussi à se nourrir ? Arrivait-il à vivre correctement ? C’est sûrement sa compagne qui devait arriver à faire les courses.
En tout cas, jusqu’en juillet 1944 Sami a réussi à rester libre et en vie.
Lorsque le débarquement de Normandie a eu lieu le 6 Juin 1944 dont le but des Alliés (les USA, la Grande-Bretagne, les forces Françaises Libres et le Canada) était d’ouvrir un nouveau front pour soulager les Russes, les Français ont cru que cela signifiait le début de la libération de la France. En effet, on peut lire dans les témoignages que tout le monde pensait à la victoire. Sami a dû se sentir soulagé. A-t-il alors été moins vigilent ? S’est-il mis à sortir plus dans les rues ? Ou a-t-il continué à vivre sa vie en étant plus léger de savoir que bientôt toute cette traque allait s’arrêter.
L’arrestation et les camps
Sami Bitner a été arrêté le 18 juillet 1944 sur son lieu de travail, au 10 rue Henner, à Paris, où il travaillait comme tailleur pour dames. Il signe sa déposition au commissariat à 23 heures et est envoyé au camp de Drancy le lendemain à 18 heures. Cette rafle car on peut parler de rafle en effet sur le registre des dépositions plusieurs juifs sont arrêtés ce jour-là pour le motif « racial » « Juif » a été commanditée par le SS nommé Aloïs Brunner, chef du camp à Drancy, qui a profité d’une confusion pour continuer sa folie meurtrière et se venger d’un complot pour assassiner Hitler quelques jours auparavant.
Sur sa déposition, il est écrit « Den Juden Bitner Sami », comme si on l’appelait ainsi dans la rue. Quelle humiliation ! Mais ce jour-là, il a sûrement cru que les Alliés étant aux portes de Paris, lui et les autres prisonniers pourraient être libérés très rapidement. Mais en même temps arriver à Drancy, c’est déjà faire un pas vers la mort. Rappelons-nous que Sami est parti le 31 juillet 1944 de ce camp, alors que Drancy est libéré le 18 août 1944 et Paris le 25 !
Les conditions de vie à Drancy sont déjà déplorables. Sami arrive dans ce camp avec une somme très importante pour l’époque 646 francs qu’il doit déposer dès son entrée. Il est ensuite mis dans la partie où les hommes résidaient. Ils sont parqués dans des grands bâtiments sans conditions d’hygiène acceptables. Connaissait-il d’autres personnes là-bas ? A -t-il retrouvé de ses amis ? Il y est resté du 19 au 31 juillet. 12 jours à attendre… A attendre que Aloïs Bruner ait le nombre suffisant pour remplir son convoi. 12 jours à voir des personnes arriver tous les jours, 12 jours à ne pas savoir, à espérer trouver une solution pour ressortir ? à attendre une libération des Alliés peut-être ? A -t-il réussi à envoyer à sa compagne un courrier, lui qui était illettré ? Sa compagne a-t-elle réussi à lui envoyer un colis via l’UGIF avant qu’il ne parte ?
Durant la nuit du 22 Juillet 1944, Aloïs Bruner ordonne l’arrestation d’enfants juifs placés dans des orphelinats contrôlés par le gouvernement de Vichy sur ordre des Allemands pour combler son convoi. Ils arrêtent plus de 300 enfants dont 18 nourrissons et 217 enfants âgés de 1 à 14 ans. Sami a dû les voir dans le camp dès le lendemain. Que devait-il se dire ?
A 6 heures du matin, le 31 Juillet 1944, 1310 hommes femmes et enfants partent de Drancy à la gare de Bobigny. Le convoi 77 partit en direction d’Auschwitz et arriva le 3 août. À peu près 1500 km séparent Drancy du camp d’extermination. Les déportés (dont Sami Bitner) embarquèrent dans le train avec leurs bagages sous la surveillance des SS et passèrent le trajet dans des conditions déplorables. Ils n’avaient ni la possibilité de s’allonger ni même de s’asseoir compte tenu du nombre de déportés entassés dans le même wagon à bétail (entre 60 et 100 personnes). Il n’y avait qu’un seau au milieu du wagon pour faire ses besoins à la vue de tous, le seau est vite rempli et déborde. Le voyage dura quatre jours durant lesquels ils ne purent manger à leur faim, prendre des mesures d’hygiène ni respirer d’air frais. Ils ne savaient pas où on les emmenait puisqu’on disait souvent « Pitchipoï ». Ils pouvaient apercevoir parfois le nom d’une gare pour comprendre qu’on les emmenait à l’Est. On est en plein été et il fait extrêmement chaud. Ils n’avaient rien pour se déshydrater. Les plus vieux ou fragiles meurent avant même d’arriver au camp.
Site internet garededeportation.bobigny.fr
À leur arrivée le 3 août 1944, en pleine nuit, Sami et les autres sont soulagés de voir le train s’arrêter sur une rampe, des Allemands ouvrent les portes du wagon en criant : « Alle runter !! » qui voulait dire « Tout le monde descend !! ». L’espoir d’en finir avec ces humiliations est balayé par l’odeur épouvantable (ils ne se doutent pas que c’est l’odeur de chairs brûlées) et l’aspect macabre du camp, par les aboiements des chiens et les ordres hurlés. Dès leurs arrivée, les déportés étaient sujets à la « sélection ». Ils étaient alors séparés en deux files par les SS allemands qui les menaçaient avec des matraques, d’un côté les hommes et de l’autre les femmes et les enfants. Les plus vieux, les plus jeunes et les femmes enceintes étant jugés inaptes au travail, étaient directement envoyés dans les chambres à gaz (sûrement le cas de Sami Bitner qui avait 58 ans et des 846 autres déportés) tandis que le reste était destiné au travail forcé. 291 hommes et 183 femmes sont sélectionnés pour ce travail. Sami est-il monté dans ces camions qu’on leur proposait pour aller « à la douche » ? Ou a -t-il suivi à pied ? A-t-il compris ce qui lui arrivait ?
Accompagnés d’un orchestre dont les musiciens juifs qui étaient obligés de jouer des musiques, les déportés avançaient en toute confiance vers l’endroit des chambres à gaz. Une maléfique mise en scène ! Puis, ils devaient se déshabiller dans une salle à proximité des chambres à gaz et laisser leurs affaires sur des porte-manteaux ; ils pensaient qu’ils allaient les récupérer après la douche. Sami a-t-il été dupe ? Ou a-t-il su que sa fin était arrivée ? Nus et apeurés, ils rentraient avec plus ou moins confiance dans les chambres à gaz et attendaient l’eau qui devaient sortir des pommeaux de douche. A la place, c’est le gaz appelé « zyklon B » qui était diffusé. La mort survenait entre 6 à 20 minutes.
Sami Bitner est mort ainsi. On ne lui a laissé aucune chance. En 1945, seuls 93 hommes et 157 femmes sont rescapés de ce convoi.
Alphonsine Guglielmazzi, sa compagne, voyant que son compagnon même à la fin de la guerre ne revenait toujours pas au domicile a commencé à mener des recherches pour le retrouver. Elle a dû aller à l’hôtel Lutécia dès la fin de la guerre. Puis ensuite elle a fait des démarches pour prouver qu’il était mort. Ses recherches et ses démarches administratives ont pris plusieurs dizaines d’années pour enfin toucher une rente pour la mort de Sami Bitner dans les années 1960.
Aujourd’hui seul son nom subsiste sur le mur des déportés au mémorial de la Shoah à Paris.
Ces photos sont extraites du film « la liste de Schindler », elles montrent le tri des valises des déportés, elles témoignent de vies volées, détruites et d’identités effacées : c’est bien le problème auquel on se confronte quand on essaie de redonner vie à ces populations déportées à qui non seulement la vie mais aussi l’identité et le souvenir ont été volés par les nazis car telle était leur volonté, effacer toutes traces de la vie juive. C’est le problème auquel nous nous sommes heurtés avec la biographie de Sami Bitner.