Cécile ALLOUCHE

1928-2004 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Cécile ALLOUCHE

La biographie que vous allez lire a été rédigée par Marine Casalini, Valentin Regourd, Katerina Jerabek et Arwen Leroy, élèves de 1ère du lycée du Val d’Argens du Muy durant l’année scolaire 2023-2024, encadrés par Myriam Lequimener, enseignante d’histoire-géographie.

Photo : Photo d’identité de Cécile jeune
@Mémorial de la Shoah

Des recherches sur internet et l’intervention de Monsieur Jean Laloum nous ont permis de retrouver la trace de Huguette Binesti, fille d’Henriette Allouche (née Bouskila) et sœur de Cécile Delugin (née Allouche). Elle nous a ensuite mis en relation avec Monique Delugin, sa nièce, petite-fille d’Henriette et fille de Cécile. Nous les remercions infiniment pour toute l’aide qu’elles nous ont apportée en nous fournissant de nombreux détails et intervenant auprès des élèves de notre lycée.           Notre travail s’est appuyé sur des documents provenant du Mémorial de la Shoah et du Service Historique de la Défense ainsi que du site du musée de la Résistance nationale de Champigny.

Nous vous présentons ici la biographie de Cécile Delugin (née Allouche) et vous trouverez également la biographie de sa mère, Henriette Allouche sur le site Convoi 77 (actuellement, en cours d’étude).

Cécile nait le 3 mai 1928 à Constantine. Elle est la fille aînée d’Ouraïda Henriette Bouskila (épouse Allouche) et Lucien Khalfallah Allouche, peintre en bâtiment. Le 6 mai 1934, sa sœur Eliane nait et Huguette, elle, nait le 24 mai 1937.

A la fin de l’année 1937, la famille s’installe à Paris, d’abord rue des Jardins Saint-Paul, puis au 25 rue des Écouffes. Cécile va au lycée et ses sœurs Huguette et Éliane prennent part à l’étude du soir tenue dans le Marais par une religieuse : Sœur Agnès qui les aidera par la suite.

La famille ne s’inquiète pas particulièrement au début de la guerre. Lucien est mobilisé en 1939 mais il est renvoyé dans ses foyers après l’armistice. Avec le début de l’Occupation, il cherche à s’employer où il peut. Le 7 octobre 1940, le gouvernement de l’État français abroge le décret Crémieux qui avait accordé la citoyenneté française aux juifs d’Algérie. La famille est dès lors réduite au statut de « sujet », celui des indigènes de toutes les colonies françaises. C’est aussi le début de l’application des mesures imposées à la population juive: recensement, marquage des papiers officiels, … Toute une législation qui enserre les familles juives françaises comme celle de Cécile comme dans un filet. Seule note d’espoir, en janvier 1942, Gérard, le petit dernier vient agrandir la famille.

Un jour de 1943, pendant que Cécile est au lycée, un policier français et un policier allemand se présentent à leur domicile. Les policiers ouvrent un registre de soixante centimètres de haut, très épais et commencent à poser des questions. Finalement, au moment de partir, le policier français dira à Henriette de cacher les enfants et vite. Au retour du lycée, Cécile apprend que la famille va devoir se disperser et qu’ils vont devoir cacher leur identité, grâce à de faux papiers. Ils ont été réveillés à cinq heures du matin par une religieuse en civil venue chercher les plus jeunes (qui, à ce moment-là, ignoraient qu’elle était religieuse). Huguette avait cinq ans et demi et Eliane trois de plus. Elles seront cachées dans une congrégation de religieuses à Notre-Dame de Sion à Paris.

Au total, le mémorial de Yad Vashem reconnaît sept sœurs de Notre-Dame de Sion comme « Justes parmi les Nations » pour leur sauvetage de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale à Paris, Grenoble, Anvers et Rome. Huguette se rappelle particulièrement de Sœur Agnès, présente sur le mur des noms en Israël. Sœur Agnès n’a pas uniquement été marquante dans l’Histoire, mais aussi dans la vie de Huguette. Peu de temps après la mort de leur père et la déportation de leur mère et de leur sœur ainée, Huguette et Eliane seront transférées dans un couvent près de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais. Un voyage d’une journée en train qui les a profondément marqués. Mais Huguette et Eliane n’étaient pas au courant de ce qui était arrivé à leurs parents à l’époque. Elles ont appris la mort de leur père car, faisant trop de bruit dans le gymnase du couvent, une religieuse les a réprimandé en disant : « Priez plutôt pour votre père qui vient de mourir ».
Dans les souvenirs d’Huguette, son petit frère, qui était placé en nourrice car le couvent n’acceptait pas les garçons, était négligé et on l’empêchait d’aller marcher car il était trop turbulent (comme tous les enfants de son âge). Il restait donc assis sur une chaise haute toute la journée. Ses sœurs allaient le voir tous les dimanches et pleuraient avec lui. Sœur Agnès, contrairement à la Mère Supérieure – les consolait quand le vague à l’âme les prenait.

Après avoir caché les plus jeunes, Cécile et ses parents avaient trouvé une place chez une famille à Saint-Cloud. Henriette était cuisinière, Lucien jardinier et homme à tout faire. Enfin, Gérard, qui avait les jambes en cerceau, a été pris en charge par une connaissance qui le fit admettre à l’hôpital Rotschild pour qu’il soit opéré. Il devait rester quelque temps là-bas avec les jambes dans le plâtre. C’est en allant le voir à l’hôpital le 22 juillet 1944 que Cécile s’est fait arrêter à la sortie du métro. Malheureusement, elle avait l’adresse de ses parents sur elle. La police française s’est donc rendue 8 rue de Garches à Saint Cloud et a arrêté Henriette, Lucien mais aussi la famille qui les avait cachés. Henriette a été détenue trois jours au commissariat avec son mari. Ils ont ensuite été transférés Rue des Saussaies dans un immeuble où la Gestapo faisait des interrogatoires. La famille qui les avait caché a été fusillée. Le 26 juillet, Lucien meurt après avoir été torturé et défenestré. Le même jour, Cécile voit arriver sa mère au camp de Drancy. Le 31 juillet, la mère et la fille ont été déportées à Auschwitz.

Dans le train, les déportés étaient tellement serrés et emplis de peur que Cécile avait planté ses ongles dans l’épaule de sa mère. En sortant du train, elles se sont pris des coups de schlague, c’est-à-dire de matraque. Considérée comme inapte au travail, Henriette a été tout de suite emmenée dans vers les chambres à gaz tandis que Cécile a été envoyée dans un baraquement pour travailler.

On sait très peu de choses sur son expérience des camps de travail. Elle a été transférée d’Auschwitz à Kratzau dans une usine d’armement. Elle a connu la sous-nutrition, l’insalubrité, les épidémies et un travail harassant et répétitif. Selon Huguette, la seule raison qui a permis à Cécile de supporter toutes les choses horribles qui lui étaient arrivées c’était qu’elle était jeune. Elle a sûrement connu Simone Veil car elles étaient au même camp et elles ont toutes deux travaillé dans une usine d’armements, à peu près la même période.

Le 9 mai 1945, avec la libération du camp de Kratzau par l’armée soviétique, Cécile va être rapatriée en France par le centre de Mézières le 2 juin 1945. En rentrant, elle se rend dans la famille de sa mère et essaie de raconter ce qu’elle a vécu à sa famille, mais personne ne la croit. Ils la prenaient pour une folle. L’oncle de Cécile, le frère de sa mère, lui a même dit: « Je ne serais jamais rentré sans ma mère, moi ». Sa famille ne la croit pas mais le reste du monde ne la soutient pas beaucoup non plus. La Croix-Rouge qui a pris ses quartiers rue des Saussaies, là où les nazis étaient quelques mois avant, refuse de prendre en charge Cécile bien qu’elle soit malade.

Malgré cela, Cécile reprend une vie à peu près normale, elle trouve un emploi de couturière, s’installe dans le 12ème et apprend que ses frères et sœurs sont à Saint-Omer. Peu de temps après son retour de Kratzau, elle a rencontré Michel Delugin. Né le 23 août 1927 à Libourne (Gironde), Michel Delugin fut résistant dans les maquis du Puy-de-Dôme puis dans le Lot parmi les Francs-tireurs et partisans (FTP), le mouvement de résistance intérieure française créé à la fin de 1941 et officiellement fondé en 1942 par la direction du Parti communiste français. A la fin de la guerre, il trouve un emploi aux PTT et devient ensuite l’un des dirigeants de la Fédération CGT des PTT. Cécile et Michel vont décider de se marier bien qu’ils aient à peine vingt ans, le 4 février 1950 à Rodez. Ils récupèrent l’appartement des parents de Cécile. Il avait été pillé, malgré les scellés qu’il y avait sur la porte. Cécile avait retrouvé les rideaux chez le voisin le plus proche, la cocotte de sa mère chez un autre…

Lorsqu’au cours d’une discussion banale, Michel demande à Cécile si elle avait des frères et sœurs, elle répond : « Oui et ils sont dans un couvent dans le Nord Pas-de-Calais. » Michel lui dit alors qu’il faut aller les chercher et qu’ils les élèveront comme leurs propres enfants. Au mois de mai, Cécile va donc chercher ses frères et sœurs. Elle arrive en pleine procession en l’honneur de la Vierge Marie. Ce fut un moment horrible car cette fête lui rappelait que c’était justement parce qu’elle était juive qu’on l’avait déporté. Huguette lui demande si leur mère allait revenir. Cécile lui répond que non. Le couple a ensuite recueilli Huguette, Éliane et Gérard. Mais Cécile étant très fatiguée et affaiblie après ce qu’elle avait vécu, elle ne pouvait plus assurer la garde de ses frères et sœurs. Alors Michel les a placés dans une maison d’enfants à Malmaison assez proche de chez eux. Tous les dimanches, la fratrie pouvait donc se réunir. Huguette estime que Michel Delugin est un homme exemplaire car il a pris la tutelle de trois enfants en bas âge (Gérard n’avait même pas quatre ans) alors que lui-même était jeune.

Cécile ne garda aucun contact avec sa famille éloignée qui ne l’avait pas crue. Après l’horreur qu’elle a vécu, elle n’avait plus de conviction religieuse. Elle a parfois retrouvé des personnes qui avaient été dans les camps avec elle. Par exemple, un jour, elle est passée avec sa sœur Huguette devant un magasin de bijoux tenu par une femme. Les deux se sont reconnues et elles se sont tombées dans les bras. Pour autant, elles ne sont pas restées en contact.

Cécile avec son fils et son mari
Photo de Monique Delugin, sa fille

Cécile ne parlait pas de ce qu’elle avait vécu, à moins qu’on lui pose des questions. Dans la fratrie, seule Huguette voulait entendre ce qu’elle avait à dire. Cécile ne paraissait pas bouleversée lorsqu’elle racontait ce qu’elle avait vécu, mais Huguette si. Cela l’empêchait parfois de dormir. Éliane ne pouvait en entendre parler, ça la rendait malade ; elle se renseignait sur la Shoah plutôt par le biais de la lecture. Cécile ne parlait pas du tout de cette expérience traumatisante à ses enfants et cela les a marqué. Elle a même préféré mentir et inventer quelque chose le jour où son petit-fils lui a demandé d’où venait son matricule tatoué sur le bras. Cela a notamment beaucoup marqué sa fille Monique qui ne comprenait pas pourquoi elle ne voulait pas dire la vérité.

Cécile lors de son 70ème anniversaire Photo de Monique Delugin, sa fille

Le fait d’être sous-alimentée et de vivre dans des conditions insalubres lui ont laissé beaucoup de séquelles physiques et psychologiques. Elle a gardé une santé fragile toute sa vie. Plus tard, elle a obtenu une pension de déporté politique comme salaire mais dès que ses enfants ont été grands, elle a voulu prendre son indépendance. Elle a donc suivi une formation de secrétaire au ministère des anciens combattants, et elle a pu prendre sa retraite assez jeune.

Cécile avait dix ans en Algérie lorsqu’ils l’ont quitté et Huguette trois mois. A la retraite, elles ont décidé d’y retourner et des gens se souvenaient toujours de leurs parents. Juifs et musulmans s’entendaient à merveille à l’époque, d’après Huguette. L’immeuble où la famille Allouche a vécu a été détruit un an après la visite de Cécile et Huguette.

Cécile est décédée en 2004 entourée de son mari, de ses enfants et de ses proches.

Huguette est allée à Auschwitz quand Cécile est morte. Aujourd’hui, Huguette habite dans le treizième arrondissement. Elle a gardé des contacts avec des enfants de déportés, surtout ceux qui étaient cachés avec elle. Huguette est toujours en contact avec les enfants de Cécile et Michel, ils sont même très liés. Elle est surtout proche de sa nièce Monique Delugin qui fait partie de la Fédération Nationale des Déportés. Aujourd’hui, les trois enfants de Cécile et Michel (Monique, Laurence et Yves) sont mariés et ont des enfants.

Nous avons eu le privilège d’interviewer sa soeur qui a connu l’exode et l’Occupation et d’avoir également recueilli le témoignage de sa fille qui a recueilli les rares et précieux récits de Cécile. Cela a été très émouvant. Avec cette biographie, nous espérons participer à conserver la mémoire de Cécile Allouche épouse Delugin dans l’Histoire avec un grand H.

Contributeur(s)

Biographie rédigée par Marine Casalini, Valentin Regourd, Katerina Jerabek et Arwen Leroy, élèves de 1ère du lycée du Val d’Argens du Muy durant l’année scolaire 2023-2024, encadrés par Myriam Lequimener, enseignante d’histoire-géographie.

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