Salomon BERKOVICI
Sur les traces de Niche et Salomon Berkovici
Contributeurs
Dans le cadre d’un projet collectif (réunissant plusieurs classes de troisième) et transdisciplinaire (histoire/lettres) réalisé au Lycée-Collège Voltaire 75011), sur les années 2020-2022, de nombreux élèves ont participé au dépouillement des dossiers de déportés du convoi 77, qui vivaient pendant la Seconde guerre mondiale au cœur du 11e arrondissement de Paris. C’est dans ce quartier que vivent aujourd’hui les collégiens.
Cette biographie a été réalisée par Carmen Kwiat et Hannah Tanguy, de 3°2.
Avant-propos
Nous avons décidé de présenter une biographie conjointe de Niche et de son fils Salomon pour donner plus d’épaisseur à la vie de cette mère et de son fils, pour lesquels nous disposions de peu de documents, pour reconstituer leur parcours de vie [1]. Dans le contexte particulier de la crise sanitaire, nous n’avons pas pu explorer cette année toutes les pistes de recherche. Si à la lecture de cette biographie vous avez des éléments à préciser ou communiquer, vous pouvez nous contacter par email : hglyceevoltaire75011@gmail.com.
Les origines : Russie, Pologne et Roumanie
Niche Blimbaum, la mère de Salomon, est née le 17 avril 1902 à Zgierz en Pologne, au nord de Lodz où ses parents Mostzek Blimbaum et Chaja Sura Kadecka étaient domiciliés.
Le père de Salomon, Moïse Berkovici naît le 12 février 1904 à Dorohoi, en Moldavie roumaine. Dans cette région, de nombreux juifs ashkénazes, ayant fui la Russie et la Galicie, s’étaient installés et formaient une communauté importante. Salomon n’aura donc jamais connu ses grands-parents paternels restés là-bas, Joseph Berkovici (qui était tapissier) et Clara Berkovici née Abot.
L’exil de l’Europe centrale à Paris
Dès le début du XIXème siècle et jusqu’au milieu du XXème, la France a été la destination privilégiée pour les populations juives exilées d’Europe. Ainsi, Moise a fui, les violences antisémites, les politiques discriminatoires et la misère. S’il a choisi la France, c’est sans doute parce les mesures libérales en matière d’immigration et d’accès à la nationalité [2] lui donnent espoir.
L’installation de Moïse à Paris
Quand Moïse arrive à Paris le 4 avril 1920, il est âgé de 17 ans. Il demeure alors au 14, rue Godefroy-Cavaignac dans le 11e arrondissement, sans doute chez des parents [3]. Le 11e arrondissement est l’un des quartiers d’arrivée des Juifs venus de Roumanie [4].
En ce qui concerne Niche, nous n’avons pas trouvé d’informations sur la date de son arrivée en France. Comme Moise, elle a dû fuir les violences antisémites et la misère. Il est possible qu’elle soit arrivée entre 1920 et 1931 [5], et qu’elle se soit installée dans le 11e arrondissement. En effet, à la veille de son mariage en 1934, elle est domiciliée au 48, rue Godefroy-Cavaignac, dans le quartier de la Roquette.
Les nouveaux arrivants, souvent pauvres, vivent dans des conditions très précaires, ils s’installent dans des immeubles où les logements sont minuscules et manquent de confort, parfois dans des hôtels.
Moïse se fait arrêter à 17 ans pour le vol d’un manteau et il est condamné le 9 avril 1921 (par un tribunal pour enfants) à la détention dans une colonie pénitentiaire jusqu’à sa majorité. Durant sa détention, il s’engage par contrat dans la Légion étrangère pour cinq ans. Ainsi au début des années 1920, il participe aux campagnes coloniales de Syrie et du Maroc.
Après sa libération le 21 décembre 1925, il vit au 53 rue de Montreuil, quartier Sainte-Marguerite, dans le 11e arrondissement à Paris, avec une compatriote, Creuta [6] Harabagui (épouse Idlik), née le 2 janvier 1901, séparée de son mari. Elle est originaire de la même région que Moïse [7]. Moïse et Creuta ont un enfant, Samuel, qui naît le 28 octobre 1927 à Paris dans le XIe arrondissement, c’est donc un demi-frère de Salomon.
Moïse vit en France depuis neuf ans et comme de nombreux étrangers, à la fin des années 20, il fait une demande de naturalisation. Le 8 août 1929, Moïse Berkovici obtient la nationalité française par décret [8].
Niche et Moïse
Le 27 mai 1931, Moïse s’engage à nouveau dans l’armée et est affecté dans un régiment d’Infanterie coloniale.
C’est sans doute lors d’une de ses permissions qu’il rencontre Niche Blinbaum pour la première fois. Niche habite alors 48, rue Geoffroy Cavaignac (11e) et Moïse dans un hôtel au 31, rue Keller (11e) [9]. Ils se marient le 6 mars 1934, à la mairie du 11e arrondissement.
Deux mois plus tard, le 27 mai 1934, Moïse est démobilisé et doit reprendre sans doute son travail de manœuvre.
Le 24 novembre de la même année, Salomon naît à Paris dans le 14e arrondissement, 74, rue Denfert-Rochereau, à la maternité Adolphe Pinard (hôpital Saint-Vincent de Paul). Entre 1934 et 1936, le couple a déménagé dans le XXe arrondissement, au 62 de la rue de Ménilmontant [10].
Alors que Salomon a à peine deux ans, Moïse se porte volontaire pour combattre aux côtés des républicains espagnols, le 10 novembre 1936 [11]. Niche et Salomon restent seuls quatre mois, Moïse est rapatrié depuis Valence début février 1937 [12].
Durant l’année 1937, Moïse est ouvrier aux établissements S.A. Fûts métalliques Gallay, 116 rue Saint-Honoré dans le 1er arrondissement. A la veille de la guerre, Salomon fréquente, peut-être, l’école maternelle de Ménilmontant [13].
La guerre et les premières discriminations
Lorsque la guerre éclate, Moïse est mobilisé le 13 septembre 1939 au 223ème régiment de réserve territoriale. Niche et Salomon se retrouvent seuls à nouveau, car Moïse est fait prisonnier.
Ils ont peut-être déjà déménagé 18, passage Gustave Lepeu (XI°), en effet Salomon fréquente l’école élémentaire de garçon au 129 rue des boulets dans le XI° (aujourd’hui Leon Frot), à proximité de leur domicile.
Moïse et sa famille subissent les premiers effets de la “Révolution Nationale” et des politiques antisémites de Vichy. Comme pour beaucoup d’étrangers naturalisés depuis 1927, la loi du 22 juillet 1940 permet la révision des naturalisations et la commission de révision se saisit du dossier de Moise.
Lorsque le 27 septembre 1940, les allemands demandent aux juifs (de la zone occupée) de se faire recenser, Niche, comme beaucoup d’autres, a dû se rendre au commissariat du XI°, parce qu’elle voulait être en règle et respecter la loi. Ainsi tous les juifs doivent se faire enregistrer entre le 3 et le 20 octobre 1940 ( Fichier Tulard pour le département de la Seine).
Le 3 octobre 1940 le gouvernement de Vichy décrète le premier “Statut des juifs” [14].
Après plus de six mois d’absence, le 27 mars 1941, Moïse rentre à Paris, il est rapatrié par train sanitaire, ce qui a dû rassurer Niche et Salomon.
La vie quotidienne est déjà difficile pour la population parisienne en proie aux rigueurs de l’occupation et touchée par la pénurie alimentaire, cependant pour les juifs la situation est encore plus critique.
Dès avril 1941 [15], les allemands limitent ou interdisent aux juifs les activités commerciales. Il est difficile de travailler pour Niche et Moïse et subvenir aux besoins de la famille.
On ne peut pas posséder de radio, de vélo ou de téléphone.
Le deuxième statut des juifs du 2 juin 1941 renforce l’exclusion des juifs de la vie publique et les mesures discriminatoires.
La famille subit le couvre-feu imposé aux juifs (entre 20h et 6h) à partir de février 1942. Niche ne peut sortir pour faire les courses qu’entre 15h et 16h. La vie de Salomon est ainsi transformée par l’exclusion de ses parents, qui sont victimes d’interdictions de plus en plus dures.
Le 29 mai 1942, une ordonnance rend le port de l’étoile obligatoire. Niche et Moïse doivent les acheter et les coudre sur leur vêtement, car la mesure prend effet le 6 juin. Salomon, qui a sept ans, va à l’école rue Bréguet avec son étoile sur le cœur. Le non port ou le mauvais port de l’étoile peut entraîner en cas de contrôle, l’arrestation et la déportation. Dès le début de l’été 1942, Salomon, comme tous les enfants juifs, n’a plus le droit d’entrer dans les jardins publics, de fréquenter les piscines ou d’aller en colonie de vacances.
L’ex-compagne de Moïse, Creuta Idlik, la mère de Samuel, est arrêtée lors de la rafle du Vel D’hiv, le 17 juillet 1942. Elle est internée au camp de Drancy quelques jours et elle est déportée par le convoi n° 11 à destination d’Auschwitz, dont elle ne reviendra pas. Il semble que Samuel, le demi-frère de Salomon, ait échappé à l’arrestation.
Les rafles et arrestations se poursuivent. Pour survivre à la politique de traque il faut se déplacer, changer de logement. En 1943, la famille Bercovici habite 18, passage Gustave-Lepeu dans le XI arrondissement, elle a donc déménagé.
Le 18 passage Gustave Lepeu, 75011, Paris
Au mois d’octobre 1943, la commission de dénaturalisation qui avait examiné la situation de Moïse Bercovici, rend un avis favorable à son maintien « dans la communauté française ». Sans doute la famille se sent encore protégée. Moïse, Salomon et Niche restent français.
De l’arrestation à la déportation
Le 15 juillet 1944 Salomon et Niche sont arrêtés, on ne sait rien des conditions de l’arrestation, au domicile sans doute. Ils sont enregistrés entrant à 12h sur la même ligne (mère et le fils) sur les registres du commissariat.
Le 17 juillet 1944, à 15h Niche et Salomon sortent du commissariat et sont conduits à Drancy où ils sont internés. Lors de son arrivée à Drancy, le carnet de fouille indique que Niche se fait dépouiller de la somme de 424 francs.
Ils vont rester presque deux semaines à Drancy, il fait très chaud en ce mois de juillet à Paris et les conditions sanitaires sont déplorables.
Le 31 juillet 1944, à trois semaines de la libération de Paris, Niche et Salomon sont déportés de Drancy dans le dernier grand convoi.
Le 5 août 1944, dès leur arrivée à Auschwitz, ils seront dirigés vers les chambres à gaz.
Ce qu’on peut imaginer…
Aujourd’hui, nous ne possédons aucune trace d’une potentielle déportation de Moïse. Son nom n’est pas inscrit sur les archives du mémorial de la Shoah. Moïse a sûrement intégré la résistance. Quant à son premier fils, Samuel, il semble aussi avoir échappé à la déportation.
A la manière de Ruth Zylberman et de Georges Perec [16]
Dans le cadre du cours de français, les élèves ont étudié des extraits Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec, 209 rue Saint Maur de Ruth Zylberman et Dora Bruder de Patrick Modiano [17], afin d’approcher la démarche d’investigation et d’écriture à partir des lieux et des archives. Comment reconstituer la vie d’une personne dont il ne reste que les traces administratives et les lieux fréquentés ? Avec le concours de la connaissance historique du contexte, ces indices servent aux conjectures multiples et alimentent l’imagination. Ainsi l’observation détaillée d’immeubles qu’ont habités des déportés du convoi 77 a donné aux élèves la trame d’un premier travail d’écriture à la manière de Ruth Zylberman, tandis que l’exploitation des archives en histoire a servi à l’écriture de fiches biographiques de ces mêmes déportés.
18, passage Gustave Lepeu
Boulevard Voltaire, un peu avant la station de métro Charonne, se trouve une petite rue nommée Cité de Phalsbourg. Au bout, on traverse la rue Léon-Frot pour arriver dans le passage Gustave Lepeu.
À côté du passage, dans la rue Léon-Frot il y a une boulangerie, deux épiceries, deux librairies dont une spécialisée dans la bande dessinée, un restaurant dansant, un restaurant japonais, un traiteur italien, un restaurant asiatique, un restaurant français, un café, deux bars, une synagogue, et à quelques mètres le Cimetière Père Lachaise.
L’entrée du passage est entourée de deux restaurants. Le passage est pavé. Il est très arboré. Tout le long des immeubles, il y a de grandes plantes dans des pots de formes et de matières différentes. Les immeubles y sont plutôt étroits et peu hauts.
Le numéro 18 du passage Gustave Lepeu n’a rien de spécial, il est même plutôt modeste. Il est composé de quatre étages. Il n’a pas de balcon, de pot de fleur, rien de décoratif. Il y a juste à côté un bac à plantes avec du bambou et quelques autres arbustes. Le numéro est peint à la peinture marron. Deux gouttières longent la porte de chaque côté.
La porte paraît plutôt récente. On dirait une porte d’entrée de maison, de couleur marron bois, sans ornement ni enjolivure. Elle se compose de deux parties : une porte dont la moitié inférieure est en bois et la moitié supérieure en verre opaque, et une petite fenêtre oscillo-battante au-dessus. La poignée est cassée de l’extérieur, il suffit de pousser la porte pour entrer.
L’entrée est exigüe. La lampe au plafond n’éclaire pas beaucoup. Il y a du carrelage en mosaïque sur le sol. Les escaliers sont étroits, ils sont en bois et la rampe aussi. L’ensemble est vétuste. Aujourd’hui, rien n’indique qu’ il y a presque 80 ans, cet immeuble fut pour Niche et Salomon Berkovici le dernier refuge.
Hannah TANGY-SAVOLDELLI 3ème2
Notes de bas de page
[1] – Nous avons utilisé la biographie du Maitron consacrée au mari de Niche et au père de Salomon, Moïse Berkovici
notice BERCOVICI Moïse par Daniel Grason, version mise en ligne le 28 avril 2015, dernière modification le 5 mai 2015.
[2] – Girard Patrick. Les immigrations juives. In: Hommes et Migrations, n°1114, Juillet-août-septembre 1988. L’immigration dans l’histoire nationale. pp. 49-56.
[3] – Grâce à la biographie du Maitron nous en savons un peu plus sur Moïse.
[4] – ”11000 juifs roumains vivent à Paris dans l’entre-deux-guerres” op.cit. pp. 52.
[5] – op.cit. page 52, “ sur 90000 juifs parisiens, 45000 venaient de Pologne.
[6] – On trouve aussi l’orthographe de Crenta.
[7] – Crenta Idlik (née Harabagui) est née à Darabani, Roumanie en 1901, fille de Shimshon et de Eidela. Elle était ouvrière emboutisseuse
[8] – Afin de faciliter l’intégration des étrangers, la loi du 10 août 1927 facilite l’accès à la nationalité française (la durée de résidence est réduite à 3 ans).De 1927 à 1938, le nombre des naturalisations s’élève à 38 000 par an en moyenne, jusqu’à atteindre 81 000 en 1938.
[9]– ADP D2M8 397 : sur les 44 occupants de l’hôtel, la moitié sont étrangers.
[10]– Recensement de 1936, ADP D2M8 704.
[11] – Selon la biographie du Maitron : “Il part avec 1200 volontaires de la région parisienne et du nord de la France pour Barcelone. Il est sous-officier de carrière et est affecté dans la XIIIe Brigade, 1ère compagnie Franco-Belge à Villastar dans le secteur de Teruel en Aragon”.
[12] – https://maitron.fr/spip.php?article172643
[13] – Nous n’avons pas trouvé son nom sur la liste des enfants déportés du XX° arrondissement. Il n’apparaît que dans la liste des enfants déportés du XI°.
[14] – qui définit le terme de “race juive” pour l’État de Vichy et qui exclut les juifs de la fonction publique, de la presse, du cinéma, des professions médicales…
[15] – 26 avril 1941
[16] – « 209 rue Saint-Maur Paris Xe autobiographie d’un immeuble », de Ruth Zylberman, Le Seuil, 2019.
“Tentative d’épuisement d’un lieu parisien”, de Georges Perec, P.O.L, 1975.
[17] – “Dora Bruder, de Patrick Modiano, Gallimard, 2012.
This biography of Salomon BERKOVICI has been translated into English.