Jacques BERR
Nous sommes en classe de troisième au collège les Blés d’or et nous participons au projet Convoi 77 qui permet à des classes de toute l’Europe de rédiger la biographie des déportés du dernier convoi parti de Drancy le 31 juillet 1944.
(Photographie de Jacques Berr)
Jacques Berr est né 20 Novembre 1923 à Boulogne-sur-Mer, dans le Nord de la France. Son deuxième prénom est Charles. Le nom de ses deux parents étaient Aron, dit Adrien Berr, son père et Germaine Caroline Levy, sa mère. Ils étaient tous deux Français. Son père, tout comme les frères de celui-ci ont été mobilisés pendant la Première Guerre mondiale dès 1914. Il est à la tête d’une boucherie à Boulogne-sur-Mer. Sa mère doit certainement l’aider à tenir ce commerce. Ils habitent au 35 rue de la Lampe, au-dessus de la boucherie, fondée en 1886.
Jacques a un frère.
Il possède un signe distinctif : une cicatrice sur la joue droite vers l’œil.
Lorsque la guerre éclate en 1939, Jacques a 16 ans. La communauté juive de la ville compte 162 personnes. Avec l’invasion allemande Boulogne-sur-Mer propose à ses habitants de fuir : c’est l’exode. Certains quittent la ville, d’autres demeurent notamment les Berr. La ville est le théâtre de la Bataille d’Angleterre du 22 mai au 25 mai 1940 car c’est un des ports principaux du nord de la France avec Dunkerque et Calais. Où se trouve alors Jacques et sa famille ? Se sont-ils cachés dans la campagne environnante ?
A partir du 25 mai, la ville est aux mains des Allemands qui imposent leurs lois. Jacques Berr, étant juif, assiste à la prise des premières mesures de répression. Un jour, le père de Jacques, Adrien, en a assez de voir la pancarte qui était affichée sur la vitrine de sa boucherie (celle-ci disait « Jüdisches Geschäft » ce qui voulait dire « entreprise juive ») il décida donc de répliquer en affichant les états de services de sa famille.
Mais le 21 novembre 1940 Jacques voit la prise d’otage de son père. Le 16 décembre 1940, Jacques et sa mère, son frère et sa grand-mère maternelle sont arrêtés lors d’une rafle pour motif racial, pendant ce temps-là, son père est toujours retenu en otage. Ils sont emmenés à la prison « l’enclos de l’Evêché ». La rafle a lieu le 16 et 17 décembre, 54 personnes juives âgées de 10 mois à 74 ans sont interceptées à Boulogne-sur-Mer et déportées en train dans le convoi du 17 décembre 1940 : pendant trois jours et deux nuits, elles sont transportées en wagons fermés mais pourvus de banquettes en bois avec interdiction de descendre, le ravitaillement est uniquement fait par la Croix Rouge. Elles sont internées à Troyes, une commune située dans la région Grand-Est aujourd’hui, au centre du département de l’Aube, dès le 20 décembre.
A Troyes, le groupe scolaire Jules Ferry est déjà devenu une caserne pour l’armée allemande. Il est aménagé ensuite pour recevoir les « expulsés », tous les « indésirables » de la zone côtière du Nord : les Anglais, les Belges, les Polonais mais aussi les Juifs et les Communistes. Donc il devient camp d’internement : les 14 classes vont être utilisées pour loger les personnes en famille, en couples… L’aile gauche (l’ancienne école des filles) a un régime strict avec interdiction de sortir tandis que l’aile droite (l’école des garçons) est plus familiale. Certains ont le droit de se promener en ville car on leur a enlevé leur carte d’identité. L’administration française sous le contrôle de l’occupant gère ce camp. En février 1941, Jacques réussit à s’évader avec sa famille pour rejoindre Lyon où un oncle maternel habite 20 rue Suiphon.
On parvient ensuite, en 1944, à retrouver des traces de celui-ci à Lyon, il a donc désormais 19 ans. Il ferait désormais partie de la résistance dans certains documents mais tous ne sont pas formels et son père n’a jamais trouvé une preuve de ceci. Il aurait gardé sa véritable carte d’identité. Il est malheureusement traqué par la Gestapo car réfractaire au Service de Travail obligatoire (STO).
Le 30 Juin 1944, il est arrêté par deux miliciens du PPF (Parti Populaire Français : mouvement collaborationniste qui participe à la traque des résistants et des Juifs ; leur centre à Lyon se situait Rue de la République). Il avouera plus tard à des camarades de déportation, notamment Gilbert Weil que, juste avant d’être interpellé, il a repéré la présence de Mademoiselle Cochet, sœur du champion de tennis du même nom mais surtout amie de la fiancée de Jacques. Nous n’avons pas d’autre trace de cette fiancée : était-ce une couverture pour œuvrer dans la résistance ? Etait-ce une véritable fiancée qu’il avait rencontrée à Lyon ? Sur les documents remplis après la guerre, ses parents ont stipulé qu’il était célibataire. Pour quelle raison l’a -t-elle dénoncé ? Parce qu’il était juif ? Parce qu’il était en âge d’aller au STO ? Les deux ? En tout cas d’autres se font interpeler ce jour-là, car, comme l’écrit ensuite Gilbert Weil, ils étaient une cinquantaine à avoir été arrêtés à la gare des Brotteaux.
Les deux miliciens le remettent ensuite à la Gestapo dont le centre est Place Bellecour à Lyon. Il est alors interné à la prison Montluc à Lyon du 30 juin au 29 juillet 1944. Torturé, maltraité, il essaie de s’échapper en sautant du 4è étage. Dans son livre La Maison des Otages, André Frossard retrace le dialogue qu’il a quelques jours après, dans le jardin des Supplices, concernant ce moment-là :
« Vous êtes tombé du 4è étage ?
– Je ne suis pas tombé. J’ai sauté par la fenêtre.
– Vous vouliez vous suicider ?
– Je ne sais pas. Je ne voulais pas retourner dans la baignoire. [Un type de tortures]
– Vous n’avez que deux côtes enfoncées ?
– J’ai été reçu en bas par un camion bâché.
– Et les Boches vous ont rattrapé ?
– Le camion était arrêté. »
Ainsi la chance lui sourit encore car cela aurait pu lui être fatal. En tout cas, tous ses camarades internés avec lui notent qu’il a été surnommé alors « le Parachutiste » et cela a valu l’estime de tous les prisonniers. Certains disent même que cela leur a permis d’être laissés tranquilles par la Gestapo et de ne pas faire partie des otages qu’ils ont exécutés lorsqu’ils étaient encore présents dans cette prison.
Le 29 juillet 1944, avec de nombreux prisonniers qui sont devenus des camarades, il est transféré à Drancy, une commune située en région parisienne. Drancy est connu pour son camp d’internement où les Juifs sont considérés comme « indésirables » et détenus avant d’être déportés. Il arrive donc avec Gilbert Weil mais aussi Isidore Fischer, Roland Flascu et un Monsieur Cohn entre autres. Tous écriront leur témoignage après-guerre aux parents de Jacques pour attester de sa présence. Ils y restent deux jours.
Le 31 juillet 1944, Jacques a été déporté, par le convoi 77, qui comptait 1306 personnes vers une destination inconnue. Il est monté avec ses camarades dans le wagon à bestiaux. Seul Isidore Fischer est dans un autre wagon car étant médecin, on le charge de s’occuper d’une soixantaine d’enfants regroupés dans un autre wagon.
Après trois jours et trois nuits, dans des conditions extrêmement difficiles : un seau pour tout le monde pour faire ses besoins, une seule ouverture pour pouvoir respirer, sans pouvoir ni manger ni boire, sans pouvoir s’asseoir correctement, ils arrivent au petit matin à Auschwitz, en Pologne. On leur aboie des ordres en allemand.
Jacques et ses camarades sont jeunes et sont sélectionnés pour entrer dans le camp contrairement aux enfants, mères, personnes âgées et celles qui n’étaient pas en bonne santé qui sont immédiatement gazés.
A l’intérieur du camp, les conditions de vies y sont inhumaines, avec surpopulation, maladies et travaux forcés. Jacques doit subir rasage, tatouage, douche pour se désinfecter, on lui donne des loques pour habit. Il est au bloc 28 et affecté aux travaux de terrassement, kommando « Huya » puis à un kommando de la mort nommé « Bombonkommando ». Monsieur Cohn écrira plus tard que cela leur a permis d’être moins maltraités car étaient laissés seuls dans la journée avec un kapo. Ensuite Jacques est affecté au Kommando « Union » tandis que ce monsieur Cohn est dans un autre Kommando qui lui permet d’avoir du pain et de la soupe en quantité suffisante pour en redonner un peu à Jacques. Cependant la santé de Jacques se dégrade et un de ses camarades Roland Flascu déclarera après-guerre qu’en septembre 1944 il voit Jacques pour la dernière fois, il est « dans un état pitoyable et est très déprimé ». Ce dernier est obligé d’aller à « l’infirmerie », au Revier au bloc 21 à la mi-octobre 1944 : il est opéré puis soigné pour une otite jusqu’au 12 janvier 1945. Il en sort en « bonne santé » pour être évacué vers le camp de Mauthausen du 18 au 24 janvier 1945 quand l’armée soviétique se rapproche du camp d’Auschwitz qui sera libéré le 27 janvier de la même année. Ils sont transportés en wagon qui n’étaient pas couverts. Ils arrivent aux trois quarts gelés.
A Mathausen, Jacques est affecté en cuisine car on trouve la mention « Koch » du 24 janvier au 19 janvier puis de nouveau au camp de travail de Solvay au chantier d’Ebensee (celui-ci consistait à creuser des usines souterraines).
Monsieur Cohn perd de vue Jacques le 12 février 1945 et il témoigne encore de sa santé fragile : il meurt malheureusement le 26 avril 1945 à seulement l’âge de 22ans. Monsieur Cohn aura la chance d’être rapatrié le 20 mai 1945 tout comme ses autres camarades Gilbert Weil, Jacques Lubetzki et Roland Flascu.
La guerre se termine le 8 mai 1945, dès juin la mère de Jacques envoie une lettre adressée au Genéral de Gaulle où elle exprime l’angoisse de ne pas savoir ce qu’il est arrivé à son fils et lui demande d’intervenir pour que sa demande soit rapidement prise en compte. Elle fait toutes les démarches pour connaître le destin de son fils mais elle ne reçoit des documents qu’en 1947 et 1948.
Le père de Jacques, après la guerre, a repris sa boucherie : cette boucherie existe encore, elle se nomme Label Viande aujourd’hui. Adrien envoie une lettre 8 ans après la mort de son fils pour se plaindre au ministère des Déportés que leur service n’ont fait que leur communiquer des informations qu’ils ont réussi à obtenir au fur et à mesure. On comprend qu’il est encore très affecté et en colère qu’on mette autant de temps à reconnaître la mort en déportation de leur enfant.
Dans le site des actes de décès, nous retrouvons la trace d’un Pierre Berr né à Boulogne-sur-mer le 12 décembre 1921 et qui pourrait être le frère de Jacques et est mort à 77 ans lez 4 avril 1977 mais sur le même site, le nom de Berr apparaît de nombreuses fois avec des naissances à Boulogne-sur-Mer donc s’agit-il d’une personne de la même famille ? ou d’homonymes ?
Pour nous, il est important de nous souvenir de Jacques Berr et de tant d’autres victimes de la Shoah afin de préserver leur mémoire, de rendre hommage à leur vie tragiquement interrompue et de tirer des leçons de l’histoire pour éviter que de tels évènements ne se reproduisent ainsi. C’est principalement à ça que sert notre devoir de mémoire.
This biography of Jacques BERR has been translated into english.
Je ne sais pas de quand date votre travail. C’est magnifique. J’ai beaucoup appris sur Jacques Berr qui était le frère de mon grand-père Pierre.
Merci.