Abraham DELBERG

1878 - 1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: ,

Abraham DELBERG, 1878-1944

Ci-contre, photographie d’Abraham Delberg, datant de 1917, Archives de la Préfecture de Police de la Seine.

La biographie d’Abraham Delberg a été étudiée par un groupe de trois élèves de 3ème du Lycée International Français de Vilnius, en Lituanie, où Abraham Delberg semble être né.

Démarche:

Les dossiers documentaires les plus volumineux (dossier de naturalisation, dossiers « étranger » et « aryanisation » de la préfecture de police de la Seine, dossier disparition) ont été fournis par les organisateurs du projet. En parallèle, pendant les trois mois du confinement, le professeur d’Histoire-Géographie de la classe a collecté les documents disponibles sur Internet (Etat civil, recensement…). Puis, à la fin du confinement, pendant plusieurs semaines, le groupe d’élèves a travaillé sur les documents ainsi rassemblés et rédigé la biographie. Ils ont ajouté des éléments de contextualisation historique et écrit un mail au petit-fils d’Abraham Delberg, qui n’a pas encore répondu.

Sources:

Les organisateurs du projet nous ont transmis une documentation très abondante, constituée:

  • des dossiers de la préfecture de police de la Seine (extrait du registre de dépôt, dossier étrangers, dossiers aryanisation);
  • du dossier de naturalisation d’Abraham Delberg, conservé aux Archives Nationales;
  • du dossier de disparition du ministère des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre conservé par le SHD.

De notre côté, nous avons trouvé sur Internet:

  • un extrait des listes de révision de l’administration tsariste de 1897-1898, mentionnant apparemment Abraham Delberg, grâce aux sites généalogiques juifs (jewishgen.org et litvaksig.org);
  • les extraits du recensement de 1926, 1931 et 1936 concernant la famille Delberg, consultables sur le site des archives de Paris;
  • les extraits d’Etat civil (naissances et mariage) concernant les Delberg, consultables sur le même site;
  • le carnet de fouille de Drancy, consultable sur le site du Mémorial de la Shoah;
  • l’extrait du Journal Officiel de la République Française du 10 mars 1988 mentionnant le décès d’Abraham Delberg, « mort en déportation ».

Nous avons aussi consulté les registres juifs de naissance conservés aux Archives Historiques de Lituanie.

Un tailleur venu de la lointaine Lituanie

D’après les documents français Abraham Delberg serait né le 15 janvier 1878 à Vilnius, alors dans l’empire russe, mais nous n’avons pas retrouvé son acte de naissance dans les registres juifs de la ville – qui apparemment ont tous été conservés. Peut-être Abraham est-il plutôt né dans la région de Vilnius. D’après les dossiers de la préfecture de police, il ne disposait pas dans les années vingt de documents de son pays d’origine, la Russie tsariste, pour prouver son identité. Abraham Delberg est arrivé en France à la Belle Epoque, où les migrations ne faisaient pas l’objet d’un contrôle comme aujourd’hui: il était courant de passer les frontières « sans papier », avant que la Grande Guerre ne fasse rétablir des contrôles plus stricts, et qu’une carte d’identité ne devienne obligatoire pour les étrangers en 1917.
De manière générale, la Lituanie et les territoires voisins comme la Biélorussie et l’Ukraine abritaient alors une population juive considérable, Vilnius était appelée la « Jérusalem du Nord », et les Juifs de la région se disaient eux-mêmes « Litvaks ». Ces derniers formaient une partie importante de la population urbaine, notamment parmi les artisans et les commerçants. La famille d’Abraham appartenait à cette catégorie: son père s’appelait Joseph et sa mère Kivia (née Blistein), ses frères, Sinter (né vers 1872), Léon (né vers 1886) et Frolich (né vers 1891), tous devenus tailleurs comme Abraham… et probablement comme leur père. Une tradition familiale apparemment.
Même si Abraham n’est peut-être pas né à Vilnius, on trouve dans les listes de révision de l’administration tsariste de 1897-1898, un Abram Delberg à Vilnius, et dont les noms du père (Iosel/Joseph), de la mère (Tsivia/Kivia) et du frère (Sender/Sinter) correspondent à ceux qui sont indiqués dans les documents français, mais la date de naissance n’est pas la même (2 avril 1877). Si néanmoins il s’agit du même Abram, il est alors en train de faire son service militaire dans le village de Chechelnik en Ukraine. Plus tard, dans son dossier de naturalisation, Abraham affirmera avoir accompli ses obligations militaires en Russie: il semble donc bien qu’il ait accompli son service militaire. Dans l’empire russe, le service militaire est devenu obligatoire pour tous les hommes, avec de nombreuses exceptions, en 1877. Le service durait jusqu’à six années, mais pour les hommes ayant reçu une éducation primaire, la durée pouvait être raccourcie.
Ce service militaire avait tendance à arracher les jeunes Juifs à leur communauté d’origine et à ses traditions, même s’ils pouvaient continuer à pratiquer. D’ailleurs, Abraham Delberg n’est jamais véritablement revenu dans sa communauté après son service, puisque c’est peu après qu’il est parti en France, en 1903. Peut-être son frère a-t-il suivi le mouvement, puisque dans l’Entre-deux-guerres il habitait aussi en France.

L’installation à Paris: la fondation d’une famille et d’une entreprise

Abraham s’installe dans le 18ème arrondissement, rue Labat, puis au 14 rue Eugène Sue, au 6 rue Bachelet, ensuite au 5 ou 6 rue Versigny… Le 18ème arrondissement est au Nord de Paris, dans sa partie plutôt populaire, où les migrants s’installent plus facilement, car les loyers sont moins élevés.
Le 25 mars 1924, Abraham épouse officiellement Sara Wiener qui est née à Volta, en Russie, le 24 mai 1890. Mais une note de la préfecture de police de 1926 indique qu’ils ont conclu une union « israélite », religieuse, dans l’empire de Russie (où le mariage civil n’existait pas à l’époque tsariste): en 1924, il s’agit donc d’un « remariage », pour que l’union soit reconnue en France. D’ailleurs, un premier enfant, Cécile, est né bien avant, le 4 mai 1909, alors que le couple habitait au 52 rue Ordener, toujours dans le 18ème arrondissement, et l’acte de naissance indique que les parents sont « mariés ».

Sara Delberg, photographie de 1917, archives de la préfecture de police de la Seine

Sara et Abraham se sont sans doute rencontrés en France et ont peut être effectué un mariage religieux avant car leur premier enfant Cécile est né le 4 mai 1909, alors qu’ils habitaient 52, rue Ordener, dans le 18ème arrondissement, et que l’acte de naissance mentionne qu’ils sont “mariés”. Une note de la préfecture de police de 1926 indique qu’ils ont conclu une union “israélite” dans l’empire de Russie, on ignore en quelle année. Mais en 1905, les époux sont déjà immatriculés comme étrangers ensemble. Le couple semble donc s’être marié très tôt, entre 1903 et 1905, alors que Sara n’avait qu’entre treize et quinze ans. Cela peut sembler choquant aujourd’hui, mais cela n’avait rien d’anormal dans la Russie tsariste de l’époque, où on se mariait plus tôt qu’en Europe occidentale. Une jeune fille y était considérée en âge de se marier dès l’adolescence, entre 13 et 16 ans, notamment dans les communautés juives.
Le deuxième enfant de Sara et Abraham, Henri, est né le 16 décembre 1911. Les Delberg habitent alors 14, rue Ferdinand Flocon, toujours dans le 18ème arrondissement, ce qui sera leur adresse jusqu’à l’arrestation. Leur troisième enfant Georges est né le 12 janvier 1915, leur quatrième Simone le 13 octobre 1920, leur cinquième Roger le 15 juillet 1925, et enfin leur dernier enfant Jacques le 31 août 1930. Le 13 juin 1929, Cécile s’est mariée avec un certain Moïse Anchenfarb et a quitté le foyer parental. Quant aux frères, on sait grâce aux recensements qu’Henri travaille dans une bijouterie en 1931, puis dans une épicerie en 1936, tandis que Georges est fourreur. Simone est devenue sténo-dactylographe.
En 1917, les Delberg se soumettent à la nouvelle loi imposant des cartes d’identité aux étrangers. Leurs quatre premiers enfants deviennent Français par déclaration en 1925, grâce au droit du sol – ils sont nés en France. Puis en 1927, Sara et Abraham Delberg profitent de la loi de 1927, qui diminue l’importance du droit du sang: la période de domiciliation en France minimale avant la naturalisation passe de dix à trois ans. Les naturalisations augmentent alors fortement: plus de 320 000 adultes deviennent ainsi Français entre 1927 et 1940, dont les Delberg.
Au moment de leur naturalisation, les Delberg forment une famille prospère, même s’ils ne sont que locataires de leur logement. Abraham a un atelier de couture au 10 rue Hermel (18ème arrondissement), loué depuis 1923, qui lui rapporte environ 500 francs par semaine, et une fortune de 200 000 francs (un franc en 1927 vaut environ 0,58 euro aujourd’hui). L’atelier se compose d’une boutique et de deux pièces, avec deux machines à coudre, et emploie quatre ouvriers. Son atelier fournit des vêtements aux grands magasins du Printemps. Cette affaire permet aux Delberg d’acheter un immeuble de quatre étages où logent sept locataires, dans le 17ème arrondissement, au 44 rue Sauffroy, pour une valeur de 120 000 francs.

Les grands magasins du Printemps aujourd’hui

 

Les Delberg sous l’Occupation: la spoliation puis la déportation du père

En 1939, quand la guerre éclate, les fils Henri et Georges sont mobilisés et participent à la guerre. Georges reçoit un certificat de bonne conduite et Henri, qui sert comme infirmier, la Croix de Guerre pour avoir “tenu sa place jusqu’à la fin” alors que l’armée française était en pleine débâcle face à l’invasion allemande. Mais ce courage n’évite pas à la famille les persécutions sous l’Occupation.
Dès 1940, alors que la France de Vichy adopte les premières mesures anti-juives et que Paris est occupé par les Allemands, les époux Delberg se conforment d’après la préfecture de police à toutes les ordonnances concernant les juifs, ce qui signifie: cachet spécial sur la carte d’identité, affichette jaune “Entreprise juive” sur la devanture de l’atelier-boutique, puis recensement obligatoire en 1941, suivi d’un début d’ »aryanisation » des entreprises juives, confiées à des administrateurs provisoires en vue de leur spoliation. C’est le cas dès 1941 de l’atelier de couture des Delberg; mais comme Abraham s’engage à ne plus s’en servir comme boutique mais seulement comme atelier fournissant les magasins du Printemps, on lui laisse son atelier, et l’administrateur provisoire est relevé de ses fonctions le 2 mars 1942. Néanmoins, Abraham Delberg n’a plus le droit qu’à une seule machine à coudre: la seconde est spoliée et vendue en 1943. En 1944, l’atelier n’emploie plus que deux ouvriers, contre quatre avant-guerre. D’autre part, le 2 juin 1942, l’immeuble des Delberg est confié à un administrateur provisoire, avant d’être “aryanisé” (acquis par un propriétaire non juif) le 25 octobre 1943. Enfin, à partir d’octobre 1943, la Commission de révision des naturalisations s’intéresse au dossier Delberg: depuis la loi du 22 juillet 1940, l’administration de Vichy retire la nationalité française à de nombreuses personnes naturalisées par la loi de 1927, très contestée par les milieux d’extrême-droite.
L’examen du cas est toujours en cours quand le 18 juillet 1944 Abraham Delberg est arrêté à son atelier par des agents de la Milice et de la Gestapo. L’arrestation est soudaine, Abraham n’a pas le temps de prendre d’affaires avec lui: lors de son arrivée à Drancy le 19 juillet, le carnet de fouille indique qu’Abraham n’a que 280 francs sur lui (un franc en 1944 vaut 0,17 euro). Les autres membres de la famille ne sont cependant pas arrêtés, alors qu’ils ne se cachent pas, hormis peut-être le fils Georges dont l’adresse est inconnue en 1944: le fait que les fils soient nés en France, n’aient pas fait l’objet d’une enquête pour une éventuelle « dénaturalisation » et aient combattu en 1939-1940 a-t-il joué un rôle? où les miliciens se sont-ils contentés de faire une descente dans l' »atelier juif » et d’en arrêter le directeur?
Le convoi 77 part le 31 juillet de la gare de Bobigny et arrive à Auschwitz le 3 août. Le Journal Officiel de la République Française du 10 mars 1988 indique le 5 août 1944 comme date de décès à Auschwitz, mais la date n’est pas sûre, car les autorités françaises avaient tendance à choisir automatiquement le 5ème jour après le départ du train en l’absence de document.  En fait, sur les 1310 déportés du convoi, 836 sont envoyés vers les chambres à gaz dès leur arrivée le 3 août. C’est probablement le cas d’Abraham Delberg, relativement âgé (66 ans) au moment de son arrestation.

Contributeur(s)

Trois élèves de 3ème du Lycée International Français de Vilnius, en Lituanie, sous la direction de leur professeur d'histoire Yvan Leclère.

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