André KANE

1939-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

André KANE

André Kane est né le 25 octobre 1939 à 9h00, au 68 rue Émile-Zola, dans la ville de Saint-Quentin, dans l’Aisne[1], presque deux mois après le début de la Seconde Guerre mondiale[2].

Son père se nomme Abram Fejbus Kane, né le 25 janvier 1903 à Czarkob, en Pologne. Sa mère, Golda Szapsiowitcz[3], est née le 9 décembre 1906 à Varsovie, également en Pologne. Ils se sont mariés et de leur union est né Leib (dit Léon, en France) le 9 février 1929, à Lodz, une grande ville industrielle textile de Pologne.

La France : l’Alsace, puis Saint-Quentin

Nous avons trouvé un document stipulant qu’ils exercent le métier de marchands forains (ils vendent de la bonneterie sur les marchés). Une sœur, prénommée Renée, est née le 20 mars 1932 à Dambach-la-Ville, en Alsace. Un document atteste que Golda Kane est entrée en 1932 en France, Abram était arrivé deux ans. Est-ce pour échapper aux actes antisémites qui sévissaient en Pologne ou à cause de la crise économique qui a secoué le monde et en particulier Lodz dans les années 1930 qu’ils ont émigré ?

En France, les Kane ont d’abord vécu en Alsace, où une forte population juive est installée depuis des siècles. À la naissance d’André, on les retrouve dans l’Aisne, à Saint-Quentin. On peut imaginer qu’ils ont quitté l’Alsace pour éviter l’avancée allemande. L’adresse où vivait la famille était 40 rue des Glatiniers.

Saint-Quentin est une ville assez proche de Paris (157 km), où les loyers sont bien moins chers qu’à la capitale, et qui est accessible par une ligne de chemin de fer. C’est aussi une ville où se tiennent de nombreuses foires depuis l’époque médiévale, car nous sommes dans une région où les entreprises textiles sont nombreuses – encore plus depuis la révolution industrielle. La ville a une histoire ancienne de présence juive. La première trace de Juifs dans cette ville date de 1234. Une première synagogue bâtie au XIXe siècle est implantée rue Poiret, mais elle est détruite par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale. Elle sera reconstruite rue Michelet dans l’entre-deux guerres. Dans les années 1920-1930, Saint-Quentin connaît une vague d’immigration. En 1939, 70 familles juives sont recensées : beaucoup viennent d’un milieu populaire : des communistes ou militants de gauche, qui viennent surtout de Pologne et se retrouvent dans une société de secours mutuel[4]. Il existe donc une grande solidarité et les familles se connaissent et se fréquentent régulièrement pendant les foires et à la synagogue.

Au printemps 1940, les familles de Saint-Quentin, qu’elles soient juives ou non, subissent l’exode alors que l’armée allemande a franchi les Ardennes. Le 17 mai 1940, il ne reste plus que 4.500 habitants, dont 4 familles juives en ville[5]. Le rabbin, David Zloty, qui a ordonné aux membres de la communauté de partir, doit donc fermer les portes de la synagogue. On ne sait pas quel choix fait la famille Kane à ce moment-là. Seules quatre familles restent, qui n’ont pas été identifiées. Après l’arrêt des combats, plusieurs familles reviennent à Saint-Quentin.

Le 27 septembre 1940, les Allemands imposent le premier recensement des Juifs de zone occupée et donnent une définition de ce qu’est un « Juif ». À Saint-Quentin, ils sont peu nombreux à se déclarer à la mairie ou au commissariat. Abram et Golda figurent sur la liste des Juifs étrangers[6].

À partir de l’ordonnance allemande du 29 mai 1942 (entrée en vigueur le dimanche 7 juin), les Juifs de la zone occupée doivent porter une étoile jaune sur leurs vêtements, ce qui était discriminant. Certains ont fait des faux papiers pour essayer d’échapper aux Allemands.

Le port de l’étoile et l’apposition du tampon « Juif » sur la carte d’identité s’ajoutent à l’aryanisation des biens et aux mesures antisémites d’exclusion déjà mises en place : les Juifs n’ont plus le droit de fréquenter les parcs, théâtres et cinémas, ils n’ont plus le droit d’exercer certaines professions, ils doivent sortir à une heure précise pour faire les courses entre 20h et 6h et un couvre-feu est mis en place le soir entre 22h et 23h, selon les villes.

André Kane n’a pas eu à porter l’étoile, car il n’avait pas encore 6 ans – l’âge à partir duquel l’étoile devait être cousue sur les vêtements, du côté gauche.

En juillet 1942, la famille Kane est encore à Saint-Quentin : on les retrouve sur la liste des Juifs étrangers arrêtés dans cette ville lors de la rafle du 18 au 20 juillet[7]. Les parents sont arrêtés à leur domicile devant les trois enfants, qui sont alors confiés à leur oncle Aron Siapsiovicz[8], le frère de Golda, qui se trouve à la même adresse, mais qui est naturalisé français[9]. Comme les malades et les infirmes sont exemptés de cette rafle, Golda, qui est alitée lorsqu’on vient les arrêter, partira plus tard à Drancy, et de la gare de Tergnier, ville à 20 kilomètres au sud de Saint-Quentin.

Abram, le père arrive à Drancy le 21 juillet 1942 ; il est déporté le 29 juillet 1942 par le convoi 12. Golda, arrêtée à son domicile par la gendarmerie nationale le 25 août ; qui la ramène à la « caserne », est envoyée à Drancy le même jour[10]. Elle fait partie du convoi 26 du 31 août 1942.

Le convoi 12 comportait 1.001 déportés dont 514 femmes et 270 hommes enregistrés après l’arrivée du convoi. Le convoi 26 comprend plus de 200 enfants arrêtés lors de la rafle du Vel d’Hiv, au total 1.000 Juifs.

Les trois enfants Kane figurent sur une liste des « Juifs de nationalité étrangère habitant St. Quentin et dont l’évacuation est prévue » qui comporte des enfants et des vieillards. Ils sont arrêtés à leur tour entre le 8 et le 9 octobre 1942 et arrivent à Drancy le 16[11].

Léon/Leib, qui a 13 ans, est remis aux Allemands le 3 novembre et est déporté le lendemain par le convoi 40 vers Auschwitz, avec 1.000 personnes.

Les deux plus jeunes échappent à ce moment à la déportation. Très peu de temps après leur internement à Drancy, ils sont d’abord envoyés à l’hôpital, puis confiés à l’U.G.I.F. (Union générale des Israélites de France), un organisme chargé par les Allemands et le gouvernement de Vichy d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics et de s’occuper des questions d’assistance, de prévoyance et, notamment des enfants arrêtés mais non déportés avec leurs parents.

André est « libéré »[12] de Drancy, il a alors 3 ans, et sa sœur, Renée, 11 ans. Ils passent par différentes maisons d’enfants gérées par l’U.G.I.F., où les autorités nazies savent qu’ils sont inscrits, avant d’être amenés à l’orphelinat de La Varenne pour lui, et à la maison de Saint-Mandé pour elle.

André fera plusieurs allers-retours à l’hôpital dus à sa santé fragile. Il est d’abord emmené le 13 février 1943 à hôpital Claude-Bernard[13], à Paris, puis le 12 juillet, il y retourne. Ensuite le 21 août 1943, puis le 4 octobre 1943 à l’hôpital Rothschild au service ORL, où il subit une opération[14]

Quand André vivait à la pouponnière de Neuilly, il a plusieurs fois été récupéré le dimanche pour voir sa sœur grâce à Madame Cazzanica, qui habite au 14 rue de Santeuil, à Paris 5e. C’est une bénévole de l’U.G.I.F. qui essaie de redonner une vie familiale à ces deux enfants privés de parents. Les archives témoignent de cinq sorties[15]. Il rejoint ensuite l’orphelinat de la Varenne-Saint-Hilaire, à Saint-Maur, dans la banlieue est de Paris, non loin de celui où sa sœur est pensionnaire.

C’est là qu’il est arrêté une seconde fois, lors de la rafle du 22 juillet 1944. Sa sœur est elle aussi arrêtée, car les rafles des maisons d’enfants de l’U.G.I.F., se produisent en même temps. Ils retrouvent à Drancy, avec 250 autres enfants raflés.

André part dans le convoi 77 de Drancy vers Auschwitz, le 31 juillet. On connaît les conditions inhumaines du transport dans des wagons à bestiaux de 1306 déportés de tous âges, et ce pendant trois jours et trois nuits avec une arrivée fracassante au petit matin. Certains meurent durant le trajet. On ne peut imaginer l’angoisse, la peur de ces enfants.

Faisant partie des 342 enfants du convoi, André n’est pas sélectionné pour le travail à l’entrée du camp car il n’a que 5 ans. Il est dirigé, comme tous les jeunes enfants, vers une chambre à gaz du complexe de Birkenau.

Une plaque commémorative est aujourd’hui visible à Saint-Maur, sur l’emplacement de l’orphelinat et on y trouve le nom d’André.

Malheureusement nous n’avons pas pu retrouver de photo du petit André.​

Ce document a été écrit par des élèves du collège Les Blés d’Or de Bailly-Romainvilliers.

Nous faisons partie d’un groupe d’élèves qui se sont inscrits à l’option Convoi 77 afin de réaliser des biographies sur des déportés juifs.

Nous sommes un groupe de trois élèves de 3e inscrites à Convoi 77, Lou, Kiara et Swane, nous avons écrit ce texte tout au long de l’année scolaire 2024-2025 durant laquelle nous nous sommes réunies une heure par semaine pour travailler sur les documents d’archives et faire des recherches pour écrire la biographie d’André Kane. Nous avons fait des recherches sur internet et nous avons aussi visité le Camp des Milles où nous avons pu voir l’exposition sur les enfants réalisée par Serge Klarsfeld et le Mémorial de la Shoah où nous avons pu travailler sur des documents d’archives.

Nous remercions Convoi 77 et nos professeures de nous avoir aidées à effectuer ce travail de mémoire.

Nos camarades ont travaillé sur les archives concernant sa sœur, Renée, déportée comme lui par le convoi 77, nous vous invitons à lire également cette biographie.

Notes & références

[1] voir Bressolles (Damien) et les élèves de Terminales ST2S du lycée Jean-Bouin, « Ici non plus, on n’oublie pas… Histoire de la communauté juive de Saint-Quentin sous l’Occupation ». https://drive.google.com/file/d/1XBTQQ1egNGXqkOFB0U60sCrFq8_7Rlfg/view

[2] Ibid.

[3] L’orthographe est incertaine.

[4] Bressolles (Damien), op. cit., p. 3. Et le rapport d’Icek Goldring en septembre 1945, « Les Juifs à Saint-Quentin », CMXXV/10/2/1 : rapport de la section UJRE de Saint-Quentin (sept. 1945), Mémorial de la Shoah.

[5] Bressolles (Damien), op. cit.

[6] Archives départementales de l’Aisne, citées dans Bressolles, op.cit.

[7] Ibid. AD, 984 W 139.

[8] Orthographe incertaine, éventuellement Siapsioviez. Damien Bressolles précise que cet oncle Aron n’était pas domicilié à Saint-Quentin et ne figure pas sur les listes de recensement de Saint-Quentin. Il vivait auparavant à Paris, où il était tailleur.

[9] Bressolles, op.cit. Il sera déporté par la suite.

[10] « Gendarmerie nationale », rapport au préfet. « PV des renseignements sur la découverte de la juive Kane née Siapsioviez Golda, devant être déportée », AD de l’Aisne, 984 W 139, in Bressolles, op. cit., p. 23. Toutes les archives concernant les arrestations dans cette ville figurent dans ce dossier.

[11] Ibid. Liste des Juifs de Saint-Quentin arrêtés, 16 octobre 1942.

[12] En fait, ils ont le statut de ce que l’on appelle « enfant bloqué » : ils ne sont plus dans le camp de Drancy, mais sont sous le contrôle des autorités nazies. La suite de leur histoire le prouvera.

[13] L’hôpital Claude-Bernard, dans le Nord de Paris, a été depuis détruit et réuni avec l’hôpital Bichat, dans le 18e arrondissement.

[14] Archives Yivo, RG 210-59, Microfilm 490-43_0097, Mémorial de la Shoah.

[15] Archives Yivo, RG 210-59, Microfilm 490-43_0097, Mémorial de la Shoah.

Contributeur(s)

Biographie réalisée par Lou, Kiara et Swane, un groupe de trois élèves de 3e du collège Les Blés d’Or de Bailly-Romainvilliers au cours de l’année scolaire 2024-2025.

Reproduction du texte et des images

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