Berthe LIBERS

1906-1978 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Berthe LIBERS

Berthe Libers – 1931 – Archives familiales

Dans le cadre du projet Convoi 77, cinq élèves de 3e A au collège La Cerisaie à Charenton-le-Pont ont enquêté sur la vie passionnante de Berthe Libers pour rédiger sa biographie tandis qu’un autre groupe a travaillé celle de sa sœur, Fanny. L’encadrement du projet a été assuré par Nathalie Baron, enseignante d’histoire- géographie.

Les recherches ont été menées à partir des documents fournis par l’association Convoi 77, ainsi que ceux trouvés au cours des recherches effectuées durant l’année. Nous avons eu la chance d’entrer en contact avec Sophie de Juvigny, petite-nièce de Berthe et Fanny Libers, qui a nous fourni de précieux détails et documents sur ses tantes.

Le début de la biographie de Berthe est en partie commune avec celle de sa sœur Fanny, également disponible sur le site Convoi 77.

Les autrices : Justine Camus–Caramelle, Maëliss Couteux, Aurore Dabrowksi Richard, Lina Duval et Emilie Lebrun accompagnées par Nathalie Baron.

I-  La famille Libers, de la Russie à Paris

Le père de Berthe, Leib est né à Vladimir en Russie à côté de Moscou le 10 octobre 1874, fils d’Isaac, menuisier, et de Sarah Thanis, sans profession, qui habitaient à Loudsky. Sa mère, Esther Fetz est née le 1er juin 1881 à Równo (actuelle ville de Rivne en Ukraine passée successivement sous contrôle russe puis polonais). Son père, Iakov, était commerçant mais aussi gardien d’une des synagogues de la ville. Sa mère, Socia, n’avait pas de profession.

Esther était l’aînée de 4 ou 5 enfants. Elle n’est jamais allée à l’école et ne parlait que le yiddish, langue germanique parlée par les Juifs ashkénazes. La famille devait être modeste car dès l’âge de 8 ans elle a travaillé chez un boulanger dont elle allait porter le pain chez les clients tous les matins. Devenue adulte Esther a ouvert un petit salon de thé en face d’une grande école dans la partie chrétienne de Równo.

Le père d’Esther aurait arrangé son mariage avec Leib. Ils eurent une première fille décédée après sa naissance, puis Chiffra née à Równo le 25 décembre 1903.

Leib a immigré à Paris seul en 1904 avant que sa femme Esther le rejoigne avec leur fille Chiffra. Son départ de Russie est lié au fait qu’il ne voulait pas faire le service militaire de 7 ans imposé depuis le début de la guerre entre la Russie et le Japon qui dura du 8 février 1904 au 5 septembre 1905. De plus les pogroms étaient fréquents dans leur région. Il s’agit d’attaques accompagnées de pillages et de meurtres perpétrés contre la communauté juive à laquelle appartenait la famille Libers.

Leur acte de mariage, qui a eu lieu dans la mairie du XIe arrondissement de Paris le 26 août 1914, indique qu’ils vivaient alors 3 rue Keller dans le quartier de la Bastille.

Berthe est née à Paris le 28 juin 1906 et sa sœur Fanny le 11 septembre 1918.

Acte de naissance de Berthe – Archives Paris – 11N 329

En août 1914 Leib, qui se fait appeler Léon depuis son arrivée en France, voulut s’engager dans l’armée française dans la Légion étrangère ce qui était possible depuis le décret du 3 août 1914. Mais il fut réformé car il n’aurait pas trouvé d’uniforme adapté à sa taille. Cette volonté d’engagement lui permit toutefois d’obtenir la nationalité française le 4 septembre 1926 de même qu’Esther. Berthe et Fanny ont bénéficié de cette naturalisation mais pas Chiffra qui, née en Russie, demeura apatride.

Registre de naturalisation – Archives nationales

La mémoire familiale retient que Léon était à la fois autoritaire et très affectueux vis-à- vis de ses filles à qui il voulait donner une éducation de bonne famille.

Il avait appris le français, était capable de lire le journal et s’intéressait à la politique, très reconnaissant à la France de l’avoir accueilli et de lui faire bénéficier de la liberté et de la tolérance.

L’intégration en France fut plus difficile pour Esther qui se sentait isolée. Elle a appris progressivement le français avec ses filles mais elle ne sut jamais le lire et l’écrire.

Elle entretenait une correspondance régulière en yiddish avec son père. Elle retourna à Równo avant la guerre de 1914 pour les vacances scolaires avec Chiffra et Berthe. Entre 1911 et 1914 le frère d’Esther, Elie, vint habiter chez eux à Paris pour faire ses études de médecine.

Léon, Esther, Chiffra, Berthe et Fanny dans les années 1920 (Archives familiales)

Ayant sans doute appris le métier auprès de son père, Léon ouvrit un atelier de menuiserie-ébénisterie au 58 rue de Charonne. Il fabriquait des meubles de belle qualité avec des bois exotiques de la marqueterie et du bronze. La famille en a conservé quelques-uns dont la commode ci-dessous (archives familiales).

Les revenus de la famille étaient modestes car Léon vendait ses meubles peu cher et sa femme ne travaillait pas. Léon est mort à Paris d’une pneumonie en octobre 1934 à l’hôpital Broussais à l’âge de 60 ans.

A cette période Chiffra, qui avait adopté le prénom de Sophie, avait sûrement quitté la maison bien qu’elle figure sur le recensement de 1926 sous le nom de Krajcer. Elle n’apparait plus dans le recensement de 1931.

Recensement 1926 – 3 rue Keller – Archives Paris

Recensement 1931

Sophie était mariée avec Simon Krajcer avec lequel elle a eu deux filles Léa et Annette nées à Paris en 1927 et en 1929. La famille Krajcer habite 10 rue de Sévigné à Paris dans le IVe arrondissement.

Annette, la fille cadette de Sophie (Chiffra), a beaucoup témoigné après la guerre et a écrit sur la vie de sa famille. Ses récits nous ont été confiés par sa fille Sophie de Juvigny. Annette Krajcer-Janin est décédée le 23 janvier 2024 à Avignon.

Sophie Krajcer et ses filles, Annette et Léa
(Source : Page Facebook – Cercil-Musée Mémorial du Vel d’Hiv)

II –  La vie avant la guerre

Malgré leurs difficultés financières, Léon et Esther souhaitent que leurs filles reçoivent une bonne éducation. Ainsi Berthe et ses sœurs suivent des leçons de violon, de piano et de chant. Concernant les écoles nous n’avons retrouvé aucune archive à propos de Berthe. Nous savons que sa sœur Fanny est allée à l’école 4 rue Keller mais également rue Trousseau.

Berthe a obtenu son brevet élémentaire qui était un diplôme que les meilleurs élèves passaient à l’âge de 15 ans. Elle a ensuite travaillé dans l’atelier de son père pour lequel elle assurait une partie de la comptabilité, du secrétariat et aussi des contacts avec la clientèle.

A la mort de ce dernier en octobre 1934, Berthe, alors âgée de 28 ans, est restée vivre avec sa mère et sa sœur Fanny au 3 rue Keller.

Immeuble 3 rue Keller – Paris XI (photo Nathalie Baron)

Berthe a eu ensuite plusieurs métiers dont celui de speakerine à Radio-cité qui a diffusé du 15 septembre 1935 au 14 juin 1940 à Paris. Dans son témoignage lors du procès de Xavier Vallat (évoqué plus loin) Berthe indique qu’elle était « journaliste, sans emploi pendant la guerre ».

Berthe est également mentionnée dans des débats radiophoniques comme dans cette annonce du journal « L’œuvre » daté du 23 novembre 1928 :

(Source : Retronews)

Berthe avait une jolie voix. Elle participait avec sa sœur Fanny au chœur de la synagogue des Tournelles place des Vosges, sous la direction du chef de chœurs et spécialiste des musiques juives Léon Algazi. Il semble qu’elles s’y rendaient uniquement pour chanter et pas pour des motivations religieuses.

Plusieurs articles de presse indiquent que Berthe est cantatrice et se produit dans la salle du Grand Orient de France,16 rue Cadet à Paris. Ce métier de cantatrice est indiqué dans le recensement de 1931 et celui de 1936. Elle envisageait peut-être d’en faire son métier.

Article de L’univers israélite – 23 novembre 1928 (Source : Retronews)

Berthe était par ailleurs militante active à la Ligue internationale contre l’antisémitisme (L.I.C.A.) qui a été fondée en 1929 par le journaliste Bernard Lacache, devenue en 1932 la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (actuelle L.I.C.R.A).

Cet article publié dans le journal de la L.I.C.A. Le Droit de vivre le 1er septembre 1933 mentionne que Berthe était présidente de la section de la LICA du XIe arrondissement de Paris et appelait les femmes à se mobiliser. (Source : Retronews)

Enfin, Berthe a également participé à des concours d’éloquence comme le mentionne le journal L’Œuvre, le 14 juin 1938.

« L’œuvre » le 14 juin 1938 (Source : Retronews)

Les activités de Berthe étaient donc extrêmement variées témoignant d’un esprit électique, militant et volontaire que la guerre est venue mettre à l’épreuve.

III –  Survivre et résister pendant la guerre

Après la mort de Léon les conditions de vie d’Esther et de ses filles, Berthe et Fanny, devinrent difficiles.

La situation s’est encore compliquée au début de la guerre car elles manquaient de nourriture, de chauffage et ne se sentaient pas en sécurité. Elles ont subi les lois antisémites peu à peu imposées en France comme le port de l’étoile jaune ou l’obligation de voyager dans le dernier wagon dans le métro.

Pendant l’Occupation, Berthe a travaillé à la maison de l’U.G.I.F. située à Saint-Mandé dans l’actuel Val-de-Marne. L’Union Générale des Israélites de France est un organisme créé par la loi française du 29 novembre 1941. La mission de l’U.G.I.F. était d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics, notamment pour les questions d’assistance (aux Juifs libres mais aussi dans le camp de Drancy), de prévoyance et de reclassement social. Tous les Juifs étaient censés payer une cotisation. Si la plupart des cadres de l’UGIF étaient des juifs d’origine française qui ont cru être protégés par leur statut, la plupart ont été déportés au fil des années de guerre. Des employés ont été d’actifs résistants et ont réussi à mettre quelques enfants à l’abri.

Berthe a témoigné lors du procès de Xavier Vallat le 9 décembre 1947. Ce dernier était un militant catholique et parlementaire anti-maçon et antisémite. De 1941 à 1942, il occupe le poste de Commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy et est le créateur de l’U.G.I.F. Il fut jugé et condamné à dix ans d’emprisonnement et convaincu d’indignité nationale à vie et donc condamné à la dégradation nationale par la Haute Cour de justice.

Dans son témoignage Berthe indique qu’elle a alors 42 ans et est « coursière en meubles » domiciliée 3 rue Keller.

Elle dit qu’elle s’est présentée en mai 1942 à l’U.G.I.F. pensant qu’en tant qu’assistante sociale elle pourrait « secourir quelques misères humaines ».

Il n’y avait pas de travail à ce moment-là, mais elle a été rappelée le 15 juillet 1942. Le lendemain elle fut chargée, avec d’autres personnes, de préparer des « étiquettes avec une petite ficelle » sans savoir qu’elles serviraient pour la rafle du Vel d’Hiv, lors de laquelle sa sœur Sophie et ses filles furent arrêtées. Elles furent internées au camp de Pithiviers d’où Sophie fut déportée par le convoi numéro 14, le 3 août 1942, à destination du camp d’Auschwitz, d’où elle n’est pas revenue.

Selon le témoignage d’Annette dans son livre Le Dernier Été des enfants à l’étoile, Léa et Annette ont été transférées le 15 août 1942 au camp d’internement de Drancy où une cousine, qui y travaillait, réussit à faire supprimer leurs noms de la liste de déportation. Berthe, en tant qu’assistante sociale à l’UGIF, aurait transmis aux autorités nazies la liste de 36 enfants libérables dont ses deux nièces qui quittèrent le camp le 23 septembre 1942 pour être cachées dans des familles d’accueil. Elles retrouveront après la guerre leur père Simon qui avait été transféré fin 1941 dans un groupe de travailleurs étrangers dans les Ardennes.

Berthe fut par ailleurs chargée à l’U.G.I.F. de « chercher des enfants juifs qui étaient éloignés, en province ou en proche banlieue » chez des particuliers pour les ramener au centre de la rue Lamarck « soi-disant pour les mettre à l’abri ». En réalité, ils étaient ensuite déportés par Drancy. Ce qu’avait compris Berthe qui se débrouillait pour ne pas le faire et protéger les enfants, conservant les documents fournis comme preuves. Elle disposait pour cela de laisser-passer en règle.

Laisser-passer – Mémorial de la Shoah – Paris

Compte rendu de mission du 30 janvier 1944 – Mémorial de la Shoah

Dans une lettre datée du 7 juillet 1950, Berthe indique que du 1er janvier 1944 au 9 mai 1945 elle a été active dans le réseau de résistance Plutus en tant que « chargée de mission de 3e classe ».

Le réseau Plutus, dont les locaux se trouvaient 151 rue du Temple dans le IIIe arrondissement de Paris, avait pour but de faire passer des enfants et des adultes en zone libre avec de faux papiers.

Pierre Kahn-Farelle était responsable des faux papiers. Après la guerre, il a fait une attestation pour prouver que Berthe a été résistante, chargée de faire passer des enfants juifs à l’étranger.

Le livre Journal de déportation de Roland Haas apporte des précisions sur le réseau Plutus, qui était composé de « 64 agents permanents et 80 occasionnels, un stock de 18 000 timbres en caoutchouc, plus de 100 000 imprimés vierges et une production mensuelle de 1 500 jeux complets d’identité ».

Extrait d’une lettre de Berthe – 9 avril 1954 – Dossier d’archives Caen

Berthe fournissait donc des faux papiers, fausses cartes de travail, des actes de naissance, des cartes d’alimentation à des personnes juives cachées à Paris.

Ces documents lui étaient fournis par Colette Levy, dite Claudine, une amie de la

L.I.C.A. qui appartenait également au réseau Plutus.

Sa fiche sur le site internet maitron.fr indique que « Colette Heilbronner (née Levy) fut abattue le 18 mai 1944 par la police allemande lors d’une perquisition dans les locaux du service des faux-papiers du MLN, 25, cité des Fleurs à Paris dans le XVIIe arrondissement. ». D’autres personnes de ce réseau furent arrêtées le même jour, leurs noms sont indiqués sur cette plaque.

Plaque apposée 25 cité des Fleurs (photo Emilie Lebrun)

IV –  Arrestation et déportation

Berthe et sa sœur Fanny ont été arrêtées à leur domicile 3 rue Keller suite à la perquisition et aux arrestations commises le 18 mai 1944 à la cité des Fleurs. Nous supposons que la Gestapo a pu y trouver un carnet d’adresses où se trouvaient les coordonnées de Berthe, à moins que quelqu’un ne l’ait dénoncée.

Après la guerre, Berthe a entretenu une correspondance importante avec différents services dont celui du ministère des anciens combattants. Dans une de ces lettres elle indique « J’ai effectivement été arrêtée le 17 juin 1944 amenée par la Gestapo, Rue des Saussaies, interrogée et torturée ».

Berthe et Fanny furent emmenées au siège de la Gestapo 11 rue des Saussaies à Paris dans le VIIIe arrondissement avant d’être envoyées à la prison de Fresnes dans la section des prisonniers politiques gérée par les Allemands.

De là elles furent emmenées au camp d’internement de Drancy le 10 juillet 1944. Lors de leur détention, elles sont incarcérées au deuxième étage escalier 3.

Fichier Drancy – Mémorial de la Shoah Paris –

Le 31 juillet 1944 Berthe et Fanny sont déportées en direction d’Auschwitz par le Convoi 77. Selon le compte-rendu de déportation de Berthe du 4 juin 1945, elles ont voyagé dans un wagon à bestiaux avec 60 déportés dont 18 vieillards et un grand nombre d’enfants.

Le convoi 77 est arrivé le 3 août, dans la nuit, sur la rampe de Birkenau, où les SS, armes au poing et chiens énervés, font vider les wagons, où s’entassent des morts pendant le trajet. Ils trient, en présence du Dr Mengele qui sera envoyé, dans des camions, vers les chambres à gaz (les enfants, les femmes avec enfants, les vieux, les malades) et qui rentrera dans le camp pour le travail forcé. Ceux-là marcheront le long des barbelés avant d’arriver à des baraques insalubres.

Au moment de la sélection, les soeurs ont été séparées puis le SS recruteur les dirigea finalement toutes les deux vers le groupe sélectionné pour entrer dans le camp de concentration.

Le lendemain de son arrivée, Berthe est tatouée du matricule A 16760, sa nouvelle identité désormais à Auschwitz. Une détenue grave de façon indélébile, à l’aide d’une aiguille et d’encre, un numéro sur l’avant-bras de tous ceux qui entrent dans le camp.

Berthe et Fanny y ont souffert, au quotidien comme tous les autres déportés, des appels à répétition, de la violence et du manque de nourriture et d’hygiène. Nous ignorons quelles furent leurs activités précises dans le camp en dehors de la « corvée de briques » évoquée par Berthe dans son compte-rendu de déportation, tout de suite à son retour à Paris.

Le 29 octobre les deux sœurs ont quitté Auschwitz en direction du camp satellite de Kratzau en Tchécoslovaquie. Le kommando Weißkirchen bei Kratzau était situé dans les Sudètes, au nord de la Tchécoslovaquie, à 15 kilomètres de Reichenberg. Plus de mille femmes de différentes nationalités et origines y travaillaient dans une usine d’armement.

Extrait compte-rendu de déportation de Berthe – 18 juin 1945 (Archives nationales)

Berthe qui souffrait d’une infection aux jambes n’a pas pu travailler. Elle a séjourné à l’infirmerie du camp gardée par une femme médecin juive qui l’a cachée lors des sélections, raconte leur nièce Annette.

Selon son témoignage, Fanny qui travaillait à l’usine, venait voir Berthe chaque soir pour lui remonter le moral et lui donner à manger parfois des pissenlits cueillis sur le chemin du retour de l’usine.

Berthe est citée dans la biographie de Léa Raulet. Elle séjournait à l’infirmerie lorsque Léa y a été conduite pour donner naissance à sa fille, Danielle Dadoun, avec laquelle notre professeure a échangé et dont le témoignage filmé est disponible sur le site internet du Mémorial de la Shoah.

Extrait 1 : « À Kratzau, Léa travaille dans une usine avec les autres femmes déportées. (…) De retour au camp, Léa est emmenée à l’infirmerie. Une détenue, Berthe Libers (déportée de France par le convoi 77 comme Léa), lui dit que « ce sont les petits pieds qui poussent. » »

Extrait 2 : « Elle se souvient aussi qu’étant enfant, sa mère l’a emmenée voir Berthe Libers, une camarade de déportation présente à sa naissance. Mme Libers a écrit un poème sur les enfants du convoi 77, et en a envoyé un exemplaire dédicacé à Léa :

« Elle lui met un petit mot en disant qu’elle était une mère formidable. »

Après la libération du camp par l’armée russe le 9 mai 1945, Berthe a été emmenée par ambulance dans un hôpital de la région où elle est restée une quinzaine de jours avant de rentrer en France. Les religieuses de cet hôpital ont également accueilli Fanny. Les deux sœurs ont ensuite fait le voyage en train avec des prisonniers de guerre. Berthe, très affaiblie, a été portée sur un brancard ou un fauteuil roulant car elle ne pouvait pas marcher.

Le 2 juin 1945, les deux sœurs sont arrivées à l’hôtel Lutetia, boulevard Raspail, à Paris qui, depuis le 26 avril 1945, servait de centre d’accueil pour une grande partie des rescapés des camps de concentration nazis – après avoir été le quartier général de l’Abwehr, le service de renseignement et de contre-espionnage allemand et la police secrète d’où ils menaient la lutte contre la Résistance.

Carte de rapatriée de Berthe (archives familiales)

V –  Berthe après la guerre

Sophie de Juvigny nous a fourni des informations à propos de la vie de sa tante Berthe après la guerre, certaines proviennent de notes prises par sa maman Annette.

Après son retour, Berthe est allée avec Fanny au 3 rue Keller ne sachant pas ce qui était arrivé à leur mère. Or Esther habitait 10 rue de Sévigné dans le logement inoccupé de leur sœur Sophie. Elles sont ensuite retournées vivre 3 rue Keller avec leur mère et leurs 2 nièces, Annette et Léa avant que leur père, Simon, ne les récupère.

Esther est décédée en juin 1958 à l’hôpital Saint-Antoine d’une hépatite virale.

Après la guerre, Berthe a séjourné dans une maison de convalescence à Nice, ville où elle est restée vivre ensuite partageant pendant quinze ans la vie de Fernand. Elle était restée proche de sa nièce Léa qui vivait dans le Var.

Elle participait aux activités d’une association de déportés de la F.N.D.I.R.P. (Fédération nationale des déportés, internes, résistants et patriotes) avec laquelle elle a participé à une commémoration de ce qui sera ensuite le Mémorial de la Shoah à Paris selon un article du Patriote résistant de 1975 conservé par la famille.

Ses lettres d’après-guerre mentionnent les adresses du 20 rue Amiral de Grasse et du 53 rue de la Buffa, à Nice.

Photo 1 : Berthe à Nice en 1946 – Inscription au dos : « avec mon indéfectible amour – tata Bête avril 1946 » (Archives familiales)
Photo 2 : Berthe à Nice en 1948 – Inscription au dos : « A mes nièces chéries avec ma grande affection – Nov. 48 Berthe » (Archives familiales)

A la lecture des lettres dont nous disposons nous supposons que Berthe avait beaucoup de caractère. Elle a bataillé pendant près de vingt ans pour obtenir la reconnaissance de son statut de déportée résistant et non de déportée politique (raciale).

La première lettre que l’on possède date de 1946 et Berthe y expose son souhait d’obtenir le statut de « déporté résistant ». En 1954, elle reçoit une carte de « déporté politique » ce qui ne lui convient visiblement pas.

Carte de déportée politique – Archives Caen

Nous disposons d’une lettre de 1965 dans laquelle elle remercie les délégués d’avoir traité sa demande : « Je remercie ici tous les délégués et vous personnellement de bien avoir lu faire examiner ma requête qui avait pour but que de faire valoir ce que droi ».

Pour témoigner Berthe a publié un petit livret intitulé « Ils étaient 350 petits enfants », illustré par Charles Swiny et édité par L’U.N.A.D.I.F. (Union nationale des associations de déportés, internés et familles de disparus).

Ce conte raconte la déportation de 350 petits enfants orphelins dans un wagon en compagnie de grands-mères et grands- pères vers un centre de mise à mort le 31 juillet 1944.

Berthe raconte cette histoire sous forme de conte pour enfants en vulgarisant les faits. Par exemple elle mentionne Hitler en l’appelant « l’ogre Hitler » (P.1 L.3).

A la fin du conte, Berthe donne une morale illustrée « Les 350 petits enfants et les autres, sont passés dans la cheminée et sont maintenant dans le ciel et ne mettront jamais plus de souliers dans l’âtre de leur maison… Remercier Papa Noël, même s’il ne vous a rien donné, puisque l’ogre vous a laissés dans votre petit lit blanc et priez dans votre innocence que plus jamais ne s’échappe des grandes cheminées la fumée des petits enfants qui se consument. »

Cette morale est facilement compréhensible par les enfants et permet de dénoncer l’atrocité subie par les 324 enfants déportés par le Convoi 77, dont une poignée seulement à survécu, comme les frères Urbejtel.

Il est indiqué à la fin du livret « Conte vécu et écrit par Berthe Libers, revenue d’Auschwitz, matricule A 16760 ».

Couverture du conte « Ils étaient 350 petits enfants… »

Berthe a obtenu la Légion d’honneur comme le prouvent les documents suivants fournis par sa nièce Sophie.

Berthe est décédée à Nice le 28 décembre 1978. Elle a donné son corps à la science et a légué son argent à des associations et à sa sœur Fanny.

Livret « traitement de la légion d’honneur » – Souches découpées du 1er janvier 1973 au 1er janvier 78 (Archives familiales)

Références des archives utilisées pour la biographie de Berthe Libers

  • Acte mariage Leib et Esther – Archives Paris – 11M 463
  • Naturalisation Leib Libers – Archives nationales 11664 X 25
  • Acte de naturalisation d’Esther Fetz– Archives nationales BB/34/457
  • Acte de naissance de Berthe – Archives Paris – 11N 329
  • Recensements Paris – 1926 : D2M8 254 – 1931 : D2M8 397 – 1936 : D2M8 589
  • Extraits de presse : https://www.retronews.fr
  • Compte rendu déportation Berthe – AN F9 5586
  • Libers Berthe © Archives de Pierrefitte : F/9/5712
  • Libers Berthe © SHD de Caen – DAVCC 21 P 564 386
  • Arolsen Archives 3.3.2 TD File_Bad_Arolsen_103680655_0_1 et 0_2
  • Philippe Barbeau et Annette Krajcer « Le dernier été des enfants à l’étoile » – Oskar Editions (2010)
  • Libers Berthe © Mémorial de la Shoah: LXXIV-11 – CDXXIV-7 – CDXXIV-7 – CDXXVI- 3 – CDXXIX-1

Nous tenons à remercier chaleureusement Sophie de Juvigny qui nous a fourni de précieuses informations sur sa famille ainsi que les membres de l’association Convoi 77 qui nous ont aidé dans nos recherches.

Contributeur(s)

Cinq élèves de 3e A au collège La Cerisaie à Charenton-le-Pont ont enquêté sur la vie passionnante de Berthe Libers pour rédiger sa biographie tandis qu’un autre groupe a travaillé celle de sa sœur, Fanny. L’encadrement du projet a été assuré par Nathalie Baron, enseignante d’histoire- géographie.

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