Josef LAUER

1900 – 1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: ,

Josef LAUER

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Les années roumaines

La famille LAUER est originaire de la région de Bucovine, en Roumanie. Pendant des siècles, cette région multiethnique a formé le cœur historique du « Haut Pays » (Țara de Sus) de la principauté de Moldavie, adossée aux Carpates du nord-est. Sa partie nord est rattachée à l’Ukraine depuis 1991, mais le sud demeure en Roumanie.
SUCEAVA, la ville de naissance de Josef, est actuellement une grande ville de plus de 90 000 habitants. Elle est assez touristique, proche des monastères polychromes de Bucovine. En 1901, 6 787 Juifs vivaient à Suceava, mais seulement 900 d’entre eux étaient des contribuables membres de la communauté juive¹.

Le Beit Kadishi (maison des adieux) du cimetière juif de Tchernivtsi

Josef LAUER est né le 28 aout 1900 à SUCEAVA. Il était le fils de Moses LAUER et de Sarah WEISMANN². Son père était laitier et est décédé avant 1925.
Bien que la consultation de l’état civil roumain s’avère difficile, on peut trouver quelques informations dans des bases généalogiques en ligne.
Dans un relevé de naissances en Bucovine publié par JEWISHGEN³, on trouve Josef mais également un frère, Aron, né le 4 janvier 1898, et deux sœurs, Gicze, née le 24 novembre 1895 et Franciska, née le 4 mai 1903, tous nés à SUCEAVA.
Tous les enfants sont dits « légitimés » par le mariage de leurs parents le 3 (ou le 13, il y a une coquille) juin 1915, à SUCEAVA. En fait, il ne s’agit probablement pas de naissances hors mariage, mais d’une absence de mariage civil, le mariage religieux ayant été célébré pour sa part.

En novembre 1923, Josef fait son service militaire, comme l’atteste sa photo en uniforme et le mot en allemand qui l’accompagne, adressé à I. LAUER⁴, 12 V.M. Komp. 4 M, SUCEAVA.

                 

Le 21 janvier 1925, Josef épouse Suzanne FLIEGLER, dans la « Salle des artisans de l’architecture » à Cernauti⁵, en Bucovine également. Avant leur mariage, ils habitaient tous les 2 à Cernauti, dans la même rue du Général Averescu, lui au 19, elle au 11a⁶.

Les deux villes de CERNAUTI et SUCEAVA ne sont distantes que de 90 km. En 1930, Czernowitz (son nom allemand, devenue Tchernivtsi en ukrainien) était la capitale de la Bucovine et comptait 200 000 habitants dont la moitié était juive.
Suzanne FLIEGLER est née le 27 décembre 1898 à Cernauti. Son père, Elias, était menuisier et vivant au moment du mariage. Sa mère, Perl, est née WEISSMANN (comme la mère de Josef, les mariés étaient peut-être cousins ?).
En Bucovine, les premières manifestations antisémites semblent débuter en 1926, avec l’assassinat d’un étudiant juif, pour s’amplifier en 1930. Peut-être est-ce la raison du départ de Joseph et sa femme, ajoutée à la crise économique mondiale.

Les années d’installation en France

Joseph serait entré en France le 1er décembre 1929, Suzanne peut-être un an après⁷. Il était détenteur d’une carte d’identité d’étranger n° 31 CP 11223, valable jusqu’au 23 octobre 1943.
Le recensement de 1931 indique qu’ils habitent au 28 rue Feutrier, Paris 18e. Sur le même document, on peut voir que la sœur de Suzanne, Rosa, et son mari, Benesch AUERBACH⁸, vivent à la même adresse⁹.

L’immeuble aujourd’hui

Recensement 1931

Les LAUER sont encore rue Feutrier en 1936, avec leur premier fils, Maurice, ainsi que l’atteste le recensement¹⁰. C’est encore cette adresse qui est portée sur l’acte de naissance de leur deuxième enfant en 1937.

Recensement 1936

Maurice et Elie naissent respectivement les 11 avril 1934 et 16 mai 1937¹¹, tous deux à l’Hôpital Lariboisière¹².
Au passage, voici une amusante description des problèmes urbanistiques que ce dernier rencontrait avant la guerre. Cela donne une idée de la vie et des bruits du quartier qu’a pu y percevoir alors Suzanne.

Les embarras de Paris-Lariboisière¹³

Dans les années 30, le quartier Barbès était déjà fort turbulent et on s’aperçoit aujourd’hui que les maux de Lariboisière ne sont pas toujours nouveaux. Ainsi se plaignait-on déjà du bruit et des encombrements.

Deux fois par semaine, se tenait sur le boulevard de la Chapelle un pittoresque marché. Les voitures des commerçants (à chevaux pour beaucoup d’entre elles) et les charretons à bras des marchands des quatre-saisons encombraient la chaussée, gênaient le passage des voitures de l’hôpital et pouvaient même empêcher la sortie des (nombreux) convois funèbres. Les chalands eux-mêmes ne facilitaient pas l’accès des consultantes de la maternité à la porte du service. Quant aux sergents de ville, régulièrement alertés par le Directeur de l’hôpital, ils avaient toutes les peines du monde à rétablir un semblant d’ordre dans cette anarchie.

Par ailleurs, chaque année voyait s’installer sur ce boulevard une Foire très populaire dans le quartier. Jusque tard le soir, les bonimenteurs s’égosillaient, les bateleurs sollicitaient les passants, les manèges dispensaient leur bruit de ferraille et les orgues de Barbarie leur musique criarde.

Pour faire respecter le sommeil des nouvelles accouchées dont les fenêtres donnaient directement sur les baraques, le seul recours était le Préfet de Police qui déléguait des sergents de ville.

L’avant-guerre

On sait peu de choses sur la période entre 1938 et 1942, en dehors du fait que la famille emménage 42 rue de Clignancourt, Paris 18e¹⁴, escalier B, 1e étage, porte à droite.
À cette époque, Joseph travaillait chez lui, l’atelier où il avait sa table de coupe occupait une des pièces de l’appartement, et il démarchait directement les grandes maisons de couture.
Henri nait le 24 novembre 1939 à PARIS 10e¹⁵, puis Paulette, le 29 janvier 1942, à l’Hôpital BRETONNEAU¹⁶.
Les enfants fréquentent l’école de la rue de Clignancourt, ce qui n’est pas sans risque.
A cette époque, Elie, avait de longs cheveux bouclés. Pour le cacher des Allemands, il fut même déguisé en fille et envoyé à l’école de filles. La directrice était complice et avait établi un certificat scolaire. Cela ne plaisait pas du tout à Elie qui a demandé à sa cousine Annette de lui couper les cheveux au ras des oreilles : cela avait fait beaucoup réagir la famille.

Maurice, Henri et Elie vers 1940

 

Les enfants cachés, 1942-1944

Avec les rafles de Juifs étrangers du 16 et 17 juillet 1942 dont celle du Vel d’Hiv, Paris n’est plus sûr.
Les LAUER sont expulsés du 42 rue de Clignancourt, leurs affaires jetées dans la rue. Ils se réfugient d’abord chez des amis, rue Feutrier.
Il apparait indispensable de cacher les enfants. Les 3 garçons sont évacués de Paris et cachés d’abord chez un épicier, place du Luxembourg, à DORMANS, petite commune au bord de la Marne.

  

La Place du Luxembourg à DORMANS

Elie se souvient que le sucre était stocké dans sa chambre et des cageots de pommes entreposés sous son lit.
Comme il n’était pas peureux, il était chargé d’apporter leur gamelle aux chiens qui mangeaient la même soupe que la famille ; comme elle était très bonne, il en volait parfois une partie au passage et tout le monde s’étonnait que le chien maigrisse.
Puis ils sont transférés tous les trois ainsi que leurs cousins Charles et Annette AUERBACH¹⁷ à CUISSAI, près d’Alençon dans l’Orne, dans une ferme, chez Mme CHOUIPPE¹⁸.

Cuissai (Orne), vers les années 20

Les enfants fréquentent l’école communale et sa classe à trois niveaux. Le matin, ils allaient à l’école (après un petit coup de gnôle parce qu’il y avait 2km à parcourir !).
Ils vont aussi à l’église car il y a intérêt à connaitre par cœur les prières catholiques !
Du 4 juin au 12 aout 1944, pendant les bombardements, les enfants se cachaient dans les étables qui étaient épargnées par les Alliés, et dormaient avec les vaches. Elie se souvient que le 12 août, les Allemands ont évacué précipitamment le village, sans même emporter leurs bagages et que les Américains sont arrivés et ont distribué chewing-gums et chocolat aux enfants. Le soir même, ils libéraient Alençon.
Elie n’a pas le souvenir d’avoir eu véritablement peur et n’avait absolument pas conscience des raisons pour lesquelles ils vivaient ainsi séparés de leurs parents.
En revanche, il a l’impression – mais est-ce un véritable souvenir ou une invention – que leur père leur avait rendu visite à CUSSAI et qu’ils avaient mangé des œufs ensemble. Il pense désormais qu’il s’agit plus d’un rêve. Mais de 1942 à juin 1944, Josef était encore libre et a fort bien pu venir voir ses enfants.
Ou bien est-ce l’absence de tout contact avec les adultes de la famille qui a préservé tous ces enfants qui, contrairement à tant d’autres, ont réussi à passer entre les mailles du filet.
De leur côté, les parents ont été expulsés de la rue de Clignancourt, par la Police française ou la milice, et toutes leurs affaires mises sur le trottoir. Ils se réfugient d’abord chez des amis de la rue Feutrier, puis dans une chambre de bonne, au 6e étage du 29 rue Meslay, Paris 3e.
Il n’y a pas d’ascenseur dans l’immeuble et Suzanne, qui souffre de graves problèmes cardiaques, peut difficilement monter et descendre les six étages.
La famille survit grâce à la concierge, Mme LONG¹⁹, qui leur monte la nourriture au péril de sa vie.
C’est probablement à cette époque que Josef qui ne pouvait plus travailler chez lui en raison de l’aryanisation des entreprises, s’est fait embaucher par un atelier, du côté des Champs-Élysées.

Le 29 rue Meslay aujourd’hui

 

L’arrestation et la déportation

Le 19 juillet 1944, à 11 h du matin, Joseph est arrêté par la Police française²⁰, sur son lieu de travail, 38 rue du Colisée, en présence de son patron, M. AUSTEN. Il est envoyé à DRANCY où on le déleste de la somme de 5040 F (équivalents à 890 € aujourd’hui) qu’il avait sur lui²¹.
Il ne restera qu’une semaine à DRANCY et part avec le convoi 77, pour Auschwitz²². Le dernier commandant de DRANCY, l’officier SS Alois BRONNER²³, proche d’EICHMANN, est un des plus zélés artisans de la solution finale, responsable de plus d’1/3 des déportations juives en France dont un nombre important d’enfants.
Le convoi n° 77 part du camp de Drancy, le 31 juillet 1944 : 1 309 personnes sont déportées, dont 324 enfants et nourrissons, entassées dans des wagons à bestiaux. Il arrive à AUSCHWITZ dans la nuit du 3 août et la « sélection » est immédiatement pratiquée.

Carnet de fouille de DRANCY

D’après les travaux de l’historien allemand Volker Mall et les récits de rescapés, la chronologie est la suivante :

  • 31 juillet 1944 : départ de Drancy de 1 309 femmes, hommes et enfants.
  • 3 août 1944 : arrivée à Auschwitz-Birkenau (Pologne).

– 847 déportés sont envoyés dans les chambres à gaz.
– sélection pour le travail : 291 (matricules B-3673 à B-3963) ; 183 femmes (matricules A-16652 à A-16834).

  • 26 octobre 1944 : au moins 75 hommes envoyés au camp de concentration du Stutthof (matricules B-3675 à B-3955).
  • 28 octobre 1944 : arrivée à Stutthof (Pologne)²⁴.

Le Stutthof était situé dans l’ancien territoire de DANTZIG, dans une zone marécageuse au bord de la Baltique.

Joseph est donc entré dans le camp d’Auschwitz dans la nuit du 3 août. Selon son matricule B 3836, il aurait dû faire partie du contingent dirigé vers le KL Stutthoff le 26 octobre 1944. C’est ce qui est mentionné sur sa fiche d’entrée. Mais il n’y est jamais arrivé.
Est-il mort pendant les 3 mois passés à AUSCHWITZ ? Ou pendant le transfert au Stutthoff ? Les Allemands ayant détruit la plupart de leurs archives, la vérité ne sera jamais révélée.
Le convoi 77 est le dernier convoi de déportation en partance de France. AUSCHWITZ sera libéré par l’armée russe le 27 janvier 1945.

Fiche de renseignement établie par le KL STUTTHOF²⁵

 

Transcription et traduction (approximative) de la fiche

Camp de concentration : STUTTHOF    Type de détention : ???    N° de prisonnier : 99 803
Nom et Prénom : LAUER Josef
Né le : 28/8/1900                                                                       à: SUCAWA, BUCOVINA
Résidence : Paris, rue Clignancourt, 42
Profession : Tailleur coupeur                                                Religion : Mosaïque
Nationalité : roumain                                                                État familial : marié
Nom des parents : Moses L. et Sara WEISSMANN       Race : Juif
Lieu de résidence : inconnu
Nom de l’épouse : FIEDLE née inconnu                             Race : Juive
Résidence : inconnue
Enfants : /                                                                                Tuteur unique de la famille ou des parents :
Niveau d’études : Enseignement obligatoire
Service militaire :
Temps de service de guerre:
Taille : 1,72                         Nez : normal                      Cheveux : blonds                   Forme du visage ? : ???
Bouche : normale            Barbe :                                    Visage : normal ou ovale ?
Langues parlées : allemand, …                                     Yeux : bleus                              Dents : bonnes
Maladies infectieuses ou infirmité : non
Particularités : …. B3836 (=n° matricule tatoué)
Date de … : 12/7/1944             Ou : ???
1er fois incarcéré:                       2eme fois incarcéré:
Bureau internant: KL Auschwitz
Plusieurs champs non remplis
Dossier criminel : non
Dossier politique : non
Quelque chose comme « certifié sincère et véritable » !
Signé : le 2/8/1944
Joseph LAUER

Dans le registre d’état civil, les déportés ont d’abord été déclarés décédés à la date de leur départ de DRANCY. Puis les registres ont été rectifiés en 1994, mais la date de décès mentionnée alors, le 5 août 1944, demeure une date fictive, choisie pour tous les déportés qui ne sont pas entrés dans le camp de concentration pour le travail.

Archives de Paris 18e, acte de décès n°3836, vue 15/31

Mur des Noms, dalle n° 23, colonne n° 8, rangée n° 2

 

L’après-guerre

A la Libération, Suzanne reste seule. Elle souffre de graves problèmes cardiaques, vit dans une seule pièce et n’a que peu de moyens financiers. Elle est donc dans l’incapacité de s’occuper de 4 jeunes enfants. Maurice a 11 ans, Elie 8 ans, Henri 5 ans et Paulette 3 ans.

Elie, Paulette et Henri vers 1946

Les garçons sont alors transférés de CUISSAI et pris en charge par l’O.S.E., l’Organisation de Secours aux Enfants.
Cette association juive créée en 1912, a recueilli et caché de nombreux enfants juifs pendant toute la guerre. Elle continuera sa mission à la Libération, en prenant en charge des enfants survivants des camps, majoritairement des orphelins, mais un pourcentage élevé d’enfants demeure dans les maisons tout en ayant encore leur père (27%) ou leur mère (12 %). L’OSE assure aux enfants une scolarité générale et une formation professionnelle. Pour des raisons financières, les enfants sont encouragés à quitter les maisons à dix-huit ans.
Les frais d’entretien étaient peu élevés : en 1947, l’OSE demandait en moyenne aux parents 6000 francs par mois²⁶. Mais c’était encore trop pour Suzanne. Heureusement, un riche cousin du Venezuela²⁷ lui envoyait des enveloppes de billets qui servaient à payer la pension.

De 1944 à 1946, les fils Lauer vont successivement fréquenter quatre de ces centres :

  • Le Château de CORBEVILLE²⁸, près d’ORSAY : Elie se souvient d’une grotte où les enfants se réunissaient pour jouer, mais aussi du dortoir avec ses nombreux lits alignés et les rideaux isolant celui du moniteur. Après l’ambiance plus familiale de la ferme, Elie se souvient d’avoir pleuré et d’avoir eu très peur d’être séparé de son frère.

Le château de Corbeville

 

  • Ils sont ensuite transférés au Château de VAUCELLES à TAVERNY. C’est un centre religieux où ils doivent apprendre l’hébreu et le judaïsme, ce qui n’est pas totalement du goût d’Elie²⁹. Cependant, comme il était costaud, il a eu l’insigne honneur de porter la Torah.
    Le vendredi soir, il se souvient d’avoir aidé la cuisinière polonaise à rouler les boulettes
    Ils suivent les cours d’enseignement général à l’école communale où il y a parfois des batailles rangées avec les « autres ». Elie apprend ainsi à se défendre après avoir subi des réflexions antisémites de camarades de classe et devient assez bagarreur.

Le château de Vaucelles

 

Grâce au plan Marshall, les enfants de l’OSE furent les premiers enfants français à avoir des jeans et du coca-cola !
Ils étaient aussi parrainés par des familles américaines. Le « parrain » d’Elie, le docteur Jacob VERNE, l’a invité avec une monitrice au restaurant du Grand Hôtel lors de son passage à Paris. Elie se souvient avoir mangé du poulet et des frites. Comme il lui demandait ce qu’il aimerait comme cadeau, Elie a demandé un beau vélo, ce qui a fait bondir sa monitrice. Quelques jours plus tard, Elie a reçu son vélo.

 

  • Le Centre des Glycines, à DRAVEIL, dans l’Essonne. Les enfants étaient logés par petits groupes, leurs rapports étaient généralement très bons, mises à part quelques bagarres pour des filles, le centre étant mixte.
    Il fallait, là encore faire 2-3 km de marche pour aller à l’école le matin. Heureusement, une charmante habitante de Draveil, Mme GOZZI, avait coutume de calquer ses déplacements en 4CV sur les allers ou les retours des enfants de l’OSE et elle en prenait quelques-uns en stop

 

Le Centre des Glycines

 

Certains recevaient des colis et partageaient avec leurs camarades. Elie se souvient d’un jeune garçon revenu d’un camp de concentration. Beaucoup d’enfants étaient orphelins de père et mère et furent adoptés par des familles israéliennes, américaines ou australiennes.
Un jour, Elie et un copain sont allés chaparder des pommes dans la propriété voisine. Mais des pierres du mur se sont descellés et sont tombent sur une vache qui paissait à côté. La vache n’a plus donné de lait pendant une semaine et les deux garçons ont été punis.
Certains week-ends, Elie allait en vélo rue Meslay voir sa mère et passait parfois la nuit dans sa chambre de bonne minuscule.

 

  • Enfin, leur dernier centre OSE fut le foyer Pauline-Godefroy au VESINET. Cette maison très dynamique, ouverte en 1946, accueillait uniquement des garçons – une vingtaine de 17 à 22 ans – les jeunes filles étant regroupées à Saint-Germain-en-Laye.

 

Le foyer Pauline-Godefroy

Dans ce centre qu’Elie a entamé des études d’électricité.
Elie et Henri ont gardé un très bon souvenir des maisons de l’OSE où ils mangeaient à leur faim, étaient complètement pris en charge dans un milieu sécurisant où régnait une ambiance quasi familiale et étaient entourés de copains de leur âge, tous sensiblement dans la même situation. Eux avaient au moins encore leur mère et faisaient des vœux pour le retour de leur père.
De son côté, Paulette qui souffrait de rachitisme en raison des privations alimentaires, est envoyée au Sanatorium de HENDAYE en 1947. Cet organisme qui dépendait de l’Assistance publique accueillait les enfants de la Ville de Paris qui nécessitaient une remise en état³⁰. Il se situait à plus de 800 km de Paris, ce qui entrainait un voyage interminable pour de jeunes enfants sans parler de la séparation d’avec sa famille.

Le sanatorium d’HENDAYE

On lui détecte ensuite une malformation de la hanche et elle doit subir une opération afin de pouvoir marcher normalement. Elle est opérée deux fois à l’Hôpital des Enfants malades, puis envoyée, le corps entièrement plâtré, à l’Hôpital maritime de BERCK³¹, où elle subit une 3e opération, enfin réussie.

Berck-Plage, l’Hôpital CALOT

La convalescence et la rééducation obligent Paulette à passer trois interminables années à Berck dont deux entièrement immobilisée.
Les malades, étaient allongés sur des chariots plats appelés « gouttières » qui leur permettaient à la fois de rester en permanence allongés, tout en ayant la possibilité de se déplacer.
Sa famille faisait quelquefois le voyage pour la voir et la promener sur la plage dans son chariot.
Elle ne réintégrera véritablement sa famille qu’à l’âge de dix ans.
Cela a évidemment entravé sa scolarité que sa curiosité et sa vivacité compenseront largement.

Les enfants malades de Berck

Début 1946, Suzanne qui a une carte d’identité³² habite toujours la rue Meslay avec ses 4 enfants mentionnés dans le recensement. Ce n’est qu’après de nombreuses et épuisantes démarches, qu’elle va enfin parvenir enfin à récupérer en 1947 l’appartement du 42 de la rue de Clignancourt.

Le 42 rue de Clignancourt aujourd’hui

Les enfants le réintègrent l’un après l’autre, Maurice d’abord, puis Elie une fois atteint ses 18 ans.
En 1950, Suzanne dépose un volumineux dossier pour faire reconnaitre le statut de déporté de Josef. Il lui sera enfin reconnu le 1e décembre 1955 (carte n° 1101.18420).
Elle avait déclaré qu’il aurait été engagé volontaire³³ dans l’armée française. Mais son nom ne figure pas sur la liste consultable sur le site « Mémoire des hommes ».

Les enfants sont déclarés pupilles de la Nation en 1952 : leur acte de naissance porte la mention « adopté[s] par la Nation, en vertu d’un jugement rendu le 30 mai 1952 par le Tribunal civil de la Seine ».
Malade, fatiguée, Suzanne est plusieurs fois hospitalisée.
Un soir d’automne 1955³⁴, Paulette revient de l’école, et sonne à la maison comme à son habitude. A travers la porte, elle entend sa mère dire faiblement : « Je ne peux pas marcher ». Prise de panique, elle court chez la concierge, Mme LEDOIT, qui a un double des clés. Lorsqu’elles entrent dans l’appartement, elles trouvent Suzanne effondrée sur une chaise, incapable de parler ni de bouger. Elle a fait une nouvel AVC. Mme LEDOIT appelle le docteur et Suzanne est transférée en urgence à l’hôpital. Elle y reste, dans un coma partiel, jusqu’en février 1956, où elle est ramenée chez elle pour y mourir le 8 février³⁵, en présence de sa sœur, de ses deux neveux³⁶ et de Paulette.
A la dernière minute, on a poussé celle-ci chez un voisin afin qu’elle n’assiste pas aux derniers instants de sa mère. Mais elle en avait déjà trop vu pour ne pas en être marquée à vie.

Suzanne est inhumée dans la section juive du cimetière de Bagneux, dans le « carré » d’une association de Bucoviniens qui ont offert de l’accueillir.
Paulette venait juste d’avoir 14 ans lorsque sa mère décède. Maurice est nommé son tuteur. Un couple d’amis de ses parents, M. et Mme WACHTEL, se chargent d’elle afin qu’elle puisse finir son année scolaire à l’École des filles de la rue de Clignancourt. Avec l’aide de leur fille, Denise, alors étudiante, elle obtient son certificat d’études primaires.
L’année suivante, elle est admise dans la maison de l’OSE, à SAINT-GERMAIN-EN-LAYE. Elle y poursuit avec difficultés ses études jusqu’à ses 18 ans où l’OSE lui propose une place de jeune fille au pair en Angleterre. Elle accepte et se retrouve dans une famille juive très orthodoxe avec 3 enfants en bas âge dont elle doit s’occuper en plus d’une participation au ménage et à la cuisine. La famille est gentille mais il y a beaucoup à faire et Paulette n’ést pas heureuse. Comme elle n’a aucune possibilité d’accueil à Paris, elle demande malgré tout à rester pour une seconde année.
A la fin de son contrat, elle retourne à Paris où elle trouve un emploi peu passionnant grâce à sa connaissance de l’anglais. Elle revient alors vivre au 42 rue de Clignancourt, où elle rejoint, dans une ambiance assez tendue, Henri, Maurice et la petite amie de ce dernier. Elle rencontrera son mari peu après et l’épousera un an plus tard.
La suite n’appartient qu’aux enfants LAUER et n’a pas sa place ici.
Le passé les aura tous marqué, mais de façon différente selon l’âge auquel ils ont été confrontés à la mort de leur père, à celle de leur mère, à la solitude.
Les 3 garçons sont restés soudés toute leur vie. Maurice, muré dans le silence, d’autant plus aujourd’hui qu’une attaque l’empêche de s’exprimer, a toujours refusé de parler du passé, même avec ses frères.
Henri, le plus jeune et donc celui qui a pu le moins exprimer ce qu’il a pu ressentir pendant la guerre, est resté tout sa vie dans le sillage d’Elie, travaillant encore avec lui à 80 ans passées.
Elie et Paulette ont tous deux pris la vie à bras le corps ; ils ont bourlingué, voyagé, entrepris. Ils se sont mariés deux fois chacun. Ils ont des enfants, des petits-enfants.
Elie a réussi à conserver un étonnant amour de la vie. Il dit lui-même n’avoir pas réalisé le danger qu’ils couraient, n’avoir pas vu la maladie de sa mère.
Paulette parait plus marquée que son (ses ?) frère(s) par tous ses malheurs et par la solitude de sa jeunesse. Il lui reste un fond de tristesse qu’on ne ressent pas chez Elie.

Notes de bas de page

1 Voir le document sur les Juifs de Suceava : http://shotzer.com/zope/home/en/1/surround_he/. Malheureusement, la traduction automatique de Google rend la compréhension délicate.
2 Selon sa fiche de déporté conserve dans les Archives AROLSEN, https://collections.arolsen-archives.org/en/archive/4545645/?p=1&s=LAUER%20JOSEF&doc_id=4545646
3 The JEWISHGEN ROMANIAN DATABASE, Bucovina birth records. https://www.jewishgen.org/databases/
4 Ce I.LAUER, un membre de la famille, reste à rechercher
5 Bureau de l’État-civil israélite de Cernauti, acte de mariage (tome XV, page 298, n° ordre : 29).
6 Selon l’acte de mariage de Joseph et Suzanne, retranscrit en français.
7 Selon une fiche de la préfecture de police en date du 22 mars 1952.
8 Rosa née en 1901, Benesch né en 1898, tailleur lui aussi.
9 Sont-ils partis en même temps que les LAUER de Roumanie ? A rechercher.
10 Sans les AUERBACH qui ont donc déménagé.
11 La question de la nationalité des enfants se pose. Selon Elie, ils auraient été déclarés « apatrides » à la naissance puis naturalisés à la demande de leur père. Avant 1940, il suffisait d’avoir résidé 3 ans en France pour obtenir la naturalisation. Mais en 1940, le gouvernement de Vichy révise (et supprime parfois, notamment pour les Juifs) toutes les naturalisations attribuées depuis 1927. En 1945, de Gaulle supprime les lois de Vichy. La naturalisation est alors attribuée prioritairement aux étrangers ayant participé à la Résistance
12 L’historienne Laurence KLEJMAN m’a appris que lorsqu’on nait à l’hôpital, il n’était jamais mentionné sur la déclaration d’état-civil.
13 Sont-ils partis en même temps que les LAUER de Roumanie ? A rechercher.
14 En 1951, la concierge de l’immeuble, Mme Ledoit, atteste par écrit que Josef et Suzanne y habitaient bien en 1939.
15 Probablement à l’hôpital Lariboisière, à vérifier
16 L’Hôpital LARIBOISIERE était alors réservé aux troupes allemandes qui occupaient Paris.
17 Dans l’état-civil de Paris, on peut trouver un Charles AUERBACH, né le 18/11/1931 à PARIS 12e, ainsi que sa sœur jumelle, Gisa qui est morte le 26/02/1932. Charles est mort le 8/01/2010 à MONTLUCON (Allier).
18 Une Désirée CHOUIPPE, née en 1864 à RAVIGNY (Mayenne), apparait dans le recensement de CUISSAI en 1936, avec un nourrisson en garde.
19 Cette Mme LONG n’apparait sur aucun recensement, ni en 1936 ni en 1946 rue Meslay. Paulette LAUER tentera en vain de la retrouver après-guerre, car elle aurait voulu qu’elle soit comptée parmi les « Justes », mais sans prénom ni date de naissance, c’est quasiment impossible.
20 Selon Laurence KLEJMAN, il est probablement passé par le commissariat du quartier de la rue du Colisée, comme c’était habituel avant d’être transféré le 20 à DRANCY
21 Mémorial de la Shoah : http://ressources.memorialdelashoah.org/
22 Voir le site https://convoi77.org/
23 Il est aussi responsable des déportations de NICE parmi lesquelles la famille de Simone VEIL.
24 WIKIPEDIA, article sur le Convoi 77
25 Ces documents sont consultables sur le site des Archives Arolsen : https://collections.arolsen-archives.org/en/archive/. Ils sont malheureusement difficiles à lire vu leur état.
26 http://judaisme.sdv.fr/histoire/shh/ose/ose.htm
27 Est-il identifiable?
28 « Après la Libération, une quarantaine d’enfants juifs, dont les parents avaient été déportés, y furent accueillis par l’Œuvre de Secours à l’Enfance, l’O.S.E., qui avait loué le château. In : WIKIPEDIA
29 Contrairement à Elie WIESEL, revenu de Buchewald et qui s’y trouve à la même époque : https://www.ose-france.org/2016/07/lhistoire-delie-wiesel-avec-lose-par-katy-hazan-historienne/
30 Il fonctionne toujours et, devenu Hôpital marin, est désormais spécialisé dans la prise en charge de patients adultes lourdement handicapés et porteurs de maladies rares neurologiques et endocrinologiques.
31 Probablement à probablement à l’Institut CALOT qui était spécialisé dans la chirurgie orthopédique. Les enfants n’ayant pu être dépistés pendant la guerre, venaient à Berck pour soigner des scolioses avec des angulations très importantes.
32 n°42 HA 31768.
33 https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=227&titre=engages-volontaires-etrangers-en-1939-1940. Il y a bien un Joseph LAUER mais il s’agit d’un autre, né le 9/2/1907 à COURLIN (Roumanie) et il a été incorporé comme infirmier militaire.
34 Ce passage est la transcription des souvenirs de Paulette.
35 Archives départementales de Paris, 18e, acte n°481, vue10/31.
36 En février 1956,la famille AUERBACH n’a donc pas encore quitté la France pour Israël.

 

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