Kiwa ZYLBERMANN
« En…quête d’histoire »
Sur les traces d’Henri, Léon et Kiwa Zylbermann …
La biographie des trois jeunes frères Zylbermann a été écrite par 19 élèves de 3ème du collège La Fosse aux Dames aux Clayes-sous-Bois. Ils ont travaillé pendant un an au sein d’un atelier facultatif intitulé « En…quête d’histoire », encadrés par leurs enseignantes d’histoire et de lettres, Marie Hurtevent et Géraldine Kerserho.
Ci-Contre : Sur cette photographie non datée, Henri (10 ans) se trouve au centre. A gauche, se trouve Claude-Kiwa (8 ans) et à droite Léon (9 ans). (c)Mémorial de la Shoah/coll. Serge Klarsfeld
Tout a commencé avec cette photo … la photo de Henri, Léon et Kiwa ZYLBERMANN, la photo de trois enfants juifs, trois frères, déportés par le convoi 77 de Drancy à Auschwitz.
Les questions ont alors fusé : Qui sont ces enfants ? Que sait-on sur eux ? Que leur est-il arrivé ? Qui sont leurs parents ? Pourquoi se sont-ils retrouvés dans le convoi 77 ? Ont-ils survécu au camp d’Auschwitz ? …
Grâce aux premiers documents d’archives conservés au service historique de la Défense à Caen et envoyés par l’association « Convoi 77 », nous avons commencé par établir leur état civil et très vite nous avons découvert leur mort lors de leur déportation à Auschwitz.
C’est ainsi que nous avons remonté le temps, « en …quête d’histoire »… Nous sommes partis sur les traces d’Henri, Léon et Kiwa pour reconstruire et écrire leur biographie.
La voici…
Chapitre 1: De Chelm à Nancy, itinéraire d’une famille d’immigrés polonais
Par Thoann B., Delphine B. et Ines K.
Les parents de Henri, Léon et Kiwa se nommaient David Zylbermann et Rywka Mandelbaum. Ils sont nés tous les deux dans la ville de Chelm en Pologne, une ville moyenne située dans la région de Lublin. De nombreux juifs, environ 15 000, soit près de la moitié de la population, y vivaient avant 1939.
David est né le 21 mai 1902. Il était le fils de Joseph Zylbermann et de Chaïa-Sura Zylbermann née Szysler. Sa femme, Rywka Mandelbaum est née le 9 février 1898 ; elle était la fille de Benjamin Mandelbaum et de Sura Mandelbaum, née Szok.
David et Rywka se sont mariés à Chelm. Nous avons trouvé deux dates différentes pour ce mariage. L’une vient d’une copie de leur acte de mariage traduite en français, et conservée dans le dossier de naturalisation d’Henri aux Archives nationales. Elle indique un mariage religieux le 10 décembre 1929.
L’autre date est le 1er décembre 1923, inscrite sur la fiche familiale de recensement, que nous ont communiquée les archives municipales de Nancy. Nous pensons que la date la plus probable est celle de 1923, car David et Rywka ont dû se marier avant d’avoir leurs enfants, d’autant plus s’ils étaient juifs pratiquants. Mais cela reste un mystère…
À Chelm, David et Rywka ont eu trois enfants : Benjamin né le 20 décembre 1924, Louis né le 1er février 1926 et Sarah née le 15 novembre 1927. Ces trois enfants aînés étaient donc de nationalité polonaise, ce qui jouera un rôle dans leur destin ensuite.
David a quitté la ville de Chelm, trois ans avant sa famille. Il est arrivé en France en 1930, comme l’indiquent les fiches de recensement à son nom pendant la guerre. Il a sûrement dû trouver un emploi, puis un logement pour préparer la venue de sa femme et de ses trois enfants. De 1930 à 1932 nous ne savons pas où il vivait, mais nous avons découvert qu’il s’est installé dans un logement au rez-de-chaussée du 2 rue du Duc Raoul à Nancy (54), à partir du 19 septembre 1932 .
Le Mémorial de la Shoah nous a fourni la copie numérisée du passeport polonais de Rywka, la mère des enfants. Il nous a permis d’apprendre que Rywka a obtenu son passeport le 16 mars 1932 à Chelm, afin de rejoindre son mari en France, avec ses trois enfants.
Grâce aux différents visas, nous avons pu retracer leur parcours : le 8 janvier 1933, Rywka et ses enfants – Benjamin, Louis et Sarah – ont quitté la Pologne et sont entrés en Allemagne. Nous supposons que le voyage s’est fait en train. Ensuite, la famille a traversé l’Allemagne pour passer la frontière belge à Herbestahl. Enfin, après avoir traversé la Belgique, Rywka et ses enfants sont entrés en France par le poste frontière de Jeumont (Pas de Calais) le 9 janvier 1933.
Rywka et ses enfants ont ensuite rejoint David dans le logement de la rue du duc Raoul à Nancy. C’est là qu’est né Henri le 17 octobre 1933.
La famille a ensuite déménagé dans l’immeuble du 22/24 rue de Phalsbourg, au 2ème étage. C’est là que sont nés Léon le 3 octobre 1934, puis Kiwa le 7 décembre 1935.
À chacune des naissances de ses trois cadets, David a fait une demande de nationalité française auprès du juge de paix de Nancy, puisqu’ils sont tous les trois nés en France. Cette nationalité leur est accordée chacun leur tour : Henri, Léon et Kiwa étaient donc français.
À la fin de l’année 1936, la famille a encore déménagé au 20 rue des Fabriques, dans un logement au 1er étage de l’immeuble. Il s’agit de leur dernière adresse à Nancy.
Chapitre 2: De Nancy à Savigny-sur-Faye, itinéraire d’une famille évacuée
Par Florent P. et Mahery R.
Après la déclaration de guerre le 1er Septembre 1939, les autorités ont organisé l’évacuation préventive des régions frontalières de l’Allemagne. C’est ainsi que les Zylbermann sont évacués de Nancy vers Bordeaux le samedi 18 novembre 1939 à 17h dans le train numéro 3. Le lendemain, en autobus ou par une ligne ferroviaire, ils sont probablement envoyés à Saint-Jean de Blaignac en Gironde, leur commune de refuge.
En effet, la famille Zylbermann est installée par les autorités dans ce petit village situé à trente kilomètres à l’est de Bordeaux, dans l’arrondissement de Libourne. Sarah et Henri ont sûrement été scolarisés dans l’école du village. Mais malheureusement nous n’avons pas trouvé plus de renseignements.
Suite à l’ordonnance du chef de l’administration militaire en France, les Zylbermann se sont déclarés en tant que juifs à la sous-préfecture de Libourne à partir du 20 Octobre 1940.
Nous avons en effet retrouvé les huit fiches de recensement de la famille, conservées aux archives départementales de la Gironde. Grâce à ces documents, nous avons découvert les professions des hommes de la famille Zylbermann : David était tailleur (profession déjà déclarée à Nancy), Benjamin (âgé de 16 ans) était apprenti mécanicien et Louis (sous le prénom yiddish de Srul, âgé de 14 ans) était apprenti plâtrier.
Le 26 novembre 1940, une ordonnance militaire allemande a expulsé les habitants étrangers de Gironde. Ceux-ci ont alors été déplacés par les autorités françaises vers d’autres départements, hors de la zone côtière. Les réfugiés lorrains ont eu le droit de rentrer chez eux, mais pas les juifs. Les Zylbermann n’ont donc pas pu retourner à Nancy.
En application de cette ordonnance, le 14 décembre 1940, un train regroupant 2378 personnes a quitté la gare de Bordeaux pour la gare de Châtellerault, dans la Vienne. À bord, se trouvait probablement la famille Zylbermann, qui avait reçu l’ordre de quitter St-Jean-de-Blaignac. Sur décision du préfet de la Vienne, une centaine de Polonais, dont la famille Zylbermann, a été assignée à résidence dans le village de Savigny-sous-Faye, à l’ouest de Châtellerault, à partir du 16 décembre 1940.
Chapitre 3: Savigny-sous-Faye, une famille de réfugiés assignés à résidence
Par Jarod B., Ines L. et Alex M.
David, Rywka et leurs six enfants étaient assignés à résidence, ils ne pouvaient donc plus quitter Savigny-sous-Faye sans autorisation et devaient pointer tous les jours à la mairie. Ils logeaient au hameau de la Plaine chez Lucie Mattakowska comme indiqué dans leur dossier de réfugiés, conservé aux Archives départementales de la Vienne. Malheureusement nous ne savons pas qui était Lucie Mattakowska, et nous ne connaissons pas l’adresse de son logement…
Déjà déclarée comme juive en Gironde, la famille Zylbermann s’était également faite recenser dans la Vienne entre décembre 1940 et début 1941 comme le prouvent les huit fiches de recensement que nous avons pu consulter. Les Zylbermann ont également été inscrits sur les listes des juifs du département de la Vienne jusqu’en octobre 1942 : les autorités ont donc toujours su où les trouver !
Dès janvier 1941, jusqu’alors sans ressources, la famille Zylbermann a heureusement pu bénéficier mensuellement d’une allocation de réfugiés. Le montant de cette allocation était de 68 francs par jour et par membre de la famille. Pour l’obtenir, David a complété un dossier de réfugiés, qui nous a permis d’obtenir de nombreuses informations sur la vie de la famille dans le village.
Pour augmenter les revenus de la famille, Benjamin, 17 ans, a été embauché le 2 août 1941 comme employé agricole chez Jules Davignon à Savigny-sous-Faye. Nous avons retrouvé une trace de ce cultivateur dans le recensement communal de 1936 : Jules Davignon était né en 1889. Il vivait dans le même hameau que la famille Zylbermann, avec sa femme Georgette et leurs quatre enfants.
Nous avons découvert que Rywka a été atteinte de salpingite, une infection des trompes de Fallope, comme indiqué sur le certificat médical signé par le docteur Louis Gallet et daté du 9 août 1941. Cette maladie était relativement grave et a peut-être nécessité une intervention chirurgicale. Mais nous n’avons pas trouvé plus d’informations à ce sujet.
En août 1942, comme la famille ne recevait plus son allocation mensuelle, David Zylbermann s’est rendu à la mairie de Savigny-sous-Faye pour obtenir des explications. David a alors été aidé par le maire de la commune qui a envoyé un courrier de réclamation à la préfecture et a réussi à obtenir une allocation de 767 francs.
Grâce à la lecture des certificats de salaire des hommes de la famille, nous avons appris que David a travaillé pour Louis Godet de juin à fin août 1942 en tant que journalier agricole. Il gagnait 50 francs par journée de travail et travaillait en moyenne vingt journées par mois. Son salaire s’élevait donc à 1000 francs par mois. Son fils Louis, 16 ans, a également été embauché le 24 juin 1942 par Louis Godet en tant que domestique de culture pour un salaire de 700 francs par mois.
Nous avons aussi retrouvé la trace de Louis Godet dans le recensement communal de 1936. Louis Godet était un ancien combattant de la guerre de 1914, qui avait 44 ans quand il a embauché David et Louis Zylbermann. Veuf, il vivait avec ses quatre fils, sa domestique et sa mère dans le hameau de Soudun à Savigny-sous-Faye. Il était cultivateur.
Le fils aîné, Benjamin, 18 ans, a été employé et logé chez Adrien Giraudeau dans le village voisin de Orches à partir du 24 juin 1942 en tant que cultivateur. Son salaire s’élevait à 833 francs par mois.
En septembre 1942, une allocation de 1634 francs a été versée à la famille. Ce sera la dernière, car en octobre 1942, la famille sera internée au camp de Poitiers…
Chapitre 4: Poitiers, octobre 1942, une famille internée et séparée
Par Léna B., Amina K. et Hawa T.
Le 8 octobre 1942, sur ordre allemand, la préfecture de la Vienne a organisé l’arrestation des juifs étrangers du département. Le courrier préfectoral adressé aux commissariats de police et aux unités de gendarmerie précisait que les arrestations devaient avoir lieu dans la nuit du 8 au 9 octobre, voire dans la journée du 9. Il précisait également les modalités d’arrestation et les affaires que les juifs raflés avaient le droit d’emporter avec eux.
C’est dans ces conditions que la gendarmerie du secteur de Châtellerault a reçu une liste de 147 personnes à arrêter. Dans leur rapport, rédigé le 9 octobre, les gendarmes ont indiqué avoir procédé à l’arrestation de 130 personnes, dont des enfants. La famille Zylbermann faisait partie de ces 130 arrêtés, internés ensuite au camp de la route de Limoges à Poitiers. Nous avons pu consulter le registre d’écrou du camp et nous y avons trouvé la trace de l’internement de l’ensemble de la famille le 9 octobre 1942.
Durant leur internement au camp, la famille Zylbermann a été aidée par Elie Bloch, le rabbin de la communauté juive de Poitiers, réfugiée depuis l’automne 1939 en provenance de Moselle. Elie Bloch était également un des responsables locaux de l’UGIF (Union Générale des Israélites de France). Depuis 1941, il se battait pour la libération de nombreux enfants juifs du camp de Poitiers, en les plaçant dans des familles d’accueil aux alentours.
Grâce à lui, Henri (9 ans), Léon (8 ans) et Kiwa (7 ans) ont été libérés du camp de Poitiers le 15 octobre 1942. Avec d’autres enfants qui venaient d’être arrêtés avec leurs parents, ils ont pu quitter le camp car ils étaient de nationalité française, contrairement à leurs trois aînés, Benjamin, Louis et Sarah, contraints de rester avec leurs parents, puisque polonais.
Le 16 octobre 1942, les parents et les aînés de la fratrie, Benjamin, Louis et Sarah, ont été transférés à Drancy (93), le camp de transit situé au nord de Paris. Ils faisaient partie d’un convoi de 231 juifs, escortés par une unité de gendarmerie. Les Zylbermann ont été enregistrés à Drancy dans la journée, comme nous l’indiquent leurs fiches individuelles d’internement fournies par le Mémorial de la Shoah. David, Rywka et leurs trois enfants ont été déportés le 6 novembre 1942 par le convoi 42, en direction d’Auschwitz-Birkenau.
Nous avons cherché à savoir s’il y avait des traces de leur arrivée à Birkenau. En nous rendant sur le site internet du Mémorial d’Auschwitz, nous avons fait une recherche dans la base de données. Nous pensions que David, âgé de 40 ans, ou Benjamin, qui allait avoir 18 ans, avaient peut-être pu être sélectionnés comme aptes au travail.
Malheureusement, il n’y a aucune trace des membres de la famille Zylbermann dans la base de données. Nous en avons donc conclu que David (40 ans), Rywka (44 ans), Benjamin (17 ans), Louis (16 ans) et Sarah (15 ans) ont sûrement été gazés dès leur arrivée, le 9 ou le 10 novembre 1942.
Chapitre 5: Henri, Léon et Kiwa, des enfants libérés mais en sursis
Par Wilona D., Amélie W.-P. et Andréa Z.
D’après le registre du 15 octobre 1942, Henri, Kiwa et Léon ont été libérés du camp de Poitiers pour être placés dans des familles juives. Pour la première fois, les trois enfants ont été séparés : Henri est placé à Chasseneuil-du-Poitou, Léon et Kiwa à Saint-Georges-lès-Baillargeaux.
Pendant l’occupation, la préfecture de la Vienne demandait régulièrement aux maires de lui communiquer la liste des juifs résidant dans leur commune. Grâce à l’un de ces recensements, nous avons découvert qu’Henri Zylbermann a été placé dans la famille Mayer à Chasseneuil-du-Poitou, au cours du mois d’octobre 1942. À cette date, la famille Mayer était constituée de Régine, la mère de famille, et de son fils Marcel, âgé de 17 ans. Régine était veuve depuis l’année précédente, son mari Ernest étant décédé à Poitiers le 18 décembre 1941. Quand elle a accueilli Henri, Régine Mayer avait 49 ans. Elle était originaire de Moselle, d’où elle avait été évacuée avec sa famille à l’automne 1939. Depuis, elle vivait à Chasseneuil-du-Poitou
Elie Bloch lui a confié Henri car elle était juive, et seules les familles juives étaient autorisées par les Allemands à accueillir des enfants libérés du camp de Poitiers. Régine et son fils Marcel étaient français, ce qui explique qu’ils n’aient pas été arrêtés lors de la rafle du 9 octobre 1942.
Le 30 octobre 1942, le maire de Saint-Georges-lès-Baillargeaux a transmis à la préfecture la liste des juifs résidant dans sa commune. Cette liste mentionne Léon et Kiwa Zylbermann, ainsi que leur famille d’accueil respective. Léon a été placé par Elie Bloch chez Charles et Cécile Israël et Kiwa chez Marcel et Jeanne Bing. Comme pour Henri, le choix du rabbin s’explique car les deux familles étaient juives.
À ce moment-là de notre enquête, nous avons eu la chance d’être mis en relation avec M. Jacques Grillet, habitant de Saint-Georges et membre de l’Association Les Amis de Sierck-les-Bains. Grâce à lui, nous en avons appris davantage sur les familles d’accueil de Léon et Claude.
Les familles Bing et Israël étaient toutes les deux des familles juives françaises, réfugiées à St-Georges depuis septembre 1939. Auparavant, elles vivaient à Sierck-les-Bains, commune de Moselle, réintégrée à la France après le traité de Versailles de 1919. Cela signifie que les parents Bing et le couple Israël étaient nés dans l’Empire allemand, puisque la Moselle avait été rattachée à l’Allemagne après la guerre de 1870-1871. Les jeunes hommes mosellans avaient donc combattu dans l’armée allemande pendant la 1ère guerre mondiale, comme ce fut le cas de Charles Israël et de Marcel Bing. Les Israël et les Bing n’étaient français que depuis 1919, par réintégration. L’Allemagne ayant à nouveau annexé la Moselle après l’armistice de juin 1940 et interdit le retour des juifs, les familles Bing et Israël n’avaient pas pu retourner chez elles et avaient été contraintes de rester à St-Georges.
Lorsque Léon a été placé chez eux, Charles et Cécile Israël étaient hébergés depuis trois ans chez Gaston Delaunay et son épouse, dans leur maison du 12 rue des Cours. Charles avait alors 48 ans, et sa femme Cécile, d’origine luxembourgeoise, en avait 47. Avant l’évacuation de 1939, Charles était bijoutier à Sierck-les-Bains et exerçait certaines responsabilités dans la communauté juive locale, notamment la célébration d’offices à la synagogue et l’instruction religieuse pour les enfants.
D’après M. Grillet, ils avaient au moins deux fils, nés à Sierck-les-Bains, mais déjà adultes au moment de la guerre. L’un d’eux, Roger (né en 1913), a habité avec eux à St-Georges avant de quitter clandestinement la commune en juin 1942. Il n’a donc pas pu rencontrer Léon Zylbermann. D’après nos informations, leurs deux fils ont échappé à la déportation.
Quand ils ont accueilli Kiwa, Marcel et Jeanne Bing (47 et 39 ans) vivaient avec leurs trois enfants, Maurice (17 ans), Eliane (14 ans) et Yolaine (11 ans). Ils étaient hébergés depuis trois ans chez Norbert Augustin, au 39 route du Peu. Avant la guerre, Marcel Bing était propriétaire d’un commerce de marchandises diverses à Sierck-les-Bains et était le président de la communauté juive de la ville.
Grâce aux informations de M. Grillet, nous savons qu’une autre famille juive, réfugiée de Moselle, était logée à la même adresse, celle de Frieda Hayum. M. Grillet nous a également appris qu’une autre enfant libérée du camp avait été placée en même temps que Kiwa chez Mme Hayum : Estelle Jacubowitz. Elle suivra les trois frères Zylbermann dans la suite de leur parcours et elle fera, elle aussi, partie du convoi 77…
Malgré l’aide de M. Grillet, nous n’avons pas trouvé d’autres informations sur la vie des trois garçons Zylbermann dans leur famille d’accueil. Ils ont dû aller à l’école communale, puisqu’ils en avaient l’âge. Se sont-ils fait des amis ? Se sont-ils vus pendant ces huit mois de séparation ?
Le 24 mai 1943, la gendarmerie française a arrêté 70 enfants juifs dont les noms étaient sur une liste remise par les Allemands. Les gendarmes sont donc allés chercher Henri à Chasseneuil et Léon et Kiwa à St-Georges-lès-Baillargeaux pour les conduire au camp de Poitiers. Les enfants y ont été internés deux jours. Puis, le 26 mai à 5 heures du matin, ils ont été transférés en train vers la gare d’Austerlitz à Paris. Dans le train, se trouvaient aussi les 67 autres enfants arrêtés avec eux, ainsi que 44 adultes en route pour Drancy. Une fois arrivés à la gare d’Austerlitz, les 70 enfants ont été pris en charge par l’UGIF de la région parisienne.
En effectuant une recherche dans la base de données du Mémorial de la Shoah, nous avons découvert que Régine Mayer et son fils, Charles et Cécile Israël, Marcel et Jeanne Bing et leurs trois enfants ont tous été arrêtés le 31 janvier 1944. Malgré leur nationalité française, ils ont été transférés au camp de Drancy, d’où ils ont été déportés par le convoi 68, parti le 10 février 1944 pour Auschwitz-Birkenau. Tous ont probablement été assassinés à l’arrivée du convoi.
Chapitre 6 : Henri, Léon et Kiwa, des enfants bloqués dans les maisons de l’UGIF
Par Angèle B. et Matthieu C.
Pour retracer la suite du parcours, les archives de l’UGIF nous ont été très précieuses. L’UGIF, Union Générale des Israélites de France, était un organisme créé par le gouvernement de Vichy le 29 novembre 1941, qui permettait d’assurer la représentation des juifs auprès des pouvoirs publics. Cette organisation était, entre autres, en charge d’enfants juifs placés dans des maisons sous son contrôle, notamment en région parisienne. La plupart des enfants avaient été arrêtés avec leurs familles et avaient été placés dans des centres de l’UGIF au lieu d’être déportés.
À la lecture de la liste des mouvements de mai 1943, nous avons appris qu’Henri, Léon et Kiwa Zylbermann ont été transférés le 27 mai 1943 au centre Lamarck en provenance du camp de Poitiers.
Situé dans le XVIIIème arrondissement de Paris, le centre Lamarck était un ancien asile, il avait été transformé en une maison d’accueil de l’UGIF après les rafles de juillet 1942. Le centre Lamarck était capable d’héberger un très grand nombre d’enfants : ainsi plus de 160 pensionnaires y étaient hébergés en mai 1943. Grâce à l’étude des entrées et des sorties des enfants enregistrés en 1943, nous avons compris que tous les enfants de l’UGIF devaient obligatoirement se rendre dans ce centre au moins une fois. Ainsi, le centre Lamarck était considéré comme un centre de transit. Après enregistrement, certains enfants étaient transférés dans d’autres maisons comme celle de Louveciennes (78) par exemple. C’était donc un centre de tri en fonction de l’âge des enfants, ce qui occasionnait régulièrement des séparations de fratrie.
À leur arrivée au centre Lamarck, les enfants étaient enregistrés sous un numéro d’ordre – Kiwa, 3733 ; Léon, 3734 ; Henri, 3735 – avec leur identité complète (nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, ancienne adresse, provenance). Ces informations étaient toutes renseignées dans des registres gardés par des dirigeants de l’UGIF. Ces registres permettaient de lister les cartes de ravitaillement des enfants hébergés (nourriture et textile). Mais de nombreux enfants arrivaient sans l’une ou plusieurs de ses cartes. En effet, elles étaient conservées par l’administration du camp où ils avaient été internés avant de venir au centre Lamarck. Nous savons qu’à leur arrivée à Lamarck, aucun des trois frères Zylbermann n’avaient de cartes d’alimentation. L’administration de l’UGIF a donc fait une demande de cartes à la mairie du XVIIIème arrondissement.
Sur la liste des mouvements du mois d’août 1943, nous avons découvert que Léon et Kiwa ont été transférés le 2 août 1943 du centre Lamarck au centre de Louveciennes. Ce centre situé dans une villa, nommée « Séjour de Voisins », 1 place de Dreux, venait d’ouvrir au printemps 1943. Il permettait à l’UGIF d’organiser une colonie scolaire à la campagne pour les enfants hébergés en temps normal à Paris.
Mais où était Henri ? Nous avons découvert ensuite, grâce au registre du centre Lamarck, qu’Henri les avait rejoints à Louveciennes le 6 août 1943 et que les trois frères Zylbermann étaient rentrés ensemble de cette colonie le 3 septembre 1943.
D’après nos informations, les trois frères sont restés six mois à Lamarck. Nous n’en savons pas plus sur leurs activités.
Comme l’indique aussi le registre du centre Lamarck, Henri, Léon et Kiwa Zylbermann ont quitté définitivement Paris le 1er mars 1944 et sont retournés au centre de Louveciennes, lequel avait entretemps déménagé au 18 rue de la Paix en janvier 1944.
Aussitôt arrivés, Henri et Léon ont été scolarisés à l’école de garçons Paul Doumer, à Louveciennes, dirigée par Monsieur Jamet.
Nous avons eu la chance de pouvoir consulter des copies de certaines pages du registre d’appel de leur classe entre mars et mai 1944, ce qui nous a permis de savoir qu’ils étaient dans la même classe. Nous avons même pu y lire que Léon a été absent six jours entre le 25 mars et le 3 avril, sûrement pour cause de maladie.
Quant à l’unique photo des trois frères Zylbermann, nous pensons qu’elle a été prise dans l’un des centres de l’UGIF. D’après leurs tenues, nous supposons qu’elle a été prise durant l’hiver 1943-1944. Par hasard, en consultant la version numérique du Mémorial de la Déportation de Serge Klarsfeld, nous avons découvert qu’une deuxième photo a été prise le même jour. La seule différence entre les deux est que sur la deuxième, les trois enfants portent des bérets !
Chapitre 7 : Henri, Léon et Kiwa, des enfants déportés et assassinés
Par Matthieu D., Clémentine I. et Marion L.
Le 22 juillet 1944, tous les enfants placés dans les maisons de l’UGIF de région parisienne ont été arrêtés sur l’ordre d’Aloïs Brunner, officier SS, commandant du camp de Drancy. Henri, Léon et Kiwa Zylbermann ont été arrêtés ce jour-là dans la maison de Louveciennes dans les Yvelines. Denise Holstein, une jeune monitrice de 16 ans, a été arrêtée avec eux. Revenue de déportation, elle nous a permis de connaître les détails de ce qui est arrivé à Henri, Léon et Kiwa, grâce à son témoignage publié en 1995 sous le titre Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz.
Très tôt le matin, aux alentours de 6h, des officiers allemands se sont présentés à la porte du centre pour arrêter les enfants qui dormaient encore. Enfants et adultes ont eu le droit d’emporter avec eux quelques provisions et quelques objets personnels. Dehors, un autobus les attendait pour les emmener au camp d’internement de Drancy.
À leur arrivée à Drancy, Henri, Léon et Kiwa ont été enregistrés sous les matricules 25511, 25512 et 25513. Ils ont été affectés au 7ème escalier, 1er étage, comme Denise Holstein. La lettre B inscrite sur leurs fiches respectives indique qu’ils étaient tous déportables.
Au mois de mars dernier, nous avons eu la chance de pouvoir visiter le Mémorial et l’extérieur des bâtiments du camp de Drancy. Ceux-ci n’ont que peu changé de forme, excepté les numéros d’escalier qui ont été inversés !
Les autorités allemandes ont fixé la date de la déportation de tous les enfants juifs internés à Drancy au 31 juillet 1944. Henri, Léon et Kiwa Zylbermann, comme l’ensemble des enfants de l’UGIF, ont donc été déportés ce jour-là, vers Auschwitz, par le convoi 77, dans des wagons à bestiaux. Dans les wagons, tous étaient entassés, enfants et adultes.
Denise Holstein témoigne des conditions de leur voyage : « Nous sommes soixante dans notre wagon, dont une cinquantaine d’enfants, et je suis la seule monitrice. […] Quant aux autres adultes, ils sont odieux et ne supportent pas d’être dérangés par les enfants qui, vu le manque de place, les bousculent, font du bruit et se plaignent de la chaleur, de la soif, du manque d’air. »
Grâce à ce témoignage précieux, nous savons comment s’est déroulée l’arrivée au camp des enfants Zylbermann. À leur arrivée à Auschwitz, il faisait nuit. Des cris allemands les ont accueillis lorsque les portes des wagons se sont ouvertes. Ils ont été éblouis par des projecteurs. « La troisième nuit, arrêt brutal. Les portes sont violemment ouvertes et les enfants qui s’étaient, enfin, pour la plupart, endormis, sont réveillés par des hurlements « Raus ! Schnell ! » (« Dehors ! Vite ! ») Il faut les habiller, récupérer un peu partout les affaires des uns et des autres. Ils sont terrorisés, tirés dehors par des hommes en costumes rayés de bagnards qui ne parlent pas français et qui ne laissent personne emporter de bagage. »
C’est à ce moment-là qu’a eu lieu la sélection. Les déportés du convoi 77 ont longé le train et ont été séparés en deux groupes : ceux qui étaient aptes à travailler sont entrés dans le camp et les autres ont été envoyés immédiatement dans les chambres à gaz.
Denise écrit : « Je marche seule le long de la voie ferrée, comme on nous l’ordonne. Il fait nuit, mais des projecteurs nous éclairent violemment. Un peu plus loin, au travers de la route, il y a cinq ou six Allemands. L’un deux fait des gestes avec sa cravache, sans rien dire, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, je me rends compte que tous les petits enfants partent d’un côté, avec les personnes âgées. De l’autre, il ne doit rester que des gens entre dix-huit et trente-cinq-ans. »
Elle ajoute : « Et c’est par là que disparaissent les enfants de Louveciennes et des autres centres de l’U.G.I.F. »; […] [ils] sont poussés dans des camions qui les emmènent tandis que, nous, nous avançons dans un paysage sinistre de baraques en bois, entre deux rangées de fils de fer barbelés. »
D’après le récit de Denise Holstein, en comptant les jours depuis leur départ de Drancy jusqu’à leur arrivée à Auschwitz, Henri, Léon et Kiwa ont probablement été assassinés dans l’une des chambres à gaz de Birkenau dans la journée du 3 août 1944. Ils allaient avoir 11, 10 et 9 ans…
Mais leur histoire ne s’arrête pas là…
Dans les années 1950, Henri, Léon et Kiwa, enfants français, auraient eu l’âge de faire leur service militaire. Le bureau militaire de Nancy a donc mené, à quelques années d’intervalle, trois enquêtes pour chacun des enfants. Jusque-là, personne ne s’était interrogée sur leur sort car aucun membre de leur famille n’avait survécu…
Ces trois enquêtes ont mené à la constitution des trois dossiers de victime civile par lesquels notre enquête a commencé. Ces enquêtes ont permis à la justice française d’établir des jugements de décès, qui ont ensuite été enregistrés à l’état civil de Savigny-sous-Faye, leur dernière adresse officielle, en 1955, 1956 et 1958.
Sources :
Les informations permettant de raconter le parcours de la famille Zylbermann ont été obtenues par la lecture et le dépouillement de nombreux documents d’archives.
- Archives nationales de France de Pierrefitte-sur-Seine : Dossiers de naturalisation au nom d’Henri, Léon et Kiwa Zylbermann.
- Service historique de la Défense à Caen: Dossiers de victime civile au nom d’Henri, Léon et Kiwa Zylbermann.
- Mémorial de la Shoah: Passeport polonais de Rywka Zylbermann, actes de naturalisation au nom d’Henri, Léon et Henri Zylbermann (issus de la collection Serge Klarsfeld), fiches individuelles d’internement à Drancy (issues des Archives nationales de France).
- Archives départementales de la Vienne: Dossier de réfugiés de la famille Zylbermann (22 W 341), différents documents issus de la préfecture pendant l’occupation (côte 109W).
- Archives départementales de la Gironde: Fiches du recensement juif numérisées (61 W 23).
- Archives municipales de Nancy: documents sur l’évacuation de Nancy en 1939.
- Archives du YIVO: listes des mouvements de l’UGIF, communiquées par l’association Convoi 77.
- Archives du Centre Israélite de Montmartre: registre du centre Lamarck, communiqué par M. Bruno Mandaroux.
Nos élèves ont également amorcé, puis approfondi, leurs recherches par la lecture d’articles et de passages des ouvrages suivants.
- BOTTOIS Françoise, « La maison d’enfants de Louveciennes », publié dans Petit cahier n°7
- HOLSTEIN Denise, Je ne vous oublierai jamais mes enfants d’Auschwitz, 1995.
- KLARSFELD Serge, Louveciennes se souvient de ses enfants juifs victimes de la barbarie nazie, CDJC, 1990.
- LEVY Paul, « La tragique odyssée des enfants de Poitiers », paru dans Le Monde juif , 1996.
- LEVY Paul, Poitiers, un camp de concentration français , Sedes, 1995.
En complément : Consulter les biographies de Liki BORNSZTAJN et de Wolf AGREST
This biography of Kiwa ZYLBERMANN has been translated into English.