Joseph LASK

1928 - 1944 | Naissance: , | Arrestation: , |

Joseph LASK

Cette biographie de Joseph LASK est commune à trois des quatre membres de la famille LASK, et a été réalisée par les élèves de 3e1 du collège Lakanal à Sceaux.

Lorsque le convoi 77 quitte la gare de Bobigny le 31 juillet 1944, il emporte vers Auschwitz une famille française juive d’origine polonaise, les Lask : Isacher, Chana et leurs deux fils, Joseph et Robert, respectivement âgés de 20 et 16 ans.
Aucun n’est revenu vivant.

Chana Fajgla est née le 30 novembre 1903, dans le village de Przedborz à une centaine de kilomètres au sud-est de Łódź. Elle est la fille de Michel Koplewicz et Rajzla Dawna, qui étaient boulangers. Ce lieu semble être le berceau de la famille, ce que confirme le témoignage d’Eugenia, une nièce de Chana[1].
Isacher a vu le jour au foyer de Mendel et Gitla Lask le 20 Janvier 1895 à Będzin, au sud-ouest de la Pologne où vit une très importante communauté juive.

Nous ignorons la date exacte de l’arrivée en France d’Isacher mais nous savons qu’il s’est engagé dans la Légion étrangère au tout début de la Première Guerre mondiale. Il signe un formulaire d’engagement[2] le 23 aout 1914 à Paris pour «  la durée de la guerre  ». Ce document donne une description physique sommaire d’Isacher. Il a les cheveux «  châtain foncé  », son front est « moyen  » et il mesure 1,62m. Son état civil est très succinct  ; le prénom indiqué est Isaac. Le lieu de naissance est Berdine, en Russie, [3] et les prénoms de ses parents sont Maudet et Goutla. Il est incorporé au 2e Régiment étranger.
La France encourage et accueille très favorablement les étrangers volontaires à s’engager dans la légion étrangère, ce que font alors 8500 Juifs étrangers qui sont incorporés dans les régiments de marche. 1600 d’entre eux perdent la vie pendant le conflit, en particulier lors des offensives de l’Artois en 1915. Nous ignorons les détails de l’engagement d’Isacher, mais grâce aux sources que nous avons croisées, nous savons qu’il percevait une pension et qu’il a gardé des séquelles visibles de son engagement dans la Première Guerre mondiale  ; une amputation du troisième doigt de la main droite et une gelure au pied droit, qui le faisait boîter[4]. Ce détail est confirmé dans un courrier[5] adressé en 1946 au ministère de l’Intérieur, par Félix Caplan, un beau-frère établi à Rio de Janeiro qui cherche à obtenir des nouvelles de la famille.
Selon M. Koplewicz, l’un de ses neveux, qui était enfant pendant la guerre, il était très fier de ses décorations militaires et les arborait à chaque fois qu’il en avait l’occasion.
L’aîné des deux fils, Sinisia, appelé aussi Ruben et le plus souvent Robert, est né, à Dobromierz en Pologne, six ans après la fin de la Grande Guerre, en 1924.
Joseph (l’orthographe de son prénom varie, nous adoptons la version francisée qui est la plus fréquente dans les documents qui le concernent), le cadet, est né le 5 juillet 1928 à Dobromierz, comme son frère.
Les deux garçons ont vu le jour dans les années 20. Il nous paraît peu probable qu’Isacher soit rentré en Pologne dans l’entre-deux-guerres pour ensuite revenir en France. On peut donc formuler l’hypothèse selon laquelle les garçons seraient nés d’un premier mariage de Chana, qui serait donc arrivée en France entre 1928 et 1933. Nous n’avons retrouvé aucun document pouvant le confirmer.
Le 17 janvier 1933, Isacher et Chana se marient à Paris, à la mairie du 3e arrondissement. Isacher, 38 ans, exerce alors la profession de chapelier et Chana, qui a 29 ans, est fourreuse. Les témoins des mariés sont M. Anzlevitch qui est fourreur dans le 3e arrondissement, et probablement l’employeur ou un collègue de Chana, et le second M. Korzex, commerçant, domicilié à Arcueil. Chana indique résider dans le 3e arrondissement au 8, cité du Petit-Thouars, et Isacher habite au 4, rue du Moulin à Vent à Sarcelles, au nord de Paris. Après le mariage, ils s’installent au 6 rue Lesage dans le 20e arrondissement.
Dans l’entre-deux-guerres, de nombreux juifs polonais fuient les pogroms. À Paris, ces juifs exercent des métiers variés, ils sont marchands ambulants, forains, brocanteurs, tailleurs, confectionneurs, tricoteurs et cordonniers, chapeliers… Ils vivent dans le Shetl autour de la rue des Rosiers dans le 4e arrondissement, mais aussi dans le 20e, en particulier à Belleville, dans le quartier de Ménilmontant, comme la famille Lask qui déménage à de multiples reprises, toujours dans ce périmètre.
La Première Guerre mondiale a fait 1.4 millions de morts en France. Cette saignée démographique pose un problème que l’ouverture à l’immigration et la politique de naturalisation vont tenter de régler. Celle-ci s’assouplit à partir de 1924 et surtout en 1927. L’obligation de résidence passe de 10 à 3 ans, ce qui a pour conséquence le doublement du nombre de naturalisations qui passent de 10 000 par an en 1925-26 à 22 500 en 1928-29. La crise économique de 1929 entraîne la montée de la xénophobie ; des quotas d’étrangers sont instaurés dans certaines professions et l’immigration est restreinte.
Au recensement de 1931, la France compte environ 2.7 millions d’étrangers, soit 7% de la population et 361 000 naturalisés, elle est alors le premier pays d’immigration, devant les États-Unis qui ont mis en place des quotas au début des années vingt. À partir de 1931, les effets de la crise se font sentir, le chômage augmente et les préjugés racistes et xénophobes montent  ; le thème de l’invasion étrangère devient récurrent. En 1932, une loi protégeant la « main d’œuvre nationale  » est votée et en 1935 des quotas sont institués par décrets pour limiter le nombre de travailleurs étrangers dans presque tous les secteurs économiques. Le gouvernement organise même le retour de travailleurs étrangers dans leur pays d’origine.
C’est dans ce contexte pourtant peu favorable que les quatre membres de la famille Lask obtiennent leur naturalisation au mois d’août 1934[6].

De 1933 à 1936, la famille Lask habite au 6, rue Lesage dans le 20e arrondissement. À l’âge de 6 ans, Joseph est scolarisé à l’école élémentaire du 51 rue Ramponneau.
En octobre 1936, Joseph a 8 ans. Il fait sa rentrée à l’école élémentaire du 9 rue Tlemcen, toujours dans le 20e arrondissement ; la famille habite alors à deux pas, au 27 de la même rue. Il est bon élève, l’instituteur[7] précise que son élève a une « intelligence éveillée », et que son travail est « régulier ». Il quitte l’école en juillet 1942, à 14 ans et commence son apprentissage. Par la suite il indiquera sur tous les documents administratifs être apprenti-pâtissier.
En octobre 1938, une première entreprise[8] est enregistrée au nom de Chana. Il s’agit d’un commerce de bonneterie-lingerie installé au 98 rue des Amandiers, soit à l’angle du 62 rue des Panoyaux, où vivent désormais les Lask jusqu’à leur arrestation en 1944.
Quelques mois plus tard, en février 1939, une deuxième inscription au registre du commerce nous indique que les Lask ont créé une nouvelle affaire. La raison sociale de l’entreprise est  : « aux C Volontaires (sic) ». Que signifie ce « C « ? Commerçants ? Cette fois, le titulaire en est Isacher et il est précisé que le commerce est « forain » et qu’il s’agit toujours de bonneterie-lingerie. Nous ignorons si cette entreprise avait pignon sur rue[9]. Les deux activités cessent à la même date en mars 1941.
Le 27 septembre 1940, le commandement militaire publie la première ordonnance enjoignant aux Juifs de la zone Nord, Français ou étrangers de se faire recenser avant le 20 octobre. Quelques jours plus tard, le 1er octobre, est publié le premier statut des Juifs, suivi d’un second quelques mois plus tard en juin 1941. À partir du 2 octobre, les autorités intiment aux « ressortissants juifs » de se rendre au commissariat de leur lieu de résidence. Des fiches individuelles et familiales sont alors établies.
Les Lask, en bons citoyens, et probablement certains qu’en leur qualité de Français, ils ne risquent rien, obéissent à cette injonction. Ils ne peuvent évidemment imaginer que ce fichier, qui compte, pour le seul département de la Seine, près de 140 000 noms, sera utilisé par la suite pour diligenter rafles et arrestations. La fiche[10] d’Isacher indique qu’il exerce la profession de manœuvre ; Chana, elle, est alors ouvrière. Joseph, qui a 12 ans, est apprenti-pâtissier et Robert, âgé de 16 ans, est dessinateur salarié.
À la suite de ce recensement, les Juifs doivent à nouveau se présenter dans les commissariats de leur domicile munis de leurs papiers d’identité. On y appose alors un cachet indiquant en rouge la mention «Juif » ou « Juive ».

Une photo[11] de la famille Lask a été prise en 1941. Elle donne à voir de droite à gauche : Isacher, Chana, Robert et Joseph. Tous les quatre semblent sereins et même souriants. Leur mise est soignée, Isacher et ses fils portent veste, cravate et pochette. Chana est élégante, elle est vêtue d’un chemisier à lavallière, son maquillage est soigné. Elle porte des boucles d’oreilles et une broche. Au dos de la photographie, l’inscription suivante  : « En souvenir de ta sœur, Famille Lask, R. Lask, 24 avr. 1941 ». Nous ignorons à quelle occasion cette photographie a été prise, toutefois la dédicace nous indique qu’elle a été offerte à la sœur de Chana, qui ayant miraculeusement échappé à la déportation, l’a conservée et transmise à son fils Michel – il en a fait don au Mémorial de la Shoah.
La loi sur l’« aryanisation » en France est décrétée par le régime de Vichy en juillet 1941 alors que les Lask ont fermé leur entreprise 5 mois plus tôt. Madame Chapron-Goberville demeurant 101 rue de l’Université à Paris est nommée administratrice provisoire le 4 décembre 1941. Dès le 26 décembre, elle écrit au Commissariat Général aux Questions Juives et l’informe que l’entreprise a fermé. Elle va ensuite, jusqu’en décembre 1943, envoyer de nombreux courriers pour réclamer ses honoraires et le remboursement des frais que sa « mission » a engendrés. On note toutefois dans un courrier de juin 1942, qu’elle semble avoir rencontré Isacher puisqu’elle écrit  : « aucune possibilité de connaître le chiffre d’affaires, l’intéressé a parlé de 80  000 Frs environ, chiffre incontrôlable, d’où fixation de mes émoluments au minimum soit 375 Frs par mois… »
Au printemps 1942, un dispositif de marquage est institué par une ordonnance allemande. Tous les Juifs doivent porter une étoile jaune sur leur vêtement.
En septembre 42, Isacher interroge l’administration[12] pour savoir ce qu’il est advenu de ses neveux, Georges et Albert Graudens dont il est sans nouvelles :

« Monsieur le Préfet,
J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur ma demande.
Il s’agit de mon neveu Albert Graudens de nationalité française a l’âge de 16 ans qui a été enterné le 16 juillet 1942 avec ses parents et son frère Georges Graudens aussi de nationalité française a l’âge de 9 ans, de leur domicile 18 rue de Belleville, Paris 20e.
Je n’ai aucune nouvelles de ceux enfants et comme les enfants de nationalité française de cet âge n’ont pas été internés dans ce cas, je me permets, Monsieur le Préfet de Police, de solliciter de libérer mes deux neveux.
Je suis Juif de nationalité française, Ancien Combattant, mutilé de guerre de 1914, donc je touche une pension.
J’assure que je pourrai prendre tous les deux enfants à ma charge.
Dans l’attente d’une réponse favorable, je vous remercie cordialement d’avance.
Je vous prie Monsieur le Préfet d’agréer les salutations les plus respectueuses. »

M. Maurice Lask
62 rue des Panoyaux
Paris 20e

La lettre d’Isacher est écrite à l’encre bleue sur un papier quadrillé, l’écriture est soignée et fluide. Les maladresses de style, les fautes d’orthographe et de syntaxe la rendent particulièrement émouvante. Qui l’a écrite ? Isacher lui-même ? Ou bien a-t-il demandé à l’un de ses fils de s’en charger ? On constate aussi qu’Isacher, probablement dans un souci d’intégration, semble avoir abandonné son prénom au profit d’un « Maurice » bien moins connoté en cet été 1942.
Cette lettre nous apporte de précieux renseignements. Tout d’abord, elle est écrite plus d’un mois après les faits tragiques auxquels elle se rapporte, c’est-à-dire la rafle du Vel d’Hiv au cours de laquelle environ 13 000 Juifs ont été arrêtés à Paris et en banlieue, la plupart à leur domicile, par la gendarmerie française, puis déportés vers le camp de Pithiviers et, de là, vers Auschwitz pour y être gazés ou pour travailler pour les Allemands. Isacher a donc dû se renseigner, probablement se rendre au domicile des Graudens, interroger les voisins puis chercher à qui adresser sa demande.
Le ton et le contenu de la lettre nous donnent à penser qu’Isacher se sent à l’abri de toute forme de persécution. Certes il précise d’emblée qu’il est Juif, mais ajoute immédiatement qu’il est Français. À cette qualité de citoyen s’ajoute le fait qu’il est ancien combattant, et qu’à ce titre, il perçoit une pension.
La réponse adressée par le commissaire de police commandant le camp d’internement de Drancy, qui est sous l’autorité directe de Aloïs Brunner, au directeur des affaires de police générale est lapidaire :
« En vous retournant, ci-joint, une lettre de Monsieur Lask, 62 rue des Panoyaux, Paris 20e que vous m’avez transmise, j’ai l’honneur de vous faire connaître que la famille GRAUDENS a été déportée le 17/8/1942. »
Les neveux d’Isacher Lask, Albert Graudens, né le 29 novembre 1926, et Georges Graudens, né le 26 juin 1933 sont tous deux nés à Paris, ils vivaient au 18 rue de Belleville. Ils ont été arrêtés avec leurs parents lors de la rafle du Vel d’hiv le 17 juillet 1942, et déportés au camp de Pithiviers. Les quatre membres de la famille sont partis vers Auschwitz par des convois séparés.
Il a été très difficile de retrouver la trace des quatre membres de cette famille car l’orthographe de leur nom est très variable selon les sources ; Grandans/Grodens/Gramdans/Graudens/ Grandens et même Granoams…
Szymon/Simon Grandans/Grodens, né en 1901 à Dobra/Kalisch en Pologne, est déporté du camp de Pithiviers/Beaune la Rolande en direction du camp de concentration d’Auschwitz le 30/31 juillet 1942. Szymon est mort à Auschwitz le 5 novembre 1942, officiellement d’une pleuropneumonie.
Frimet / Frejmet Gramdans/Grandans, née à Radomska en Pologne en 1904, est partie elle aussi de Pithiviers/Beaune la Rolande, le 2 août 1942. À l’arrivée, on perd sa trace, elle a très probablement été gazée à sa descente du train.
Georges, né le 26 mars 1933 à Paris, a été déporté à Auschwitz par le convoi n°20 le 17 août 1942, convoi composé presque exclusivement d’enfants qui ont tous été assassinés à leur arrivée.
Albert, né le 29 novembre 1926 à Paris, a été déporté à Auschwitz par le convoi n° 23 le 24 août 1942. Âgé de 16 ans, il est probable qu’il ait été assassiné à l’arrivée car il n’a pas laissé de traces dans les archives.

En 1943 Robert a 19 ans. À l’occasion de son anniversaire, il se fait photographier  ; il est élégant et porte veste, chemise et cravate. Il a tout l’air d’un adulte. Il est bien coiffé et présente un visage rieur. La photo porte une dédicace au dos : « Avec mes meilleures amitiés à l’occasion de mon 19e anniversaire R. Lask »[13].
Le 6 juin 1944 les alliés débarquent en Normandie et la libération du territoire national commence.
Les circonstances de l’arrestation de la famille Lask nous ont été racontées par M. Koplewicz qui les tient du récit que lui en a fait sa mère.
Début juillet 1944, alors que les troupes alliées marchent sur Paris, les deux garçons se promènent (à l’occasion de l’anniversaire de Joseph le 5 juillet ?). C’est alors qu’ils sont arrêtés par la police française qui les interroge et obtient leur adresse ; il ne reste alors qu’à aller chercher Isacher et Chana.

Les Lask arrivent à Drancy le 6 Juillet 1944. Ils sont dûment enregistrés à leur arrivée[14] et des fiches sont établies. On constate qu’ils sont toujours Français, ils n’ont donc pas été touchés par la loi du 22 juillet 1940 de révision des naturalisations accordées depuis 1927, qui a rendu apatrides plus de 15 000 personnes.
Dans les années 1930, la cité de la Muette est construite à Drancy, en même temps que les cinq tours, toutes destinées à accueillir des habitations à loyer modéré (HBM). Ces bâtiments sont finalement utilisés pour loger le camp de Drancy, désormais appelé Drancy-la-Juive à partir de 1941 alors que la construction est en cours. Les déportés, eux, occupent l’immeuble en forme de U, tandis que les officiers allemands sont établis dans les cinq tours, si grandes que c’en est impressionnant pour l’époque. C’est là que la famille Lask va passer les trois dernières semaines de sa vie sur le sol français.
À son arrivée à Drancy le 6 juillet 1944 Isacher dépose la somme de 192 Frs. Il se présente en tant que métallurgiste, alors que le salaire minimal de ce métier est de 1 100 F par mois, cette somme est donc dérisoire. Jusqu’à juin 1943, le commis-caissier Maurice Kiffer a enregistré 7 050 comptes d’internes de Drancy, les sommes peuvent aller jusqu’à 50 000 Frs; cela nous permet de conclure que les Lask sont au-dessous de la moyenne des sommes apportées à Drancy même si les dates des comptes déposés par les internes de Drancy ne sont pas les mêmes (les Lask arrivent en juillet 1944 et les comptes datent de 1943). En comparant avec les salaires les moins importants des différents métiers en France, on comprend que les Lask n’ont pas pu se préparer et qu’ils ont certainement quitté leur domicile dans l’urgence sans avoir le temps d’emporter une somme plus conséquente, si tant est qu’ils la possédaient.
Cette somme sera, après la guerre, restituée à un cousin, dont l’identité nous est inconnue.
Le 31 juillet, après un dernier appel, Isacher, Chana et les garçons montent dans des autobus de la Compagnie du métropolitain parisien qui les conduisent à la gare de Bobigny, laquelle a remplacé celle du Bourget depuis juillet 1943, pour les déportations vers la Pologne. Grâce aux témoignages de rescapés du convoi 77, on peut se faire une idée assez précise de l’ambiance au moment du départ  : « Lorsque notre autobus a démarré, nous avons entonné Ce n’est qu’un au revoir mes frères […]. En traversant Drancy nous avons chanté, je devrais plutôt dire hurlé La Marseillaise . En arrivant vers la gare de Bobigny, nous avons vu un grand train de marchandises sur une voie déserte […] on nous a fait descendre des voitures et immédiatement monter dans les wagons. À peine étions-nous dedans, les Allemands verrouillaient la porte. Nous étions une soixantaine dans notre wagon[15] ». Ces précieux témoignages nous renseignent aussi sur les conditions du transport. À la promiscuité s’ajoutent la chaleur de cet été 1944 et le manque d’air  : « soixante dans un seul wagon avec un seau hygiénique. On nous a distribué du pain mais presque pas de boisson. Il faisait une chaleur étouffante »[16], « À midi, le convoi s’ébranla […] les enfants avaient chaud, ils avaient soif et l’air venait à manquer[17]. »
À leur arrivée à Auschwitz, les Lask ont été séparés  :
Isacher et Chana n’ont pas été « sélectionnés » à la descente du train et ont été immédiatement gazés. Ils n’ont laissé aucune trace dans les archives d’Auschwitz et leurs dates de décès publiées au Journal Officiel (05/08/1944) suivent celle de leur arrivée au camp. Joseph et Robert en revanche, ont été admis à entrer dans le camp de concentration et de travail de Birkenau[18]. Il est réconfortant de constater que leurs numéros de prisonniers se suivent, ce qui signifie qu’ils n’ont pas été séparés (numéros B3834 et B3835). Ces numéros leur ont été tatoués sur l’avant-bras gauche.
Le 28 octobre 1944, Joseph est transféré au camp du Stutthof, et donc séparé de son frère. Il y est enregistré sous un nouveau numéro de prisonnier : 0419. À l’origine, le camp de Stutthof était un camp d’internement civil établi par les Allemands à Dantzig, une ville polonaise. C’est un très grand camp de concentration avec environ 105 sous-camps.
Joseph y meurt le 2 janvier 1945. Un document, établi par les autorités sanitaires du camp, précise que le décès est survenu à 6:55. Joseph n’a donc pas participé aux marches de la mort et aux multiples évacuations qui ont eu lieu peu après. Les documents « médicaux » officiels établis par l’administration nazie du camp du Stutthof relatifs à son décès indiquent que Joseph est mort d’une « affection cardiovasculaire », et qu’il était en état de « faiblesse physique générale ». Le médecin du camp confirme qu’il s’agit d’une mort naturelle et donne des instructions pour faire brûler le corps. Le 3 janvier 1945 la dépouille mortelle de Joseph est incinérée. Les informations « médicales » sont évidemment à considérer avec la plus grande prudence. Elles permettent toutefois d’établir que la date et le lieu de sa mort portés dans le Mémorial de la déportation des Juifs de France et publiés ensuite au Journal Officiel (8 mai 1945 à Theresienstadt / Terezin) sont erronés. Joseph avait 16 ans.

Dans le courant du mois de janvier, Himmler ordonne l’évacuation complète de tous les camps. 7 à 800 000 prisonniers sont alors lancés sur les routes. Environ 250 000 meurent d’épuisement au cours de ces marches de la mort, quand ils ne sont pas tout simplement abattus. Le 18 janvier a lieu le dernier appel à Auschwitz et plusieurs milliers de prisonniers (50 000 ?) se mettent en marche en direction de l’ouest. Certains accomplissent une partie du voyage dans des wagons découverts, les autres marchent. La mortalité est effroyable, la température descend jusqu’à 25°c en dessous de zéro et aucun ravitaillement n’est prévu. L’objectif des Allemands est de les transférer à Ravensbrück, Dora, Bergen-Belsen…
Robert arrive à Buchenwald le 23 janvier 1945 où il est enregistré sous le numéro 120150. Après quelques jours au « Petit Camp », il est transféré le 9 février au « kommando Malachyt » à Langenstein-Zwieberge, près de Halberstadt. Ce « kommando » est l’un des très nombreux sous-camps de Buchenwald. On y fabrique des armes dans une usine souterraine. Il intègre le block 14. Le 16 février, Robert entre à l’infirmerie du camp. Il y meurt le lendemain, officiellement de pneumonie. Il avait 21 ans.

[1] Témoignage de Eugenia Magdiarz in The Last Eyewitnesses: Children of the Holocaust Speak (Jewish Lives https://books.google.fr/books?id=Mle6EmnMDwC&pg=PA105&lpg=PA105&dq=przedborz+koplewicz&source=bl&ots=pIZbm_RptC&sig=JZYAQL0phHAtQpYI_6IZDMVcgSg&hl=fr&sa=X#v=onepage&q=przedborz%20koplewicz&f=false « Je suis née dans le village de Dobromierz, qui appartenait à la communauté juive de Przedborz. Dans ce village vivaient les parents de ma mère, Michal et Rajzla Koplewicz. »
[2] Feuillet modèle n°5. Archives de la Légion étrangère, Aubagne.
[3] À la suite des partages de la fin du XVIIIe siècle et de 1815
[4] fiche matricule 1938, Archives départementales de Paris
[5] SHD, Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains

[6] Archives Nationales, décrets de naturalisation n° 8571-34 du 03/08/1934 et 8575-34 du 03/08/1934
[7] Archives départementales de Paris
[8] Archives Nationales AJ/38/2021, dossier 7153
[9] Dans un de ses courriers adressés au Commissariat aux questions juives daté d’octobre 1943, l’administrateur provisoire chargé « d’aryaniser » l’entreprise précise qu’il s’agit de « vente en appartement de lingerie et de coupons » ce qui apporte davantage de précision.
[10] Archives Nationales
[11] Mémorial de la Shoah, don de M. Koplewicz
[12] Archives de la préfecture de police
[13] Mémorial de la Shoah, don de M. Koplewicz
[14] Archives Nationales
[15] Charlotte Schapira, témoignage
[16] Régine Skorka-Jacubert, témoignage
[17] Denise Holdstein, témoignage
[18] Archives de Bad Arolsen

Contributeur(s)

Nathalie MENORET et sa classe de 3e1 du Lycée Lakanal de Sceaux

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