Léa RAULET

1922-1991 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Léa RAULET

Une jeune femme juive dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale

Photo : Portrait non daté de Léa Nahmias. © SHDC, dossier AC 21P 648 308 au nom de Léa Raulet.

L’atelier « En …quête d’histoire  » du collège La Fosse aux Dames a mené une nouvelle enquête cette année. Emma Audrain-Foulon, Romain Beuchey, Élise Bigle, Sarah Bougriane, Sofia Bougriane, Jean-Baptiste Colombani, Naël Costa-Veillard, Ranime El Atti, Camille Garcia, Capucine Garnot, Clara Michaud Gros-Benoit et Candice Vibert sont partis sur les traces de Léa Raulet, une jeune femme juive, accompagnés par leurs professeurs Marie Hurtevent et Géraldine Kerserho.

Arrêtée le 6 juillet 1944, Léa Raulet a été déportée à Auschwitz le 31 juillet par le convoi 77.

Les élèves ont tout d’abord découvert la photographie de Léa ainsi qu’une petite carte confiée par l’association Convoi 77. Au fil des semaines, en consultant plusieurs bases de données comme celles de Yad Vashem, du Mémorial de la déportation numérique, du Mémorial de la Shoah de Paris, grâce aux Archives de Bad Arolsen et du Service Historique de la Défense à Caen… ces enquêteurs en herbe ont pu commencer à reconstituer la vie de Léa et de sa famille.

Fiche récapitulative du parcours de Léa Raulet (recto-verso).
© Service Historique de la Défense à Caen

Mais c’est surtout grâce à l’enregistrement du témoignage de sa fille Danielle Dadoun, mis en ligne sur le site du Mémorial de la Shoah, que l’écriture biographique s’est précisée.

Enfin, les élèves et leurs professeurs ont réussi à retrouver Danielle. Ils ont d’abord échangé par mail et par téléphone avant de se retrouver avec beaucoup d’émotion lors d’une visioconférence. Danielle a transmis le témoignage de sa mère, témoignage enregistré sur une cassette audio par Catherine, sa sœur, avant d’être retranscrit sur papier quelques années plus tard. Danielle a également partagé des photos de famille.

C’est ainsi que nous avons eu accès aux souvenirs de Léa…

Léa, dernière-née d’une famille d’immigrés grecs

Le 3 juillet 1922 marque le début d’un destin tragique pour Léa Nahmias. Elle nait à Paris dans une famille juive pratiquante, installée depuis peu en France.

Les parents de Léa, Haïm Nahmias et Élise Modiano, sont nés à Salonique, une ville grecque. Haïm, le 20 janvier 1894 et Élise, le 27 février 1904. En 1916, Haïm immigre en France et en 1919 c’est au tour d’Élise. « Mes grands-parents […] venaient de Grèce. Ils se sont mariés en France. Ma grand-mère avait 16 ans. » déclare Danielle dans son témoignage.

Photographie non datée de la famille Nahmias : Haïm, Léa, Elise et Caroline.
© Mémorial de la Shoah/Coll. Dadoun, Paris (France).

D’après l’acte de mariage d’Élise et Haïm, cette union a lieu dans le XVe arrondissement de Paris, le 27 juillet 1920 à 10h58. À cette période, Haïm habite au 138 boulevard de Grenelle (Paris, XVe) et Élise au 150 rue du Théâtre dans le même arrondissement. Danielle ajoute  : « Mes grands-parents étaient forains […]. Ils avaient deux filles, ma mère et sa sœur Caroline Gawsewitch  [Caroline Nahmias, parfois appelée Claire].

À la naissance de leur fille aînée le 28 avril 1921, Haïm et Élise sont domiciliés au 62 rue de la Croix Nivert (Paris, XVe) comme le précise l’acte de naissance de Caroline. C’est aussi l’adresse qui figure sur la fiche d’étranger d’Haïm, conservée dans les archives de la préfecture de police de Paris. À la naissance de Léa, le 3 juillet 1922, ils vivent au 6 rue du Commerce (Paris, XVe) comme indiqué dans son acte de naissance.

Dans le fichier des étrangers de la préfecture de police de Paris se trouvent deux fiches au nom d’Élise et d’Haïm. Elles ont été créées après leur mariage car le numéro familial est le même. On y apprend qu’Élise et Haïm sont tous les deux grecs. Élise est présentée comme « marchand forain » et Haïm comme « commerçant  ». En avril 1931, une date est tamponnée sur leur fiche, cela pourrait être celle du renouvellement de leur carte d’identité d’étranger.

Entre-temps, le 23 mars 1930, Haïm et Élise font une demande de naturalisation française. Cette demande est ajournée le 10 février 1932, comme l’indique un document contenu dans le dossier de déporté politique d’Haïm Nahmias. À la suite de cette décision, Haïm et Élise n’ont pas fait de nouvelle demande, et ils n’ont jamais obtenu la nationalité française.

En 1931, la famille est recensée au 123 boulevard Richard Lenoir (Paris, XIe). Cette adresse figure également sur la fiche d’étranger d’Élise Nahmias.

À la fin de l’année 1936 ou en 1937, la famille Nahmias s’installe au 94 boulevard des Batignolles (Paris, XVIIe) et loue un appartement au 2ème étage. Elle achète un fonds de commerce en mars 1937, comme indiqué dans le dossier de spoliation retrouvé aux archives du Mémorial de la Shoah. Haïm et Élise ouvrent un magasin de bonneterie, nommé Élysa , au rez-de-chaussée de l’immeuble. C’est une petite boutique, qui vend des accessoires de prêt-à-porter comme des gants, des blouses, de la lingerie…

Schéma du magasin de la famille Nahmias.
© Archives nationales / Mémorial de la Shoah. Dossier AJ38/1992.19684

 

Nous n’avons pas retrouvé d’informations sur l’enfance de Léa. Nous supposons qu’elle a dû être scolarisée à Paris mais qu’elle a changé d’école au gré des déménagements. Danielle nous a confié que Léa parlait italien avec ses parents, ultime trace des origines italiennes de la famille Modiano.

 

Photographie du 94 boulevard des Batignolles dans le XVIIe arrondissement.
Le magasin des Nahmias se trouvait au rez-de-chaussée, à gauche de la porte.
© Google Earth, 2024.

 

 

Léa n’est âgée que de 15 ans lorsqu’elle rencontre Jean Raulet, qui en a 19 ans. Danielle témoigne de cette rencontre : «  Ma grand-mère paternelle qui s’appelait Thérèse Raulet était concierge au 94 boulevard des Batignolles [… ]. Mes grands-parents Élise et Haïm […] avaient un appartement au 94 boulevard des Batignolles. Mes parents se sont rencontrés là ». Lors de notre échange, Danielle précise avec malice : «  Ma mère a épousé le fils de la concierge. »

Jean est né à Laneuville-à-Bayard (Haute Marne) le 6 décembre 1918. Son père s’appelle Louis Raulet et sa mère Thérèse (née Roussel). Jean à deux frères : Christian, l’aîné, et Serge, le benjamin.

Une jeune femme prise dans les tumultes de l’Occupation allemande

Quand la guerre éclate, Léa a dix-sept ans. Peut-être travaille-t-elle au magasin de ses parents pour les aider ? Fait-elle les marchés avec eux ? Que pressent-elle des événements qui arrivent ? Nous n’avons pas les réponses à ces questions…

Quelques mois plus tôt, Jean, âgé de vingt-et-un ans, s’est engagé dans l’armée française, dans un régiment d’artillerie de DCA (Défense Contre Aéronefs). Nous ignorons où il est affecté, mais il participe aux combats contre les Allemands au printemps 1940. Après la signature de l’armistice du 22 juin, Jean reste mobilisé dans l’armée. En octobre, il est affecté au 3ème régiment de Hussards, en garnison à Montauban.

En septembre 1940, Caroline Nahmias épouse Jean Gawsewitch, jeune homme naturalisé français d’origine russe, et issu d’une famille chrétienne orthodoxe. Le jeune époux vient d’être démobilisé après la défaite française. Le couple s’installe dans un autre appartement du 94 boulevard des Batignolles, peut-être au 3ème étage.

Entre le 3 et le 19 octobre 1940, les juifs résidant dans le département de la Seine doivent se déclarer sur l’ordre des autorités allemandes. Nous avons consulté le fichier juif de la préfecture, et nous avons retrouvé une fiche au nom d’Élise Nahmias. Élise a donc été recensée à ce moment-là. Sa fiche est orange ce qui signifie qu’elle est étrangère car grecque. Nous n’avons pas retrouvé de fiche pour Haïm, Caroline et Léa. Soit leurs fiches respectives ont existé et ont été détruites, soit Élise a été la seule à se déclarer aux autorités.

Le 23 décembre 1940, le commerce d’Haïm et d’Élise, considéré comme « entreprise juive », est confisqué et le préfet nomme un administrateur provisoire, Georges Victor Etève. Les Nahmias sont pris dans l’engrenage de la politique antisémite des autorités allemandes et françaises. Nous avons retrouvé le dossier de spoliation de ce commerce qui nous a permis de connaître les détails de la procédure pour les parents Nahmias. Rapidement, M. Etève choisit de chercher un acheteur aryen pour le magasin des Nahmias. En effet, certaines entreprises juives confisquées sous l’Occupation sont liquidées, d’autres sont vendues pour ne pas déstabiliser l’économie française. Évidemment, le produit de la vente n’est pas destiné à revenir entre les mains des propriétaires spoliés… Ainsi, Haïm et Élise Nahmias seront-ils à peine informés du destin de leur magasin et ne toucheront pas l’argent de sa vente.

En mai 1941, Jean Gawsewitch essaie d’acheter le magasin de ses beaux-parents, avec leur accord. Il est en droit de le faire car il peut prouver qu’il n’est pas juif, et se présente comme un aryen. Mais en septembre 1941, le Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ, organisme créé en mars 1941 par l’État français) refuse cette vente car Jean Gawsewitch, étant le gendre d’Haïm, est considéré comme « sous l’influence juive ». 

En réponse, Haïm écrit une lettre dans laquelle il s’étonne de ce refus et tente de faire changer d’avis les autorités. Cette lettre, conservée dans le dossier de spoliation, ne change rien, et la recherche d’un acquéreur aryen pour le magasin continue.

Le 5 novembre 1941, les parents Nahmias répondent à la convocation de la préfecture de police de Paris. L’objectif de cette convocation est une mise à jour du fichier juif de 1940. Deux fiches sont alors créées : une pour Haïm, et une pour Élise. Ces fiches sont beiges, signifiant qu’ils sont toujours considérés comme juifs étrangers. Nous ne savons pas si leurs deux filles se sont déclarées avec eux, car nous n’avons pas retrouvé de fiche à leur nom.

Le 4 mars 1942, le magasin des Nahmias est acheté par Mme G. Bonnemaison, au prix de 66 000 Francs. En mai, celle-ci rouvre le magasin, renommé Janjine. Elle vend alors de la lingerie fine et des blouses. Ce n’est qu’en octobre 1944, à la Libération, que le magasin sera saisi et confié à un nouvel administrateur provisoire. Caroline Gawsewitch réussira ainsi à récupérer le bien.

Malgré l’Occupation, les familles Raulet et Nahmias se retrouvent pour un événement heureux : Léa épouse Jean à Paris le 3 septembre 1942 à la mairie du XVIIe arrondissement comme indiqué dans leur acte de mariage. Le jeune marié a été démobilisé quelques mois auparavant. Leurs témoins sont Solange Raulet, la belle-soeur de Jean, et Jean Gawsewitch, le beau-frère de Léa. Le couple s’installe alors au 29 rue Dulong dans le XVIIe arrondissement de Paris. À cette époque, Jean est machiniste dans un studio de cinéma.

Acte de mariage de Léa et Jean, 3 septembre 1942.
© Etat civil du XVIIe arrondissement, Archives de Paris.

Grâce au témoignage de Danielle, nous savons que Léa et Jean se sont également mariés à l’église en cachette : « Ma mère s’est mariée à l’église sans le dire à ses parents, pour ne pas leur faire de peine. Elle pensait aussi que se marier à l’église comme elle était juive… [la protégerait] ».

Léa et Jean le jour de leur mariage, 3 septembre 1942.
© Collection personnelle de Danielle Dadoun.

Le 5 novembre 1942, les autorités françaises organisent une rafle des juifs grecs à Paris et dans sa proche banlieue. Haïm et Élise Nahmias sont arrêtés. Après la guerre, des témoins racontent que cette arrestation a eu lieu au milieu de la nuit. Leur voisine du dessus en témoigne : « [j’ai vu]  M. et Mme Nahmias arrêtés et emmenés par un agent et un policier en civil dans la nuit du 4 au 5 novembre 1942 ». Haïm et Élise sont ensuite emmenés au commissariat des Batignolles.

Reçu de fouilles de Haïm Nahmias à Drancy, 6 novembre 1942.
© Archives de la préfecture de police de Paris.

Le 6 novembre, Haïm et Élise sont transférés à Drancy. Ce camp, installé en 1941 au nord de Paris, est géré par les autorités françaises. Ce lieu, dans lequel sont internés les juifs arrêtés en France, est un ensemble de logements HBM (Habitations à Bon Marché) en cours de construction dans la cité de la Muette. Les internés sont répartis par escalier, sur trois étages, dans des conditions difficiles.

Nous avons retrouvé leurs fiches respectives d’internement au Mémorial de la Shoah. Haïm est fouillé et la somme de 400 francs lui est confisquée en échange d’un reçu que nous avons également retrouvé dans les archives de la préfecture de police.

Trois jours plus tard, Haïm et Élise apparaissent sur la liste du convoi n°44. Ils sont donc déportés le 9 novembre 1942 en direction d’Auschwitz-Birkenau. Après un voyage de trois jours, le convoi arrive sur la rampe de Birkenau, probablement dans la nuit du 12 novembre.

Nous savons qu’Haïm et Élise ne sont pas rentrés de déportation mais nous ne connaissons pas les circonstances exactes de leur mort. Le plus probable est qu’ils aient été gazés à leur arrivée dans l’un des crématoires de Birkenau. Haïm avait 48 ans et Élise 38 ans.

Etoile jaune portée par Léa Raulet.
© Collection personnelle de Danielle Dadoun.

Léa perd la trace de ses parents et continue de subir les restrictions antisémites. Dès juin 1942, elle est obligée de porter l’étoile jaune. L’existence de cette étoile, qu’elle a transmise à sa fille, laisse supposer que Léa s’est déclarée en préfecture. Mais comme elle est française, Léa n’est pas concernée par les rafles de l’année 1942. Néanmoins, malgré les dangers qui pèsent sur elle, sa vie de jeune épouse se poursuit.

D’après le témoignage de Léa, nous savons qu’en avril 1943, Jean part en Allemagne, car il est réquisitionné pour le STO afin de participer à l’effort de guerre allemand. Le STO est le Service du Travail Obligatoire créé par l’État français du maréchal Pétain. Jean est envoyé comme ouvrier dans une usine d’armement près de Berlin.

Léa a 21 ans, elle reste seule à Paris. Danielle déclare : «  Entre le moment où mon père est parti au STO et le moment où il est rentré, je n’ai pas trop d’informations sur la vie de maman. Elle a été chez sa sœur, ça je le sais. Mais c’est tout . »

De la clandestinité à l’internement

À la fin de l’année 1943, Jean contracte une forme grave de scarlatine. D’après une fiche de la Mission française à Berlin (complétée après la guerre), consultée dans les archives en ligne de Bad Arolsen, nous savons que Jean a été hospitalisé à Berlin dans l’hôpital de Prenzlauer-Berg. Il y est soigné du 9 décembre 1943 au 15 janvier 1944.

Il obtient ensuite une permission pour rentrer en France et retrouve Léa à Paris. À la fin de sa permission, Jean refuse de retourner travailler en Allemagne, il est donc obligé de se cacher ; aux yeux de la loi, il devient réfractaire au STO. Sa mère, Thérèse Raulet, ne peut pas accueillir Jean et Léa chez elle, au 94 boulevard des Batignolles, car les autorités connaissent cette adresse, et c’est par là que commenceront leurs recherches. Elle propose donc au jeune couple d’aller se cacher à Chatou (aujourd’hui dans les Yvelines), où elle possède un petit jardin ouvrier avec une cabane. Grâce aux différents témoignages obtenus après la guerre, nous savons que Léa et Jean ont été aidés par Maurice Pavy, oncle par alliance de Jean, ainsi que par d’autres voisins.

En effet, Maurice Pavy a épousé la sœur de Thérèse Raulet quelques années auparavant. Ils vivent rue des Chevaux Ruants à Chatou, avec les enfants qu’ils ont chacun eu d’une union précédente. Maurice est un sympathisant communiste et travaille comme ouvrier dans l’usine Renault de Billancourt.

Nous avons peu d’informations sur la vie clandestine à Chatou. Léa décrit la cachette comme «  une cabane à outils [dont le couple] ne sortait que la nuit  ». Durant cette période, Léa se souvient avoir appris et fêté le débarquement américain en Normandie.

Mais la vie de Léa et Jean chavire le 6 juillet 1944 : ils sont arrêtés par la Gestapo chez la famille Pavy. Nous avons pu consulter le dossier de Léa, conservé au Service Historique de la Défense à Caen. Deux procès-verbaux témoignent de l’arrestation des Raulet. Ainsi, dans un témoignage recueilli par les gendarmes le 5 janvier 1954, Antoine Pavy, le fils de Maurice, confirme-t-il que ses parents ont caché Léa et Jean. Il déclare : « Or, le 6 juillet, vers les 19 heures, alors que nous dînions dans la cour, un inspecteur allemand accompagné d’un inspecteur français nommé Loreneo, et deux soldats allemands, se sont présentés, et ont demandé immédiatement M. et Mme Raulet, et effectuèrent ensuite une perquisition complète dans notre maison, au cours de laquelle ils découvrirent un tract libellé en anglais. Leur perquisition terminée, ils emmenèrent mon père, Pavy Maurice, et mes cousins. »

PV d’audition de Marcel Herzog, 1954.
© SHDC, Dossier AC 21P 648 308.

Un deuxième témoignage, recueilli également en 1954, complète les informations du fils Pavy. Il s’agit de Marcel Herzog, peintre en bâtiment, qui déclare : « J’ai connu la famille Pavy qui était de mes voisins, et leurs cousins, les époux Raulet. Le mari […] était venu se réfugier chez M. Pavy, avec son épouse de confession israélite. Moi-même je les ai hébergés pendant quelque temps, et j’étais très au courant de leur situation. Le 6 juillet 1944, mon fils âgé à l’époque de 7 ans, qui jouait dans la rue avec des petits camarades, est revenu à la maison en pleurant, en faisant connaître que des gendarmes venaient d’entrer chez les époux Pavy. ». Il suppose que Jean et Léa ont été dénoncés  : « J’ignore si l’arrestation de mon voisin et des époux Raulet est due à une dénonciation, cela est vraisemblable car beaucoup de personnes de notre voisinage étaient au courant de la présence des époux Raulet . »

Cette arrestation est confirmée par le compte rendu du préfet de Seine et Oise au ministère de l’Intérieur, que nous avons retrouvé. Il est daté du 17 juillet 1944 : « J’ai l’honneur de vous faire savoir que le 6 juillet 1944 à Chatou, les autorités allemandes ont procédé à l’arrestation de Raulet, née Nahmias, Léa […], domiciliée 29 rue Dulong à Paris. De race juive, l’intéressée a quitté son domicile pour ne pas se faire pointer dans son quartier à Paris. On ignore le lieu où elle se trouve actuellement détenue. »

Léa pense avoir été dénoncée par une cousine de Jean, « la cousine Lolotte ». Elle évoque une lettre de dénonciation, mentionnant son nom de jeune fille : « Raulet réfractaire », « femme juive de nom de jeune fille de Nahmias ».

Dans les documents sur cette arrestation, produits par la préfecture, il est seulement question d’une possible dénonciation de Maurice Pavy « comme ancien membre du Parti Communiste et logeant chez lui son neveu réfractaire.  » Est-ce seulement cette dénonciation qui entraîne l’arrestation de Léa ? Y a t-il eu plusieurs dénonciations ? Le mystère reste entier… mais le 6 juillet, les Allemands mettent la main sur un homme soupçonné d’actes de résistance, un jeune homme réfractaire au STO et une jeune femme juive…

À la suite de cette arrestation, les Allemands permettent à Jean d’aller dire au revoir à sa mère, qui habite non loin de là. C’est là qu’ils confisquent une petite boîte qui appartient à Léa. Dans ce coffret, Léa a déposé une petite somme d’argent qu’elle tient de sa sœur Caroline, et quelques bijoux provenant de ses parents.

Léa, Jean et Maurice Pavy sont emmenés à la Kommandantur de Saint-Germain-en-Laye, installée dans une propriété réquisitionnée par les Allemands. Tous les trois sont interrogés par un officier allemand. Léa raconte que l’officier les a mis en joue et que Jean s’est avancé. Son oncle Maurice Pavy l’a heureusement arrêté.

Léa est ensuite interrogée seule par un officier. Elle raconte : « Il m’a parlé, il m’a interrogée, et moi je suis restée de marbre. » L’officier insulte Léa à plusieurs reprises et s’énerve devant son silence. «  Ça l’a tellement mis en colère qu’il a foutu tout son bureau en l’air  » témoigne Léa.

Léa et Jean sont encore ensemble lors de leur première nuit d’arrestation : « on a couché sur une planche  ». Avant d’être séparée de son mari, Léa a le temps de lui confier une chaîne et une médaille qu’elle porte autour du cou, et qu’elle tient de sa mère, Élise. Ce bijou est l’un des rares objets de ses parents que Léa a pu retrouver et conserver après la guerre.

Prison pour femmes de Versailles. Vers 1900.
© site internet actu-juridique.fr

Le lendemain, Léa, seule, est conduite à la prison pour femmes de Versailles. Elle est placée dans une cellule avec des détenus de droit commun. Durant cette détention, Léa «  s’est aperçue qu’elle n’avait plus ses règles. Elle a demandé à voir un médecin. Le docteur a dit que ce devait être le « stress  » de l’arrestation. Elle confie ceci à sa fille Catherine : « Personne ne le savait. Tu te doutes bien que ce n’était pas le moment de dire à ton père, je n’ai pas mes règles. » Pendant son emprisonnement, Léa reçoit la visite de sa belle-mère Thérèse. Elle lui confie ses doutes : « j’ai dit à ta grand-mère que j’étais probablement enceinte ». Trois mois après, à Auschwitz, n’ayant toujours pas ses règles, Léa aura la certitude d’être enceinte.

Après avoir été séparé de Léa, nous ne savons pas exactement ce qui arrive à Jean. La fiche numérisée de Bad Arolsen nous indique qu’il a été renvoyé en Allemagne vers le 31 août 1944. Il est d’abord domicilié dans la commune de Greiz en Thuringe où se trouvent des usines employant de nombreux travailleurs forcés. Le même document indique que Jean a ensuite été affecté à Pohlitz, un petit village au nord de Greiz. Libéré par l’avancée soviétique, comme des dizaines de milliers de travailleurs forcés, Jean sera rapatrié en France le 16 avril 1945.

Fiche de Jean Raulet, Mission française à Berlin (1945)
© Archives Arolsen, Doc ID 78384674

Son oncle, Maurice Pavy, a un destin différent. Nous avons également retrouvé sa trace dans les archives en ligne de Bad Arolsen. Après son arrestation, Maurice est transféré à la prison de Fresnes car il est considéré comme un résistant communiste. Il est ensuite interné au camp de Compiègne-Royallieu puis déporté à Buchenwald le 20 août, où il reçoit le matricule 77.029. Le 28 décembre 1944, Maurice Pavy est transféré au camp de Mittelbau Dora. Il a 51 ans et ne rentrera pas de déportation.

Le 26 juillet 1944, Léa est transférée au camp de Drancy. Elle est enregistrée sous le matricule 25 984, comme l’indique sa fiche d’internement. Y est également indiqué qu’elle est française, mariée avec un conjoint aryen et sans enfant. Elle est d’abord affectée à l’escalier 18, au 2ème étage. Sitôt enregistrée, elle passe par la baraque de fouilles. Les gardiens lui confisquent la somme de 1950 francs et un carnet de chèques de la Société Générale, comme l’indiquent les reçus de fouilles que nous avons retrouvés au Mémorial de la Shoah.

Léa fait partie des internés « déportables », comme l’indique la lettre B notée sur sa fiche d’internement. Elle a changé deux fois d’affectation dans le camp de Drancy. D’abord internée escalier 18, elle se retrouve ensuite au 2ème étage de l’escalier 7, puis au 3ème étage de l’escalier 3 : « Dans la journée, elle marchait un peu partout pour essayer de reconnaître quelqu’un, en vain . À ce moment-là, elle pensait partir pour un camp de travail comme papa jusqu’à la fin de la guerre. Elle me dit même qu’elle était confiante, puisqu’il y avait eu le Débarquement. Elle pensait qu’elle reviendrait vite… » se souvient sa fille Catherine.

Malheureusement, à l’aube du 31 juillet, après cinq jours d’internement, Léa fait partie de la liste des 1306 personnes à quitter le camp par le convoi 77, en direction d’Auschwitz-Birkenau.

 

La déportation : un voyage vers l’enfer

Dans son témoignage, Léa raconte à sa fille Catherine son trajet en train : « Le 31 on est parti, on était 50 par wagons, oui une cinquantaine, j’étais en tailleur fleuri ».

Lorsque Catherine lui demande s’il faisait chaud, Léa répond  : « C’était en juillet, oui, c’était le dernier convoi. […]  trois jours on est resté dans le train, trois jours avec une tinette au milieu, les gens avaient soif, et on n’avait pas faim, on avait surtout très soif ».

Sa fille lui demande alors s’il n’y avait que des femmes  : « Non, des hommes et des femmes dans le wagon. Il y avait une famille à côté de moi et les Allemands ont ouvert pour nous donner à boire, un verre chacun au bout de… deux jours, on avait très soif, et on m’a donné mon verre, le type est devenu fou et a commencé à battre ses enfants et je lui ai lancé mon verre à la figure… pour le calmer. ».

Catherine l’interroge sur la présence d’enfants ou de bébés : « Non, ils n’étaient pas avec nous […] ils étaient dans d’autres wagons. Dans le wagon, il n’y avait que des gens âgés et des plus jeunes, mais pas d’enfants. Les enfants qu’ils avaient ramassés dans les rafles, avaient été mis à part avec des gens qui s’occupaient d’eux, pour qu’ils ne soient pas seuls ».

Puis sa fille lui demande s’ils ont dormi dans le train : «  Je dormais, on dormait pêle-mêle. On était abruti d’abord parce qu’il y avait une grosse chaleur, le manque d’hygiène, ça sentait mauvais, il y avait une odeur !!! … J’ai dormi, j’ai dormi [silence] . »

Léa décrit ensuite la fin du voyage et l’arrivée au camp d’Auschwitz Birkenau. Elle se souvient des ordres en allemand : « Nach unten, Nach unten, Nach unten » qui signifie « Descendez, descendez, descendez » . « J’avais un trousseau tout fait à la main, enfin du linge de corps tout brodé main que je n’avais jamais mis, et je ne voulais pas les user. Et puis, il y avait un grand type, très beau type, un Allemand : c’était le docteur Mengele, en uniforme. Il faisait les séparations, les enfants d’un côté, les personnes âgées de l’autre, il suffisait d’avoir un bobo à la lèvre ou autre et… On leur a dit à demain, à demain… Il séparait homme et femme. » On comprend ici que Léa évoque la sélection des déportés : les Allemands choisissent uniquement les déportés « aptes au travail ». Elle présente le docteur Mengele : «  […] il faisait des expériences sur les yeux bleus, je l’ai su après ».

Léa poursuit son témoignage : « Nous, on leur a dit à demain, à demain, on pensait que les vieux et les enfants allaient d’un côté et nous de l’autre. On est arrivé et ils nous ont fait déshabiller, de nuit, enlever les bijoux, les alliances, les machins… Puis ils nous ont fait passer à poil, ils nous ont fait entrer dans une pièce, une grande pièce avec des arrosoirs, ils auraient bien pu nous mettre du gaz, mais non, ils y ont mis de l’eau et ils nous ont douchés. […] On a attendu dans une autre pièce […]. Ils nous ont emportés dans les baraques, on était cinq à coucher sur une planche un peu en biais […] il y avait trois étages. Ils nous ont fait lever une heure après. » Entre-temps, Léa est tatouée sur l’avant-bras d’un matricule qui devient son identité, et qu’elle conserva toute sa vie : A 16788. La lettre A correspondant au camp A d’Auschwitz.

Catherine lui demande s’ils ont été rhabillés. Léa répond  : « Ils nous avaient donné quelque chose, je crois une espèce de robe, il y avait une grande femme de la taille de ton père, la robe lui arrivait au nombril, et moi elle me descendait jusqu’au pied, ni soutien -gorge, ni bas. À quatre heures du matin, on nous mettait dans la cour, à poil, à genou par terre, les bras levés, jusqu’à sept heures, sept heures et demi du matin avec des commandantes, […] des kapos qui étaient des Polonaises, des droits communs (silence) […].  » À plusieurs reprises, dans son témoignage, Léa évoque les kapos, arrêtées et déportées à la suite d’une infraction de droit commun (vol, agression, crimes…) .

Dans la suite de son témoignage, Léa décrit le camp d’Auschwitz : «  Il y avait des cabanes d’un côté et des cabanes de l’autre avec un chemin au milieu, il n’y avait pas d’arbres, pas une herbe, de la terre. Un grillage et autour des miradors, au fond il y avait le lazaret, c’était l’infirmerie, nous on l’appelait comme ça. Ils te passaient une pommade noire pour tous les bobos, et, quand on arrivait là-bas, on savait que l’on n’était pas loin du grand voyage. »

Léa reste trois mois à Auschwitz : elle a alors la certitude d’attendre un enfant. Dans les très mauvaises conditions de vie de ce camp d’extermination, elle voit un médecin et elle réussit à être transférée dans le camp de Weisskirchen-Kratzau à la fin du mois d’octobre 1944, avec plusieurs dizaines d’autres femmes. Danielle raconte : « C’était le mois d’octobre-novembre. Et puis, elle a rencontré un toubib et elle lui a dit qu’elle était enceinte. Je crois qu’il s’est débrouillé pour la faire partir à Kratzau. »

Camp de Weisskirchen-Kratzau (actuelle République tchèque).
© Site internet de Convoi 77

 

 

Kratzau, en tchèque Chrastava, est aujourd’hui située en République tchèque. Appartenant à la Tchécoslovaquie dans les années 1930, la ville est annexée au Troisième Reich, comme toute la région des Sudètes, en 1938. Les Allemands y installent un camp annexe du camp de concentration de Gross Rosen. La ville accueille deux camps de travail, une usine d’armement, un dépôt, deux camps de concentration et les logements des hommes et femmes de la SS. Les déportées qui travaillent à l’usine sont juives et majoritairement d’origine polonaise et ukrainienne.

 

 

Léa raconte ainsi son arrivée à Kratzau : «  Quand on est arrivé, on nous a montré notre chambre, c’était un commandant , […] il avait peut-être 55 ans ce type là, tout blanc, grand sec, mais pas nazi, pas SS, il faisait le travail qu’on lui demandait, et il nous dit  :  »vous allez travailler à l’usine, mais avant il faut débarrasser les camions, c’est des pommes de terre pour tout l’hiver, il faut les mettre dans les tranchées ». Il y avait des camions qui arrivaient, mais personne ne traduisait, il le disait en allemand. Moi qui ne comprenais rien en allemand, je suis restée droite devant ce camion. Il a cru que j’étais volontaire et m’a donné une pelle, je suis montée et j’ai déchargé les patates, les autres elles se sont carapatées de partout. Le soir, on nous a donné la soupe, et quand les autres ont été servies, [le commandant] m’a rappelée et m’a donné une deuxième soupe, autant te dire que je l’ai dit à personne.  »

Une naissance inespérée

À Kratzau, Léa travaille dans une usine avec les autres femmes déportées. Dans son témoignage, Léa déclare : « Je me suis trouvée mal et on m’a mise sur un brancard, les autres ont continué à travailler. » De retour au camp, Léa est emmenée à l’infirmerie. Une détenue, Berthe Libers (déportée de France par le convoi 77 comme Léa), lui dit que «  ce sont les petits pieds qui poussent.  » Pour la préserver, la direction du camp affecte Léa aux épluches ; elle doit donc peler les légumes pour cuisiner la soupe des détenus. Quelques temps après, Léa change à nouveau d’affectation : « Lors de l’inspection suivante, comme je commençais à avoir du ventre, [je suis passée] côté autoclave [les grosses marmites servant à faire cuire la soupe] ».

Début mars 1945, les gardiennes ont tellement battu Léa, qu’elle ne sent plus son enfant bouger. Elle se rend donc à l’infirmerie et explique sa situation à une femme médecin, prénommée Danielle. C’est en souvenir de cette femme que sa fille s’appellera ainsi. Pensant que l’enfant est mort, la doctoresse lui fait une piqûre pour que le bébé soit expulsé. Léa raconte : « [le docteur]  m’a fait une piqûre et l’enfant est arrivé, Danielle, comme une bombe, ça m’a déchiré [le périnée] . » Elle se fait recoudre par le docteur : «  J’ai eu cinq, six points, comme ça, à vif ». Puis la commandante de Kratzau lui demande de tuer sa fille car les bébés ne sont jamais laissés vivants dans le camp :  « Voilà tu auras une bonne place en cuisine à condition que tu tues ta gosse avec ce cachet.  » Léa refuse : «J’ai dit : Moi, ça jamais ! plutôt mourir que de tuer mon enfant ! » Pour l’influencer, la commandante fait déposer des nouveaux nés morts sur son lit. Lors de son témoignage, Léa sanglote face à l’indicible.

Elle poursuit pourtant son récit et explique être alors transférée avec sa fille dans un autre camp de concentration par un convoi spécial. Elle est accompagnée d’autres déportées malades et encadrées par des « soldates ». Léa doit d’abord se rendre à pied à la gare de Kratzau (« C’est là qu’ils m’ont fait marcher quinze kilomètres pour rejoindre le train, tous les points se sont arrachés. ») avant de monter dans le train. Heureusement, l’arrivée des Soviétiques permet le détournement du convoi qui arrive à « Ketchenau ». Après vérification, nous pensons que Léa se trompe et qu’il s’agit en fait de Reichenau, petit camp annexe de Gross Rosen situé dans la ville tchèque de Rychnov u Jablonce nad Nisou : «  Les Russes arrivaient d’un côté, les Américains de l’autre, on a été détournées vers un autre petit camp de travail. […]  ».

Carte du parcours de déportation (1944-1945) de Léa
© Universalis, carte de la République tchèque.

Il faut rappeler que début mars 1945, une partie des camps est libérée. Léa ne peut donc plus être renvoyée à Auschwitz pour être gazée avec Danielle. C’est donc par un concours de circonstances miraculeuses que Danielle et Léa survivent.

Toutes deux restent environ trois semaines au camp de Reichenau. Danielle survit grâce à la générosité d’une autre déportée, prénommée Raymonde, qui a accouché d’un petit garçon quelques jours après Léa : « L’autre avait les seins gonflés, elle a donné à boire à Danielle ». En échange, Léa lui donne son pain et sa soupe .

C’est dans ce camp que Léa est libérée début mai 1945. Elle raconte : « On a vu que les portes n’étaient plus gardées, on a pris la poudre d’escampette, on est allé au village [avec trois autres déportées] . » Raymonde s’enfuit alors avec un Français et laisse Léa seule.

Sur la route du retour

À partir du départ du camp de Reichenau, nous n’avons pas réussi à identifier précisément l’itinéraire suivi par Léa. Notre seul guide est son témoignage : «  Ce jour-là, on est arrivé dans ce village […] , on a trouvé un appartement d’où les occupants [allemands] avaient foutu le camp. […] Il y avait du ravitaillement, [j’ai trouvé] du lait concentré pour Danielle. »

Léa rencontre alors des prisonniers de guerre français. « [ils] cherchaient une femme française, déportée et enceinte. On leur a dit :  » il y a une femme française avec un enfant, qui est là, dans cet appartement ». […] Total, c’est pas moi qu’ils cherchaient et je leur ai dit  » Qu’est-ce que ça me fait plaisir d’entendre parler français. » Moi qui ne parle ni allemand, ni rien du tout. » Léa suit les prisonniers français : « Ils m’ont dit  »vous allez venir avec nous, nous, on était travailleurs dans une ferme, on a mis les patrons à la porte, vous aurez du lait frais pour votre gamine ». »

Une fois à la ferme, Léa est malade («  Moi j’avais 40° de fièvre ») ce qui explique que ses souvenirs soient assez confus. Léa précise : « [les prisonniers français] m’ont donné une chambre pour moi toute seule avec un berceau, ils ont fait venir un docteur ». Peu après, ces hommes décident de rejoindre la ville de Prague pour tenter d’être rapatriés en France ; Léa choisit de les suivre.

À Prague, Léa est conduite d’abord à l’hôpital où elle se retrouve avec des travailleuses volontaires. Elle se rend ensuite au consulat de France pour obtenir son rapatriement. Elle rencontre un fonctionnaire à qui elle déclare  : « On m’a mise à l’hôpital avec toutes les volontaires, je ne suis pas volontaire moi, j’ai été déportée ». Léa ajoute  : « Je lui montre ma marque. Il m’a dit :  »Je vous comprends Madame, le premier avion qui rentre en France, vous partez ». »

Dans les archives du Mémorial de la Shoah, nous avons retrouvé un document rédigé par la police de Prague le 26 mai 1945 et une attestation établie le 28 mai 1945 par le Consulat de France, qui confirme le récit de Léa.

Attestation d’immatriculation auprès des autorités de Prague de Léa, 1945.
© Mémorial de la Shoah/Coll. Dadoun, Paris (France).

Le premier document confirme que Léa dispose d’un certificat d’immatriculation de la police des étrangers en cours de validité. Il précise le matricule du camp d’Auschwitz de Léa : A 16788. Au verso, est indiqué que Léa a reçu «  un secours de 300 couronnes  » daté du 29 mai 1945. Deux tampons allemands y figurent également : « cartes d’épicerie » , et « cartes de pommes de terre et œufs. » A-t-elle reçu ces cartes d’alimentation ?

Le deuxième document établit la demande de rapatriement de Léa : « Madame Raulet, née Nahmias Léa, et son enfant Danielle […], ancienne détenue politique par les Allemands, s’est présentée ce jour à la légation de Prague en vue de demander son rapatriement en France, se rendant à Paris. La Légation ou le Consulat ne sont pas en mesure de lui délivrer actuellement un passeport national, mais la présente attestation lui a été établie en vue de la recommandation auprès des autorités tchécoslovaques et alliées, ainsi qu’auprès de la mission de rapatriement française [. ..].  »

Attestation du consulat français de Prague au nom de Léa, 1945.
© Mémorial de la Shoah/Coll. Dadoun, Paris (France).

À la fin de son témoignage, Léa raconte son retour en France. Elle est rapatriée par un avion militaire : « Je me vois monter dans l’avion, c’était une vieille carlingue. Il y avait des hommes couchés, c’était des gens gradés qui étaient très malades, la Croix Rouge s’occupait de cela, et avec le premier avion parti de Prague, je suis rentrée. Je suis arrivée, avec les grands blessés de guerre, grands, grands malades, des officiers, à l’hôtel Lutétia . » Elle ajoute : « Dans l’avion, j’ai dormi avec Danielle dans les bras, on a voulu me l’enlever pour me soulager, j’ai pas voulu, et quand j’ai ouvert les yeux, j’ai vu par le hublot la Tour Eiffel. Ouf ! J’étais en France. »

L’Hôtel Lutetia au début du XXe siècle.
© Société Historique du VIe arrondissement.

Arrivées à Paris, Léa et Danielle sont conduites au Lutétia, hôtel de luxe transformé en centre de rapatriement pour les déportés. Léa est alors interrogée : on lui demande d’où elle vient, ce qui lui est arrivé. On lui donne des papiers, des tickets de lait et de pain. Léa explique avoir été surprise de se retrouver dans une belle chambre.

Elle dépose alors Danielle sur le lit, ferme la porte à clé et se rend chez sa sœur Caroline. Celle-ci a déménagé place Pereire avant l’arrestation de Léa. C’est par la concierge de cette adresse que Léa apprend que sa sœur a repris le magasin de leurs parents aux Batignolles.

Léa se rend en métro au 94. Les deux sœurs se retrouvent et Léa lui apprend qu’elle est maman : « J’explique à Caroline que je suis à l’hôtel Lutétia, et que je dois aller chercher ma fille.  » Comme Caroline ne comprend pas, Léa explique : « […] J’étais enceinte quand je suis partie ». Les deux sœurs partent alors chercher Danielle en taxi.

Fiche médicale de Léa Raulet (recto verso), 1945.
© SHDC, Dossier AC 21P 648 308.

De retour au 94 boulevard des Batignolles avec le bébé, Léa a la joie de retrouver son mari. En effet, Jean était absent au premier passage de Léa, car il était allé consulter les listes des déportés rapatriés dans l’espoir d’en apprendre plus sur sa femme. À son retour, Léa est là et lui présente leur fille Danielle, âgée de trois mois. Catherine ajoute : « Beaucoup de joie, d’émotion et de questions. Maman se sent enfin libre. »

 

Une vie à reconstruire

Photographie de Danielle dans les bras de Léa, 1945.
© Collection personnelle de Danielle Dadoun.

Après leurs retrouvailles, Jean et Léa s’occupent de régulariser la situation de Danielle. En effet, née au camp de Kratzau, celle-ci n’a évidemment pas pu être reconnue par son père et encore moins déclarée à l’état civil. Jean se charge de faire les démarches nécessaires pour que la naissance de Danielle soit enregistrée.

Léa doit d’abord produire des témoins de la naissance de sa fille. Heureusement, elle a été déportée avec deux cousines par alliance, survivantes et rapatriées quelques jours auparavant. Dans son témoignage, Léa ne se souvient pas avec exactitude de leurs identités complètes, mais nous pensons qu’il s’agit de deux sœurs déportées par le convoi 77 et passées par Kratzau, Rachel et Renée Hasson. Elles sont apparentées à la famille Nahmias par alliance.

À Paris, Léa reprend contact avec ses cousines, qui acceptent de témoigner des conditions de la naissance de Danielle. Grâce à elles, Jean peut enfin obtenir un jugement déclaratif de naissance, qui permet ensuite d’obtenir une carte d’alimentation pour Danielle.

Léa est revenue très affaiblie de sa déportation. Elle raconte : « [Je ne pesais] qu’une trentaine de kilos et Danielle faisait moins d’1 kg 200 ; je n’avais plus la force de m’en occuper . » Comme tous les autres déportés rapatriés, Léa et Danielle effectuent plusieurs visites médicales : « Le docteur avait dit qu’il fallait bouger Danielle le moins possible. On la changeait dans son lit, on la prenait que pour les biberons. Elle ne pleurait même pas.  Moi je n’arrivais plus à manger, dès que je mangeais, je vomissais. C’est les olives noires avec du pain qui m’ont sauvée, il n’y avait que ça qui passait.  » Plus tard, Léa raconte à Danielle que celle-ci a été atteinte d’une furonculose aiguë pendant l’été 1945 : «  Maman m’a dit : on ne pouvait pas te toucher. Tu étais un bouton de la tête aux pieds. »

 

Photographie actuelle du 29 rue Dulong (Paris, XVIIe).
© Google Earth, 2024.

 

 

Après avoir habité chez les parents de Jean au rez-de-chaussée du 94 boulevard des Batignolles, Léa et Jean récupèrent leur appartement du 29 rue Dulong dans le XVIIe arrondissement. Jean retrouve son travail de machiniste aux studios de cinéma de Boulogne-Billancourt, pour lequel il touche un salaire de 6000 francs par mois.

 

 

 

 

 

 

Léa et Jean demandent de l’aide à une organisation d’aide sociale juive, le COJASOR (Comité Juif d’Action Sociale et de Reconstruction, fondé en 1945). Cette association centralise les aides morales et matérielles à destination des survivants de la Shoah en France. Leurs archives ont un dossier au nom de Jean Raulet, que nous avons pu consulter. La première sollicitation de la famille date du 12 novembre 1945 : « Mme Raulet vient nous demander des vêtements pour elle et son enfant. »

À la suite de cette demande, Léa et Jean reçoivent la visite d’une assistante sociale de la mairie du XVIIe arrondissement qui établit un rapport sur la famille Raulet : « Famille très intéressante et digne d’intérêt. Monsieur Raulet a été déporté requis et réfractaire. Mme Raulet déportée raciale au camp d’Auschwitz, où est née la petite Danielle. Celle-ci n’a été ni reconnue, ni déclarée, étant née dans la clandestinité. Les affaires sont en cours pour régulariser la situation, ce n’est qu’après que Mme Raulet touchera la C. de C : 900 francs. Avons conseillé à Mme Raulet de s’adresser au Centre Israélite. Celle-ci n’a pas pu y aller étant souffrante et obligée au repos depuis son retour des camps. L’avons vue chez elle assez fatiguée. Le bébé va bien et est souvent chez sa grand-mère. Une demande a été faite pour l’achat d’un lit ou d’une voiture [pour Danielle] . »

D’après nos informations, Jean et Léa ont peut-être reçu une aide de 2000 francs de la mairie, à la suite de cette enquête. Mais nous n’avons pas trouvé de confirmation de ce versement dans le dossier du COJASOR.

 

Rapport de l’enquête sociale. Novembre 1945.
© Archives du COJASOR, dossier Jean Raulet n°1977.

 

Photographie actuelle du 32 rue d’Orsel (Paris, XVIIIe).
Le magasin de Léa devait se trouver à gauche de la porte d’entrée.
© Google Earth, 2024.

 

Deux ans après, grâce à une somme d’argent donnée par Caroline Gawsewitch (correspondant à sa part du magasin de leurs parents), Léa et Jean déménagent dans le quartier de Montmartre, au 32 rue d’Orsel. Léa y achète un commerce.

Danielle témoigne ainsi : «  Ma tante avait récupéré les biens de mes grands-parents. Et elle avait vendu des tas de choses, elle a donné un peu d’argent à ma mère. » Elle précise : « c’est-à-dire pas grand-chose par rapport à ce que cela représentait ».

Lors de son entretien, Danielle nous décrit le magasin comme un commerce de bonneterie, que Léa tiendra pendant deux ans, peut-être entre 1947 et 1949.

 

 

Danielle à Chatou en 1947.
© Collection personnelle de Danielle Dadoun

 

En janvier 1948, à Paris, Léa donne naissance à son deuxième enfant, prénommé Alain. Danielle, alors âgée de trois ans, passe beaucoup de temps avec sa grand-mère paternelle, qui s’est installée dans un logement à Chatou, non loin de l’endroit où Léa et Jean ont été arrêtés quatre ans plus tôt.

À cette époque, Léa entreprend plusieurs démarches administratives. Tout d’abord, elle tente d’obtenir deux certificats de déportation pour sa fille et elle, qu’elle obtiendra en juillet et en août 1948. Puis, avec l’aide de sa sœur, Léa cherche à faire enregistrer le décès de ses parents. Des actes de disparition au nom d’Haïm et Élise Nahmias sont établis en octobre 1946.

Quelques années plus tard, Léa signe une procuration à sa sœur Caroline pour lancer les démarches qui permettront d’obtenir le statut de déportés politiques pour leurs parents. Nous avons pu consulter les deux dossiers, conservés au Service Historique de la Défense à Caen.

À la même époque, Léa constitue un dossier de déportation politique pour sa fille Danielle et pour elle-même. Léa obtient sa carte de déportée politique le 14 décembre 1955, et Danielle en 1961.

Carte de déportée politique de Léa Raulet, 1955.
© Mémorial de la Shoah/Coll. Dadoun, Paris (France).

En 1950, Léa, Jean et leurs enfants partent à Marseille car Jean obtient une mutation en tant que représentant de commerce dans le secteur de Marseille. De ce fait, Léa vend sa boutique de la rue d’Orsel. Danielle raconte : « Mes parents avaient une villa à Marseille, 3 boulevard Ollivary, qui était prêtée par la boîte de mon père ». Léa retrouve alors sa tante maternelle, Mathilde Modiano, qui a épousé Henri Usiel avant la guerre. C’est à Marseille que naît Catherine, le dernier enfant de Léa et Jean, en septembre 1953.

À cette période de sa vie, Léa ne raconte pas les détails de sa déportation. Danielle se souvient : «  Papa ne voulait pas trop qu’elle parle, parce qu’elle se mettait dans un état lamentable, ça lui faisait mal . » Léa raconte cependant l’essentiel à ses enfants. Danielle sait qu’elle est née dans un camp et que sa mère a souffert de cette période. Elle se souvient avoir interrogé sa mère sur son matricule tatoué : «  Je lui ai demandé très tôt. Elle m’a expliqué qu’elle avait été déportée dans un camp. Et qu’ils tatouaient tous les gens qui rentraient. »

Elle se souvient aussi qu’étant enfant, sa mère l’a emmenée voir Berthe Libers, une camarade de déportation présente à sa naissance. Mme Libers a écrit un poème sur les enfants du convoi 77, et en a envoyé un exemplaire dédicacé à Léa : «  Elle lui met un petit mot en disant qu’elle était une mère formidable.  » Léa n’a jamais eu de contacts avec d’autres déportées.

Même si Léa est issue d’une famille juive très pratiquante, elle ne suit plus les traditions religieuses juives après la guerre. Danielle se souvient que sa mère ne mangeait pas casher et qu’elle ne voulait pas célébrer les fêtes juives. « [Haïm] s’occupait de la synagogue, il y allait tout le temps. Il faisait tous les shabbat. Et ça ne l’a pas empêché de finir dans un four crématoire. Alors la religion, ne m’en parle pas » déclare Léa.

À la fin de sa vie, Léa est fragile et fatiguée. Elle subit plusieurs opérations importantes. Elle accepte de raconter ses souvenirs de déportation à ses enfants. En 1989, Catherine, la deuxième fille de Léa, interviewe sa mère sur son parcours de déportation. Ce récit est enregistré sur une cassette audio. Trente ans après, Catherine réussit à le retranscrire sur ordinateur.

Jean Raulet décède le 24 mars 1991 à Marseille, d’un cancer. Léa lui survit trois mois, et décède à son tour le 17 juin 1991 à Marseille, d’un infarctus.

 

La mémoire de Léa

Photographie de Danielle Dadoun, 2024.
© Collection personnelle de Danielle Dadoun.

Aujourd’hui, le fils de Léa, Alain, vit en Israël avec sa famille. Danielle a trois enfants (Didier, Nathalie et Joël), et cinq petits-enfants (Adrien, Lola, Laurie, Nell et Ken). Avec sa sœur Catherine, elles vivent dans le Sud-Est de la France. Danielle perpétue l’histoire de sa mère et de ses grands-parents maternels en la transmettant à ses enfants et petits-enfants. Elle a visité le camp d’Auschwitz en leur souvenir à deux reprises.

Nous n’avons pas eu la chance de rencontrer Léa, mais nous avons eu l’immense privilège de discuter avec Danielle. À la question de Jean-Baptiste qui demande si Léa a conservé un élément positif de sa déportation, Danielle répond : «  Maman a eu beaucoup de mal à raconter. Il a fallu plusieurs années pour qu’elle le raconte à Catherine. Il ne peut pas y avoir de choses positives dans cette déportation. La seule chose qui l’a tenue, c’est moi, c’est le fait d’être enceinte, elle s’est battue pour cette vie en elle. »

Lorsqu’Élise lui demande si elle a gardé des souvenirs du camp, Danielle déclare : « Je n’ai pas d’images, je ne peux pas avoir d’images … j’ai les images que maman m’a racontées… La nuit, je fais toujours des cauchemars. »

Naël à son tour l’interroge : «  Est-ce que le fait d’être née dans un camp a influencé votre vie ? » Danielle répond : «  Ça a donné un sens à ma vie… je suis une miraculée… c’est formidable d’être revenue. Je suis contente quand je vois les gens heureux autour de moi. À l’école communale, j’étais plus jeune que toi, on me traitait de sale juive. Comme j’étais fragile, maman allait souvent à l’école pour raconter notre histoire. L’antisémitisme existe encore et il existe toujours. » Danielle conseille alors aux élèves de se rendre à Auschwitz. Elle pleure à l’évocation du camp.

Camille lui demande ce qu’elle ressent à l’idée que nous travaillions aujourd’hui sur sa mère. « Ça me touche beaucoup. À notre époque, on oublie et c’est une catastrophe. Continuez à voir d’autres personnes car il y en a beaucoup qui voudraient témoigner encore. Il ne faut pas que cela vous arrive à vous. Avant c’étaient les juifs ! Et après ce sera quoi ? Aujourd’hui ça ne devrait pas exister, ne pas juger, ne pas être raciste. »

Danielle nous confie que sa mère a été déportée pendant 47 ans : « Tu ne peux jamais oublier. Ma mère est partie à 69 ans. Ça l’avait complètement détraquée. »

Enfin, avec beaucoup de tendresse et d’admiration, Danielle conclut son témoignage ainsi : « Maman a été une femme formidable, car pour passer par là où elle est passée… continuer sa vie de famille… avoir d’autres enfants… c’est quelque chose de costaud. » 

 

Sources :

Les informations permettant de raconter le parcours de Léa Raulet ont été obtenues par la lecture et le dépôt de nombreux documents d’archives :

  • Dossiers de victime civile au nom de Léa Raulet (AC21P 648 308), Haïm Nahmias (AC21P 519 648) et Elise Modiano (AC21P 519 644). © SHDC
  • Recensements communaux du XVIIe arrondissement de Paris, conservés et numérisés aux Archives de Paris (années 1931 et 1936).
  • État civil numérisé de Paris. ©Archives de Paris.
  • Registres matricules : D3R1443 (fiche Jean Raulet) et D3R1450 (fiche Jeau Gawsewitch) © Archives de Paris.
  • Fichiers juifs de 1940 et 1941. © Archives nationales/Mémorial de la Shoah.
  • Fichier d’internement du camp de Drancy. © Archives nationales/Mémorial de la Shoah.
  • Papiers personnels de Léa Raulet donnés par Danielle Dadoun. © Mémorial de la Shoah/Coll. Dadoun, Paris (France).
  • Témoignage vidéo de Danielle Dadoun © Mémorial de la Shoah.
  • Fichier d’étrangers de la préfecture de police de Paris (328 W). © Archives de la préfecture de police de Paris.
  • Dossier 1977 au nom de Jean RAULET. © Archives du COJASOR/Mémorial de la Shoah.
  • Archives de la préfecture : courriers de la préfecture sur les arrestations opérées par les autorités allemandes (1W 280) © Archives départementales des Yvelines.
  • Documents au nom de Jean Raulet et Maurice Pavy. © Archives en ligne de Bad Arolsen
  • Archives familiales de la famille Raulet-Dadoun : témoignage de Léa, diverses photographies de famille.

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de Troisième du collège La Fosse aux Dames (Les Clayes-sous-Bois, 78), sous la direction de leur enseignante, Madame Hurtevent.

Reproduction du texte et des images

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