Léa WARECH
En septembre dernier (2020), 29 élèves de terminale générale du Lycée Aristide Briand de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), ont débuté le projet Convoi 77 afin de rédiger la biographie d’une des déportées : Léa Warech. Ce travail a été proposé à cette classe plutôt à dominante sciences humaines (SES-HGGSP-HLP).
Dans le cadre des cours d’enseignement moral et civique ainsi qu’en lien avec le programme d’Histoire de terminale, ce projet a su faire écho à un engagement citoyen et mémoriel.
Tout de suite, ce fût un plaisir pour nous de pouvoir participer au projet, nous étions motivés par l’envie de faire perdurer la mémoire de cette vie singulière et plurielle, de cette personne qui a tout donné au risque de tout perdre dans le but de défendre des valeurs qui lui étaient chères. Arrêtée comme résistante, elle est déportée en tant que juive.
Il nous semblait alors important de redonner vie à Léa Warech à travers une biographie afin de retranscrire son histoire de façon claire et précise et de faire subsister sa mémoire.
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C’est le jeudi 02 octobre 1919 que naît dans la ville de Zaklików Léa Warech. Fille de Joseph Warech et de Brandla Morenfeld, tous deux polonais. Elle y vit jusqu’à ses 6 ans avant de partir pour la France. C’est à Denain (ville du Nord de la France) que sa nouvelle vie commence, mais celle-ci va prendre un nouveau tournant au début de la guerre en 1939. Elle va alors être obligée de faire des choix de vie, de prendre des décisions, qui impacteront son existence.
L’arrivée en France
Zaklików, jeudi 2 octobre 1919 : Léa (Laja) WARECH naît dans une petite ville située à l’Est de la Pologne (80 kms au sud de Lublin). Ses parents Joseph (28 ans) et Brandla (20 ans), polonais et juifs se marient religieusement et civilement le 13 décembre 1907 dans la même ville. Citons le fait que Zaklikow est composée en très grande majorité de juifs et organisée autour d’un shtetl (communauté villageoise juive).
Joseph Warech, le père de Léa, naît le 15 juillet 1879 à Tarnogród. Il est le fils d’Israël Daniel Warech né à Zaklików en 1846, décédé en 1914 et de Marjem Maria Winer née à Krasnik et décédée le 23 août 1928. C’est une famille polonaise, issue de la petite bourgeoisie. D’un tempérament plutôt effacé et tranquille, il reste le patriarche, c’est lui qui décide et qui a le dernier mot.Quant à sa mère, Brandla Warech, née Morenfeld, le 13 octobre 1887, à Zaklików, elle est également issue d’une famille polonaise composée de son père Icek Morenfeld né à Modliborzyce en 1837 et décédé en 1900 et de sa mère Marjem Maria Erlichzonow née à Krasnik en 1848 et décédée en 1885. Elle possède quant à elle plus de personnalité, elle est plus autoritaire et plus débrouillarde.
Les parents de Léa ne se sont jamais sentis ni russes ni polonais mais fortement juifs. Pour des raisons religieuses, ils étaient brimés par les russes comme par les polonais et ont subi des violences. En effet, la région dont est issue la famille est disputée par la Russie et la Pologne durant tout le début du XXème siècle.
Le père de Léa, Joseph, habite à Lodz de 1910 à 1914. Il a participé à la guerre russo-japonaise en 1904, puis il a été mobilisé au sein de l’armée russe lors de la première guerre mondiale pendant laquelle il a malheureusement été capturé par les Allemands. Joseph est relâché en 1918, un an avant la naissance de Léa. A son retour de la guerre en 1918, il rejoint son épouse Brandla et ses trois premiers enfants. Ces derniers, durant sa captivité, sont retournés à Zaklików afin de pouvoir profiter de l’aide de sa famille. A son retour, Joseph continue d’exercer son métier de tisserand.
Avec sa femme Brandla, ils forment une famille de cinq enfants. Tout d’abord, l’aînée Sura (Drejzel) naît le 24 juillet 1910 à Lodz, puis leur fils Jacques (Ichok) naît le 30 juillet 1912 à Lodz. Malka naît le 20 janvier 1914 à Lodz, Léa (Laja) est quant à elle née à Zaklików le 2 octobre 1919 et la plus jeune de la famille est Elka (Olga) qui naît le 25 février 1922 à Zaklików. Le père de Léa quitte la Pologne en 1922, à 43 ans, afin d’échapper aux violences antisémites mais aussi pour rejoindre ses trois sœurs aux Etats-Unis grâce à des visas. Il espère pour lui et sa famille une vie meilleure. Une maison les attendait à Brooklyn. Il fait une escale au Havre pour voir son frère Simon qui est tailleur d’habits dans le Nord de la France. Finalement, convaincu par son frère, il décide de rester travailler à Denain, dans une usine, il fait alors deux postes par jour (16h/jour) dans deux entreprises différentes: l’un en tant que manoeuvre, chaudronnier (Société Anonyme des Forges et Aciéries de Denain-Anzin) et l’autre en tant que taraudeur (entreprise Fives Cail à Denain). Une partie de ce qu’il gagne lui sert à vivre et l’autre partie est envoyée dans sa famille à Zaklików. En 1925, Brandla, la mère de Léa, et ses 5 enfants quittent la Pologne pour rejoindre Joseph à Denain, malgré de fortes réticences de la part de Brandla qui avait peur de ne pas pouvoir pratiquer dans cet espace inconnu, qui lui paraissait petit. Malgré tout, et sur les conseils du rabbin, elle suit son mari. Ils découvrent une communauté juive qui ne vit pas cachée mais doit se rendre à Valenciennes (à 14 km de là) pour pratiquer à la synagogue. A leur arrivée à Denain, ils vivent dans l’impasse Moura près de l’usine dans laquelle travaille Joseph. Puis ils déménagent au 58 avenue Jean-Jaurès, à proximité de la boutique de Samuel, le frère de Joseph. Arrivés à Denain, la mère de Léa ouvre un commerce de confection tout en étant marchande-foraine, elle est très aidée car dans cette ville, les immigrés d’origine polonaise sont très nombreux et ils constituent de fidèles clients, c’est pourquoi sa connaissance de la langue polonaise est un réel atout. Cette communauté polonaise est née après la première guerre mondiale face au manque de main d’œuvre dû aux nombreux décès liés à la guerre. Les Polonais sont donc très présents dans les mines et les usines du Nord de la France. Brandla a maîtrisé plus rapidement le français contrairement à son mari, Joseph. C’est seulement en 1936 que Joseph Warech apprend à parler, à lire ainsi qu’à écrire le français.
En outre, la famille se sent très bien en France : se considérant tous comme des “juifs de nationalité française”. Par ailleurs, ils fréquentent la synagogue de Valenciennes, se réunissent pour les fêtes religieuses et familiales. C’est notamment Brandla qui va entretenir cette pratique religieuse dans la famille à travers le respect des rites alimentaires (par exemple elle tue et saigne le poulet destiné au repas) et de la langue (ils parlent Yiddish chez eux et utilisent cette langue pour écrire aux soeurs de Joseph aux Etats Unis).
Toute la famille a essayé d’obtenir la nationalité française par la naturalisation. Leurs demandes sont refusées sauf pour Isaac qui va accomplir son service militaire.
Sur le refus de naturalisation de Joseph, il est inscrit qu’il exerce un métier de marchand-forain dont “l’intérêt est très médiocre”. C’est à ce titre que sa demande est ajournée.
Les deux plus jeunes enfants Léa ainsi qu’Elka sont scolarisées au sein des écoles maternelle et primaire de Denain.
Léa a donc acquis un bon niveau d’études et obtient son Certificat d’Études Primaires puis son Brevet Commercial au sein de l’Ecole Pratique de Commerce et d’Industrie de Denain. Elle est une bonne élève, très dynamique et sportive. Suite à ses diplômes de comptabilité et de couture, elle travaille chez Charles GOTAINER (son beau-frère) en tant que vendeuse de chaussures. Elle a par la suite obtenu son permis de conduire.
Carte d’identité Léa WARECH ADML 120W65
En mai 1940, à l’arrivée des troupes allemandes, c’est l’exode. La famille part en voiture vers le Maine-et-Loire. Témoignage de Léa : “Je me souviens avoir vu pleurer mon père une seule fois et ce fut lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Le malheur allait alors s’abattre sur notre famille”. [USC Shoah Foundation, Los Angeles]
La femme de l’oncle Simon est originaire de cette région et la famille pense pouvoir y trouver refuge. Ils finissent par s’arrêter à Vihiers et s’installent dans quatre maisons. Ils sont hébergés et protégés par la population de Vihiers. Les enfants vont à l’école. Parmi les adultes, Léa fait partie de ceux qui vont essayer de retourner à Denain pour voir s’ il est possible de rentrer chez eux. Par deux fois ils essayent de retourner à Denain. La première fois ils n’ont pas d’Ausweis et finissent par revenir à Vihiers. La seconde fois ils arrivent à retourner à Denain mais l’occupation des maisons les contraint à revenir à Vihiers. Dans ce village il n’y a pas d’Allemand. La famille se fait recenser à Saumur. Les habitants de Vihiers les accueillent et certains même les protègent. C’est le cas de monsieur Monéger, quincailler, qui a accueilli chez lui, rue de l’Ecole, Malka et ses deux filles Danielle et Monique.En Juin 1942, ils portent l’étoile jaune. A la mi-juillet 1942 ils reçoivent une carte en provenance de Pithiviers. Elle est envoyée par Abel Simenov qui prévient la famille de son arrestation. La famille pense que seuls les hommes seront arrêtés. Charles Gotainer s’apprête à partir pour Laval rejoindre un ami franc-maçon, Mr Dussart. Alors qu’il attend le car, les Allemands arrivent avec des Français chercher la famille.
Les Allemands viennent dans les quatre maisons occupées par toute la famille pour poursuivre leurs arrestations. Léa qui est chez sa sœur les voient arriver et saute par la fenêtre pour prévenir les autres par l’intermédiaire d’une voisine.
Au soir du 15 juillet 1942, huit membres de la famille ont été arrêtés. Ils sont emmenés à Angers au Grand Séminaire. C’est dans ce lieu que tous les juifs raflés en Vendée, en Loire-Inférieure et en Maine-et-Loire sont regroupés après la rafle de Juillet 42. De là part le convoi n°8, seul convoi parti de province vers Auschwitz et dans lequel se trouvaient 8 membres de la famille. Il ne reste que la mère de Léa et ses quatre petits-enfants à Vihiers.
Cette arrestation va troubler les habitants de la commune. Le curé Delépine va condamner publiquement à la messe du dimanche, les arrestations qui ont eu lieu.
Léa qui s’était enfuie au moment de l’arrestation, s’est cachée chez madame Cassin. Cependant, elle ne peut y rester de peur de la mettre en danger. Elle craint que le facteur ou des voisines ne la dénoncent. Elle décide donc de partir en direction de Paris grâce à Mr Monéger, elle sera connue là-bas sous l’identité de Suzanne Roche. Sa mère l’accompagne à la gare : c’est la dernière fois qu’elles se voient. Elles se disent peu de choses préférant se regarder et graver dans leur mémoire les traits de leurs visages.
C’est l’expert comptable de la maison Blanc, M. Victor Coret avec lequel travaille Mr Monéger qui l’embauche en tant qu’employée de bureau au 96 avenue de la République, Paris Xème. L’employeur de Léa sait qu’elle est juive.
Elle vit alors chez Mme Arthuis qui lui sous-loue à elle et à Mme Denise Klotz, un appartement au 64 avenue de la République. Mme Arthuis n’est pas au courant de la situation de Léa, pour elle ce n’est qu’une locataire parmi d’autres. Sous son faux nom, la résistante ne porte pas son étoile jaune.
S’engager
La résistance de Léa commence par la volonté de venir en aide à sa communauté. Elle posséde toujours de faux papiers ou de fausses cartes pour assister des jeunes gens ou des familles qui veulent se soustraire aux recherches des occupants.
Elle aide beaucoup de familles juives, en leur offrant gratuitement différents papiers, comme de fausses cartes d’identité ou des tickets d’alimentation comme le confirme Dr Burstein dans un témoignage.
Elle trouve également des moyens pour faire passer la ligne de démarcation (limite entre la zone occupée par l’armée allemande et la zone libre, non occupée) à des personnes qui veulent fuir. Mme Arthuis le confirme dans son témoignage. De plus, elle avertit les juifs lorsqu’une rafle va se produire (opération policière visant à arrêter en masse une certaine partie de la population).
Léa a parfois demandé l’asile pour certaines personnes, comme par exemple pour la famille Blondel. Elle les a mis en sécurité à Vihiers, et leur a fourni tout ce dont ils avaient besoin, selon son témoignage. Léa Warech a même hébergé des Juifs clandestinement dans son logement, d’après le docteur Burstein. C’est le cas d’une mère et de ses enfants qu’elle croise à côté de chez elle alors que leur appartement est mis sous scellés. Elle les héberge chez elle durant 3 mois. Elle s’est également chargée de récupérer des fourrures ou d’autres biens, vêtements ou nourriture, dans des appartements afin de les ramener à des juifs dans le besoin. Souvent, elle a échappé à l’arrestation faisant preuve d’un aplomb qui ne permettait pas de la soupçonner.
Elle dit qu’elle n’avait jamais peur. Elle était jeune et a fait ce qu’il fallait pour aider sa communauté. Elle a vécu avec des fausses cartes pendant tout le temps de la guerre.
Elle est en contact avec Mademoiselle La Rose qui travaille au 15-20 (hôpital dans le XIIème arrondissement de Paris) et qui l’aide. De fait, Léa appartenait-elle à un réseau constitué ? Aucun document ne permet de l’affirmer.
De plus, Léa a aussi sauvé son neveu et ses nièces. Mais ces enfants représentent bien plus pour elle, sa vie familiale va rencontrer sa vie de résistante.
En octobre 1942, sa mère, son neveu, Henri, et ses trois nièces, Monique, Danielle, Sarah, sont arrêtés puis transférés au Grand Séminaire à Angers puis à Drancy. Léa reçoit un courrier de sa mère lui disant de sauver les enfants. Elle va faire tout son possible pour cela.
Fiches d’enregistrement camp de Drancy [Archives Nationales, F9/5736,5744, 5757, 5748]
A Drancy, Henri attrape la diphtérie (maladie infectieuse contagieuse), il est transféré à l’hôpital Claude Bernard. Tous les enfants ayant été en contact avec lui sont évacués de Drancy. Monique et Danielle sont transférées au centre Lamarck, puis au centre Guy Pantin, deux centres de l’U.G.I.F. (1). Sarah quant à elle est envoyée au centre Montgeron. Léa peut voir les quatre enfants en se faisant passer pour une “amie aryenne” de leur famille. Les enfants l’appellent “mademoiselle” et personne ne s’est jamais rendu compte de la supercherie.
Pendant ses visites elle conseille à son neveu de onze ans de se sauver à la première occasion, ce qu’il fait et elle le recueille. Pour ses nièces ce fut plus difficile, elle obtient par la force, en menaçant de mort, une certaine Léa Meslay, une gouvernante, pour prendre son droit de visite et se faire passer pour elle afin de voir Monique et Danielle. Elle demande la permission à la direction d’aller faire une promenade avec elles et profite de cette occasion pour faire évader les deux jeunes filles du centre. Pour sauver Sarah, elle fait une transaction avec le couple juif, les Blondel, qui garde le centre. En échange de Sarah, elle cache leurs enfants, Marcelle et Germaine à Denain. Elle trouve un refuge pour le couple à Vihiers et leurs filles les rejoignent quelques mois plus tard. A chaque fois qu’un enfant est récupéré par Léa, il est exfiltré par son oncle Simon vers Denain où il seront tous les quatres cachés jusqu’à la fin de la guerre. Henri par exemple, sera hébergé par sa nourrice, madame Elise.
- L’Union générale des Israélites de France est un organisme créé par une loi française du Gouvernement de Vichy du 29 novembre 1941 à la suite d’une demande allemande au cours de l’Occupation de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. La mission de l’U.G.I.F est d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics, notamment pour les questions d’assistance, de prévoyance et de reclassement sociale. Ces centres étaient gérés par des Juifs de l’Union Générale des Israélites de France. Ils sont responsables des enfants qui étaient dits « enfants bloqués” , c’est-à-dire, destinés à la déportation et ne pouvant être libérés.
L’arrestation et la déportation
D’après le registre d’entrée de la sous-préfecture de Paris, Léa Warech a été arrêtée le mardi 11 juillet 1944 à Paris, au 96 Avenue de la République dans le 11ème arrondissement sur son lieu de travail.
En effet, nous avons pu avoir accès aux témoignages de Mme Cécile Arthuis, la dame qui louait une chambre à Léa. Ou encore, du Dr Mejer Burstein qui a attesté des actes de résistance à plusieurs reprises. Et enfin celui de Rebecca Zeikinski, une collègue juive de Léa. Ces témoignages nous ont permis de comprendre le déroulement de l’arrestation.
Le mardi 11 juillet 1944, le jour de l’arrestation de Léa, deux hommes des autorités allemandes et françaises font une descente dans l’appartement de Léa. En cherchant Denise Klotz, ils sont tombés sur des faux papiers (cartes d’identités, passeports ainsi que des tickets de pain) qui lui appartiennent.
Ne la trouvant pas dans l’appartement, les deux hommes se rendent sur son lieu de travail. En arrivant 96 Avenue de la République au bureau de M.Coret, l’un de ces deux agents la questionne. Puis ils trouvent deux cartes d’identités et un carnet d’adresses. Ils lui demandent à quoi servent les documents. Elle répond que c’est pour ne pas partir en Allemagne. Elle essaie ensuite de s’échapper en prétextant vouloir aller aux toilettes. Ils l’en empêchent et l’arrêtent sur le champ. Si elle a voulu s’échapper, c’est qu’une employée avait son vêtement avec son étoile au porte-manteau. Elle ne voulait pas que ceux qui venaient l’arrêter le découvre et fait diversion en essayant de partir. A la suite de cela, ils la ramènent à l’appartement de Cécile Arthuis. Léa, Denise et Cécile sont arrêtées en même temps le 11 juillet 1944. Elles sont amenées 11 rue des Saussaies au siège de la Police de Sûreté Allemande. Elles sont enfermées dans un cachot. On retire à Léa ses bijoux et son argent.
Les trois femmes sont arrivées là-bas à 23h50 (selon le registre d’entrée de la Préfecture de Police de Paris). Ce soir-là, de nombreux juifs ont été arrêtés. Léa est interrogée, battue et lorsqu’on lui dit qu’elle est résistante, elle se déclare elle-même comme juive. Denise Klotz et Léa Warech ont été arrêtées lors d’une rafle, effectuée par la police de sûreté allemande. Cécile est libérée au bout de quelques heures, tandis que les deux autres femmes sont emmenées au dépôt de l’Hôtel de Ville où elles passent la nuit avec les prostituées..
Le lendemain, aux alentours de 15h elles sont transférées, probablement en car, au camp de Drancy avec de nombreux autres juifs. Classée catégorie B, à savoir immédiatement déportable, on attribue à Léa le numéro 25084.
Léa se retrouve dans un camp sans aucun repère familial ni géographique, elle est complètement perdue au beau milieu de nul part, nous étions le 12 juillet 1944. Elle reste environ une dizaine de jours, la chaleur était torride et ne parlons pas de l’hygiène de vie qui était désastreuse, elle n’a ni eau ni toilette ; les dortoirs sont envahis de punaises, la paillasse est repoussante. Les juifs français et les juifs étrangers se séparent. La vie du camp est organisée par des responsables juifs. Dans ce camp, elle vit avec les enfants et s’en occupe comme lorsqu’elle était monitrice de centre avant guerre. Elle est outrée par les relations que certains adultes entretiennent avec des jeunes filles et le leur dit.
Quelques jours ont passé, et un matin, des soldats leur ont demandé de partir et de rejoindre un autobus pour quitter Drancy et retrouver un autre lieu.
“La mort ou la liberté nous tendait la main”. [Témoignage pour l’USC Shoah Foundation, Los Angeles.]
Léa est déportée vers le camp de Auschwitz-Birkenau le 31 juillet 1944 dans le convoi n°77.
A la gare de Bobigny, ils sont tous perdus mais pas de place à la rêverie, des soldats les font rentrer rapidement dans des wagons à bestiaux sans avoir le temps de protester. Ils sont tous entassés. Les soldats remplissent le plus possible les trains, d’hommes, de femmes et d’enfants. Ils sont 60 personnes par wagon. En regardant de droite à gauche, elle voit des enfants paniqués, des mères effondrées par la situation mais elle ne ressent aucune émotion à part le vide. Le train part. Ils ne savent pas où ils vont ni pour combien de temps, ce qu’ils savent c’est qu’ils sont entassés les uns sur les autres avec seulement un seau d’eau pour eux tous réunis et un seau pour leurs besoins naturels. En guise de fenêtre, ils n’ont qu’un petit carré impossible à ouvrir mais qui apporte tout de même un peu de lumière. Léa s’est posée la question de comment ils allaient tenir dans ces conditions affreuses et cette question s’est avérée justifiée et réaliste car plus le temps passait plus les enfants pleuraient de fatigue et d’épuisement. Certains adultes sont malades ou mourants. Au fur et à mesure du voyage, le tonneau se remplit d’excréments et le seau finit par déborder et se renverse à cause des coups de frein. A partir de ce moment-là, ils ne peuvent plus rester assis, mais impossible de faire un long voyage dans ces conditions. Ils alternent toutes les 10 minutes entre une position debout et une position assise.
Dans la nuit du 2 au 3 août, les wagons s’arrêtent, ils sont enfin arrivés. Leur convoi est entré directement dans Birkenau en passant sous les portes de la mort.
Ils n’étaient encore pas sortis mais entendaient déjà les aboiements des chiens résonner, mélangés aux cris féroces des soldats allemands. Quand les portes se sont ouvertes, les projecteurs étaient dirigés sur eux et les hurlements se faisaient de plus en plus nombreux. Léa dit avoir tout de suite compris ce qui se passait. Lorsqu’ils sont enfin sortis, une odeur de chair brûlée leur est montée à la gorge. Un camion était arrêté sur la gauche et au milieu, un officier allemand se tenait debout avec un bâton. C’était le Docteur Joseph Mengele. C’est lui qui a effectué la sélection. Ils ont été séparés, les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre, chacun a suivi son chemin sans riposter, ayant peur des représailles. Léa porte un brassard rouge qui fait d’elle un personnel de santé. Elle a obtenu ce brassard à Drancy de monsieur Filderman, dentiste dans le camp. En le lui donnant il lui a dit que cela lui sauverait la vie car il y aurait une sélection à Pitchipoï (terme Yddish pour désigner “un petit monde imaginaire”, utilisé à Drancy pour désigner la destination de ceux qui partent).
“ J’ai eu la chance d’obtenir un brassard rouge que j’ai mis sur mon bras, […] j’ai été déplacée vers les femmes qui allaient entrer dans le camp.” [Témoignage pour l’USC Shoah Foundation, Los Angeles]
Dans son wagon seules deux personnes seront sauvées, Léa et un médecin de Lyon.
Auschwitz Birkenau est un camp très particulier, immense, composé d’une multitude de sections. Les hommes ont été amenés dans un espace du camp alors que les femmes sont allées dans un autre. Tous sont mis en quarantaine afin de voir s’ils n’étaient pas porteurs de maladies. Léa et les autres femmes rentrent dans une grande pièce appelée le Sauna ; sans savoir ce qui va se passer elles suivent les ordres. L’épreuve la plus difficile sans doute de toutes leurs vies, elles doivent se mettre nue devant toutes ces personnes inconnues, un sentiment de honte leur parcourt le corps. Léa est très pudique, tout comme les autres femmes qui ne sont pas habituées à ce genre de situation car dans une époque comme la leur la nudité était quelque chose de tabou. Mais personne à cet instant n’a riposté. Il fallait écouter et suivre les ordres donnés. Léa et toutes ces femmes se tenaient terrifiées et nues devant des hommes qui entraient et sortaient de la pièce. C’est pour elles l’une des choses les plus déshumanisantes qu’elles aient vécues. Elles ont ensuite dû prendre une douche, sans doute pour éviter les maladies et leur enlever toute la saleté, mais elles n’avaient aucune serviette, elles n’avaient rien ; elles sont restées mouillées à attendre qu’on leur dise quoi faire.
Puis les coiffeurs sont arrivés et les ont rasées… mais rasées dans les parties les plus intimes ! Encore un fait déshumanisant pour toutes…. Ensuite, elles ont été emmenées vers un tas de vêtements (où Léa a pris la loque d’une robe longue) car leurs propres vêtements leurs avaient été enlevés comme une marque d’abandon et de solitude puisque plus rien ne les rattachait à leur vie d’avant. C’était d’ailleurs cela que voulaient les soldats, qu’elles se sentent seules et vulnérables. Léa et les autres femmes ont ensuite été emmenées dans des blocks du camp “Zigeunerlager” (Camp des Tsiganes), qui se situait à proximité de la rampe où arrivaient les trains et près des crématoires. Elle sentait donc constamment la chaire brûlée et voyait les déportés être emmenés à la chambre à gaz dès qu’un nouveau convoi arrivait.
Dans le block dans lequel Léa a été emmenée, l’espace est occupé par des châlits à trois étages. Les femmes sontt plusieurs par lit, avec de la paille, emballée dans un tissu difforme et troué. Elles apprennent très vite que si une des femmes avec qui elles partagent leur lit se retourne en dormant, il faut que tout le monde se retourne tellement elles sont collées les unes aux autres, presque entassées.
Le lendemain matin, elles font la connaissance des déportés qui vont les tatouer par ordre alphabétique. Chaque femme est alors devenue à partir de ce moment-là un simple numéro. Léa a eu beaucoup de chance de son côté car elle est tombée sur une jeune tatoueuse hongroise qui a été très gentille et lui a fait un tatouage en tout petit, afin que ça ne se voit pas trop. Elle lui a dit ainsi qu’aux autres femmes du convoi qu’elles faisaient partie des dernières arrivées et qu’elles avaient une chance de s’en sortir. Il ne fallait donc pas que cela se voit trop. Léa a été tatouée sur le bras et est devenue à partir de ce moment-là le numéro A16 829. Léa qui parle Yiddish va savoir très vite comment le camp fonctionne par les déportées qu’elle rencontre. Les chambres à gaz, les crématoires, rien ne lui a été caché et elle l’a cru. Elle savait avant et n’a pas été surprise.Les journées passées à Birkenau étaient très semblables les unes des autres. Tout d’abord, il y avait l’appel, tous les jours, deux fois par jour et pendant minimum trois heures, parfois cela durait des journées entières.
Les femmes étaient en quarantaine et donc n’étaient pas aptes à travailler, leur simple but était de survivre, malgré tous les mauvais traitements qu’elles subissaient. Leurs journées étaient répétitives.
Tous les jours, après l’appel, les femmes restaient assises par terre pendant des heures.
Ensuite, brusquement, un coup de sifflet se faisait entendre, ce qui étaient le signe pour elles qu’il fallait se lever et courir chercher de grosses briques. Une fois que les femmes avaient récupéré leurs briques, elles faisaient des kilomètres avec, sans avoir le droit de s’arrêter.
Puis, au bout d’un certain temps, on leur faisait poser les briques avant de leur ordonner presque immédiatement de les reprendre afin de les ramener à l’endroit où elles les avaient prises. Ce travail était destiné à voir qui était capable de survivre et qui ne l’était pas.
Mais la chose que ces femmes ont subi et que la plupart d’entre elles considèrent comme la chose la plus terrible qu’elles aient vécues est la sélection. Lorsque le coup de sifflet résonnait dans la baraque, les femmes devaient se déshabiller et passaient nues devant ceux qui devaient décider si elles avaient le droit de vivre ou non. Jamais aucune femme sélectionnée n’a été revue, elles disparaissaient simplement sans aucune explication. C’était pour ça que la sélection était la hantise de tout le monde, car il n’y avait pas de raison logique pour expliquer qui méritait de vivre ou non.
Ces sélections avaient pour simple but de se débarrasser de ceux qui semblaient moins valides que les autres en les envoyant à la chambre à gaz mais aussi et surtout de plonger les femmes dans un état de terreur constant.
La survie à Birkenau est très difficile pour Léa et les autres femmes du camp.
Elles n’ont pas à manger et sont plus ou moins en bonne forme, cela dépend de chacune. Elles essaient de tenir le coup et de survivre chacune à leur manière, en volant de la nourriture, en repensant à leur vie d’avant ou en gardant simplement espoir autant que possible. Et comme nous le dit Régine JACUBERT, survivante du convoi 77, dans son interview : “Pour survivre il fallait être deux. Un fort et un faible. Deux faibles ne vivaient pas ensembles. Le fort avait besoin du faible pour survivre parce qu’il avait besoin d’une motivation, d’un but et le faible avait besoin du fort pour survivre, pour qu’on le protège.” [témoignage de Régine JACUBERT/ entretien.ina.fr]
Les femmes ont donc appris à survivre du mieux qu’elles pouvaient, en s’entraidant et en se battant pour leur survie.
En septembre 1944, Léa et d’autres femmes jeûnent pour célébrer la fête de Kippour. C’est un pied de nez au système qui essaie de la faire disparaître et un acte de résistance. Les kapos les punissent en les privant de nourriture deux jours.
A Auschwitz, Léa dit également avoir perdu la religion. “Si Auschwitz a existé, Dieu, on le cherche.” Voilà ce qu’elle déclare dans son témoignage pour l’USC Shoah Foundation, Los Angeles.
Cette quarantaine a duré presque trois mois, jusqu’au 28 octobre 1944. Trois mois de souffrances et de tortures émotionnelles et physiques pour toutes ces femmes. Trois mois durant lesquels elles n’ont jamais vu ni l’entrée ni la sortie du camp, comme si elles étaient dans un labyrinthe sans fin.
Le 28 octobre 1944, on leur a fait passer une sélection pour déterminer qui serait apte à travailler et qui ne le serait pas. Léa ainsi que d’autres femmes qui ont été jugées aptes à travailler partent vers un nouveau camp, un kommando de Gross Rosen, situé à 100 kilomètres de Prague.
Le trajet jusqu’à ce nouveau camp fut encore plus difficile, les déportés n’étaient plus 60 mais 100 par wagons, dans les mêmes wagons à bestiaux qui les avaient emmenés jusqu’à Birkenau. Beaucoup de gens sont morts au cours du voyage. Arrivées au camp, Léa et les autres femmes ont été emmenées par camion dans un petit endroit du nom de Weißkirchen, à quelques kilomètres de Kratzau.
Là-bas, elles ont été placées dans un genre de maison, un baraquement en face des cuisines. Elles dormaient sur des châlits à trois étages, comme à Birkenau.
Le matin, ces femmes avaient un soi-disant café qui n’en était pas vraiment un avec un morceau de pain et le soir, en rentrant, elles avaient le droit à une soupe à l’eau et une ou deux pommes de terre à l’eau. Voilà le peu qu’on leur accordait après des journées ou des nuits de 12 heures de travail.
Chaque jour, on obligeait les femmes à se mettre par rang de cinq à l’appel avant de les laisser partir travailler.
Léa et les autres doivent faire quatre à cinq kilomètres afin d’arriver à Kratzau pour exercer le métier qu’on leur avait attribué. Différents métiers ont été imposés aux femmes et Léa est envoyée dans une usine de munitions.
Les conditions dans ce camp sont différentes de ce que les femmes ont vécu à Birkenau. Elles travaillent dur, ont peu à manger, la maladie est là et il y a des poux de corps énormes. Leur hygiène de vie est médiocre, voire inexistante et leur conditions de vie sont effroyables, invivables. Mais il n’y a plus de sélection. Les gens meurent de faim, de froid, de maladie, du travail mais plus de la sélection, ce qui est un très grand soulagement pour beaucoup de monde, débarrassés de la peur, de l’angoisse d’être sélectionnés pour être exterminés sans aucune raison.
Dans ce camp, chacun se protège comme il peut, comme à Birkenau, en positivant, en se protégeant les uns les autres ou en volant par exemple car pour tenter de survivre il faut agir, ne pas se laisser abattre. Le 8 mai 1945, Léa, alors âgée de 26 ans, est libérée de l’usine de Kratzau dans les Sudètes (Tchécoslovaquie) par l’armée russe. Les conditions de détention ont été extrêmement difficiles à tel point que Léa va rester sur place pendant un mois, incapable d’être rapatriée. Lorsqu’elle va être examinée à son retour en France, elle a perdu 15 kg, a une denture défectueuse ainsi qu’un léger redent (muscles atrophiés) des membres. Néanmoins, on suppose que son état était encore bien pire à la libération de son camp. Suite à sa mauvaise condition physique, elle part pendant un mois à Monnetier-Mornex en Haute-Savoie dans une maison de convalescence recommandée par l’Hôtel Lutetia : un centre d’accueil et de contrôle des déportés. Le 1 juin 1945, elle est rapatriée par avion à Paris puis dirigée sur Valenciennes et se rend en train à Denain (une ville du Nord de la France), avec la peur de ne pas retrouver les membres de sa famille en vie. Finalement, elle les retrouve et réside chez son amie Germaine Regnier puis chez son oncle Simon Varech, habitant alors au 58 Avenue Jean Jaurès. Elle retrouve ses 4 neveux et nièces : Henri, Sarah, Monique et Danielle que Simon avait réussi à ramener en 1943.
Elle retourne ensuite à Paris chez Mme Kahn, la mère d’un ami de captivité de son frère Jacques. Là-bas, elle travaille de nouveau chez son ancien employeur Monsieur CORET qui l’a beaucoup aidée pendant la guerre.
Elle retrouve également Serge Gorfinkel qu’elle a connu avant la guerre et avec qui elle se marie à Paris dans le 16ème arrondissement, le 20 août 1945. Serge Samuel Gorfinkel exerce la profession d’ingénieur aéronautique. Il est né à Kovno ou Kaunas, une ville au centre de la Lituanie.
Serge était un ami intime de la famille ayant effectué les mêmes études à Gand (Belgique) que Abel Simenov, le père de Danielle et Monique. Serge a été lui aussi déporté dans le camp d’Auschwitz par le Convoi 70 du 27 mars 1944. Grâce à son mariage, Léa Gorfinkel obtient la nationalité française. “Je me suis mariée avec un déporté parce que j’avais 3 enfants à charge […] Il n’y a qu’un déporté qui pouvait le faire et personne d’autre. […] J’ai fait un mariage pour que les enfants soient bien aussi. Mon mari était terriblement bien : c’était un déporté, il comprenait les choses, il était obligé.” – Extrait du témoignage de Léa Warech pour l’USC Shoah Foundation, Los Angeles. Ainsi, ils partagent énormément de choses à l’instar de la déportation, de la religion juive ou encore de leur déracinement en France.
Le jeune couple s’installe d’abord à Paris et Monsieur Coret leur loue un appartement au 120 Rue Nollet dans le 17ème arrondissement.
La famille rejoint Denain début 1948 et ouvre un magasin de confection au 186 rue de Villars : la Bonneterie Centrale à deux pas du magasin de Jacques : Chaussures Charles et déménagent de leur ancien domicile au 58 avenue Jean Jaurès. Serge renonce alors à son métier pour reprendre le magasin avec Léa, lui, faisant les marchés et elle, s’occupant de la boutique.
Serge décide d’arrêter les marchés pour raisons de santé et la famille déménage en 1966, elle rejoint Douai et s’installe au 40 rue de Bellain. Le couple décide alors de prendre un petit magasin (La Maison du Tricot) en location à Douai, rue de Belain (tout en conservant la Bonneterie Centrale). La vie reprend doucement son cours et Béatrice, le premier enfant de Léa et Serge naît le 5 juin 1947 à Paris. Le 2 janvier 1955, naît leur deuxième enfant : Marc à Neuilly sur Seine (92).
Béatrice exerce la profession de psychologue. Elle se marie en 1969 avec Isy NEUMAN qui est médecin gynécologue et ils partent vivre à Metz. Marc, quant à lui, après avoir obtenu une licence en droit à Lille exerce la profession de notaire. Il se marie à Douai avec Esther HALFON en septembre 1977. De leur union, naît Steve en mai 1980 et Michael en octobre 1984.
Léa reste très proche de son neveu et de ses nièces devenus adultes. Par exemple, Danielle se marie en 1964 et vient habiter à Denain avec son époux Raymond MITNIK.
A 65 ans, Serge décède d’un infarctus. Béatrice et son mari retournent à Douai pour aider Léa qui devait alors gérer seule 3 magasins de prêt à porter. Béatrice décède d’un cancer du pancréas à 28 ans laissant 3 enfants en bas âge : Sacha, Franck et Sabine. Léa les élèvera avec Isy.
Jusqu’en décembre 1990, Esther travaille avec Léa dans les deux magasins de Douai.
La reconnaissance de son statut de déportée politique et de déportée résistante
Dès 1946, Léa s’adresse au Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés (qui deviendra le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre) afin d’obtenir le statut de déporté politique. Elle doit réunir un certain nombre de documents afin de justifier de son arrestation, déportation et internement. Elle obtient son statut et sa carte de déporté politique en 1952, celle-ci portera le numéro 215900145.
Ministère des anciens combattant et victimes de la guerreRépublique Française
Délégation Interdépartementale de Lille
Le 4 Juillet 1953
DÉCISION portant attribution du titre de déporté politique
Le Ministre des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre décide d’attribuer le titre de déporté politique
à Madame Gorfinkel Léa
né le 2 Octobre 1919 à Zaklikow (Pologne)
domiciliée à Denain 186 Rue de Villars
Période d’internement prise en compte : 11 Juillet 1944-31 Juillet 1944
Période de déportation prise en compte : 1 Août 1944- 31 Mai 1945
Carte N° 215900145
Pour le Ministre et par délégation le Délégué Interdépartemental
En plus du statut de déporté politique, elle fait la demande d’obtention du statut de déporté résistante en 1952, ce qui deviendra un long combat pour elle.
En effet, en 1958, elle renouvelle sa demande concernant le statut de déporté résistante (son dossier comprenant alors 9 pièces). Mais néanmoins, un gros problème se pose : Léa ne possède pas de certificat d’appartenance à un réseau de Résistance affilié…c’est d’ailleurs ce qui posera souci lors de ses demandes car elle ne disposera jamais de pièces suffisantes ou nouvelles pour compléter son dossier et obtenir ce statut de déporté résistante. Effectivement, après la guerre de nombreuses personnes tentaient une demande de statut de déporté résistant puisque celui-ci permettait un versement d’allocation. Le ministère contrôlait fortement ces demandes et exigeait une preuve d’appartenance à la résistance.
Plus tard, vers le mois de septembre, le service des déportés et internés demande au Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre de plus amples informations se basant notamment sur l’audition de Madame Cécile ARTHUIS, Monsieur le docteur BURSTEIN ainsi que celle de Madame ZEIKINSKI.
En effet, Cécile Arthuis, Monsieur Burstein et Madame Zeikinski, déclarent qu’elle a fait acte de résistance pour prouver le statut de Léa en tant que Résistante. Ainsi, on apprend que Léa a rendu de nombreux services comme distribuer de faux papiers aux personnes dans le besoin tels que des cartes d’identité, certificats de domicile, tickets de pain … ou héberger chez elle des personnes recherchées par la « Gestapo ».
73 rue de la Roquette
Paris 11e
Je soussignée, Madame Zeikinski, Veuve de déporté, demeurant 73, rue de la Roquette à Paris 11e, certifie sur l’honneur que :
Madame Lea Gorfinkel née Warech sous le nom de Suzanne Roche
m’a remis en novembre 1943 – 3 cartes d’identités, pour mes parents et moi-même,à titre absolument gratuit.
J’affirme, en outre, que Madame Gorfinkel a rendu de nombreux services, toujours à titre gracieux, notamment elle a procuré des appartements à des personnes vivant clandestinement, ceci de 1942 à la date de son arrestation le 17 juillet 1944.
Paris, le 10 mars 1958
Malheureusement à l’été 1962, le Ministre refuse de lui accorder le titre de déportée résistante car ses activités n’ont pas pu être assimilées à des actes de résistance prévus à l’article 2 du décret du 25 mars 1949 car Léa est « seulement venue en aide à des Juifs ».
Léa se voit donc une nouvelle fois refuser l’attribution du statut de déporté résistante par le Ministère des anciens combattants et victimes de guerre, le 7 août. Ce refus est justifié, car “ il n’est pas établi, par les éléments du dossier, que la déportation ait été motivée par un acte qualifié de résistance à l’ennemi au sens du statut des déportés et internés résistants”. C’est une nouvelle, alors très décevante pour elle, qui a défendu des valeurs de solidarité (elle dit notamment dans son témoignage être venue “en aide à sa communauté”).
7 Août 1962
Madame,
J’ai l’honneur de vous faire connaître que votre demande d’attribution du titre de déporté résistante n’a pu être accueillie favorablement.
Je vous adresse ci-joint signification la décision prise après avis de la Commission nationale des Déportés de la Résistance.
Je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments distingués
Pour le Ministre
Le directeur des Statuts et des Services Médicaux
Ayant été confrontée à l’administration, exigeante, ce refus a constitué un regret pour le restant de sa vie. Elle n’a en effet pas réussi à prouver son appartenance à un réseau constitué.
La fin de sa vie
Le 31 décembre 1990, Léa prend sa retraite, ferme son dernier magasin 40 rue de Bellain à Douai pour aller vivre pendant 6 mois à Cannes puis très vite à Paris au 106 avenue de Suffren où elle décédera le 1er Septembre 2009.
Marc, son fils, demande la médaille du Mérite et Léa l’obtient à titre posthume. Il s’agit alors de la première reconnaissance de ses actes de résistance pendant la guerre.
Léa Warech, surnommée par ses camarades de déportation : “la Grande Suzanne”, était une femme forte, courageuse et un exemple pour nous tous. Elle avait de nombreuses valeurs : du courage, de la vaillance, de l’honnêteté et de la droiture.
Nous remercions :
- Marc Gorfinkel
- Danielle Simenow
- Arlette Gotainer
- Ainsi que toute la famille de Léa
- Elissa André
- Olivier Guivarc’h
sans qui nous n’aurions jamais réussi à mener ce projet à terme.
Nous avons été plus qu’heureux de transmettre et retranscrire l’histoire de la vie de Léa. Cela a constitué un réel travail d’histoire et de mémoire qui est notamment passé par un complexe exercice d’analyse d’archives. En outre, le contact avec les membres de sa famille nous a permis de mieux comprendre certains points.
Léa Warech est un exemple pour nous tous, un modèle à suivre quant à son dévouement pour les autres. Elle doit nous inspirer dans notre vie de tous les jours. Lorsqu’à la fin de son témoignage, il lui est demandé ce qu’elle souhaite aujourd’hui, Léa répond :
“Qu’Auschwitz n’existe plus, que la méchanceté n’existe plus.”
« Vidéo en format mp4 de 14 Mo de la trajectoire de Léa WARECH est hébergée sur le site Média de l’Académie de Nantes »
Classe de TG02 : Enora AOUSTIN, Loane AVRIL, Marion BINARD, Mélissa BIREMONT, Candice BOISSONNOT, Clémentine BOUILLAND, Matthieu BRISSON, Céline CAN, Nathan CHEMIN, Jeanne CHEVALIER, Elise DAVID, Ilhem DERRECHE, Diarra DIOP, Yann GABARD, Chloé GUINARD, Sarah HAZEM, Agathe JANNIC, Lisa KUNZ, Aline LAFONT, Chloé LAOUAOUDJA, Sofène LAVOQUER, Léna LEDUC, Mylène MARTINEZ, Jade MAUGERE-OLLIVIER, Alyssa MEUNIER-HUVILLIER, Chloé MONNIER, Titouan RIO, Lou-Ann RIVRON, Dylan SOYDEMIR
Elissa ANDRE, professeure d’histoire-géographie
Olivier GUIVARC’H, professeur-documentaliste
Ressources :
Service Historique de la Défense, Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains [DAVCC], Caen :
DAVCC Caen, dossiers de Léa WARECH [21 P 617493], Elka WARECH [21 P 549271], Joseph WARECH [21 P 549273], Brandla WARECH [21 P 549270], Fajga WARECH [21 P 549272], Malka WARECH [21 P 539092], Sarah WARECH [21 P 601734], Sura WARECH [21 P 457556], Chaïa GOTAINER [21 P 457555], Henri GOTAINER [21 P 617657], Abel SIMENOW [21 P 539091], Danielle SIMENOW (21 P 599128], Dossier Stalag XIa [21 P 3001]
Archives Nationales [AN], Pierrefitte-sur-Seine :
Archives Nationales [AN], Pierrefitte-sur-Seine : Fichier Drancy-Beaune-Pithiviers : Henri GOTAINER F9/5744, Abel SIMENOW F9/5770, Danielle SIMENOW F9/5747, Monique SIMENOW F9/5747, Brandla WARECH F9/5736, Léa WARECH F9/5736, Sarah WARECH F9/5748
Archives Nationales [AN], Pierrefitte-sur-Seine : dossiers d’aryanisation du Commissariat Général aux Questions Juives : Abraham GOTAINER AJ38/4838-dossier2419 ; Chaïa GOTAINER AJ38/4870-dossier10666 ; Simon WARECH AJ38/4814-dossier1741 consultés sur microfilm.
Archives International Tracing Service, Bad Arolsen
ITS Bad Arolsen : copies des originaux des listes du convoi 8 du 20 juillet 1942 (Angers-Auschwitz) et convoi 46 du 09 février 1943 [Drancy-Auschwitz]
Archives du Nord [ADN], Lille :
- Annuaires Ravet-Anceau de 1931, 1932, 1933, 1934, 1935, 1939, partie Denain
- Spoliation des commerces ADN 67W45145-2, ADN 67W45148, ADN 67W45146 et ADN 67W45153
- Dossiers de commerçants étrangers :
Abram GOTAINER 1035W20, Chaïa GOTAINER 1035W20, Sura GOTAINER 1035W20,
Brandla WARECH 1035W52, Joseph WARECH 1035W20 - Dossiers d’étranger : Chaïa GOTAINER 321W115396, Brandla WARECH 321W115396, Joseph WARECH 321W115396, Sura WARECH 321W115396
- Enseignement : registres du certificat d’études et brevet élémentaire de l’Inspection Académique du Nord, 1932, 1934, 1939 [ADN 1899W12, ADN 1899W14, ADN 1899W129]
- Etat civil : actes de mariage [ADN 3E17452, ADN 3E4475 et ADN 3E17543]
- Militaire : registre matricule d’Itchok WARECH [ADN 1R4105]
- Dossiers de demande de naturalisation : Joseph et Brandla WARECH [ADN 448W139530], Abel SIMENOW [ADN 448W139994], Fajga WARECH [ADN 448W139902]
Archives Départementales du Maine-et-Loire [ADML], Angers :
- Dossiers d’étranger de Brandla WARECH, Elka WARECH, Fajga WARECH, Joseph WARECH, Laja (Léa) WARECH [ADML 120W65]
- Internement Juifs Etrangers [ADML 97W39]
- Registre manuscrit du recensement avec signature de septembre/octobre 1940 [ADML 97W39]
- Registre manuscrit du recensement 1940-1942 [ADML 97W39]
- Contrôle des Juifs Etrangers [ADML 37W10]
- Tampon Juif sur cartes d’identité [ADML 97W39]
- Liste biens Juifs [ADML 37W10]
- Affiche Judische Gesellshaft 1940 [ADML 97W39]
- Contrôle présence 1941 [ADML 97W39]
- Recensement juin 1941 [ADML 97W39]
- Contrôle présence Israélites 1942-1944 [ADML 7W1]
- Insignes Juifs juin 1942 [ADML 12W41 et 97W39]
- Rafle Juillet 1942 Maine-et-Loire [ADML 97W39]
- Rafle Octobre 1942 Maine-et-Loire [ADML 97W39]
Archives Municipales de Denain :
- Registres recensement de population Denain 1931 et 1936
- Rapport du pillage du commerce de Chaïa GOTAINER à Denain durant la seconde guerre mondiale, 1967
- Mémoire des Déportés de la commune sans date [AM Denain 5H66]
Témoignages vidéogrammes :
- Témoignage de Léa GORFINKEL-WARECH [USC Shoah Foundation, Los Angeles, Etats-Unis, DVD, Pal, couleur, 52 minutes] effectué le 12 décembre 1995 par Sabine MAMOU
- Témoignage de Régine JACUBERT effectué le 18 juillet 2005 via entretiens.ina.fr : https://entretiens.ina.fr/memoires-de-la-shoah/Jacubert/regine-jacubert-nee-rywka-skorka/sommaire
Témoignages écrits :
- MITNIK Danielle : “J’avais 4 ans en 1942”
- Dossier documentaire du Musée de la Résistance en Zone Occupée DENAIN dont :
- VARECH Josiane : “La communauté juive de Denain en 1939” (1995, 3 pages)
- WARECH Josiane-Rachelle : “Denain à l’honneur d’avoir constamment servi de refuge pour beaucoup de juifs” (sans date, 11 pages)
- Compte-rendu d’un témoignage oral de Léa WARECH : “Témoignage de Léa WARECH” (sans date, 14 pages)
- WARECH Irmgard Jeannette née BRILL Compte-rendu d’un témoignage oral à l’école Anne Franck de Gütersloh, Allemagne) traduit de l’allemand en septembre 1955 [1993, 6 pages]
Photographies :
- Auschwitz-Birkenau : photographies personnelles
- Denain et Vihiers : photographies personnelles
- Portraits et photos de la famille: Marc GORFINKEL et Musée de La Coupole.
This biography of Léa WARECH has been translated into English.
Merci à vous tous pour ce magnifique travail et l’hommage incroyable que vous avez accordé à ma grand mère. Je ne mettrai jamais en cause la reconnaissance, l’amour et la fierté que j’ai envers ma grand mère mais qu’un tel hommage et travail lui ait été dédié me touche sincèrement. Alors à tous, je vous remercie. Et merci de permettre à mes enfants de decouvrir qui etait leur arrière grand mamie.
Magnifique travail.
Un détail : Léa a été nommée chevalier de l’ordre national du Mérite, le 14 mai 1998, soit de son vivant.
« Mme Gorfinkel, née Warech (Laja), déportée et ancienne commerçante ; 50 ans d’activités professionnelles et de services militaires. »
Steve GORFINKEL, contactez-nous à C 77… par le biais de ce site, cela nous ferait plaisir !
Bonjour à toutes et tous
Je tiens à vous féliciter et vous remercier pour ces travaux historiques et émouvants dont j’ai été destinataire par Annie Baumard et Jean-Louis Godet de Vihiers avec qui je partage l’attrait pour l’histoire locale.
Mais par ailleurs, M. Pierre Monéger, métier ferblantier, venu de l’Aveyron, cité dans l’article est le père de mon oncle Paul Monéger (époux d’Aline Reveillère, soeur de mon père), les 2 familles Reveillère-Monéger étaient proches depuis plusieurs décennies, habitaient à 20 mètres l’une de l’autre, toutes les 2 artisans, puis unies par le mariage en 1947 de mon oncle et ma tante paternelle. J’ai transmis l’étude à la famille Monéger. Pierre Monéger a aussi été très actif pour cacher des jeunes réquisitionnés pour le STO et des militants communistes de la région parisienne.
Dans l’étude est citée « Ils finissent par s’arrêter à Vihiers et s’installent dans quatre maisons. » : j’aurais été intéressé par des informations, si elles existent, sur ces 4 maisons hors la Maison Monéger car mes grands parents ont hébergé 1 ou des familles au 2 montée St Michel, à 30 mètres de la maison Monéger, rue de l’école (actuellement boulangerie Sellier). Et il y a peut-être un lien.
Un petit détail « Dans ce village il n’y a pas d’Allemand. » : je laisse bien sur les historiens vérifier ce point; mais, à ma connaissance, des Allemands ont été présents toute la guerre à Vihiers, des officiers et bureaux 40 rue Nationale et en particulier, des soldats allemands dormaient au-dessus de l’atelier de menuiserie de mon grand-père, rue du Minage, à 30 mètres de la maison Monéger, « l’une de 4 maisons ».
Encore une fois un grand bravo aux jeunes et à leurs professeurs.
Loic REVEILLERE – 1 place du Minage VIHIERS