Marcel MICHEL (1907-1944)
Photo ci-contre prise en Normandie dans la propriété de l’amie de Monsieur Marcel MICHEL, Denise MARTY.
Marcel MICHEL a vu le jour le 3 août 1907 à 11h30 au 26 rue d’Abainville à Gondrecourt (Meuse) où étaient domiciliés ses parents. C’était le deuxième enfant de la famille, une sœur, Germaine, était née en 1903.
Le 26 rue d’Abainville à Gondrecourt le Château (Meuse) où est né Marcel MICHEL, début XXè s
Le 26 rue d’Abainville à Gondrecourt le Château (Meuse) aujourd’hui.
Les parents
Lucien MICHEL, le père de Marcel, est né en Meurthe et Moselle, dans le petit village d’Avrainville, en 1872. Sa mère, Irma BLOCH, est née aussi en Meurthe-et-Moselle, à Lunéville, en 1877. Ils se sont mariés en 1901 à Nancy.
Le passé militaire de Lucien est fourni : il a été incorporé au 106e Régiment d’Infanterie de 1893 à 1896. Mais, entretemps, il a fait partie de l’expédition de Madagascar de 1895, du 6 avril au 30 novembre. Cette guerre conduira à l’annexion de Madagascar en 1897. Selon sa petite-fille, que nous avons pu retrouver, Lucien aurait reçu une médaille après avoir sauté à l’eau pour sauver un cheval qui était tombé du bateau et qui était en train de se noyer. Puis, la première Guerre Mondiale éclate, Lucien est mobilisé en août 1914. Il passera au 138e Régiment d’infanterie en 1916 et, en 1917, au 61e puis au 85e Régiment d’infanterie territoriale. En 1918, on le retrouve au 5e régiment du Génie avant d’être démobilisé le 11 janvier 1919, il a alors 47 ans.
Entre les deux périodes militaires, au début du XXe siècle, l’annuaire de Gondrecourt nous indique que Lucien était établi comme marchand de bestiaux, associé avec son frère Julien dans un premier temps, puis seul. Nous avons retrouvé trace, aux archives de Bar-le-Duc, de plusieurs baux à cheptel. Le bail à cheptel est un contrat par lequel le propriétaire d’un troupeau, le bailleur, donne une partie de ses bêtes à garder, à nourrir et à soigner à un preneur. Ce dernier avait droit à la moitié du croît et à la moitié de la perte. Ainsi, Lucien a signé, en 1901, un bail à cheptel avec Monsieur Dourche pour une vache estimée à 225 francs. Julien, son frère, a quant à lui signé un bail à cheptel pour deux vaches de cinq ans, deux veaux et neuf brebis pour une valeur de 1110 francs.
À partir de 1910, nous retrouvons la famille MICHEL en région parisienne, à Rueil (Hauts-de-Seine), tout d’abord au 14 Impasse des Chateaupieds puis, après les inondations de 1910, la famille déménage au 9, rue Haute. Pourquoi avoir quitté la Meuse ? Selon sa petite-fille et son arrière-petit-fils que nous avons pu retrouver, Lucien aurait fait de mauvaises affaires. Il aurait misé tout son argent dans l’achat de chevaux qui sont tous morts de maladie. Le couple a donc été ruiné, Lucien se serait alors fait engager à l’Arsenal de Rueil qui abritait des activités de montage d’artillerie et de chars de combat, ainsi que des ateliers de réparation, durant la Première Guerre Mondiale.
Le couple arrive donc à Rueil, devenu depuis 1928 Rueil-Malmaison, avec deux enfants, Germaine et Marcel. Ils auront deux autres filles : Yvonne née le 31 janvier 1912 et Renée Clémentine née le 7 août 1914.
Irma, la mère de Marcel Germain, est restée mère au foyer, elle a élevé tous les enfants de ses filles : il y a deux filles et deux garçons dont nous avons pu retrouver les actes de naissance et/ou de décès. La petite-fille retrouvée nous a également appris que sa grand-mère Irma avait falsifié son nom de naissance pendant la seconde guerre mondiale, en 1940, afin de masquer ses ascendances juives : son nom Bloch est devenu BlochET.
Marcel (second prénom Germain) MICHEL
Sur son livret militaire, Marcel Michel est décrit comme un homme d’1m76 au teint mat, aux cheveux châtain clair, aux yeux verts avec un visage ovale, un petit front, un menton saillant, un gros nez et des lèvres épaisses. Il est noté également qu’il a un niveau d’instruction 3, c’est-à-dire qu’il possède « une instruction primaire plus développée ».
Marcel MICHEL photo anthropométrique liée au statut de forain
Son passé militaire
Marcel Michel est de la classe 27, matricule 5354. Il effectue son service militaire au 129e régiment d’artillerie lourde hippomobile le 14 novembre 1927. Puis, la commission de réforme de Langres le réforme temporairement le 16 décembre 1927 pour raison médicale ; il souffre d’une hydrocèle et sera opéré dans le civil. Il revient dans ce régiment, en tant que 2e canonnier, à partir du 18 décembre 1928. Il sera à nouveau hospitalisé à l’hôpital militaire de Chaumont du 18 au 22 décembre 1929. Il sera maintenu au corps par mesure disciplinaire durant 25 jours puis sera renvoyé dans ses foyers le 19 avril 1930. Un certificat de bonne conduite lui sera accordé.
La Seconde Guerre mondiale éclate, c’est la mobilisation générale. Il rejoint le 18 octobre 1939 le centre de mobilisation d’artillerie 341 de Fontainebleau. Puis, le 30 décembre 1939, il sera affecté au dépôt du 22e BOA, Bataillon d’Ouvriers de l’Artillerie à Vincennes. Ce bataillon n’était pas destiné à partir sur le front, c’était un dépôt de guerre de l’intérieur.
Le livret militaire de Marcel MICHEL mentionne également quelques démêlés avec la justice : le 28 juillet 1926, le Tribunal correctionnel de la Seine le condamne une première fois à 15 jours de prison avec sursis pour outrages et voies de fait envers un citoyen chargé d’un ministère de service public. Puis le 12 avril 1927, ce même tribunal le condamnera à 25 francs d’amende pour « outrages à agent ».
Ses métiers
Le livret militaire signale le métier d’ardoisier en 1927, alors qu’il habitait avec sa famille au 9, rue Haute, à Rueil.
Puis, en 1932 et 1933, la Préfecture de police de Paris signale qu’un carnet d’identité de marchand forain a été délivré à Monsieur Marcel MICHEL. Ce dernier habitait alors 9, avenue de Taillebourg dans le 11e arrondissement de Paris.
Une loi du 16 juillet 1912 réglementait effectivement l’exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades. Ces derniers étaient répartis en trois catégories : les marchands ambulants, les forains et les nomades. Cette loi prescrivait aux commerçants ambulants de déclarer leur activité en préfecture ; les forains devaient, pour leur part, posséder un carnet d’identité ; enfin, les nomades, c’est à dire les personnes non sédentaires n’entrant pas dans une des deux catégories précédentes, devaient être titulaires d’un carnet anthropométrique individuel, visé dans chaque commune de stationnement.
Il s’agissait pour le gouvernement Fallières de contrôler les déplacements illicites, en enregistrant la majeure partie des personnes régulièrement présentes sur les routes.
L’hygiène apparaissait comme un volet important dans ce contrôle des « non sédentaires». En effet, la loi de 1912 a soumis cette population à tout un train de mesures spéciales concernant la vaccination antivariolique et les mesures générales de prophylaxie. Les demandeurs devaient ainsi fournir un certificat constatant qu’ils étaient vaccinés, ou revaccinés contre la variole avec succès depuis moins de 10 ans. Par ailleurs, le décret du 3 mai 1913 prévoyait la possibilité pour le maire de faire vérifier l’état de santé du forain ou du nomade, ainsi que des personnes l’accompagnant, dès leur arrivée dans sa commune. Il pouvait également faire procéder à la visite des véhicules et des roulottes en vue de s’assurer du respect des règles de salubrité. (source : https://francearchives.fr)
Nous n’avons pas retrouvé le carnet forain de Monsieur Marcel MICHEL mais nous avons pu nous procurer, grâce à Monsieur Nomdedeu, bénévole à l’association Fil d’Ariane, une copie du carnet d’identité de Fernande Duperriet, marchande foraine en 1933 (voir annexe carnet identité forain). On peut lire dans les pages de ce document les sanctions applicables en cas de défaut de déclaration en préfecture et de présentation dudit carnet : amendes voire emprisonnement. Les photographies d’identité étaient également réglementées : pour les forains, elles doivent « être de profil (côté droit) et avoir une dimension de 3 à 4 centimètres mesurée de l’insertion des cheveux à la pointe du menton ». On peut ainsi constater sur la photographie ci-dessus que Monsieur Marcel MICHEL a bien été photographié selon son profil droit sur la notice individuelle de la Préfecture.
Puis, en février 1938, on retrouve Monsieur Marcel MICHEL inscrit au registre du commerce comme vendeur d’articles de Paris sur les marchés. Il habitait alors au 58 rue de Buzenval, dans le quartier Charonne du 20e arrondissement de Paris. Sa nièce nous a confié que Marcel était « un vendeur à la sauvette, il pouvait aussi bien vendre des bananes un jour que de la porcelaine un autre jour« . Son métier lui permettait de beaucoup voyager sur le territoire français et comme il adorait les enfants, il rapportait souvent des babioles à ses neveux et nièces.
Fiche activité commerciale de Marcel MICHEL 1938
Lui-même n’a jamais eu d’enfant. Il avait une petite amie du nom de Denise MARTY avec qui il vivait au 40 rue de Picpus dans le 12e arrondissement de Paris. Celle-ci possédait une propriété avec des chevaux en Normandie et Marcel, qui aimait beaucoup les chevaux, s’y rendait assez souvent. Sa nièce nous a fait parvenir une très belle photographie de Marcel MICHEL prise dans cette propriété, on y voit un homme habillé très élégamment en costume, cravate et canotier. (photo en exergue de la biographie)
Son arrestation de 1942 et son évasion
Nous ne savons pas où, ni comment, Monsieur Marcel MICHEL a été arrêté en 1942, par contre nous savons qu’il a été interné au camp de Drancy le 14 novembre 1942. Il était en possession d’une somme assez conséquente, 2900 francs, somme qui a été remise, par mandat, à Mademoiselle MARTY le 9 décembre 1942. Ces documents nous apprennent également que Monsieur MICHEL était interné au Bloc V, escalier 20, chambre 9 de la cité de la Muette. Les élèves du lycée Zola ont pu repérer cet endroit sur la maquette exposée au camp de Drancy.
Camp d’internement de Drancy, maquette, vue d’ensemble
Camp d’internement de Drancy, maquette, vue du bâtiment où a séjourné Marcel MICHEL en 1942, avant son évasion.
La fiche de Drancy nous indique également que Marcel MICHEL s’est évadé du camp le 17 décembre, soit un peu plus d’un mois après son arrestation. Dans une lettre que m’a fait parvenir sa nièce, nous apprenons qu’il s’est évadé par les égouts (selon la guide conférencière de Drancy, Monsieur Michel devait certainement être affecté à des travaux en dehors du camp lors de son évasion). Les noms de rues indiqués dans les égouts lui ont permis d’arriver jusque chez sa tante de Vincennes, Yvonne. Il était alors dans un triste état. Une voisine l’a vu, elle fréquentait l’occupant mais n’a cependant rien dit. « Cela pouvait encore arriver quelquefois » nous a encore confié sa nièce.
Marcel MICHEL fiche premier internement 1942 avec mention évadé
Dans le rapport du camp d’internement de Drancy de décembre 1942 émanant de la Préfecture de police, nous pouvons noter qu’à cette période, l’effectif total du camp était de 3031 détenus. Les mouvements indiquent que 926 personnes ont été arrêtées en décembre, 148 ont été libérées, 86 réintégrées dont 1 évadé repris. Sur la page suivante de ce rapport, on peut constater qu’il y a eu 3 évadés en décembre 1942, Monsieur Marcel MICHEL faisait partie de ce contingent.
Dans le rapport suivant, des mois de janvier et février 1943, nous pouvons constater les conditions d’internement déplorables vécues par ces hommes et ces femmes au camp de Drancy : ration quotidienne insuffisante, 350 indigents pour cause de manque de vêtements, les chambrées infestées de poux et de punaises ce qui entraîne une augmentation du nombre de pouilleux et de galeux, literie en mauvaise état. Et que dire de cette phrase du commandant du camp d’internement adressée au Directeur des affaires administratives de police générale, en date du 28 octobre 1942 : « Cette population de passage qui sait qu’on la dirige vers une destination inconnue a, ou acquiert, une mentalité déplorable. Elle détériore, salit ou dérobe les objets mis à sa disposition » !
Son arrestation de 1944 et sa déportation
Monsieur Marcel MICHEL a de nouveau été arrêté le 13 juillet 1944. Bien que domicilié à cette époque 40, rue de Picpus dans le 12e arrondissement de Paris, plusieurs documents indiquent « Moneiville » ou « Mondeville » dans le Calvados comme lieu d’arrestation. Était-il de passage dans la propriété que Denise Marty possédait en Normandie ? La somme récupérée sur lui et indiquée sur la fiche d’internement au camp de Drancy, 6 507 francs, peut aussi nous faire penser qu’il était en Normandie pour son travail. A-t-il été arrêté alors qu’il vendait ses marchandises sur un marché de Mondeville ? Les recherches effectuées aux archives de cette commune et du département ne nous ont pas permis d’obtenir de plus amples renseignements sur cette arrestation. La famille, quant à elle, pensait qu’il avait été arrêté dans un bar proche de son domicile parisien.
Toujours est-il que Marcel MICHEL se retrouve une seconde fois interné à Drancy à compter du 15 juillet 1944 sous le matricule 25190. Une fiche rédigée en allemand nous indique qu’il a été déporté au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz le 31 juillet 1944. Cette fiche reprend les coordonnées de Marcel MICHEL, date et lieu de naissance et porte la mention « Juif ». Ce convoi portera le numéro 77, ce sera le dernier grand convoi à partir de Drancy pour Auschwitz, il transportait plus de 1300 déportés : 726 seront gazés à leur arrivée, 291 hommes et 183 femmes seront sélectionnés pour le travail à Auschwitz ; seuls 93 hommes et 157 femmes de ce convoi survivront à cet enfer en 1945.
La Division des archives des victimes des conflits contemporains de Caen nous apprendra que Marcel MICHEL est mort lors de son transfert. Un jugement du tribunal de la Seine en date du 10 novembre 1949 a officialisé le décès de l’intéressé en date du 5 août 1944 au camp d’Auschwitz. Ce jugement a été transcrit sur les registres de l’état civil de la mairie du 12e arrondissement de Paris en date du 24 avril 1947. La mention « Mort en déportation » lui a été attribuée par arrêté ministériel des anciens combattants et victimes de guerre en date du 6 juillet 1995, publié au Journal Officiel du 6 septembre 1995.
Biographie réalisée par les élèves de CAP Employé de commerce multi-spécialités du Lycée Professionnel Émile-Zola de BAR-LE-DUC (Meuse) et leur professeur d’histoire-géographie, Mme Schweizer
Ce travail de recherches et de collectes de documents n’aurait pas été possible sans l’aide des personnes suivantes :
* M. Stéphane MARTIN, maire de Gondrecourt le Château (55)
* Mme DELABY, archives départementales de Bar-le-Duc (55)
* Archives municipales de Lunéville (54)
* Archives municipales de Nancy (54)
* Mme Clémence LEON, archives départementales du Val de Marne (94)
* M. Dominique Le Bœuf, archives départementales des Yvelines (78)
* Mme Lihourquet-Dujardin de la mairie de Rueil-Malmaison (92)
* Les archives départementales des Hauts-de-Seine (92)
* Les archives de Paris (75)
* Mairie du 12e arrondissement de Paris
* Archives départementales du Gard
* Mme Myriam Angevin, adjointe déléguée à la culture et au patrimoine d’Aigues-Vives (30)
* Division des archives des victimes des conflits contemporains à Caen (14)
* Mairie de Mondeville (14)
* Archives départementales du Calvados (14)
* Les personnes bénévoles de l’association Fil d’Ariane : Mmes Leblois, Douroux, Pechon, M. Angella et plus particulièrement M. Nomdedeu qui a fourni un travail de recherche considérable à Paris.
Nous remercions toutes ces personnes qui ont contribué activement à nos recherches aux quatre coins de la France et nous ont ainsi facilité la récupération de documents officiels.
Nous remercions également :
* M. Parisot et M. Fournier du Souvenir français, comité cantonal de Bar-le-Duc
* Le Ministère des Armées, direction des patrimoines, de la mémoire et des archives
Grâce aux subventions accordées, la classe de CAP du lycée Émile Zola a pu se rendre au camp d’internement de Drancy et découvrir ce lieu de mémoire incontournable dans l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et dans l’histoire de Monsieur Marcel MICHEL.