Régina POTZEHA
Au collège Daniel Féry de Limeil-Brévannes, cela fait plusieurs années que les professeurs essaient de mêler trajectoires individuelles et destins collectifs. Dans un premier temps, nous prévoyions de faire des recherches sur le bastion communiste de Limeil-Brévannes : les noms de ces brévannais sont inscrits sur le monument aux morts de la commune, la plaque du château et certaines rues portent leurs noms. En effet, nous savions que l’Hôpital Emile Roux avait été un lieu de résistance important, lié au communisme : Pierre le Hen est interné à plusieurs reprises durant la guerre, et rencontre Guy Môquet, sa femme Angèle le Hen est visée par le décret Nuit et Brouillard, Jean-Marie Prugnot est également déporté dans le convoi des 45000, convoi des triangles rouges ; pour ne citer qu’eux. Dans notre commune, tous les élèves fréquentent la rue Pierre et Angèle le Hen, prennent le bus rue le Naourès…
Sur le monument aux morts de la commune, seuls deux noms évoquent des familles juives: Nathan et Régine (Régina) Potzeha. Cette famille a immédiatement suscité la curiosité des enseignants et des élèves.
En effet, menant des recherches dans les bases du mémorial de la Shoah (recherche par lieu d’habitation), d’autres noms sont apparus pour totaliser une centaine de personnes dont la famille Fanchel qui sera l’objet des travaux des 3e en 2022-2023. De nombreuses autres familles juives, vivant ou réfugiées dans la commune ont été déportées et assassinées. Mais nulle trace d’eux ne subsiste. C’est cette mémoire oubliée que nous allons tenter de réhabiliter dans notre projet, notamment au travers du projet Convoi 77 et du projet Par les vivants.
Il s’agit aussi de montrer comment notre commune a été le territoire d’une constellation de destins individuels qui peut-être vont centre mêlée à certains moments. Quels ont été les rapports entre les différents personnages ? Se connaissaient-ils ? Fréquentaient-ils les mêmes lieux ? Pourquoi certains d’entre se sont retrouvés à vivre ici à s’y cacher et à y résister ? Ces questions motivent aussi notre recherche.
Régina Potzeha née Katz, est née en Russie à Tchaou (mais on trouve aussi Tchaous ou Tchaousse dans certains documents) le 5 mai 1887. Nous n’avons pas trouvé où se situait précisément cette localité mais nous supposons que cette ville correspond à Tchavoussy (Чавусы) en actuelle Bélorussie, au Nord de Kiev, qui abritait une importante communauté juive. Son nom de jeune fille Katz, signifie “chat” en russe, c’est un nom porté par de nombreuses familles juives ashkénazes.
Elle est la fille d’Israël et Malka Kopeloff épouse Katz. Son mari était Nathan Potzeha, déporté lui aussi dans le Convoi 77. Ils se sont unis le 5 janvier 1909 à Paris dans le 11e. Les témoins de Nathan étaient Émile Schweitzer, tourneur et Gustave Levillani employé. Les témoins de Regina étaient monsieur Karpoff, fourreur et Jean Kahn, également fourreur. Sa signature au bas de l’acte de mariage est très hésitante. Il est indiqué sur cet acte qu’elle était ouvrière en fourrures. Son père Israël était mort au moment de son mariage et sa mère Malka, disparue. Elle ignorait ce qu’il était advenu d’eux.
Ceux qui l’ont connue disent qu’elle a fui l’antisémitisme.
Avec Nathan, elle a eu deux enfants : Marcelle Potzeha épouse Rubin (née en 1910), commerçante, qui a vécu dans la maison de ses parents jusqu’à sa mort en 2008 et Claude Ignace Potzeha (né en 1922), employé d’assurances.
Depuis 1923, Nathan et Regina POTZEHA étaient domiciliés à Limeil Brévannes, 13 Rue de Boissy (aujourd’hui rue Roger Salengro). Elle avait été naturalisée française en 1926.
Elle était ouvrière en fourrures et son mari tailleur. Ils possédaient une situation financière aisée. Leur atelier a ensuite été repris par leur fille Marcelle et son époux Simon. A l’époque, Limeil-Brévannes est une bourgade de moins de 5000 habitants.
D’après les fichiers des « Israélites », il ressort que Madame Potzeha a été internée le 3 juillet 1944 au camp de Drancy en venant de Maisons-Laffitte et déportée le 31 juillet 1944 au camp de concentration d’Auschwitz. Il est observé qu’aucune mention n’est faite à son arrivée à Auschwitz. Ce sont les services de la Feldsgendarmerie de Corbeil qui se chargent de l’arrestation. Elle est décédée le 05 août, n’ayant pas passé la sélection.
Son fils Claude Ignace s’est blessé en sautant par la fenêtre et a miraculeusement échappé à la déportation.
Après la guerre, les archives nous apprennent que ses enfants ont reçu un pécule prévu pour les ayants-droits des déportés.
En 1946, le maire de Limeil-Brévannes, Marius Dantz, certifie qu’elle n’a pas reparu à son domicile. Ce décès a été transcrit le 3 septembre 1946 dans les registres de la mairie de Brévannes.
En 1961, ses enfants, domiciliés rue de Vouillé à Paris, accomplissent des démarches pour qu’elle soit reconnue déportée politique, ce qui est accordé en 1962. Pour cela, deux personnes ont témoigné de son arrestation en 1944 pour motif “racial”: il s’agit de monsieur Deveaux et monsieur Guy, domiciliés à la même adresse.
On trouve également des témoignages écrits attestant du dernier domicile connu de Régina. Nous savons que ses enfants ont conservé la maison de Limeil-Brévannes.
En 1962, il est reconnu qu’elle est finalement décédée le 05 août et non le 08 juillet 1944.
En 1989, cette mention est apposée sur son acte de décès.
Nous ne sommes pas capables de dire pourquoi Régina et Nathan sont inscrits sur le Monument aux Morts de la commune et pas les autres brévannais déportés. Nous pouvons supposer que c’est en lien avec l’engagement municipal de leur fille Marguerite Marcelle Rubin.
Voici comment son petit-fils, Michel, parle de ses grands-parents et de sa grand-mère en particulier :
“Un jour, juste un mois avant la fin des hostilités pour être précis, des soldats sont venus. Ils se sont emparés du grand-père, le juste, le brave, le droit, le coléreux. Hop embarqué vite fait et passé au four avec sa compagne, la farouche d’Ukraine dans le même panier pour faire bon poids.”
Ces mots ont particulièrement raisonné quand nous avons travaillé sur la biographie de Régina. A l’heure où la guerre gagnait l’Ukraine et où Limeil-Brévannes, cent ans après, accueillait de nouveaux des enfants exilés, qui se sont penchés avec passion sur l’histoire de Régina…
Projet Convoi 77 et Par les vivants, collège Daniel Féry de Limeil-Brévannes (M-A Deweerdt), construire une histoire sensible et sonore rendant compte des trajectoires individuelles et collectives.
Crédits : Wikipédia, Google Maps, Convoi 77 et photographies personnelles
Très belle recherche sur mon arrière arrière grand mère. Merci infiniment !