Roger MOHA
Cette biographie de Roger Moha a été écrite par Augustin Bled, Romane Bichet, Constance Bouyer, Tessa Chevaliez, Adriana Comelli, Apolline Crespo, Jeanne Espagne, Noé Epin, Leïla Evora Mouhssine, Bérénice Jamal El Din, Izoenn Houeix, Maé Laage, Léontine Lagarde Cech, Anaëlle Méric, Dinh Khanh Phan, Iris Pignaud, Ariane Pimpaneau, Chiara Terrazzoni et Sarah Tordjeman.
La famille Moha, originaire d’Alger se compose de Charles et Zina les parents, et de leurs quatre enfants : Berthe, Marcel, Félicie et Roger qui est l’objet de cette étude. Roger est le dernier né de la famille, il voit le jour le 13 avril 1927 à Paris, dans le Marais, rue des Nonnains d’Hyères.
On ignore la date précise de l’arrivée des Moha à Paris mais on sait, grâce aux registres d’inscriptions des écoles des enfants, qu’en 1925 ils habitent 6 rue du Figuier dans le Marais où une importante communauté juive est installée depuis le XIIIe siècle. Ce quartier est marqué par la présence de nombreuses synagogues et commerces juifs formant le Pletzl. Les Moha tiennent une épicerie rue du roi de Sicile mais cette activité ne perdure pas. Roger grandit à Paris dans un milieu modeste; son père est peintre en bâtiment et perçoit une pension d’invalidité pour avoir combattu lors de la Première Guerre mondiale, tandis que sa mère est femme au foyer.
Les Moha quittent le Marais au printemps 1928 pour le XIIe arrondissement où ils s’installent rue Abel. Cette adresse est celle de la famille pendant toute la guerre. Nous n’avons pas trouvé de traces de la scolarité de Roger. Cependant, les documents ultérieurs indiquent qu’il est apprenti mécanicien – et même mécanicien. Un centre de formation d’apprentis mécaniciens existe avant-guerre rue de Charenton, près du domicile familial, il est possible qu’il y ait étudié.
Le fichier de la préfecture de police contient une fiche au nom de Roger ainsi que de Félicie Jeanne. En revanche, les fiches des autres membres de la famille ne figurent pas dans les archives. On ne sait pas si elles ont été détruites ou si les adultes de la famille ne se sont pas fait recenser.
Roger est arrêté avec sa soeur Félicie Jeanne le 3 juillet 1944. Ils arrivent dans un commissariat de quartier à 19h10 et en ressortent le surlendemain en début d’après-midi pour être transférés à Drancy.
Madame Michèle Monet, la fille de leur sœur aînée Berthe, nous a raconté que lorsqu’elle était petite, on racontait dans la famille que Roger et Félicie Jeanne avaient été arrêtés dans la rue, au retour d’un après-midi passé à la piscine. Cela suppose que les deux jeunes aient bravé l’ordonnance allemande de 1942 interdisant l’accès des piscines aux juifs.
A son arrivée à Drancy, Roger se voit attribuer le numéro 24865 et Félicie-Jeanne le numéro 24864. Grâce aux carnets de fouilles du camp, on sait que Roger détenait la somme de 612F, remise à l’Administration. C’est une somme relativement importante pour un jeune apprenti mécanicien qui représente environ la moitié du salaire mensuel d’un ouvrier. Roger est interné dans la chambre 4 escalier 19, Félicie chambre 3 escalier 19, ils restent donc proches.
Charles et Zina ses parents, son frère Marcel ainsi que Colette, la fiancée de ce dernier, sont quant à eux arrêtés un peu plus tard, le 27 juillet et conduits à Drancy. Berthe, l’aînée des enfants, échappe miraculeusement à l’arrestation. Madame Michèle Monet, sa fille nous a confié ce témoignage : « La vie est incroyable, car pendant que mon grand-père et la Gestapo se rendaient à la gare, maman qui était à la moitié de sa grossesse (je suis née en Novembre de cette même année) s’est acheté une petite tablette de chocolat et, ne voulant rencontrer personne en chemin, elle choisit de prendre une autre route pour déguster son chocolat.… C’est une voisine qui l’a prévenue et l’a cachée pendant quelques temps chez elle. Sa vie n’a tenu qu’à un simple morceau de chocolat. »
Les conditions de détention à Drancy sont très difficiles. Charles et Marcel sont placés dans la
chambre 4 de l’escalier 18, Zina et Colette dans la chambre 2. D’après le témoignage de madame Lévy, présente dans le convoi, il se dit dans le camp que les prisonniers détenus à Drancy vont être envoyés en Allemagne pour travailler. Le 31 juillet, le convoi 77 part pour Auschwitz-Birkenau. A son bord, 1309 juifs, dont Roger et sa famille (sauf Berthe et Colette la fiancée de Marcel, libérée quelques jours plus tard). Il y a plusieurs contestations mais le matin du départ, à 8 heures, tout le monde est joyeux et on chante pendant le trajet de 5 minutes jusqu’à la gare de Bobigny. L’ambiance s’assombrit très vite dans les wagons à cause des conditions de transport inhumaines accentuées par la chaleur de juillet. La soif, la faim, la promiscuité ont été décrits par les survivants.
Le convoi arrive à Auschwitz-Birkenau dans la nuit du 2 au 3 août. Roger, Félicie-Jeanne et Marcel sont « sélectionnés » et entrent dans le camp pour y travailler. Roger âgé de seulement 17 ans n’aurait théoriquement pas dû entrer dans le camp. Les documents ultérieurs établis par les autorités nazies indiquent une date de naissance erronée (1925 au lieu de 1927). Roger a donc menti sur son âge véritable ce qui lui a permis d’échapper à la mort immédiate. En revanche, Charles et Zina ont très probablement été assassinés dès leur arrivée.
Après son arrivée à Auschwitz, on perd la trace de Roger pendant quelques mois. A une date inconnue, il est transféré à Gross Rosen, dans l’ouest de l’actuelle Pologne qui est un complexe industriel énorme qui comprend presque une centaine de sous-camps. En janvier 1945 à l’approche des troupes soviétiques qui libèrent le camp principal le 13 février 1945, les Allemands l’évacuent ainsi que d’autres sous-camps. Environ 40 000 prisonniers dont Roger subissent alors l’épreuve terrible des marches de la mort vers l’ouest. Il arrive à Buchenwald le 10 février 1945.
Ce camp créé en juillet 1937 près de Weimar, en Allemagne était destiné initialement à enfermer des opposants au Troisième Reich. Roger y est enregistré sous le numéro 124949. Le 6 mars Roger se rend une première fois à l’infirmerie du camp. La fiche établie à cette occasion indique qu’il souffre d’une diarrhée sévère. Il y retourne les 11 et 13 mars. On note que sa dentition est incomplète, et qu’il ne pèse, habillé, que 48 kg pour 1 mètre 70. Il est donc dans un état de faiblesse extrême, ce qui explique qu’il se soit rendu au Revier, dont on connaît la sinistre réputation.
Les troupes américaines libèrent le camp le 11 avril 1945. Roger figure sur une liste établie à ce moment (la date exacte ne figure pas sur le document). Son état de faiblesse extrême a entrainé sa mort sans doute peu après l’arrivée des Américains. Roger venait d’avoir 18 ans.
Sources
- Témoignage de Madame Monet
- Archives Arolsen
- Archives Mémorial de la Shoah
- Archives SHD
- Jean LALOUM, « Des Juifs d’Afrique du Nord au Pletzl ? Une présence méconnue et des épreuves
oubliées (1920-1945) », Archives Juives.
J »ignorais qu’une équipe scolaire avait été formée pour retracer la vie de Roger Moha, mon oncle. J’en suis ravi et ému. Je tiens donc à vivement remercier les élèves de troisième du collège Lakanal à Sceaux et leur enseignante pour le sérieux de leur enquête et la justesse de rédaction de cette biographie. Félicitations et merci.