Stéphanie Convertino est professeure d’histoire au collège Jean Baptiste Clément, situé dans le XXe arrondissement de Paris. Dans ce collège est affichée une plaque commémorative avec 42 noms d’enfants déportés durant la Seconde Guerre mondiale. Une plaque devant laquelle « tout le monde passait sans y prêter attention », jusqu’à ce que Stéphanie Convertino se lance un défi : retracer la vie de tous ces enfants.
Entre 2016 et 2022, elle a travaillé chaque année avec des classes différentes sur ces biographies. Un travail de fourmi réalisé, toutes années confondues, avec environ 500 élèves de troisième. Ces recherches ont abouti à la constitution d’un livret de 200 pages.
Convoi 77 l’a interviewée.
Comment vous êtes-vous lancée dans ce projet ?
Dès 2013, j’organisais chaque année des voyages à Auschwitz pour mes élèves. Chaque année, je développais une idée différente : je demandais par exemple aux élèves qui y étaient déjà allés d’en parler aux autres. Puis, une année, j’ai lu le livre d’Ivan Jablonka « Histoire des grand parents que je n’ai pas eus » (dans lequel l’auteur part sur les traces de ses ancêtres, ndlr). Et je me suis dit : « Je vais suivre sa méthodologie pour raconter les histoires des enfants dont les noms sont inscrits sur la plaque. »
Concrètement, j’ai utilisé les deux semaines consacrées aux EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) pour travailler sur ce projet. Dans mon collège, on a la chance d’avoir ces deux semaines tous les ans mais ce n’est pas le cas de tous les établissements. C’est un temps détaché des cours classiques et du programme.
Durant cette période, des collègues et moi avons emmené les élèves visiter le mémorial de Drancy, rencontrer des témoins et nous leur avons aussi montré des films, afin qu’ils aient la plus large compréhension du sujet. La plus grosse partie du travail avec les élèves a consisté à observer, lire et comprendre des documents d’archives que j’avais moi-même, préalablement, identifiés et collectés.
Comment avez-vous trouvé ces documents ?
J’ai utilisé de nombreux fonds d’archives : ceux de la ville de Paris, du Mémorial de la Shoah, de différentes préfectures, du service historique de la Défense de Caen. Et j’ai aussi fait des recherches aux Archives nationales, particulièrement dans le Fonds de Moscou (lien hypertexte).
Travailler au contact d’archives n’était pas simple pour moi au début. J’ai fait des études de lettres, je n’avais pas de formation d’historienne. Les endroits comme les Archives nationales m’impressionnaient. J’avais peur d’être regardée comme quelqu’un qui n’y connaissait rien, mais au contraire, les personnes qui y travaillent m’ont beaucoup aidée.
Combien de temps vous a pris ce travail de défrichage ?
Des mois et des mois. Je me suis mise à temps partiel il y a cinq ans pour mener à bien ce projet.
Je me suis fixée comme objectif de commencer par les biographies les plus faciles à réaliser, c’est-à-dire celles des enfants qui étaient scolarisés dans mon collège. Car, sur les 42 noms de la plaque, seulement 12 étaient dans le collège, les autres étaient inscrits dans des établissements environnants.
Sur les 42, il y en a un seul pour lequel je n’ai pas trouvé l’établissement dans lequel il était scolarisé. Il a été déporté à 8 ans, mais après la maternelle, je n’ai plus trouvé sa trace. J’ai passé beaucoup de temps à chercher dans toutes les écoles du XXe arrondissement, publiques et privées, sans succès. Il y a malheureusement des écoles dont les registres aux archives ont disparu.
Quel effet ce travail a-t-il eu sur vos élèves ?
Quand on a commencé, y compris lors de voyages à Auschwitz, on entendait des réflexions du genre : ‘Pourquoi on va à Auschwitz ? Ça va, les juifs, ça suffit’, ou ‘Pourquoi cette mémoire et pas une autre ?’. Il y a une très grosse population musulmane dans mon collège, au départ il y avait un antagonisme de leur part. Puis, au fil du projet, cela s’est atténué. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de remise en question du tout.
S’intéresser au cas précis d’un enfant qui est mort, en sachant par exemple ce que sa mère faisait comme métier, si lui travaillait bien ou pas à l’école, cela permet de sortir du prisme « juif ou pas juif ». Les élèves s’intéressaient vraiment à des enfants dont la vie leur devenait familière. Mon idée était qu’ils finissent par les considérer comme des camarades.
Ça a été un travail extrêmement difficile pour eux parce que c’est le premier travail de leur vie sans réponse toute faite.
Et je leur en demandais beaucoup. Je leur demandais d’étudier des documents, de trouver ce qui était intéressant et d’en tirer des conclusions. Je leur disais : « Si toi, dans 50 ans, quelqu’un cherche à retracer ta vie, il ne parlera pas juste de ton école et de ta date de naissance. Ta vie, c’est tes copains, où tu joues, où tu fais tes courses et ce qui t’intéresse. C’est plus compliqué. » C’était une grosse mission pour eux : on attendait qu’ils redonnent à ces enfants la vie qui leur avait été volée par les nazis.
Vous travaillez désormais sur un projet de mini-site interactif à partir d’une carte de l’arrondissement. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
L’idée est de créer un plan du quartier interactif où on pourrait trouver, en cliquant sur les adresses, les biographies mais aussi d’autres contenus que les élèves ont fabriqués. Par exemple des vidéos, des dessins représentant ces enfants, faits à partir de cartes postales de l’époque. Les élèves travaillent avec la professeure d’arts plastiques sur ce projet.
Depuis la rentrée 2022, le professeur de musique leur fait écouter des chansons de l’époque, que les élèves apprennent et chantent, puis ils les enregistrent ensemble. Ces pistes audio vont être intégrées à ce mini-site. On imagine que les enfants déportés écoutaient et chantaient, eux aussi, ces chansons.