Comment les révisionnistes s’évertuent à exonérer Vichy depuis 80 ans

une du journal Combat du 24 juillet 1945. "PETAIN DECLARE QU'IL EST INNOCENT et annonce qu'il ne répondra à aucune question"

Laurent Joly est historien, directeur de recherches au CNRS. Il est spécialiste du régime de Vichy et de l’antisémitisme, sujets auxquels il a consacré toute sa carrière depuis 2006.
Il est l’auteur d’un article paru en mars 2025 et titré « Vichy, les Juifs et le courant révisionniste de 1945 à nos jours ». Dans ce long texte, il retrace un historique des arguments et méthodes des révisionnistes depuis la fin de l’Occupation. Le révisionnisme n’étant pas une chose du passé, nous vous proposons ici une synthèse de cet article.

Laurent Joly commence par une mise au point sur le vocabulaire en distinguant deux termes trop souvent confondus.

NégationnistesRévisionnistes
Ceux qui nient l’existence des chambres à gaz et de la persécution des juifs pendant l’Occupation.
Ils défendent le nazisme ou se réclament de lui.Ceux qui relativisent le génocide, minimisent le rôle de Vichy, contestent les chiffres. 
Ils veulent réhabiliter le régime de Pétain
Exemples: Louis Darquier de Pellepoix, Robert Faurisson, Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch, Alain Soral, Dieudonné.Exemples: René de Chambrun, Alfred Fabre-Luce, Claude Gounelle, François de Vivie, Jacques de Launay, Jean-Marc Berlière, Éric Zemmour.

 

Les tous premiers révisionnistes s’expriment dès la fin de la guerre. Ce sont des proches des collaborateurs et des admirateurs revendiqués du maréchal et de son président du Conseil. Ils fabriquent de toutes pièces la thèse selon laquelle le maréchal Pétain aurait joué double jeu et aurait agi secrètement avec les Britanniques pour libérer la France occupée. Aucun témoin ni document n’est en mesure d’étayer cette affirmation, et cela met en lumière dès le départ une méthode chère aux révisionnistes: affirmer sans preuve ou mentir sur les preuves.
Lors de leurs procès, Pétain et Laval ont prétendu l’un comme l’autre avoir agi pour protéger les juifs de France, et se sont défendus de tout antisémitisme. Laval clame même avoir cherché à empêcher la déportation d’enfants juifs. L’analyse des archives lui a bien évidemment donné tort, mais ces propos des accusés ont fourni le socle de l’argumentaire des révisionnistes jusqu’à aujourd’hui.

Une célèbre thèse révisionniste voit le jour moins de dix ans après la Libération, celle de « l’épée et du bouclier ». On la doit au journaliste Robert Aron dans son Histoire de Vichy publiée en 1954. Il y défend l’idée selon laquelle Pétain a été le « bouclier » protégeant les Français et de Gaulle l’« épée » qui les a libérés du nazisme. « Tous les deux étaient nécessaires à la France » affirme Aron. Avec son ouvrage, l’auteur dit souhaiter « apaiser » les esprits et « rassembler » la nation, mais ce faisant il atténue les responsabilités de Pétain et de son gouvernement.

Au fil des années 1960 et 1970, des historiens de métier publient des archives toujours plus incriminantes pour l’action de Vichy. Les admirateurs de Pétain et Laval changent alors de stratégie: comme il ne leur est plus possible de nier les crimes antisémites du régime de Vichy, ils cherchent à minimiser ceux-ci. Leur méthode consiste à écarter les preuves qui leur conviennent pas, à tordre les faits et à dénigrer les historiens – des procédés devenus depuis courant à l’extrême-droite. Dans leurs ouvrages, plusieurs de ces auteurs prétendent que le régime a agi pour sauver de nombreux juifs et a limité la mise en œuvre de la « Solution finale » en France. C’est la théorie dite du « moindre mal » et qui a rencontré un grand succès à l’extrême-droite. Celle-ci ne résiste pas à l’examen des faits.

Robert O. Paxton, La France de Vichy (1940-1944), 1973

Serge et Beate Klarsfeld, Le mémorial de la déportation des juifs de France, 1978

 

Dans les années 1970 toujours, deux historiens, Robert Paxton et Serge Klarsfeld, publient des travaux de recherche scientifiquement brillants sur la politique antijuive de Vichy. Leurs ouvrages deviennent immédiatement des références sur le sujet. Les deux hommes deviennent alors les nouvelles cibles des révisionnistes acharnés, lesquels les accusent encore aujourd’hui d’avoir fait œuvre d’idéologues et non de chercheurs.

Durant les décennies 1980 et 1990, Vichy et de la Shoah sont deux sujets majeurs dans l’opinion, régulièrement évoqués dans l’espace médiatique. Les commémorations se multiplient et leur donnent une actualité régulière: c’est le temps du « devoir de mémoire ». Cela irrite des intellectuels, non seulement à l’extrême-droite mais, fait nouveau, au sein de la droite conservatrice également. Selon ces derniers, on parlerait trop de Vichy et des juifs. Cette prise de position nouvelle annonce une perméabilité de la droite classique aux idées révisionnistes. Tout au long des années 2000, les personnalités politiques de droite se montrent par ailleurs très critiques vis-à-vis des politiques mémorielles, alors même que c’est Jacques Chirac qui reconnut en 1995 la responsabilité de la France dans la déportation des juifs.

 

Depuis les années 1970, la rhétorique révisionniste sur Vichy n’est plus le fait principal de proches, pétainistes ou lavalistes, des principaux dirigeants de l’État français. Plus subtile, se camouflant derrière de grands principes (la « réconciliation », la « vérité », le « bon sens », etc.), elle n’en est pas moins aisément repérable.

Laurent Joly

Au cours de la décennie 2010, les révisionnistes publient de nouveaux livres mais leurs recettes sont les mêmes depuis des décennies: manipuler les archives, passer sous silence les preuves les plus incriminantes, répéter à l’envi que Vichy a évité à la majorité des juifs de France de mourir aux mains des nazis.
Toutefois, une nouvelle génération de révisionniste apparait, et tous ne sont plus nécessairement antisémites. Éric Zemmour s’est imposé comme la figure médiatique majeure du révisionnisme depuis les années 2010. Il ne fait pourtant que reprendre les arguments de ses prédécesseurs, en y ajoutant cependant une nouvelle composante: la xénophobie et la haine des musulmans. Éric Zemmour qualifie la collaboration antisémite de Vichy comme d’un « pacte avec le diable » destiné à satisfaire les nazis d’un côté tout en protégeant les juifs de l’autre. Depuis, plusieurs historiens ont montré le caractère mensonger de ses affirmations et la justice l’a condamné pour incitations à la haine.

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Le révisionnisme a toujours été et demeure encore aujourd’hui une caractéristique de l’extrême-droite conclut Laurent Joly. Les révisionnistes d’aujourd’hui ne sont plus des admirateurs de Pétain et de Laval, comme ce fut le cas au lendemain de la guerre. S’ils continuent toutefois de minimiser l’antisémitisme de Vichy, c’est par objectif politique: tous souhaitent la victoire de l’extrême-droite par une alliance avec la droite traditionnelle. Les manipulations historiques deviennent ici un moyen de faire triompher un projet politique et social raciste. Leurs méthodes sont désormais bien connues: mensonge, falsification, invectives, procès abusifs.
La Shoah n’est cependant pas le seul sujet sur lequel l’extrême-droite s’autorise à réécrire le passé. Et comme les personnalités d’extrême-droite se caractérisent par des positions anti-sciences, les historiens ne sont pas les seuls à subir leurs attaques: ils appliquent le même traitement à tous les chercheurs en sciences sociales comme en sciences du vivant, par refus des faits et pour défendre leur idéologie.

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L’article de Laurent Joly est à retrouver en intégralité dans le n°221 de la Revue d’histoire de la Shoah.
Ses derniers ouvrages publiés sont:

  • Le savoir des victimes. Comment on a écrit l’histoire de Vichy et du génocide des juifs de 1945 à nos jours, Paris, Grasset, Essais et documents, 2025, 448 p.
  • La Rafle du Vél d’Hiv : Paris, juillet 1942, Paris, Grasset, coll. Essais et documents, 2022, 400 p.
  • La falsification de l’Histoire : Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Paris, Grasset, coll. Essais et documents, 2022, 140 p.
  • L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944), Paris, Grasset, 2018, 366 p. Édition revue et mise à jour, Paris, Flammarion/Champs histoire, 2020 (1re éd. 2018), 372 p.

Voir sa page personnelle de chercheur.

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