Aux mois de juin et juillet 2025, cinq personnes, détenues à la maison d’arrêt d’Auxerre, ont rédigé la biographie de Nuchim Wolman (lien🔗), déporté par le convoi n°77. Cela a été rendu possible par l’engagement d’Alexandra Bachimont, professeure d’histoire-géographie dans un collège de l’Yonne, et chercheuse menant une thèse de doctorat sur le traitement des troubles psychiatriques en temps de guerre. En plus de ses cours en collège, elle intervient à la maison d’arrêt d’Auxerre sous forme de cycle d’intervention. Elle a bien voulu nous raconter cette expérience.
Comment se fait-il que vous interveniez dans ce cadre carcéral ?
La situation carcérale des détenus de la maison d’arrêt est variable. Certains y purgent des peines dites courtes tandis que d’autres sont en attente de procès ou d’une place en centre de détention Là, on leur propose de participer à un projet pédagogique et les détenus s’y inscrivent volontairement. Ils peuvent préparer un diplôme, un CAP ou un DAEU [Le Diplôme d’Accès aux Études Universitaire permet aux adultes n’ayant pas de baccalauréat de s’inscrire dans une formation supérieure].
À titre d’essai, j’avais tenté, l’année précédente, de faire rédiger la biographie de Georgette Cuperman à un groupe de détenus, tout en le faisant en parallèle avec mes collégiens. Cela n’engageait à rien, et d’ailleurs nous n’avons pas publié leur travail, mais cela avait bien marché. J’ai donc proposé à Convoi 77 de prendre en charge la rédaction d’une biographie avec un nouveau groupe, en m’engageant à la remettre une fois terminée.
J’ai proposé ce projet aux détenus et cinq ont été volontaires pour le faire. Nous nous sommes vus une heure trente par semaine, pendant deux mois et demi, et à la fin nous avions achevé cette biographie de Nuchim Wolman.
Quelle a été votre approche pédagogique ?
J’ai beaucoup moins guidé les élèves que je ne le fais avec des collégiens, je les ai laissés libres d’explorer les documents. J’avais sélectionné les archives les plus pertinentes parmi celles envoyées par l’association Convoi 77. Il faut savoir que les détenus n’ont pas accès à internet, et cela change la donne. Les collégiens peuvent suivre une piste par eux-mêmes grâce aux ressources en ligne. Là, j’ai donc dû mener les recherches en amont (pièces d’état civil par exemple) pour les leur fournir directement. Quand on enseigne là–bas, il faut énormément s’adapter. D’autant que les détenus ne sont pas présents chaque semaine à cause d’impératifs judiciaires. On ne peut donc pas avoir la même exigence vis-à-vis d’élèves en maison d’arrêt qu’on aurait vis-à-vis de collégiens.
Comment se sont-ils appropriés le sujet ?
Lors de la première séance j’ai présenté l’association Convoi 77 afin qu’ils comprennent le sens de notre travail à venir. Qu’ils comprennent qu’ils vont participer à l’écriture de l’Histoire
Très vite, j’ai eu des élèves qui ont été très motivés. Ils ont exploré les documents par eux-mêmes avec enthousiasme. On a construit une méthode petit à petit. Au début, ils voulaient tout retenir des documents, alors je les ai aidés à dépouiller plus efficacement. Je leur ai aussi expliqué que c’était important de valider les informations en croisant les sources. Le travail a vraiment ressemblé à une enquête historique. C’est pour ça qu’au départ j’ai voulu contribuer à Convoi 77 avec mes classes : là, les élèves font enfin de l’histoire, ils en font vraiment. C’est un tout autre rapport au passé.: ils sont acteur de leur connaissance puisqu’ils les construisent.
La rédaction de la biographie a-t-elle été collective ?
Tout à fait. Il faut savoir que ces personnes ont des parcours scolaires très différents : certains sont extrêmement cultivés, quelques-uns sont en reprise d’études, tandis que d’autres maitrisent mal la lecture et l’écriture. Comme il y avait une grande disparité, j’ai pris le parti d’écrire ce qu’ils me dictaient. Et en passant par l’oral, tous ont pu contribuer à l’écriture. Ils se sont complétés, ils se sont titillés sur le choix des mots, c’était un beau travail. Moi j’ai juste tapé leur texte et je le leur ai restitué.
Ce n’était pas gagné en raison de l’entente délicate entre les détenus. On ne peut pas savoir s’ils vont adhérer au travail de groupe. Certains préfèrent être seuls, c’est leur choix, mais en réalité ils travaillent très vite ensemble. La collaboration s’est faite de façon évidente. Et c’est très important, parce que la réinsertion commence là.
Comment le sujet de votre cours a-t-il été accueilli ?
Lors de la première séance, un détenu m’a tout de même demandé pourquoi j’avais choisi de les faire travailler sur le génocide des juifs et pas sur un autre. Donc j’ai expliqué la notion de génocide, son origine, les autres génocides et leur ampleur. J’ai dû justifier en quelque sorte mon choix, qu’ils comprennent que le génocide des juifs était sans équivalent.
Les élèves détenus ont très vite relié cela à l’actualité, alors on a évoqué ce qu’il se passe en Palestine. La première séance j’ai posé le lien entre le passé et le présent, beaucoup plus que ce que je dois habituellement faire avec des collégiens. J’ai dû donner du sens au projet. Et ils ont vite adhéré. En prison, on voit vraiment comment l’étude du passé permet d’éclairer la compréhension du présent.
Dans quelle mesure cela est-il plus flagrant en prison ?
Les maisons d’arrêt sont un espace où les discriminations, notamment la xénophobie et le racisme, sont présent. Le seul canal d’information des détenus, ce sont les chaînes d’information en continu. J’ai donc dû, au départ, tout réexpliquer, à la fois le génocide, mais aussi la situation en Palestine, afin rétablir certains faits. On a déconstruit ensemble leurs préjugés.
Aussi, ce sont des adultes qui ont beaucoup plus de questions sur le temps présent que des élèves de troisième. C’est un public auquel il faut répondre, et on ne peut surtout pas se permettre de mal répondre. Ce sont des gens que l’incarcération rend vulnérables. Chaque semaine, ils me questionnaient, chaque semaine j’ai du faire des parenthèses pour expliquer la situation actuelle. Et à chaque fois, on en est revenu au passé pour expliquer le présent. Il était crucial donner du sens à ma présence et à ce travail que je leur proposais.
Vos élèves ont-ils accroché au projet ?
Oui. Là, ils n’ont pas subi l’histoire comme pourraient le ressentir certains élèves de troisième. Là, ils ont écrit l’histoire. Je pense que quand on intervient en maison d’arrêt, l’objectif premier est de donner du sens à ce qu’ils font. On n’est pas là pour une activité qui passe le temps mais bien pour une activité qui ait du sens, en l’occurrence ici de contribuer à un projet d’écriture historique.
Aussi, j’essaie de leur faire prendre conscience de leurs compétences. Ils savent faire des choses, et ils les font bien. L’objectif est que le temps qu’ils purgent leur peine, ils le passent à faire quelque chose qui ait du sens.
Ils ont ressenti de la fierté à avoir accompli ce travail. Surtout, ils étaient fiers que cela soit reconnu par l’association, que leurs noms apparaissent et que leur qualité de détenus ne soit pas masquée. Ce sont des gens qui ont l’habitude d’être mis de côté, invisibilisés. Cela leur tenait à cœur que l’on sache que la biographie de Nuchim Wolman avait été rédigée par eux. C’est une reconnaissance de leur contribution à un travail collaboratif.
Et vous, ce travail vous a-t-il apporté des satisfactions ?
Bien sûr. Il y a d’une part la satisfaction à voir ces personnes reprendre confiance en elles. C’est important qu’ils voient qu’ils ont toujours une place dans la société. Comme ils ont participé à un projet sociétal avec Convoi 77, c’est donc qu’ils sont en voie de réinsertion. L’éducation est un moyen de se réinsérer. Quand je ressors de ce cours avec des détenus, je me sens vraiment enrichie humainement.
Et puis, cela m’apporte aussi pour mes recherches. Dans ma thèse, je travaille sur les personnes internées en institution psychiatrique. Il y a une résonance, car un certain nombre d’aliénés étaient aussi des détenus. J’essaie de donner voix à ceux qu’on a tus. Que ce soient des déportés, des aliénés, des détenus, c’est pareil, ce sont des gens qu’on a fait taire. Les déportés, par leur témoignage, ont fait connaître leur expérience concentrationnaire ; cela n’a pu être le cas pour les aliénés et les détenus. Redonner voix : c’est ma manière de faire de l’histoire.
Quelles seront les suites de ce projet?
Je retournerai à la maison d’arrêt, pour proposer aux élèves de réaliser une autre biographie pour Convoi 77. Et aussi, la maison d’arrêt d’Auxerre a noué un partenariat avec le Mémorial de la Shoah pour continuer les travaux de recherche. Il y aura donc des initiatives qui se poursuivront.
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