Colloque Association, enseignants et élèves Sciences Po Paris, le 12 mai 2018

Cette rencontre, initiée et préparée par l’équipe projet France de Sciences Po Paris, qui accompagne la direction de l’association pour la gestion du projet, et tenue dans ses locaux parisiens rue St Guillaume, a été un réel succès. Des enseignants responsables de projet sont venus exposer leur travail, pour certains accompagnés de quelques élèves. Après une présentation de l’association par Serge Jacubert, les élèves de Sciences Po ont remercié tous les participants pour le temps consacré à ce projet et leur investissement.

En plus des professeurs et des élèves, étaient présents: Zoé Grunberg, tutrice des étudiantes de Sciences Po, Véronique Likforman, secrétaire générale de l’association et Sabrina Vahldiek, étudiante allemande stagiaire de l’association au Mémorial de la Shoah.

L’association exprime sa sincère reconnaissance à Sciences Po Paris, aux étudiantes, Charlotte, Claire, Léna, Maya, Sacha et à leur encadrement, pour leur contribution à ce succès et leur apport en général.

Le colloque a permis aux enseignants volontaires de présenter leurs projets pédagogiques et de répondre à quelques questions de l’auditoire. Après ces cinq exposés, dont un compte-rendu figure ci-dessous, une session d’exposition et de commentaires sur des œuvres réalisées par les élèves du collège Michel Richard Delalande, d’Athis-Mons, est venue ponctuer l’exposé du dernier professeur intervenant, Clément Huguet. Enfin, deux tables rondes simultanées ont réuni d’un côté les enseignants avec Serge Jacubert, Véronique Likforman, Zoé Grunberg et des étudiantes, pour débattre autour de deux thèmes :

  • l’histoire individuelle de déportés comme apprentissage de l’Histoire de la Shoah ? des génocides ?
  • Convoi 77, nouvelle approche de l’enseignement de la Shoah avec l’extinction de la parole des derniers témoins ?

L’autre table ronde a réuni les élèves qui ont pu échanger librement entre eux et avec des étudiantes de Sciences Po.

Les exposés ont montré que beaucoup de professeurs de 3e, mais aussi de 1re, ont choisi pour leur projet de biographie une voie interdisciplinaire. Ils ont ainsi mêlé histoire, français, musique ou encore arts plastiques sans oublier les documentalistes.

Les recommandations ressortant de leurs exposés sont, de manière non exhaustive :

– L’enseignant doit travailler en amont pour que les élèves ne soient pas déstabilisés par les informations à venir (quantité et nature). Il est souvent évoqué que l’enseignant doit faire des recherches et un tri préalable des archives avant le lancement en classe.
– Préparer les élèves à la sensibilité du sujet qui reste prégnant dans la plupart des mémoires (survivants ou enfants de déportés). Pour cette raison, plusieurs professeurs ont conseillé, en cas de rencontre, d’une part de voir l’intervenant auparavant et, d’autre part, de préparer les élèves, et leur expliquer qu’on ne peut pas tout demander ou que certaines formulations ne sont pas adaptées.
– Saisir l’opportunité de ce projet pour montrer aux élèves que le travail d’historien n’est pas une science exacte. La recherche de preuves, de témoignages dans les archives peut engendrer des confusions ou des contradictions : se confronter à celles-ci fait partie du métier d’historien. Ainsi, les enseignants encouragent leurs élèves à laisser les traces de ces incohérences dans la production finale.
– Enfin, certains professeurs ont souligné la nécessité de laisser une réelle liberté aux élèves, et de les laisser suivre leur curiosité de jeunes chercheurs. Le projet choisi doit être suffisamment souple pour que chaque élève puisse y trouver sa place et lui apporte sa contribution. Il est donc important d’encourager le sens des responsabilités et l’esprit d’initiative. C’est pour cela qu’il est préférable d’étaler le projet sur une longue période, pour qu’il puisse évoluer et que les élèves aient le temps de se l’approprier. L’exemple de l’élève qui ne se mobilisait pas du tout, jusqu’au moment où il a été question de filmer et qui alors s’est engagé est révélateur des potentialités d’un projet sur une longue période.

Après les présentations des professeurs, cinq élèves du collège Michel Richard Delalande ont expliqué l’exposition et les petits journaux qu’ils avaient créés en partant du projet. Sur le thème “Tant de haine que ma colère déborde” ils ont parlé du ressenti de leur expérience, de leurs recherches en mêlant histoire, arts plastiques et français.

Table ronde des élèves

Les élèves ont parlé de leur expérience : ils avaient déjà abordé la Shoah mais le faire en écrivant une biographie a été entièrement nouveau pour eux, d’autant plus qu’il s’agissait d’un travail collectif.

Ils ont dit que cela leur a beaucoup apporté de comprendre l’Histoire à travers une histoire, qu’ils ont été très sensibles à cette approche. Ils ont notamment pris conscience de la difficulté pour les survivants de parler de cette époque, et des incertitudes que l’on peut avoir en consultant des archives. Par ailleurs, ils ont exprimé leur reconnaissance envers leurs enseignants, pour leur avoir laissé beaucoup de liberté quant au format (poème, musique, théâtre). Ils se sont dits satisfaits et fiers de leur projet : ils le recommandent vivement.

Table ronde des enseignants

Elle a permis d’échanger sur les difficultés rencontrées, soit par la pertinence de l’approche, avec les deux thèmes, soit par les moyens humains ou techniques.
Pour ce qui concerne l’enseignement de la Shoah pris par une approche individuelle, la plupart des enseignants la jugent pertinente, car elle redonne à chaque victime l’identité et la personnalité que les nazis voulaient voir disparaître. Les élèves ont généralement appris ou entendu parler du nombre de morts ou des étapes du processus de destruction, mais ils ont rarement l’opportunité d’appréhender ce chapitre d’histoire par l’étude d’une vie. L’approche par une histoire locale et la mémoire des villes parle aux élèves.
Plusieurs professeurs ont exposé les difficultés rencontrées avec les financements et les plus anciens ont partagé avec les nouveaux les bonnes portes auxquelles aller frapper (une mention est affichée à présent sur le site internet dédié aux enseignants).
Pour le thème lié à la disparition des voix des témoins, que chacun comprend comme inéluctable, plusieurs idées ont été émises :

– Ne pas renoncer, certains déportés qui l’ont été très jeunes, témoignent encore et cela reste une expérience de premier ordre pour les élèves.
– Des intervenants autres, comme des proches, peuvent également servir comme support du projet.
– Les témoignages vidéo et/ou audio sont précieux et ne sont pas assez mis en avant sur le site, par rapport aux biographies. (Un site comme “Rails et histoire” « ahicf.com » permet aussi de consulter des témoignages audio).

À un niveau plus technique, et bien que la plateforme edu.convoi77 soit en cours d’amélioration, les professeurs ont évoqué la difficulté d’afficher et de télécharger les archives d’un déporté ou celle d’ajouter des documents à une biographie en cours de constitution.
Concernant le Mémorial de la Shoah ils ont demandé à ce que l’initiation à l’utilisation des archives soit mise en avant, afin que cela soit une première étape pour entrer dans le projet. Par ailleurs, un consensus sur la nécessité de donner une place importante à la littérature dans les biographies a été observé.
Finalement, tous ont fortement apprécié cette rencontre et recommandent d’en faire également une dans l’année, peut-être en janvier, pour que les professeurs aient le temps d’intégrer le projet, y échangent de bonnes pratiques et qu’ils avancent sur le reste de l’année en s’aidant de leurs expériences mutuelles.

Présentations des projets par chacun des professeurs

Sylvain Boulouque (professeur de lycée en 1re)

Importance de donner un contexte chronologique et théorique aux élèves : cela passe par l’étude de la Seconde Guerre mondiale et les grandes étapes de la Shoah. Les professeurs doivent s’organiser au maximum, notamment pour aménager des visites de lieux de mémoire. Celles-ci sont très utiles : en effet, cela permet aux élèves de donner un sens à cette étude et de mettre des mots sur la condition de déporté.
Pour réaliser ce projet, il a divisé les élèves en petits groupes, amené les plus motivés aux archives et s’est attaché à mettre en valeur l’esprit d’initiative et la curiosité des élèves.

3 points sont à retenir pour lui :
1) cadrer au maximum le projet : fournir les connaissances en amont (lectures, projections, témoignages) ;
→ les images peuvent parfois choquer, une préparation psychologique est nécessaire, il faut
se préparer et préparer les élèves à l’étude des archives
2) laisser une part à l’émotion: notamment pendant les visites ;
3) précaution méthodologique : vérifier, recouper les sources, corroborer les faits.

Claire Podetti et Clarisse Girard (professeurs en collège 3e)

Madame Podetti estime que le cadre général du projet doit être évolutif : cela signifie que les élèves font des choix à partir du cadre donné, ils mènent le projet sur la forme. Par exemple, cette année ils ont choisi de rendre les biographies sous forme de poèmes. Pour mener à bien le projet, elle impose une plage horaire de 2 heures par semaine à chaque élève.
Comme Sylvain Boulouque, elle évoque la nécessité de préparer le projet en amont. Dès juin, elle conseille de consulter les archives, de commencer à faire un tri pour éviter que les élèves ne soient perdus par un trop plein d’informations. C’est un projet qui demande donc du temps et de la maturation. Ainsi, dès septembre, chaque élève écrit un cahier de projet afin que personne n’hésite à chercher de son côté, à approfondir les recherches.
Madame Podetti est donc venue accompagnée de la professeur de français (Clarisse Girard). Ensemble, elles ont décidé de faire du projet un travail interdisciplinaire (histoire, français, musique et arts plastiques). Les élèves ont lu et étudié Charlotte (Foenkinos), ils ont visité Drancy et ont pu travailler sur l’entretien et le témoignage (préparation, forme, rédaction) grâce à l’intervention de la journaliste, membre de la réserve citoyenne, Louise Gamichon. En plus de tout cela, ils ont créé une pièce de théâtre sur la vie des deux déportées, grâce à l’aide d’un comédien, des photos de familles des élèves, et du contact établi avec le fils et le neveu des deux déportées.
Dans le cas où il existerait un témoin, ou un proche encore vivant, il faut que les professeurs le rencontrent avant l’entretien en classe. Dans ce cas particulier, Gilbert Bloche, fils d’une déportée n’a pas pu parler de sa mère devant la classe : c’était la première fois qu’il témoignait et, même suite à l’envoi des questions par avance, il n’a simplement pas pu y répondre, pris par l’émotion.

Bertrand Bossy (professeur de lycée 1e)

Monsieur Bossy a intégré son projet à une organisation plus vaste concernant le rôle de sa ville et son département (Maine-et-Loire) dans la déportation des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Il a donc fait visiter à ses élèves le Mémorial de la Shoah à Paris et celui de Drancy. Il a profité de la visite à Drancy pour faire intervenir Serge Jacubert sur l’association et pour qu’il réponde à des questions sur sa mère et son oncle, déportés du convoi.
Pour ce projet, comme pour les précédents qu’il avait animés avant de participer à CONVOI 77, il a travaillé avec la documentaliste du lycée dont il a rappelé l’importance par rapport à l’approche des documents.
Il a aussi souligné la nécessité de restituer leurs identités aux victimes individuelles. Cet acte fut fait à Drancy quand chaque élève a brandi une photo ou une affiche en mémoire des déportés, devant le monument du Mémorial, à proximité du wagon.
Il estime également qu’il faut un travail préparatoire pour que les élèves ne s’éparpillent pas face à la quantité d’archives et d’informations qu’ils peuvent trouver.

Anne Anglès (professeur de lycée 1re)

L’écriture des biographies pour les élèves est une expérience très importante. Anne Angles insiste d’ailleurs sur le fait qu’il ne faut pas hésiter à inscrire la part de “peut-être” dans les biographies car les imprécisions font partie de l’histoire. Ainsi, dans la rédaction de la biographie on peut voir beaucoup de “peut-être” ou de “probablement”, signes des recherches et contradictions que les élèves ont pu trouver dans les archives.
Elle incite ses élèves à écrire au présent, à poser des questions sur leurs découvertes, sur les parts d’ombre : elle souhaite qu’ils réussissent à établir des faits (exemple : des déportés peuvent être Juifs ET Français).
Anne Angles souligne toutefois la difficulté d’aborder la mort avec ses élèves, elle ne veut pas les traumatiser ou travailler sur l’idée d’un “aller sans retour”. Pour cette raison, elle a adopté la forme du poème pour la rédaction.
Au cours de la rencontre, elle a partagé quelques questions avec les autres professeurs :

1) Comment travailler avec le CERCIL (Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret) ?
2) Où trouver des informations ? (dossier de naturalisation, d’arrivée, de déménagement)
3) Quelle est la place du professeur dans l’écriture finale ? Est-ce qu’il reprend le travail ? Est-ce qu’il laisse les maladresses ? Comment signaler ces interventions du professeur ? Finalement, quel degré de liberté donner aux élèves ?
4) Question de la double-écriture : elle peut être littéraire ou personnelle, c’est soit un moyen pour les élèves de gérer la violence soit un récit  factuel et plus distancié (historiographique).

Clément Huguet (professeur de collège 3e)

Monsieur Huguet a lui aussi créé un projet interdisciplinaire, histoire, lettres et arts, qui s’est conclu par la création d’œuvres d’art par les élèves. Certaines ont été exposées lors de la rencontre et cinq de ses élèves nous les ont présentées. L’exposition avait pour nom “Tant de haine que ma colère déborde”.
Il a identifié cinq objectifs pédagogiques qui lui ont servi de guides pour mener à bien ce projet :
1) s’interroger sur le rôle du témoin et la place du témoignage en Histoire ;
2) favoriser l’ouverture culturelle : visiter des lieux de mémoire et d’histoire (visite du Mémorial de la Shoah, du Mémorial de Drancy et de la Maison d’Izieu) ;
3) diversifier les supports pour rendre compte de la démarche : préparation d’une exposition ;
4) renforcer le lien école-collège (rencontre avec une classe de CM2 pour que ses élèves exposent eux-mêmes le projet à des plus jeunes) ;
5) s’engager dans la lutte contre toutes les formes de discrimination, afin de redonner à la Shoah sa dimension universelle.

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