Bequi PISANTI
Durant l’année scolaire de 2021-2022, deux classes de troisième au collège Les Blés d’Or, en Seine- et-Marne dans la région d’Île-de-France, ainsi que deux professeures : Mme. Jorrion et Mme. Garillière, ont décidé de participer au projet de Convoi 77.
Ce projet consiste à faire la biographie de déportés du dernier convoi partant de la gare de Bobigny direction Drancy.
Nous, Téa, Sara, Serena, Chloé et Louise, sommes 5 élèves qui avons effectué la biographie de Bequi PISANTI, une déportée juive du « Convoi 77 ».
Nous avons travaillé sur plusieurs jours et mois afin de récolter toutes les informations sur Bequi Pisanti grâce à plusieurs documents d’archives et à son témoignage vidéo (disponible sur le site du Mémorial de la Shoah).
BIOGRAPHIE :
Je m’appelle Bequi Covoidis. Mon nom de jeune fille est Pisanti. Je suis née le 30 décembre 1925 au 19 bis rue Chaligny, dans le 12ème arrondissement de Paris.
Mon père s’appelle Albert Pisanti, né le 24 avril 1899, et ma mère Fortunée, née le 29 février 1901. Tous deux sont originaires d’Istanbul. Ils ont dû quitter la Turquie à cause de la guerre d’indépendance dans les années 20. Ils ont décidé de venir en France car dans ce pays nous sommes libres.
Mes parents se sont installés à Paris, au 49 rue du Moulin vert, dans le 14ème arrondissement. Mon père est électricien et ma mère couturière. J’ai deux sœurs : Victoria, née le 3 mars 1927, et Louise, née le 28 juillet 1930.
J’ai eu une enfance assez normale et j’en suis heureuse. Mes sœurs et moi ne manquions de rien. J’ai passé mes premières années d’étude à l’école primaire. Je me souviens de cette époque où tout ce qui importait était de jouer avec mes amies, de rire, d’être tout simplement heureuse.
Nous supposons que les 3 filles Pisanti auraient effectué leur primaire à l’école primaire d’Hippolyte Maindron, une école assez proche de leur domicile (49 Rue du Moulin Vert).
En 1939, quand la seconde guerre mondiale a débuté, j’avais seulement 14 ans. La guerre me faisait peur.
En juin1940, la collaboration entre le maréchal Pétain et Hitler a commencé. Je fus assez surprise et terrifiée de cette information. J’avais très peur de ce que cette collaboration pourrait engendrer. En Allemagne, des Juifs étaient arrêtés puis enfermés dans des ghettos, mis à l’écart du reste de la population. Pouvait-il arriver la même chose en France ? Serais-je avec ma famille ? Et pourquoi les Juifs ? De nombreuses questions soudaines apparurent dans ma tête.
Dès octobre 1940 des restrictions arrivent avec de nouvelles lois et nous sommes mis progressivement au ban de la société.
En 1942, nous sommes obligés de porter l’étoile juive. Nous sommes interdits de lieux publics : les parcs, les cinémas…Nous n’avons le droit d’aller dans les épiceries qu’à certaines heures. C’était un coup dur à assimiler. Mes parents ne portaient pas l’étoile car ils venaient de Turquie et avaient gardé la nationalité, mais moi et mes sœurs étions obligées. Être presque interdit de toute vie sociale pour seule raison d’être juif est horrible ! J’avais 14 ans ! Nous étions des enfants !
L’étoile jaune était cousue sur nos vestes. Quand j’étais dans la rue, les gens nous dévisageaient comme si nous étions des parasites. Je n’aimais pas le regard que les passants me jetaient : ce regard plein de dégoût, de méchanceté.
Je cachais cette ignominie avec mes cheveux ou sous mon écharpe. Heureusement que ces étoiles n’étaient que sur nos vestes ! Quand le temps était assez bon, j’en profitais pour enlever ma veste. J’allais aussi au parc quand les autorités n’étaient pas aux alentours. Puis les rafles sont apparues. J’avais très peur pour moi et ma famille. La concierge de notre immeuble était une grande amie de la famille, et elle savait que nous étions juifs. Une de ses amies, était antisémite, et elle craignait qu’elle nous dénonce.
Le 1er avril 1943, j’ai arrêté mes études à l’âge de 18 ans. J’ai été employée comme sténodactylographe au sein de la maison de couture Desmé, située au 9 rue d’Alexandrie dans le 2ème arrondissement de Paris.
En 1944, durant un beau jour de juillet, mon père se fait arrêter à son travail, le 7 juillet ; ma mère, mes sœurs et moi, nous sommes rendues chez notre tante à Villepinte. Quelqu’un toque à la porte : c’était la police. Je comprends très vite ce qu’il se passait. Ils demandent à ma tante nos papiers et les siens. Comme ma tante a un mari prisonnier de guerre, elle n’est pas inquiétée alors que nous, nous sommes arrêtées car nous sommes juives et françaises car mes parents avaient demandé notre naturalisation. Ma mère était au travail à ce moment-là.
La police nous emmène, mes sœurs et moi, au dépôt. Dans notre cellule, il n’y a que des enfants. Nous passons deux jours et trois nuits assez angoissants dans cet endroit. J’étais terrifiée tout comme mes sœurs. Où allons-nous aller ?
Puis nous sommes conduites au camp de Drancy. Il y a des appartements à 4 étages qui forment un U et qui entourent une cour. C’est très oppressant car notre regard ne peut s’échapper.
Quand ma mère a su où nous étions, elle est allée dans un hôtel en face du camp de Drancy pour essayer de nous apercevoir, ça m’a un peu soulagé de savoir que ma mère n’était pas très loin. Même si elle ne pouvait rien faire pour nous aider, elle prenait le risque de se faire arrêter.
Après quelques jours à Drancy, j’ai été déportée avec mon père et mes deux sœurs le 30 juillet 1944, personne ne savait où nous allions. La seule chose que l’on nous avait dit était de prendre des vêtements chauds avec nous. Un bus nous a déposés à la gare de Bobigny
où nous sommes montés dans des wagons à bestiaux, le soir et le train a démarré au petit matin. Le voyage dura 2 jours et 3 nuits. Dans le train, nous étions tous traités comme des animaux : nous étions beaucoup, entassés, dans les wagons avec chacun sa valise. Nous avions une gourde d’eau alors que nous étions assoiffés car il faisait très chaud. Il y avait un seau dans lequel nous devions tous faire nos besoins : l’odeur était nauséabonde. C’était très humiliant, nous n’avions aucune intimité. Certains prenaient un manteau afin de cacher la personne qui était en train de faire ses besoins. Le train s’arrêtait de temps en temps pour de vider le seau.
J’ai appris pendant le trajet par d’autres déportés que nous allions travailler à l’est. Dès que nous sommes arrivés, les gardes étaient violents. Des sélections ont été faites entre les hommes et les femmes, pour voir s’ils étaient en état de travailler ou encore pour voir s’il n’y avait pas des petits enfants qui devenaient des bouches inutiles. C’est à ce moment-là que j’ai été séparée de ma sœur Louise et de mon père et j’ai compris quelques jours plus tard qu’elle est sûrement morte dès l’arrivée à cause de son âge. Pour mon père j’ai gardé espoir qu’il soit entré dans le camp pour travailler. Nous étions tous très apeurés car nous ne savions pas dans quelle direction nous allions être dirigés. Les personnes plus âgées, les enfants de bas âge et les personnes fatiguées ou blessées étaient emmenées ailleurs dans des camions qui allaient directement aux chambres à gaz. De l’autre côté des Juifs en « état » de travailler entraient dans le camp.
Ceux qui montaient dans les camions partaient vers les chambres à gaz, arrivés là-bas, ils devaient tous se déshabiller, ils devaient donner leurs vêtements, valises, bijoux, objets de valeur… Comme certains ne voulaient pas donner leurs affaires, ils les cachaient aux endroits où ils pouvaient.
Avec celles aptes au travail, nous sommes allées aux douches pour se faire désinfecter car les Juifs sont pour les Nazis des parasites, puis on nous a donné des vêtements , de simples haillons soit trop grands ou trop petits pour certains. Nous avons vite compris qu’il s’agissait de ceux des morts.
Je vivais un enfer : j’étais considérée comme une prisonnière et on m’a tatoué un numéro :19779. Mon travail se passait dans des commandos : j’étais chargée de récupérer l’huile contenue dans des armes. Ce n’est pas un travail facile, il nous donne même des boutons sur la peau. Les règles du camp étaient strictes mais je ne me faisais pas battre toute la journée. Pour me laver, j’avais un tuyau troué pour faire sortir l’eau, je devais m’adapter à l’eau extrêmement froide ; je ne pouvais pas me révolter. Comme nous n’avions pas de quoi se nettoyer après avoir été aux toilettes, je déchirai mon caleçon pour pouvoir m‘essuyer avec. Les conditions de ce camp étaient horribles : il faisait très froid. L’air que nous respirions avait l’odeur de chair brûlée à cause du crématoire du camp. Certains travaillaient malgré le fait qu’ils soient malades pour éviter d’être vus comme faibles et donc être envoyés dans les chambres à gaz.
J’ai été envoyée au camp de concentration de Kratzau en Pologne vers fin octobre 1944 et je vivais une vie de concentrationnaire. Ce camp était plus strict et différent de Birkenau : il fallait survivre : on comptait les places pour arriver à la fin de la marmite de soupe pour être sûre d’avoir une soupe plus épaisse. Je suis restée à Kratzau jusqu’à la libération le 8 mai 1945. Ce jour-là, nous n’avons vu aucun soldat et nous avons été surprise de nous lever après l’aube. Nous comprenons alors que le camp est déserté par les Allemands et que nous sommes libres.
J’ai été rapidement rapatriée en France où un médecin m’a prescrit un régime alimentaire strict pendant 2/3 semaines car je mangeais tellement peu, voire pas du tout, aux camps que mon estomac avait rétréci: il fallait manger des bouillies et des purées pour laisser les intestins se refaire. Je n’avais presque pas faim, je n’avais plus l’habitude de manger. J’ai réussi à prévenir ma mère rapidement pour qu’elle m’accueille dès mon arrivée à Paris le 24 mai 1945.
En revenant à Paris, je n’ai pas vraiment gardé des liens avec mes copines des déportations. J’ai rencontré un homme grec et juif avec lequel je me suis marié le 28 juin 1947. Nous avons eu 2 filles. Après la guerre, j’ai récupéré l’appartement de mes parents et j’ai réussi à reprendre une vie normale et à retravailler dans le même bureau qu’avant la guerre. Quand mes filles sont devenues assez grandes, je leur ai raconté mon histoire. J’avais pris l’habitude avec des rescapés de se retrouver une fois par an dans un restaurant.
Bequi a témoigné à la fin de sa vie dans les écoles car elle se faisait âgée et n’y tenait pas vraiment et est décédée le 11 septembre 2020. Le Mémorial de la Shoah lui a rendu un hommage.
Sources
- documents d’archives donnés par Convoi 77
- témoignages de Béqui Pisanti, de Marceline Loridan et d’Yvette Levi présents sur le site du mémorial de la Shoah
- courtes biographies sur le site de Yad Vashem
- livres de Simone Veil, Jeunesse au temps de la Shoah ; de Ginette Kolinka, Retour à Birkenau; d’Henri Borlant, Merci d’avoir survécu et de Ida Grinspan, J’ai pas pleuré
- photos prises au mémorial de Drancy
This biography of Bequi PISANTI has been translated into English.