Biographie de Denise KLOTZ avec références historiques
Cette biographie et celle de Lucienne sont dédiées à la mémoire de Florence Dollfus-Heilbronn, Gilbert Bloche et Edith Bascou.
Thérèse, Denise Klotz
Denise naît le 15 octobre 1905 au domicile de ses parents, 9 rue de Tilsitt à Paris. Elle est la quatrième enfant d’une famille qui en comprendra bientôt six. C’est une petite fille aux jolies boucles brunes, souriante et joufflue, qui pose dans les bras de sa mère.
Archives personnelles Florence Dollfus
Quelques mois plus tard, peut-être une année (?), tous les enfants sont réunis autour de Flore leur mère. La famille tendrement enlacée fixe l’objectif du photographe, Denise a un regard très malicieux.
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En 1912, les enfants sont à Étretat chez leurs grands-parents. La famille s’est agrandie, Denise a désormais deux petits frères François et Philippe, nés en 1908 et 1909.
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Sur la première photographie, Denise place fièrement ses mains sur les hanches et esquisse un sourire complice au photographe. Petite fille modèle, elle a cependant un regard espiègle, c’est la seule qui, sur la troisième photographie, choisit de se placer derrière Anne-Marie, comme pour apporter un peu d’originalité dans cette pause très figée des six enfants Klotz.
Quelques années plus tard, en 1917, une photographie montre Denise tenant dans ses bras un berger allemand. Coiffée d’un chapeau et d’un manteau, elle a de longs cheveux châtains qui se terminent par de grandes boucles. Denise a 12 ans, elle semble encore très jeune, à peine sortie de l’enfance. A qui sourit-elle ? Elle semble prise dans ses pensées sans un regard pour le photographe.
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Denise se marie le 5 janvier 1926 avec Georges Victor Didier Helbronner. Elle a vingt ans, son mari vingt-deux. Le père de Denise, Henry Klotz est présent à la mairie ainsi que sa grand-mère Victorine Meyer, témoin majeur. Le mariage est dissous le 10 avril 1930.
Archives personnelles Florence Dollfus Archives de Caen
Denise a trente ans sur ces photographies. Jeune femme élégante, elle est maquillée et porte des boucles d’oreilles.
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A l’été 1939, Denise a 34 ans, elle prend la pose avec son neveu, Hubert, le fils d’Anne-Marie. Un an plus tard, la France est occupée. Une ordonnance allemande, datée du 27 septembre 1940, impose de se déclarer comme juif sur un registre spécial ouvert dans chaque préfecture ou sous-préfecture. En 1940 ou 41[1], Denise se fait recenser à la préfecture de police. Elle habite alors 9 rue Verniquet, dans le 17ème arrondissement. Elle déménage pendant la guerre. Sur sa fiche de recensement figure la mention « Est en zone libre ». Denise est de santé fragile suite à une poliomyélite contractée en 1936 ou 1937 [2].
Que devient-elle pendant la guerre ? Elle entre en résistance sous le nom de Madame Denis[3]. Appartient-elle à un réseau ? Il n’existe plus aujourd’hui de traces ni de mémoire de la résistance de Denise, seuls quelques mots apposés sur le dossier de demande régularisation de l’état civil de non rentré, où un fonctionnaire a écrit le faux nom sous lequel Denise était entrée en résistance. Quel témoin ou document a permis au fonctionnaire de préciser cela sur le dossier de Denise ? Impossible de le dire. Elle a fait partie de l’armée des ombres, de toutes celles et ceux qui se sont courageusement opposés au nazisme.
Elle est arrêtée le 12 juillet 1944 à son domicile au 64 avenue de la République[4] dans le 11ème arrondissement. Elle entre à Drancy sous le numéro 25089. Elle retrouve sa sœur Lucienne, arrêtée le même jour, son oncle Georges, arrêté la veille, mais aussi André Hayem, Louise et Fernand Ochsé, Claudine et Maurice Sergine. Elles seront affectées escaliers 19, chambrée 3. Sur un document[5], il est précisé que Denise « était toujours avec Claudine Sergine et Zelda Ménassé ». S’agit-il de Drancy où Claudine et Denise se sont retrouvées dès le 12 juillet[6] ? Ou d’Auschwitz ?
Le 31 juillet 1944, Denise quitte Drancy par le Convoi 77. Dans le même wagon se trouvent sa sœur, Lucienne, son oncle Georges, son cousin André Hayem, Claudine et Maurice Sergine. Le même jour Henry Klotz, son père est arrêté. Invalide et diabétique, il est placé à l’hôpital Rothschild annexe de Drancy. Henry a 77 ans ; il décédera le 17 août 1944, jour de la libération de Drancy, faute de soins.
Le frère de Lucienne et Denise, François Klotz a été arrêté pour faits de résistance en juin 1944.
Excellent parachutiste et connaissant très bien le littoral provençal, notamment le secteur Bandol-la Ciotat, il fut désigné pour enquêter sur le réseau SOE (Special Operations Executive) Monk décapité par la répression en mars 1944 à Marseille, et le réorganiser. Les circonstances de la disparition de François Klotz restent mystérieuses. On le crut parachuté dans le Var, dans le secteur de Vinon-sur-Verdon, et son dossier pour le titre de « mort pour la France » indique qu’il aurait été tué à Toulon (Var) le 29 juin 1944. Il fut en fait parachuté seul dans la nuit du 27 au 28 juin 1944 sur le terrain François, à 17 km au sud de Vissec (Gard) et à 12 km à l’est de Lodève (Hérault). Le radio Waiter (infiltré) du réseau de réception indiqua le succès de l’opération et la mise à l’abri des 25 containers d’armes reçus. (…). Que devint François Klotz ? Fut-il, comme c’est vraisemblable, conduit au Sipo-SD de Marseille pour interrogatoire par Dunker Delage, homme clé de la section IV (la Gestapo), qui supervisa ce piège ? Fut-il abattu avec d’autres résistants ? Serait-il l’un des inconnus du charnier de Signes (Var) ? A-t-il avalé sa pilule de cyanure ? On l’ignore. Son corps n’a jamais été retrouvé.
Il fut décoré à titre posthume de la médaille Militaire, de la croix de Guerre avec palme, et de la Silver Star Medal. « Mort pour la France ».[7]
A l’arrivée à Auschwitz, Denise est sélectionnée pour entrer dans le camp. Deux lettres[8] témoignent de sa présence dans le camp jusqu’en novembre 1944. Un troisième témoignage précise que Denise a contracté le typhus dans le camp. Elle est très affaiblie et fait des séjours à l’infirmerie. Combien de temps a-t-elle vécu ? Difficile de le dire. Zelda Ménassé et Monique Adout supposent que Denise est décédée à Auschwitz, cependant un troisième témoignage d’Yvette Salan, qui figure au dos de la fiche de Drancy mentionne : « Malade du typhus à Auschwitz. Peut s’en être remise. »[9]
L’état civil de Denise donne le mois de décembre 44 comme mois de son décès. Il est fort probable comme le précise Zelda Ménassé qu’elle est morte dans le camp d’Auschwitz quelques mois après son entrée.
Références
[1] Deux recensements ont eu lieu à Paris (Octobre 40 et 41)
[2] Témoignage d’Édith Bascou (nièce de Denise)
[3] C’est ce que mentionne le dossier conservé aux archives de Caen (dossier n°33041 /21 P 469 400, archives de Caen)
[4] La fiche de Drancy donne cette adresse
[5] Archives de Caen, verso du document comportant la photo de Denise. Sur ce document, le nom de la famille est noté « Heilbraum », c’est certainement Anne-Marie qui a fait cette recherche et donné une photographie de sa sœur.
[6] Claudine entre sous le numéro 25087, Denise et Claudine occuperont la même chambrée à Drancy avec Lucienne et Louise Ochsé.
[7] Toutes ces indications sur la mort de François Klotz sont extraites de l’article du Maitron : http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article177289
[8] Lettre de Zelda Ménascé datée du 15 avril 1946 et une lettre de Monique Adout datée du 4 avril 1946 (dossier n°33041 /21 P 469 400, archives de Caen)
[9] Une note mentionnant Yvette Salan se trouve dans deux documents : au dos de la fiche de Drancy archives Mémorial de la Shoah, et fiche de recherches (dossier n°33041 /21 P 469 400, archives de Caen)
Travail poétique des élèves de la classe de troisième du Collège Charles Péguy de Palaiseau sur Denise KLOTZ
Les biographies des élèves : 3 poèmes sur Denise et Lucienne, dont 2 sont reproduits ci-dessous, l’enfance (pour les deux sœurs) et le premier (pour Lucienne) sont reproduits à la suite de la biographie de Lucienne.
Les trois poèmes suivent l’évolution temporelle de la forme poétique à l’image des périodes de la vie : de la forme stricte du sonnet aux vers libres plus modernes en passant par la dissonance des vers impairs. Ce genre littéraire a permis aux élèves d’imaginer certains pans de la vie de Lucienne et Denise, ces vides que l’enquête historique n’a pas pu combler
L’enfance
Aînée de la fratrie on la nommait Lucienne
Née au siècle d’avant elle n’était pas ancienne
Mais portait sur son dos le poids d’une famille,
Un regard droit, serein, animait cette brindille…
Yeux malicieux, tendre sourire, c’était Denise
L’inconscience de son enfance était une brise
Qui sur sa joue, chaque matin, venait souffler
Un doux parfum de rire, de joie et de gaieté.
Toutes deux entourées des quatre frères et sœurs
La famille était riche, oui, mais juive, quel malheur !
Dans un Paris sous l’eau en ce vingtième siècle.
Denise
Toi, Denise, la quatrième enfant, la petite fille modèle, tu étais née dans une famille bourgeoise, d’un père parfumeur ; souriante, innocente, insouciante même, te cachant pour ne pas apparaître sur la photo.
Ta vie, Denise, aurait pu être comme un long fleuve tranquille : rien de tragique, rien de dramatique. Pourtant dès le plus jeune âge, tu fus frappée par la maladie qui révéla pour toujours ta fragilité : pourquoi ? Quelle force en décida ainsi ? Dans ton regard et sur ton visage orné de boucles se lisaient déjà de profondes pensées. Tu n’étais qu’une jeune femme à peine sortie de l’adolescence quand tu épousas Georges. Absente à ton mariage, ta mère t’aimait-elle ? Ou voulait-elle ne pas subir le supplice de revoir son ancien mari ?
Ah Denise, quelle femme tu étais, maquillée et bien coiffée avec tes bijoux rayonnants ! Combien d’hommes ont dû te désirer, belle comme tu étais ! Tu fumais malgré tous ceux qui désapprouvaient. Tu divorças, poussée par ton fort caractère qui te mena vers la Résistance sous le nom de Madame Denis : espoir de liberté ou refus d’être déportée ?
Soudain, Denise, l’angoisse te monte au ventre quand tu te fais recenser, tu ne peux pas t’en séparer, elle revient sans cesse, le soir, la nuit. « Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait, suis-je une criminelle, un vulgaire bandit ? » Mais quoi qu’il arrive, tu respectes ces lois aussi racistes et antisémites qu’elles soient, car ce sont les règles, cela a toujours été.
Le temps s’écoule alors dans le questionnement, l’appréhension, la peur. Plus le temps passe et moins tu comprends la haine qui anime certaines personnes contre toi. Elle grandit de jour en jour comme une vague puissante, emportant vers la mort tant de vies innocentes, d’identités, restreignant ta liberté de vivre, détruisant peu à peu ta beauté, serrant ta vie comme un étau brûlant qui avance inexorablement pour t’emmener Denise, t’emmener vers la mort.
Quelles horreurs t’attendent à l’Est, Denise ? Pourquoi tout cela ? De dramatiques rumeurs parlent déjà de camps de travail, dans le froid, la neige, loin de tout. Oui Denise, tel est ton destin, et rien ni personne ne pourra l’arrêter. Tu n’avais pourtant rien demandé à personne, petite fille rondouillette, souriante, innocente, insouciante.
Rien ne te destinait à cette fin tragique et sans raison,
A cet holocauste,
A cette violence froide et calculée élaborée dans une belle maison de Wannsee
Rien
Denise Klotz a bien été arrêtée 64, avenue de la République dans le 11e à Paris. Elle partageait sa chambre avec Léa Warech (dite alors Suzanne ROCHE, et connue sous le surnom de la Grande Suzanne, disparue en 2009). Elles ont été arrêtées ensemble par la gestapo française et allemande, dans des circonstances un peu confuses, le 11 juillet 1944. Et déportées ensemble.
J’ai beaucoup entendu parler de Denise Klotz par ma grand’tante Annette Berger qui était une de ses grandes amies.
J’ai toujours des photos d’elles.
Pour moi, Denise fait un peu partie de ma famille et je pense toujours à elle !