Louise MOCHON
Nous nous sommes lancés dans le projet Convoi 77 vers la fin février 2024. Pour beaucoup d’entre nous ce projet était une initiation au travail de recherche. Ce fut une expérience marquante traversée par de nombreux échecs mais qui pourtant a abouti à la découverte de Louise Mochon et de sa famille. Cette année, la Shoah est au cœur de notre programme scolaire que ce soit en Géopolitique, en Histoire mais aussi en HLP. En travaillant sur la biographie d’une déportée, nous avons pu plonger au cœur de ce qu’a pu être la déportation et l’observer sous un prisme beaucoup moins scolaire. Écrire la biographie d’une déportée contribue à la construction de la mémoire de ces événements. Rares sont les déportés encore en vie, et nous avons eu la chance de retrouver la trace de Louise. Nous savons que témoigner demeure difficile et douloureux pour les derniers survivants des camps. Nous remercions Catherine Koblentz qui nous a apporté tant de détails précieux à propos de sa mère. Nous espérons que notre travail a pu contribuer à la construction de la mémoire familiale.
En ce qui concerne nos méthodes de travail et de recherche, nous nous sommes réparti les différentes tâches à accomplir. Chacun s’est occupé de trouver des informations sur une période de la vie de Louise et de les ajouter à la biographie. Nous nous sommes rendus rue Sedaine pour voir les lieux où a vécu la famille Mochon avant, durant et après la guerre et trouver d’éventuelles traces de leur passage. Ces longues recherches dans les rues de Paris pour trouver les éventuels lieux de résidence de Louise ont été bien souvent infructueuses. Pour débuter nos recherches, nous avons pu bénéficier des archives fournies par le fonds de l’association Convoi77, essentiellement des éléments liés à la gestion administrative des déportés rescapés. En plus de ce fonds, nous avons également récupéré les fichiers de Drancy de la famille Mochon via les archives de Pierrefitte qui nous ont permis d’approcher le processus de déportation de chacun des membres de la famille. Dans un second temps, nous avons sollicité les archives de Bad Arolsen, celles de l’International Center on Nazi Persecution[1] mis en place par le CICR en Allemagne au sortir de la deuxième guerre mondiale. Les archives qu’ils nous ont communiquées ont été décisives dans notre quête de Louise Mochon. Nous savions qu’elle était revenue, et un certain nombre de documents attestaient des démarches qu’elle avait effectuées pour être indemnisée, mais en dehors de cela, aucune trace d’elle. Or dans les archives d’Arolsen[2], nous avons découvert qu’en 1959, elle était mariée, puis un autre document[3] mentionne qu’elle avait été contactée par l’équipe de Serge Klarsfeld en 1996 dans le cadre de son enquête pour l’écriture du « Mémorial des enfants ». La mairie du 19ème arrondissement avait répondu à la requête d’Arolsen en confirmant avoir transmis la demande à l’intéressée. Nous en déduisons qu’en 1997, Louise Mochon, épouse Koblentz, est toujours en vie, mais nos recherches restent vaines, nous ne trouvons aucun trace d’elle. Il nous a alors fallu alors entamer un minutieux travail d’enquête dans les Archives de Paris, et grâce aux extraits d’actes de naissance et de décès, de nos recherches dans les registres des écoles et même de ceux des cimetières, nous avons peu à peu réussi à retrouver des traces de la famille de Louise. L’élément déterminant a été l’identification de son mari, Albert Koblentz, car, sur l’acte de décès de ce dernier, figurait une adresse dans le 18ème arrondissement de Paris. Nous nous sommes rendus sur place, mais le groupement d’immeubles était trop vaste pour envisager un porte à porte. Par ailleurs le temps s’écoulait et il nous fallait songer à finaliser notre travail. Fin mai, après en avoir discuté avec notre professeur, nous avons décidé d’envoyer une lettre à cette adresse, en espérant que, si Louise était encore en vie (mais tout le laissait entendre car nous avions remonté les registres de décès de l’INSEE jusqu’en 1990 sans trouver la trace d’un éventuel décès de Louise), nous aurions peut-être une réponse. C’était un peu la lettre de la dernière chance, où nous expliquions sobrement qui nous étions et notre démarche de rédaction d’une biographie, la sienne, dans le cadre du projet Convoi77. Et un soir, nous avons eu l’immense joie que celui d’entre nous qui avait laissé son numéro soit appelé par Catherine, la fille de Louise, nous annonçant que cette dernière était toujours en vie. Elle a accepté de nous envoyer un grand nombre d’informations, et notamment de photographies, tout en précisant que sa mère maintenait sa volonté de ne plus évoquer ce douloureux passé. De fait, notre travail a pris un tour nouveau, car nous avons reçu de nombreux documents très précieux, éclairant certains points jusque-là demeurés obscurs.
La biographie de Louise Mochon, déportée à l’âge de 16 ans, permet également, par la mention des membres de sa famille, puis de celle de son époux, de rendre compte de manière saisissante des différents parcours des Juifs d’Europe qui ont subi les mécanismes de l’implacable entreprise des nazis visant à les faire disparaître.
Les parents de Louise sont Pessah Mochon et Esteroula Alalouf. Elle a une sœur aînée, Rachel, et un petit frère, Albert.
Elle épouse Albert Koblentz, lui-même déporté à Auschwitz-Birkenau (ainsi que ses parents et son frère aîné. Son frère cadet a rejoint les FFI).
Louise et Albert ont eu une fille, Catherine Koblentz.
Chronologie
- 1er janvier 1903 : naissance d’Esteroula/Steroula Alalouf à Smyrne/Izmir en Turquie.
- 15 janvier 1906 : naissance de Pessah/Elie Mochon à Tiré dans la province de Smyrne/Izmir en Turquie.
- 7 décembre 1925 : naissance de Rachel Mochon.
- 29 juillet 1928 : naissance de Louise Mochon à 10h00 au 16 bis rue Chaligny dans le 12ème Arrondissement (Hôpital Saint-Antoine).
- 3 avril 1930 : mariage de Pessah et Steroula Mochon à 11h43 à la mairie du 11ème arrondissement, les filles sont alors légitimées.
- 19 avril 1936 : naissance d’Albert Mochon.
- Septembre 1939-juin 1940 : Pessah s’engage au service de la France dans le RMVE (Régiment de Marche des Volontaires Etrangers).
- 30 juin 1941 : Esteroula, commerçante ambulante, n’a plus de stock à écouler.
- 7 juillet 1942 : Au terme d’une procédure initiée par l’Etat français, Esteroula est radiée du registre du commerce.
- Juillet 1942 : Louise et sa famille reçoivent l’étoile jaune.
- 16 -17 juillet 1942 : Joseph et Szosza Koblentz[4], les parents d’Albert ont été raflés lors de la rafle du Vel d’Hiv[5].
- Fin juillet/Août 1942 : Pessah est arrêté lors d’un contrôle d’identité quelques semaines après la rafle du Vélodrome d’Hiver, alors qu’il se rendait au travail[6].
- 24 juillet 1942 : J. et S. Koblentz sont déportés par le convoi n° 10 en direction d’Auschwitz-Birkenau[7].
- 14 septembre 1942 : départ de Pessah depuis Drancy pour Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 32. Selon les informations recueillies par Louise et sa famille, son père serait mort très peu de temps avant la libération du camp. Pessah aurait donc vraisemblablement été sélectionné pour le travail à son arrivée et a survécu pendant deux années à l’enfer d’Auschwitz-Birkenau.
- 18 août 1943 : arrivée de la fratrie Koblentz, Isaac (22 ans), Albert (18 ans) et Nathan (15 ans) à Tarbes, dans le département des Hautes-Pyrénées. Ils se font enregistrer auprès du Service des Réfugiés du département[8].
- 21 août 1943 : Albert et Isaac sont convoqués par le STO pour effectuer un stage en entreprise industrielle en tant que manœuvre, aux Ets Dumont à Tarbes.
- 18 octobre 1943 : Albert et Isaac travaillent dans une usine de la société aéronautique, Ets Morane-Saulnier à Louey dans les Hautes-Pyrénées tandis que Nathan est employé chez un photographe[9].
- 6 novembre 1943 : chacun reçoit un pantalon et une chemise suite à leur demande au service des Réfugiés.
- 8 avril 1944 : arrestation d’Esteroula Mochon et de sa fille aînée Rachel et internement à Drancy. A cette date, Albert, le cadet, qui a 8 ans, est caché en province et Louise, 15 ans, alors employée comme fille de salle à l’hôpital, échappent à cette arrestation.
- 29 avril 1944 : départ d’Esteroula et de Rachel, depuis Drancy pour Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 72.
- 1er mai 1944 : arrivée du convoi n° 72 à Auschwitz-Birkenau. Esteroula et Rachel sont sélectionnées pour le travail au camp[10].
- Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944 : rafle de la rue Vauquelin. Louise est arrêtée au centre de l’UGIF, 9 rue Vauquelin, dans le 5ème arr., avec une trentaine d’autres jeunes filles juives.
- Isaac et Albert Koblentz sont arrêtés et déportés par le convoi n° 76 à Auschwitz, ils seront sélectionnés à leur arrivée pour travailler au camp de Monowitz.
- 31 juillet 1944 : départ depuis la gare de Bobigny à Drancy du convoi n° 77 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Ce convoi comprenait 1306 prisonniers dont 324 enfants et un nouveau-né, né à Drancy.
- 3 août 1944 : arrivée du convoi n° 77 à Auschwitz-Birkenau.
- Octobre/Novembre 1944 : transfert de Louise, Rachel et Esteroula au camp de Bergen-Belsen, mais ce n’est qu’à Bergen-Belsen qu’elles se retrouvent.
- 18 janvier 1945 : Isaac Koblentz participe au marches de la mort en direction de Gleiwitz, il décède durant le trajet, tandis qu’Albert, très malade et incapable de marcher, est laissé à Monowitz.
- 27 janvier 1945 : Les Soviétiques libèrent le camp d’Auschwitz-Birkenau-Monowitz.
- 15 avril 1945 : les forces britanniques libèrent le camp de Bergen-Belsen et y trouvent près de 60 000 personnes.
- 17 mai 1945 : Les informations apposées sur les cartes de Louise et de Rachel mentionnent un retour par camion. Cependant, Louise se souvient d’avoir été rapatriée par train avec sa mère, peut-être les filles ont-elles insisté pour ne pas être séparées de leur mère dont l’état nécessitait un retour plus confortable que par camion[11].
- 21 mai 1945 : Face aux épidémies de typhus, de fièvre typhoïde, de tuberculose et de dysenterie, les Britanniques décident de brûler une partie du camp.
- 24 mai 1945 : Louise s’est présentée au centre de rapatriement de Paris-Lutetia où lui est délivré la carte n°I.625.585[12]. Louise, Rachel et Esteroula restent trois semaines au Lutetia. Elles retrouvent alors le jeune Albert resté caché à la campagne pendant toute cette période.
- 25 septembre 1945 : Louise reçoit son certificat de déporté, modèle A.
- 11 juillet 1946 : Mariage de Rachel Mochon avec Elias Sissa à la mairie du 11ème arrondissement à 10h13.
- 6 octobre puis 15 novembre 1950 : reconnaissance de la mort en déportation de Pessah Mochon.
- 11 mars 1952 : Louise fait une demande pour obtenir le statut de « déporté politique ».
- 9 mai 1955 : Louise reçoit officiellement le statut de déportée politique (il est indiqué qu’elle vit au 79 rue Sedaine, dans le 11ème arr., peut-être une erreur, parce qu’elle habite en octobre au 77).
- 5 octobre 1955 : Louise reçoit le pécule réservé aux déportés, d’une valeur de 12 000 francs.
- 30 octobre 1956 : Mariage de Louise Mochon avec Albert Koblentz à la mairie du 11ème arr.
- 24 juillet 1959 : Naissance de Catherine Koblentz, fille de Louise et Albert.
- 1959 : Louise et Albert habitent au 8 impasse Kuszner, 19ème arr.
- 29 janvier 1969 : Esteroula Mochon décède au 184 rue Saint Antoine[13]
- 19 avril 1996 : arrêté portant apposition de la mention « mort en déportation » sur les actes de décès, Pessah en bénéficie[14].
- Mars 1997 : l’ITS d’Arolsen contacte la mairie du 19ème arrondissement pour faire suite à la demande de Serge Klarsfeld de retrouver les enfants déportés survivants de la Shoah, ils cherchent à établir un contact avec Louise.
- Juin 1997 : la mairie du 19ème arr. répond à Arolsen que la demande a été transmise à Louise Koblentz, sans donner de précision sur sa nouvelle adresse.
- 3 novembre 2013 : mort d’Albert Mochon résidant 17 av. Vivien à Saint-Mandé[15].
- 22 juillet 2015 : mort d’Albert Koblentz résidant au 234 rue Championnet, dans le 18ème arr.[16].
Biographie
Histoire des parents de Louise jusqu’à la guerre
Louise Mochon est issue d’une famille judéo-turque. Sa mère, Esteroula, Steroula/Steronla ou Esther (H)alalouf naît à Izmir (à l’époque Smyrne) en Turquie en 1903[17] et son père Pessah ou Elie Mochon naît également dans la province d’Izmir à Tiré, le 15 janvier 1906. Ces derniers émigrent en France entre 1919 et 1925. En effet, différents facteurs historiques poussent les juifs turcs à quitter leur pays pour rejoindre la France au début du XXème siècle. Tout d’abord, avec la naissance du mouvement des jeunes Turcs dans l’Empire ottoman, les projets de turquification entraînent l’apparition d’un nouvel antisémitisme envers la communauté Juive. De plus, les minorités sont persécutées comme en témoigne le génocide des Arméniens en 1915-1916. La Première Guerre mondiale fragilise irrémédiablement l’Empire ottoman mais engendre par ailleurs un important besoin de main-d’œuvre en France afin de relancer l’économie et réparer les dégâts de la guerre. L’ensemble de ces facteurs entraîne alors une vague de migration vers la France. Pessah, cuisinier de formation, émigre pour échapper au service militaire à l’époque très long. Esteroula, quant à elle, avait une amie française en Turquie qui l’aide à quitter le pays, à s’installer à Paris où elle vit de la couture. Sa propre mère était couturière. Ayant perdu ses parents tôt, elle émigre sûrement pour des raisons économiques. Nous savons qu’elle avait une sœur avec laquelle elle entretient une correspondance en judéo-espagnol pendant un certain temps, par l’intermédiaire de Rachel, sa fille aînée, car elle ne sait pas écrire. Cependant, à cause de la distance et de la guerre, elles se perdent de vue. L’union de la sœur d’Esteroula avec un Turc musulman, a sans doute joué un rôle, ces alliances mixtes n’étant pas bien considérées dans une famille juive. Pessah et Esteroula se rencontrent dans un restaurant où Pessah est cuisinier. C’est dans cette situation que Pessah et Esteroula s’installent à Paris au 7 passage Maurice dans le 11ème arrondissement[18].
Rachel Mochon, l’aînée de la fratrie, naît le 7 décembre 1925 à Paris, et trois ans plus tard sa petite sœur, Louise, le 29 juillet 1928, au 16 bis rue Chaligny dans le 12ème arrondissement, à 10h.
Acte de naissance de Louise Mochon,
Archives numérisées de Paris.
En 1928, la famille Mochon habite au 79 de la rue Sedaine, rue accueillant de nombreux juifs orientaux, le quartier est d’ailleurs surnommé la « petite Turquie ». En avril 1930, sur l’acte de mariage de Pessah et Esteroula, ils habitent au 77 de la rue Sedaine.
Carte issue de l’article de BENVENISTE Annie, « Récits de migration, récits de persécution. La « petite Turquie » entre mémoire et fiction »,
Archives Juives, 2009 / 2 (Vol. 42), pp. 41-56.
DOI : https://doi.org/10.3917/aj.422.0041.
Source : shs.cairn.info
En 1927, est publiée une loi permettant aux étrangers d’être naturalisés après seulement 3 années de résidence sur le territoire français[19] afin de faciliter l’intégration de la main-d’œuvre étrangère. Cependant, il ne semble pas que Pessah Mochon ait fait une demande de naturalisation. En effet, nous n’avons pas trouvé de carte d’électeur à son nom dans les Archives de Paris, de plus il est intégré au début de la guerre dans le Régiment de Marche des Volontaires Etrangers[20] (voir son nom sur la liste ci-dessous), sur sa carte d’internement de Drancy, il est spécifié « nationalité : turque »[21] et finalement, Esteroula, au retour de la guerre, n’a pas pu prétendre à une carte d’invalidité à l’instar de Louise, Rachel et Albert Koblentz, alors que les « dénaturalisés »[22] de 1940 avaient été réintégrés[23] en 1945. En revanche, les enfants nés en France de parents étrangers étaient français sauf s’ils demandaient à ne plus l’être avant leur majorité. Louise et Rachel ayant moins de 21 ans au moment de leur arrestation étaient donc françaises[24].
Pessah Mochon apparaît sur le liste des engagés volontaires RMVE. Site Mémoire des Hommes.
Archives_Dossier 7_0085.
Photographie du mariage de Pessah et Esteroula, le 3 avril 1930.
(Archives Koblentz)
Photographie de Pessah en uniforme prise entre le 1er septembre 1939 et le 25 juin 1940.
(Archives Koblentz).
Régiment de Marche des Engagés Volontaires Etrangers (RMVE) 1er bureau. Première région militaire Bureau de la Seine centrale, matricule 14653.
Acte de mariage de Pessah et Esteroula. Archives numérisées de Paris
Photographie d’Esteroula et Pessah Mochon en 1930 (Archives Koblentz).
C’est dans ce contexte que Steroula/Esteroula devient commerçante ambulante de bonneterie (marchand forain[25]) à Paris tandis que Pessah s’établit comme ouvrier/manœuvre.
Extrait du registre du recensement de 1931. Rue Sedaine, 77. Composition de la famille Mochon.
Archives numérisées de Paris.
Rachel est scolarisée rue Keller[26]. Louise se souvient être allée à l’école rue Breguet. Sur sa carte d’internement de Drancy, il est mentionné qu’elle est apprentie couturière, sur celle de Rachel, que cette dernière est « mécanicienne »[27].
Enfin, le dernier de la fratrie Mochon, Albert, naît le 19 avril 1936.
La famille Mochon avant la guerre. De gauche à droite : Louise, Esteroula, Rachel, Albert
et Pessah. (Archives Koblentz)
Famille de Louise pendant la guerre
Nous savons par les archives militaires que Pessah s’est engagé dans le but de servir la France, quand bien même il n’avait pas la nationalité. En effet, est recensé au RMVE (Régiment de marche des Volontaires Etrangers). A l’approche des Allemands, Louise se souvient que la famille (sans doute sans Pessah) a quitté brièvement Paris, avant d’y revenir.
Lorsque l’Allemagne envahit la France le 22 juin 1940, les conditions de vie des juifs s’aggravent immédiatement. L’établissement de l’occupation allemande entraîne quelques jours plus tard la proclamation du régime de Vichy, le 10 juillet 1940, dirigé par le maréchal Pétain. En collaboration avec le régime nazi, le régime vichyste favorise l’application de lois antisémites en France dès son instauration. Ces dernières interdisent aux juifs d’exercer certaines professions (notamment dans les fonctions de l’Etat), et sont progressivement renforcées, au détriment de leur liberté.
Le statut des juifs est publié le 1er octobre 1940. Les 2 et 3 octobre, la préfecture incite par voie de presse et par des affiches les juifs étrangers et français à se faire recenser. Les parents de Louise sont des juifs étrangers mais les enfants Mochon, eux bénéficient de la nationalité française, obtenue par le droit du sol à leur naissance, ce qui explique peut-être que les parents n’aient pas spécialement craint des conséquences fâcheuses pour leur famille. D’ailleurs, Louise a raconté à sa fille qu’au moment où l’Etat français demande aux juifs de se faire recenser, un employé de la mairie leur aurait déconseillé de le faire, leur patronyme « Mochon », pouvant passer pour un patronyme neutre, typiquement français, « sans consonnance juive ». Malgré tout, comme la plupart des juifs confiants dans la France, les Mochon se sont fait recenser[28].
Dans la foulée du 2ème statut des juifs promulgué le 2 juin 1941, est publié en juillet 1941 un décret excluant les juifs des professions commerciales et industrielles. Aussi, l’Etat de Vichy s’intéresse au commerce d’Esteroula Mochon. C’est une commerçante ambulante, foraine, elle vend des articles de bonneterie sur les marchés. Les documents nous apprennent que son stock a été entièrement vendu sur les marchés avant la démarche de spoliation entreprise par l’Etat le 30 juin 1941[29].
Par la suite, son administrateur, nommé le 7 juillet 1941, s’assure de sa radiation du registre du commerce qui est effective le 7 juillet 1942. Esteroula est également sommée de rendre sa carte d’acheteur au commissariat le 30 octobre 1942 et n’exerce plus aucune activité commerciale dès lors.
Archives de Pierrefitte, n° 121418-Steroula Mochon.
Archives de Pierrefitte, n° 121453-Steroula Mochon
Archives de Pierrefitte, n° 121547-Steroula Mochon
La même année, le 28 mai 1942, est publiée la loi sur l’obligation du port de l’étoile jaune pour les juifs de plus de 6 ans. Louise et sa famille reçoivent les leurs en juillet. C’est aussi à partir de 1942 que commence la déportation des juifs français vers les camps de concentration et d’extermination nazis depuis Drancy[30]. La déportation des juifs français et étrangers en France s’accélère et les convois se multiplient, ce qui conduit à l’arrestation et la déportation de Pessah Mochon, père de Louise. Celui-ci est arrêté quelques semaines après la rafle du Vélodrome d’Hiver, à la fin juillet ou en août 1942, alors qu’il se rend au travail. Il fait partie du convoi n° 32 au départ de Drancy le 14 septembre 1942 vers Auschwitz-Birkenau. Ce convoi, constitué d’environ 1000 juifs étrangers, est trié lors de son arrivée : une centaine de juifs dont 58 hommes reçoivent un matricule et sont envoyés au travail tandis que les autres sont immédiatement envoyés vers les chambres à gaz. Il semble que Pessah, qui était manœuvre dans le civil, a été sélectionné pour le travail, car Louise et sa famille ont su par la suite qu’il serait décédé à Auschwitz très peu de temps avant la libération du camp, le 27 janvier 1945.
C’est sûrement suite à l’arrestation de Pessah qu’Esteroula décide de cacher Albert hors de Paris à la campagne. Au cours de la guerre, elle le rappelle car il lui manque trop, mais le renvoie finalement, ce qui lui permettra d’échapper à la déportation.
L’arrestation du père de famille et l’interdiction d’exercer une activité commerciale pour Esteroula mettent la famille dans une grande insécurité, cela explique peut-être que Louise travaille alors comme fille de salle à l’hôpital.
Moins de deux ans plus tard, en avril 1944, la mère de Louise et sa sœur Rachel sont arrêtées à leur tour : elles sont envoyées à Auschwitz-Birkenau depuis Drancy le 29 avril 1944 par le convoi n° 72. Lors de l’arrestation de sa mère et de sa sœur, Louise était à l’hôpital où elle travaillait en tant que fille de salle[31]. Après leur déportation, Louise se retrouve alors seule pendant près de 3 mois. Elle a 15 ans. D’abord réticente, elle entre à l’UGIF de la rue Vauquelin sur les conseils d’une assistante sociale. Après une première visite, elle décide de s’y installer, attirée par le confort des lieux, le centre dispose notamment d’un piano. Toujours méfiante, elle prépare avec ses camarades un plan d’évasion en cas d’arrestation.
Rafle de la rue Vauquelin jusqu’à l’arrivée à Auschwitz-Birkenau
L’UGIF (Union Générale des Israélites de France) est une organisation créée en 1941 par les autorités de Vichy sous la pression des nazis pour centraliser et contrôler les activités des Juifs en France. Elle offrait une assistance sociale et économique aux familles et un foyer aux enfants juifs dans le besoin. Nous pouvons ainsi supposer que Louise a été placée à l’UGIF du fait de son statut d’orpheline après la déportation de sa famille.
Ainsi, Louise a séjourné au centre de l’UGIF du 9 rue Vauquelin dans le 5ème arrondissement de Paris, dirigé par Françoise Mortier. Le 20 juillet 1944, a lieu l’attentat manqué contre Adolf Hitler. C’est pourquoi Aloïs Brunner, commandant du camp de Drancy, a fait arrêter tous les enfants des maisons de l’UGIF en guise de représailles. Ainsi a lieu la rafle de la rue Vauquelin dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 juillet 1944, organisée par la police française. Louise est alors embarquée en pleine nuit avec 27 autres jeunes filles ainsi que le personnel adulte du centre (3 jeunes femmes), sans même qu’on leur laisse le temps de s’habiller. Yvette Lévy, arrêtée à l’UGIF en même temps que Louise indique que les jeunes filles et elle-même sont restées en chemise de nuit pendant trois jours à Drancy mais que la directrice a finalement eu l’autorisation de retourner chercher quelques affaires au centre. A l’arrivée de Louise et des autres habitants de l’UGIF à Drancy, les Allemands ont fait l’appel : ils avaient le nom de tous les orphelins dont les parents avaient été déportés. Dans le camp de Drancy, les conditions de vie étaient très pénibles, que ce soit à cause du lieu en lui-même où il faisait trop chaud, où il n’y avait ni eau ni toilettes et où l’on tombait malade à cause de la nourriture, ou bien encore du fait des responsables de ce camp, dont le chef, Aloïs Brunner était dépeint par tous les déportés comme un homme cruel qui ne supportait pas d’entendre les enfants rire. Louise a eu 16 ans le 29 juillet 1944, dans le camp d’internement de Drancy.
Aux premières heures de la journée, le lundi 31 juillet 1944, 1306 personnes parmi les internés de Drancy sont entassées dans des autobus les conduisant en gare de Bobigny, ce sera le convoi n° 77.
Ce convoi comportait 1306 personnes dont 250 enfants de moins de 16 ans et un nouveau-né. Les déportés ont tout d’abord été acheminés du camp de Drancy par autobus en 5 minutes à la gare de Bobigny. Arrivés sur le quai, les déportés ont été entassés dans des wagons à bestiaux, conçus pour transporter des marchandises et/ou des animaux, sans espace pour s’asseoir ou s’allonger. Chaque wagon était surchargé de personnes, à raison d’une centaine de personnes par wagon. Les wagons étaient mal ventilés, ce qui rendait l’air difficilement respirable, surtout avec autant de personnes confinées dans un espace réduit. Les déportés n’ont pu se procurer ni eau ni nourriture pendant le transport, ce qui a entraîné des conditions de déshydratation et de faim extrêmes. Il n’y avait pas non plus de toilettes à bord des wagons, obligeant les déportés à utiliser des seaux ou des coins des wagons, ce qui créait des conditions sanitaires déplorables.
Trajet de la déportation du Convoi n° 77 (site Internet de Yad Vashem).
Finalement, Louise et ses compagnes de l’UGIF arrivent à Birkenau dans la nuit du mercredi 2 au jeudi 3 août 1944 au terme d’un voyage extrêmement éprouvant de plus de 70 heures. Au même moment en France, les Alliés progressent en Normandie, Vire est libérée le 2 août, Le général Patton arrive à Dinan, en Bretagne, le 3 août.
Yvette Lévy, raflée à l’UGIF de la rue Vauquelin, et déportée par le même convoi que Louise, souligne l’indescriptible odeur de chair brûlée qui les saisit à leur arrivée, « odeur qui prend à la gorge » dit-elle[32]. 2996 Tsiganes ont en effet été assassinés la nuit précédant l’arrivée du convoi dans les chambres à gaz, c’est l’odeur de leurs dépouilles brûlées dans les crématoires qui saisit les déportés du convoi n° 77. Sur le quai, certains sont sélectionnés pour le travail, dont Louise. Ils ne le savent pas encore, mais c’est pour pouvoir loger cette main-d’œuvre « fraîche » que les Tsiganes ont été gazés la veille.
Louise ne retrouve pas immédiatement sa mère et sa sœur, mais entend parler d’elles par d’autres déportées, elle sait qu’elles sont là et finit par les retrouver au terme du voyage qui les transfère de Birkenau à Bergen-Belsen, en octobre-novembre 1944[33], alors qu’elle ne les avait pas vues depuis près de six mois. En effet à l’automne 1944, les Allemands commencent à effectuer des regroupements de prisonniers à cause de l’avancée des Soviétiques dans la région, ce qui provoque l’envoi de nombreux prisonniers vers d’autres camps plus éloignés du front de l’Est.
Départ d’Auschwitz-Birkenau jusqu’à la libération de Bergen-Belsen
Entre la fin du mois d’août et le mois de décembre 1944, voire jusqu’à début janvier 1945, plusieurs femmes notamment du convoi n° 77 quittent Auschwitz-Birkenau pour d’autres camps de travail. Ce sont principalement des jeunes filles car le Reich a besoin de toute la main-d’œuvre encore disponible pour continuer à alimenter l’effort de guerre. Sentant les Soviétiques se rapprocher, les nazis souhaitent évacuer les prisonniers encore valides vers d’autres camps. La grande majorité de ces femmes ont entre 15 et 30 ans. Nous savons qu’environ 65 000 déportés ont quitté les trois camps principaux d’Auschwitz-Birkenau pour d’autres camps. Louise a, par chance, pu grimper dans l’un des derniers trains pour Bergen-Belsen (sa mère et sa sœur également) et ainsi échapper aux terribles marches de la mort. En octobre ou novembre 1944, elle arrive au camp de Bergen-Belsen au sud d’Hambourg, c’est là qu’elle retrouve sa sœur et sa mère. L’une des premières questions que sa mère lui pose est de savoir où se trouve Albert, le benjamin, elle savait en effet que s’il était arrivé avec Louise, il aurait été voué à être immédiatement gazé. Louise la rassure, à son départ, il était toujours caché à la campagne[34]. A partir de décembre 1944, Bergen-Belsen devient l’une des principales destinations des convois qui évacuent Auschwitz-Birkenau. Entre décembre 1944 et avril 1945 sur les 85 000 déportés arrivés au camp, 35 000 trouvent la mort. Une déportée du convoi n° 74, Lisette Cohen, ancienne résidente de la rue Sedaine et proche de Rachel Mochon, fait mention de Louise. Elle affirme qu’à son arrivée à Bergen-Belsen après les terribles marches de la mort, les trois Mochon l’ont aidée à trouver sa mère qui se trouvait déjà à Bergen-Belsen[35], cela montre que la solidarité des juifs du quartier Sedaine se poursuit dans les camps. Le 15 avril 1945, les forces britanniques libèrent le camp après la reddition des SS qui en ont la charge et y trouvent près de 60 000 prisonniers. Mais le camp est ravagé par de terribles épidémies de typhus, de fièvre typhoïde, de tuberculose et de dysenterie. Les victimes de la maladie gisent à même le sol. Les Britanniques sont horrifiés par le spectacle et mettent rapidement en place des hôpitaux de campagne.
Louise est rapatriée le 17 mai 1945 avec sa sœur Rachel et leur mère Esteroula. Bien que certains documents mentionnent un rapatriement par camion[36], c’est en train que Louise se souvient être revenue avec sa sœur et sa mère. Face à l’extension des épidémies, les Anglais brûlent les baraques qui faisaient office d’hôpital le 21 mai 1945 pour éviter que les maladies ne se propagent dans la région.
Louise, sa sœur et sa mère sont prises en charge à l’Hôtel Lutetia, le 24 mai 1945. Cet hôtel, qui avait été le siège du service des renseignements de l’état-major allemand durant l’Occupation, devint le lieu d’accueil des rescapés, entre le 26 avril et le 19 septembre 1945. Ces derniers y subissent un interrogatoire administratif, un examen médical avec radiographies et une désinfection au DDT. Ils reçoivent également en guise de papier d’identité, une carte de rapatrié, quelques vêtements et des chaussures, des tickets de métro et une modique somme d’argent (1000 à 2000 francs). Les plus malades sont orientés vers des hôpitaux, ceux qui sont faibles et sans logement restent de quelques heures à quelques jours, voire quelques semaines dans l’une des 500 chambres de l’hôtel. Louise se souvient qu’elles y sont restées trois semaines car leur appartement du 77 rue Sedaine avait été occupé par d’autres personnes qu’il a fallu du temps pour déloger. Quant à Albert, qui avait été caché durant la guerre, la famille qui l’avait en charge a dû venir au Lutetia pour chercher sur les listes, si des membres de sa famille étaient revenus et il a ainsi pu retrouver sa mère, il était alors âgé de 9 ans.
L’examen médical de Louise confirme son état de faiblesse. Sa fiche médicale indique qu’elle souffre de dysenterie, d’aménorrhée, de cachexie, de caries dentaires, de décalcifications, de douleurs et d’atteintes osseuses, de faiblesse cardiaque, son état général est qualifié de « mauvais »[37]. Elle a reçu un traitement anti parasitaire, le DDT (pour lutter contre les poux qui sont le principal vecteur du typhus).
Dossier médical de Louise Mochon.
Archives du SHD de Caen, AC 21 P 599256.
Louise reçoit sa carte de rapatriement n° I. 625 585.
Retour à Paris et après-guerre
Le 25 Septembre 1945, Louise reçoit son certificat de déporté modèle A, qui est “délivré aux personnes déportées ou internées par l’ennemi”[38].
Ce certificat lui permet, le 11 mars 1952, d’effectuer une demande de reconnaissance en tant que déportée politique. Ce statut lui est accordé officiellement le 9 mai 1955. Puis, le 5 octobre de la même année, elle reçoit le pécule réservé aux déportés, d’une valeur de 12 000 francs (c’est-à-dire l’équivalent de 300 euros aujourd’hui).
Famille Mochon après la guerre. De gauche à droite : Albert, Louise, Rachel, Esteroula.
Archives Koblentz.
Un an après son retour des camps, la sœur de Louise, Rachel, épouse le 11 juillet 1946 Elias Sissa, domicilié au 5 bis boulevard de Bonne Nouvelle[39], de trois ans son cadet. Rachel exerce alors brièvement le métier de secrétaire. Elle aura deux enfants : Jacques et Michel[40]. Puis Rachel est employée dans des ateliers de confection et elle devient vendeuse de tissus sur les marchés avec son mari Elias. Comme sa mère, son don pour la couture fait d’elle une excellente conseillère.
Par ailleurs, Esteroula et Rachel déclarent en marge de l’acte de mariage de Rachel qu’elles n’ont pas connaissance du lieu de résidence de Pessah Mochon, montrant qu’elles n’osent pas encore renoncer à le croire vivant. La mention de son décès interviendra plus tard. En effet, la mort en déportation de Pessah Mochon n’est reconnue officiellement que le 15 novembre 1950, et la date officielle de son décès révisée en 1996.
Juin 1955, Louise Mochon (au centre) dans son atelier chez Bril avec ses collègues
(Archives Koblentz).
Carte de déporté politique de Louise Mochon.
(Archives Koblentz).
30 octobre 1956, mariage de Louise Mochon et Albert Koblentz
(Archives Koblentz).
Le 30 janvier 1956, Louise épouse Albert Koblentz[41], rencontré lors d’un bal. Ils ont une fille, Catherine Koblentz, qui naît le 24 juillet 1959.
Albert Koblentz a lui-même été arrêté, puis déporté avec son frère Isaac par le convoi n° 76.
Albert, Isaac et leur frère cadet Nathan avaient fui Paris après l’arrestation de leurs parents, pour résider à Tarbes où Nathan avait un contact. Ils y arrivent le 18 août 1943, à la suite de quoi, après s’être fait enregistrer auprès du Service des Réfugiés du département des Hautes-Pyrénées, Albert et Isaac sont convoqués par le STO le 21 août, pour travailler dans les établissements Dumont. Albert et Isaac travaillent ensuite dans une usine d’aéroplanes, les Ets Morane-Saulnier à partir du 18 octobre 1943, tandis que Nathan est employé chez un photographe. Le 6 novembre 1943, ils reçoivent chacun une chemise et un pantalon suite à leur demande au service de distribution de vêtements et de chaussures du département pour les réfugiés. Tous les trois cherchent à rejoindre la résistance. Albert et Isaac sont arrêtés par la Gestapo, puis transférés à la prison Saint-Michel de Toulouse et enfin vers Drancy. Leur frère cadet, Nathan, prévenu par des connaissances échappe de peu à l’arrestation et rejoint la résistance. Albert et Isaac sont internés au camp d’Auschwitz-Birkenau-Monowitz[42]. Le 18 janvier 1945, Albert, trop faible pour marcher et participer à l’évacuation du camp, est laissé pour mort[43] et échappe à la chambre à gaz in extremis grâce à l’arrivée des soldats soviétiques. En effet, les nazis préfèrent quitter précipitamment le camp sans prendre le temps de tuer ceux qui ne pouvaient plus marcher. Isaac, malade[44], est jugé suffisamment valide pour partir en direction de Gleiwitz, il participe donc aux marches, ce qui lui sera fatal[45].
Carte de déporté politique d’Isaac Koblentz, le grand frère d’Albert, mort dans les marches de la mort en janvier 1945.
Au dos, nous pouvons voir que cette carte a été délivrée à Albert, en tant qu’ayant cause.
(Archives Koblentz).
Carte de déporté politique d’Albert Koblentz.
(Archives Koblentz)
Photographie de Nathan Koblentz, le frère cadet d’Albert et Isaac, en tenue de résistant, prise en 194… Il porte au bras gauche un brassard où est dessinée La Croix de Lorraine, symbole de son appartenance aux FFI (archives de Koblentz).
Feuille signalétique de Nathan Koblentz tenant lieu de livret matricule datant du 19 juillet 1945
(Archives Koblentz).
Après la guerre Albert travaille dans une fabrique de pain azyme, puis devient brocanteur[46]. Louise, quant à elle, a été brièvement manutentionnaire, puis vendeuse en boulangerie. Elle aussi a fait les marchés très peu de temps. Elle finit par trouver un emploi stable dans un atelier de confection comme repasseuse de pantalons (c’est la photo où on la voit entourée de deux collègues) chez Bril[47], rue du Renard à Paris. Elle y a travaillé pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’elle soit enceinte. Sa santé ne lui a pas permis de reprendre le travail par la suite. Le relevé de carrière de Louise nous apprend également que sa période de déportation est comptabilisée comme « service militaire guerre régime général » et vaut 4 trimestres[48].
Albert Koblentz, Louise et Rachel bénéficient d’une pension militaire d’invalides de guerre et victimes civiles à partir du 31 juillet 1957. Esteroula, n’ayant pas la nationalité française ne peut y prétendre. Les années d’après-guerre sont particulièrement difficiles pour la famille, car ils sont très démunis et physiquement en mauvaise santé[49]. L’attribution (tardive) d’une pension d’invalidité leur a été d’un grand secours. Plus tard, ils reçoivent également l’indemnisation “Jospin”[50] et plus tard encore, des fonds ont été débloqués par la Claims conference.
Le 29 janvier 1969, Esteroula meurt, alors qu’elle est hospitalisée à l’hôpital Saint-Antoine dans le 11e arrondissement. Sa santé est très mauvaise depuis son retour de déportation. Elle a alors soixante-trois ans, et n’exerce aucune profession. Elle habite encore le 77 rue Sedaine. Elle est enterrée au cimetière de Pantin.
En juin 1997, un secrétaire de mairie, sans doute celui de la mairie du 19e arrondissement, contacte Louise dans le cadre de la requête faite par Serge Klarsfeld auprès du centre de Bad Arolsen. La fille de Louise, Catherine, se souvient de l’insistance du secrétaire de mairie, et que sa mère l’avait missionnée pour répondre à sa place et refuser tout contact.
Le 29 janvier 2010, Elias Sissa, le mari de Rachel, meurt à l’âge de 82 ans.
Le 3 novembre 2013, Albert Mochon, resté célibataire et sans enfant[51], meurt à l’hôpital Saint-Antoine. Il est alors domicilié à Saint-Mandé. Il est enterré, comme sa mère, au cimetière de Pantin.
Le 22 juillet 2015, Albert Koblentz, le mari de Louise, meurt à l’âge de 90 ans. Il est alors hospitalisé à l’hôpital Vaugirard. Sur son acte de décès, nous avons eu accès à son adresse, il habitait dans le 18e arrondissement, il y est mentionné qu’il est l’époux de Louise Mochon[52].
A ce jour, en septembre 2024, Louise, 96 ans, et Rachel, 99 ans, veuves toutes les deux, sont toujours vivantes.
A son retour de déportation, Louise s’est juré de ne plus jamais évoquer cette période et que ses enfants ignoreraient tout de ce qu’elle a vécu à Auschwitz-Birkenau, c’est ce qui a motivé sa décision de ne pas donner suite à la requête de Serge Klarsfeld en 1996.
La question du témoignage et de la transmission de la mémoire au retour de la déportation semble avoir été un sujet de discussion entre Albert et Louise. Catherine rapporte que sa mère lui avait expliqué se souvenir de tout, mais ne pas vouloir parler de ce lieu « qui prenait à la gorge », selon ses mots, car cela « faisait trop de peine aux enfants ». A l’inverse, Albert, son époux, cherchait à en parler. Ces deux approches, le silence ou la parole, sont courantes et révélatrices tant de l’ampleur du traumatisme que de la diversité qu’ont les êtres à le gérer.
Suite à notre sollicitation en mai 2024, et grâce à l’entremise de sa fille, Catherine, nous avons pu réunir de précieux renseignements permettant d’approcher le drame que fut l’entreprise d’assassinat systématique des juifs conduite par les nazis et ses conséquences pour ces familles, les Mochon et les Koblentz.
Louise nous a honorés de sa confiance en nous donnant accès aux photos familiales et au cliché où l’on voit la marque indélébile qu’elle a reçue le 3 août 1944 en arrivant à Auschwitz-Birkenau.
Que Louise et Catherine soient sincèrement remerciées d’avoir contribué à la réalisation de ce travail de recherche et de mémoire, et qu’elle reçoivent toutes deux notre immense gratitude.
Photographie du tatouage du matricule sur l’avant-bras de Louise Mochon/Koblentz, prise en mai 2024.
Carte de grand invalide de Louise Koblentz (Mochon) qui lui est délivrée pour son état de santé après sa déportation et qui lui est toujours délivrée aujourd’hui.
(Archives Koblentz)
Dessins : Ondine Desaché.
Textes : Louis Vray, Pétronille Sécher-Léonelli, Eva Nahon, Shirine Aissaoui,
Louise Elissèche, Gabrielle Créquer, Maxime Caraty, Ondine Desaché.
Supervisés par leur professeur, Mme Deroyer
Notes & références
[1] Ou ITS, International Tracing Service.
[2] Dans un document concernant le déporté survivant ouvert en mars 1959.
[3] Un échange de courriers entre les services de Bad Arolsen et la mairie du 19ème arr.
[4] Demeurant au 6 rue Eginhard dans le 4ème arr. de Paris.
[5] En tant que couple sans enfant, ils ont dû être internés immédiatement à Drancy, https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/shoah-mises-au-point/paris-vel-d%E2%80%99hiv-16-juillet-1942.
[6] L’étude attentive de la carte de Drancy concernant Pessah semble indiquer plusieurs chambres différentes.
[7] Nous savons par Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France de S. Klarsfeld, revu par J.-P. Stroweis, p. 57, qu’ « À leur arrivée à Auschwitz-Birkenau, les 370 hommes ont reçu les matricules 52883 à 53252 et les 630 femmes les matricules 11345 à 11974. », nous pouvons en déduire que les parents d’Albert Koblentz n’ont pas été assassinés dès leur arrivée. Cependant, ils n’ont pas survécu.
[8] Archives Koblentz.
[9] Archives Koblentz.
[10] S. Klarsfeld, J.-P. Stroweis, ibid., p. 195 : « Une version révisée du « Calendrier d’Auschwitz-Birkenau » indique que 91 femmes ont été sélectionnées pour être affectées au camp et qu’elles ont reçu les matricules de 80569 à 80659. Les 865 personnes restantes sont gazées immédiatement ».
[11] Informations figurant au dos de leur carte d’internement de Drancy, inscrites à leur retour à Paris par le service d’accueil aux réfugiés.
[12] Sa mère et sa sœur également.
[13] Elle est inhumée au cimetière de Pantin, Division 208, Ligne 5, Tombe 36.
[14] Pessah Mochon est à partir de cette date réputé être décédé le 19 septembre 1942 à Auschwitz-Birkenau, et non le 14 septembre 1942 à Drancy.
[15] Il est inhumé au cimetière de Pantin, Division 135, Ligne 16, Tombe 23.
[16] Il est inhumé au cimetière de Montmartre. Sa sépulture est référencée sous le numéro 7 DX 2015 et se situe à la division 20 / 2ème ligne et 31ème tombe chemin Artot.
[17] Il n’est souvent mentionné que « 1903 », la date du 1er janvier que l’on trouve parfois ne semble être qu’une date de « substitution ».
[18] Archives numérisées de Paris, recensement de 1926.
[19] Contre 10 ans auparavant, loi de 1889.
[20]https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/recherche_transversale/bases_nominatives_detail_fiche.php?fonds_cle=19&ref=2573332&debut=0.
[21] En comparaison avec la fiche d’Abraham Kaplan, qui avait été naturalisé en 1906, et pour lequel la mention de la nationalité est « française d’origine » sur sa fiche de Drancy.
[22] En 1940, est publiée la loi portant sur la révision des naturalisations obtenue depuis 1927. Sur la carte de Drancy de Pessah, sa nationalité est « turque », sur celle d’Esteroula, il est mentionné « indéter ».
[23]https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Archives/Les-archives-du-site/Archives-Integration/Historique-du-droit-de-la-nationalite-francaise et Claire Zalc in L’Humanité Dimanche, n° 571, août 2017, pp. 77-81.
[24] Ainsi qu’en attestent les mentions « fr.or. » pour Louise et « française » pour Rachel sur leurs cartes d’internement de Drancy.
[25] De nombreux Juifs orientaux installés dans le quartier Sedaine/Roquette (11ème arr.) sont spécialisés dans le commerce de bonneterie ; ils achètent en gros un stock d’articles qu’ils écoulent sur les marchés à Paris et en dehors de Paris.
[26] Les registres de l’école rue Keller permettent de retrouver Rachel.
[27] Nous ne savons trop quel crédit accorder à ces mentions, car Louise était à l’époque fille de salle à l’hôpital.
[28] « La très grande majorité (environ 90 %) des Juifs du département de la Seine se fait recenser en octobre 1940. Le préfet de police précise au chef de l’administration militaire de la région de Paris, le 26 octobre : « Ce travail a été effectué du 3 au 19 octobre. À cette date, ont été inscrits 85 664 sujets français, 64 070 sujets étrangers, soit au total 149 734 Juifs ». Des retardataires vont se faire recenser jusqu’en juillet 1941. » http://www.unlivredusouvenir.fr/recensement.html#:~:text=56%20690%20hommes%20et%2055,IVe%20(5%20%25).
[29] Les documents fournis par les archives de Pierrefitte font mention du liquidateur du commerce d’Esteroula, A. Bonnier, Commissaire gérant, sis 96 rue de la Folie-Méricourt dans le 11ème arr.
[30] Le premier convoi part le 27 mars 1942.
[31] En effet, après l’obtention de son certificat d’étude, à 13 ans, soit fin 1942/début 1943, Louise commence à travailler.
[32] https://seinesaintdenis.fr/actualite/culture-patrimoine/memoire/Yvette-Levy-enfant-de-Noisy-rescapee-des-camps/
[33] Les archives de Bad Arolsen mentionnent octobre, alors que dans le dossier de demande d’attribution du titre de déportés politique, p. 4 il est mentionné que Louise arrive à Bergen-Belsen le 30 novembre 1944.
[34] Louise n’a jamais su où exactement à son grand regret.
[35] Ilsen About, Arnaud Nemet, « L’histoire de Lisette Cohen Abouth », in Suppl. Kaminando I Avlando, n° 42, mai 2022 p. 50. Revue de l’association Aki Estamos – Les Amis de la Lettre Sépharade fondée en 1998 AVRIL, MAI, JUIN 2022 Nissan, Iyar, Sivan 5782.
[36] Source : archives de Bad Arolsen, List of French nat. repatriated from Belsen camp to France, la liste est établie en français et mentionne « par cam. ». Nous avons noté des erreurs dans les premiers documents qui sont établis dans la période compliquée de la libération des camps, un document de Bad Arolsen les mentionne même comme étant décédées. Sur les cartes de Drancy, les informations portées au retour de déportation spécifient bien qu’Esteroula, Rachel et Louise ont été rapatriées par train.
[37] Il existe trois grades « Bon », « Moyen » et « Mauvais ».
[38] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074068/LEGISCTA000006174250/
[39] Acte de mariage de Rachel Mochon et Elias Sissa. Archives numérisées de Paris. Elias y est dit « opticien » ce qui étonne la fille de Louise car Elias travaillait en fait à la pharmacie Canonne à cette époque.
[40] Jacques SISSA, né le 19/12/1946 à Paris 12e arr., décédé le 19/08/2007 à Paris 11e arr.
(sans enfants). Michel SISSA (né en novembre 1954), a eu un fils Rudy (né en juillet 1981) qui a eu 2 filles : Nina et Rachel.
[41] Fils de Joseph Koblentz (nationalité russe originaire de Kreuzburg/Krustpils en Lettonie) et Szosza Rywka Zakheim (nationalité polonaise originaire de Varsovie) , tous deux déportés lors du convoi du 24 juillet 1942.
[42] « Ce convoi emportait 1156 déportés dont 654 hommes. 256 d’entre eux sont gazés dès l’arrivée au camp d’extermination de Birkenau le 4 juillet 1944. 398 entrent au camp. Ils sont dirigés sur le camp de Monowitz, l’un des trois camps du complexe d’Auschwitz, appelé aussi Auschwitz III. » in Transferts et évacuations du complexe d’Auschwitz. https://www.cercleshoah.org/IMG/pdf/marches-mort-evacuation-monowitz.pdf (à partir des témoignages des déportés du convoi 76 et documents d’archives).
[43] « Par ailleurs, 63 détenus du convoi 76, affaiblis par des mois de déportation, ne sont pas en état de partir le 18 janvier. Tous les « inaptes » à faire la marche, blessés, malades, sont laissés au camp de Monowitz par les nazis. », ibid.
[44] « Des déportés évoquent aussi des camarades malades qui ont, malgré tout, pris la route, comme Franz Kettner (« Il avait un grave phlegmon à la jambe »,) Karl Stark, (« Il avait une fracture au bras gauche et était en très mauvaise santé ») , Samuel Meniack, Isaac Koblentz, André Carnos, Ne les ayant plus revus, ils supposent qu’ils ont été abattus pendant cette première marche, ainsi que bien d’autres sûrement. témoignages des déportés du convoi 76 et documents d’archives », ibid., pp. 7-8.
[45] « Les unités SS forcèrent près de 60 000 prisonniers à marcher vers l’ouest depuis les camps d’Auschwitz. Des milliers de prisonniers furent tués dans les camps quelques jours avant le début de la marche de la mort. Des dizaines de milliers de prisonniers, pour la plupart des Juifs, furent forcés de marcher vers le nord-ouest pendant 55 kilomètres à destination de Gliwice (Gleiwitz (…) Au moins 3000 prisonniers moururent sur la route en direction de Gliwice (Gleiwitz), et 15 000 autres environ perdirent la vie au cours des marches d’évacuation d’Auschwitz et des camps secondaires. » in https://www.cercleshoah.org/spip.php?article264#:~:text=Les%20prisonniers%20souffrirent%20du%20froid,Auschwitz%20et%20des%20camps%20secondaires.%20%C2%BB
[46] Avant-guerre, il avait suivi une formation élémentaire en électricité, tandis que son frère cadet se destinait à être retoucheur en photographie.
[47] Catherine se souvient très bien du nom de cet employeur qui était souvent mentionné dans les génériques de film, sans doute un élément de fierté pour Louise qu’Albert et Catherine taquinaient à ce sujet.
[48] Ce droit est acquis par l’obtention de la mention de « déporté politique ». https://holocaust-compensation-france.memorialdelashoah.org/deportes-de-france.html
[49] Comme tous les déportés, elle a eu (beaucoup plus tard) un carnet de soins recensant ses maladies imputables à la déportation et pour lesquelles elle perçoit une pension. Sa santé la contraint pendant sa grossesse à arrêter de travailler définitivement ainsi qu’en témoigne son relevé de carrière.
[50] Le décret Jospin du 13 juillet 2000 permet à toute personne âgée de moins de 21 ans au moment des faits, française ou étrangère, dont les parents sont morts en déportation, dans un camp ou fusillés, de pouvoir obtenir une réparation. « Il participe d’une démarche globale visant à aider les victimes directes ou indirectes de la Shoah à obtenir des indemnités compensatoires pour les violences et les pertes subies durant la seconde guerre mondiale. » https://holocaust-compensation-france.memorialdelashoah.org/indemnite-parents-deportes/indemnisation-parents-tues-pendant-la-guerre.html
[51] Albert Mochon a fait son service militaire à l’Ecole militaire comme chauffeur. Puis, après avoir fait un moment les marchés, il est devenu professeur de yoga.
[52] Qui est orthographié avec une coquille (« Mochan »).