Biographie de Lucienne KLOTZ avec références historiques
Cette biographie, comme celle de Denise, est dédiée à la mémoire de Florence Dollfus-Heilbronn, Gilbert Bloche, et Édith Bascou.
Lydie, Édith, Emma, Lucienne Klotz
Lucienne nait le 10 septembre 1899 au domicile de ses grands-parents, 9 rue de Tilsitt dans le VIIIème arrondissement, un étage était réservé à chaque génération[1]. Sa mère, Flore Louise Hayem a vingt ans, son père trente-deux ans. Elle est l’ainée d’une famille qui comprendra bientôt six enfants.
Pourquoi l’appelle-t-on Lucienne alors que c’est son 4ème prénom ? Ce prénom d’usage a-t-il été choisi dès l’enfance ou plus tard ? Lors de son premier mariage, elle signe L. Klotz. Une signature encore très enfantine, le « L » ressemble aux lettres des écoliers.
Son père, Henry Klotz, travaille dans la parfumerie Pinaud[2] dirigée par Victor Klotz (grand père de Lucienne) et Émile Meyer (son arrière-grand-père). Elle se trouve place Vendôme à Paris. Henry Klotz en prend la direction avec son frère Georges en 1906. Les parfums Pinaud se vendent dans le monde entier[3], une boutique ouvre sur la 5th avenue à New York, une autre rue du Faubourg saint Honoré, à Paris.
Une photographie prise en 1907 montre Flore et ses enfants : Lucienne (la plus grande) tient le bras de sa petite sœur Anne-Marie, son frère Antoine est assis sur un tabouret tandis que Denise, sur les genoux de sa mère, regarde avec malice le photographe. La famille tendrement enlacée pose devant la cheminée.
En 1912 ou 13, la famille est à Étretat dans la maison familiale des grands parents Klotz. Sur l’escalier qui descend au jardin, les six enfants Klotz prennent la pose pour le photographe. Qui est-il ? Henry, Georges, ou peut-être Victorine ?
Un enfant sur chaque marche par âge, Lucienne, Antoine, Anne-Marie, Denise, François et Philippe encore sur le perron.
Ils sont bien sages ces enfants. Seul Philippe semble préférer la chienne et détourne le regard. C’est peut-être pour cela qu’une deuxième photographie a été prise, vraisemblablement quelques minutes plus tard, de l’autre côté de l’escalier. Philippe est désormais assis sur le dos de la chienne et Flore est venue le soutenir. Ce doit être le printemps ou la fin de l’été, les tenues sont assez légères mais Lucienne porte des collants sous sa robe.
Sur la troisième photographie les enfants sont descendus dans le jardin. Lucienne ouvre la marche. Elle sourit volontiers au photographe alors que Denise, plus espiègle, s’est cachée derrière Anne-Marie. La fratrie s’est figée le temps de la photographie.
Quand la Première Guerre mondiale éclate Henry Klotz, le père, s’engage en tant qu’officier de réserve[4] alors qu’il aurait pu être dispensé de service. Les parents de Lucienne ont divorcé en juillet 1914[5], à 15 ans elle se retrouve chargée de famille, son dernier petit frère a tout juste 4 ans. Elle a reçu une éducation très stricte. A-t-elle fréquentée le cours Hattemer ? Cette école ouvre ses portes à la fin du 19ème siècle, rue Clapeyron dans le 8ème arrondissement. Ou a-t-elle reçu une éducation à domicile ? Quand a-t-elle arrêté ses études ? Très probablement après le certificat afin d’être « maintenue sous contrôle » dans le domicile familial[6]. Les filles n’étaient pas destinées à faire des études mais à devenir femmes au foyer dans les milieux bourgeois de l’époque[7].
Lucienne se marie le 25 mars 1921 à onze heures avec Raymond Jacques Alfred Bloch dit Bloche à la mairie du XVIIème arrondissement. Jacques a 29 ans, Lucienne 21 ans. C’est un industriel, Lucienne est sans profession. Il est précisé qu’il est « croix de guerre ». Les deux futurs époux habitent encore chez un de leurs parents (chez sa mère pour Jacques Bloche), chez son père pour Lucienne. Le contrat précise qu’elle est fille « majeure » de Lucien Henry Klotz.
Flore Louise Hayem[8], la mère de Lucienne, est présente à la mairie, mais pas son père qui désapprouve le mariage. L’officier d’état civil qui a rédigé l’acte de mariage l’a complété un peu trop vite, par habitude, et il a dû rayer « en présence des père et mère de l’épouse »[9]. C’est André Hayem[10] (également déporté dans le Convoi 77) le cousin de Lucienne qui se porte témoin de ce mariage et signe l’acte. L’autre témoin est André Vallot, industriel.[11]
Gilbert nait le 6 janvier 1923. Le couple habite 16, rue des Banquiers dans le XIIIème arrondissement[12]. Ils y restent six mois[13]. Édith nait le 19 juillet 1925, le couple habite désormais au 83, rue des Saints-Pères[14].
Lucienne et Jacques divorcent le 29 avril 1930[15]. Gilbert et Edith vont vivre chez leur grand-père, rue de Tilsitt, avec leur arrière-grand-mère [le conseil de famille a décidé de nous reprendre car ma mère n’avait pas les moyens physiques ni financiers pour nous élever [16] ] Gilbert a huit ans, Édith six.
Gilbert se souvient d’avoir « rattrapé deux années de retard scolaire » avec la gouvernante employée par sa grand-mère, il suppose « qu’il n’a pas été scolarisé précédemment »[17]. Lucienne les retrouve le weekend chez leur grand-père, d’abord rue de Tilsitt, puis à partir de 1936, 8 Porte de Champerret au 6ème étage[18]. Elle vient déjeuner et passer un après-midi avec ses enfants. Les enfants partent en camps de vacances mais jamais avec un de leurs parents
Le 16 décembre 1939, elle se marie avec Lucien Marie Joseph Pierre Foucaud à la mairie du XIVème arrondissement. Ils vivent dans cet arrondissement, au 20 rue Ernest Cresson. Il est journaliste, et « mobilisé » au moment du mariage, elle est sans profession.
Elle réside à cette adresse pendant la guerre. La concierge de l’immeuble atteste qu’elle était locataire depuis juillet 1936[19]. En 1940, Édith et Gilbert passent en zone sud avec leur père. Édith, scolarisée dans un lycée à Lyon, écrit à sa mère chaque semaine[20]. Elle vient la voir en juin 1944. Lucienne vit seule à l’époque[21], Édith occupe un petit studio à la même adresse que sa mère.
Lucienne est arrêtée le 12 juillet par la Gestapo[22] à son domicile. Puis elle est internée à Drancy le 12. Pour Édith, c’est un homme -dont elle a oublié le nom – qui serait à l’origine des arrestations de 9 personnes de la famille. Sa mère lui a présenté cet homme qui devait l’aider à faire de faux papiers.
Ce n’est donc pas un carnet d’adresse retrouvé chez un des membres de la famille qui aurait été à l’origine des arrestations multiples, ni le second époux de Lucienne, Pierre Foucaud. Édith l’a rencontré lors de sa venue à Paris et il lui a fait part de son inquiétude dans la confiance que faisait Lucienne à cet homme soi-disant résistant[23].
Lucienne entre sous le numéro 25078[24] à Drancy. Elle est affectée escalier 19 chambrée 3[25], avec Denise, Claudine Sergine et Louise Ochsé.
Un petit mot[26] d’André Julien Hayem posté de Drancy le 17 juillet évoque l’internement des Klotz : « Retrouvé ici amis (illisible) et famille Sergine et Klotz, arrivés même jour que moi ainsi que Fernand Ochsé. »
Lucienne reste presque trois semaines à Drancy. Deux témoignages –recueillis après-guerre par Gilbert Bloche- et datés de décembre 1945, de Zelda Ménassé et de Léa Warech[27] attestent qu’elle a été dirigée vers les chambres à gaz dès son arrivée à Auschwitz le 4 août. Zelda Ménassé écrit qu’elle a été surprise du fait que Lucienne soit dirigée dans la colonne des inaptes au travail car elle « était[28] plus jeune que sa sœur ». Gilbert suppose que la décision avait été prise en France « d’éliminer Lucienne car elle connaissait celui qui les avait dénoncées ».
[1]Témoignage Édith Bascou (fille de Lucienne).
[2] Henry entre à la parfumerie Pinaud en octobre 1888, puis directeur associé depuis décembre 1897.
[3]La parfumerie a obtenu plusieurs grands prix à l’exposition universelle de Paris en 1889, à l’exposition internationale de Bruxelles en 1897. Un pouponnat maternel a été créé dans l’entreprise afin que les mères puissent allaiter leur enfant et la parfumerie a reçu pour cette œuvre patronale la médaille d’or de l’Exposition internationale de Liège en 1905
[4] Une note du lieutenant–colonel Gougelin commandant de l’artillerie lourde du 38è corps d’armée – datée du 29 décembre 1918-, atteste qu’Henry Klotz « père de six enfants aurait pu être dispensé de servir et a commandé une section de munitions et montré en maintes circonstances, en Champagne et à Verdun en 1916, le plus bel exemple de courage et de dévouement en ravitaillant les batteries sous un violent bombardement » Henry combattit pour toute la durée de la guerre dans son régiment d’artillerie, la termina avec le grade de Lieutenant-Colonel et fut élevé au rang d’Officier de la Légion d’Honneur à titre militaire.
[5]Mariage dissous par jugement de divorce rendu le 2 juillet 1914 par la Cour de Paris et transcrit le 15 mai 1915, précision sur l’acte de mariage d’Henry et de Flore
[6]Témoignage d’Édith Bascou (fille de Lucienne)
[7] Témoignage de Gilbert Bloche (fils de Lucienne)
[8] Flore Louise Hayem est notée comme « épouse » d’Henry Klotz, alors qu’elle est divorcée depuis 7 ans et habite 19 rue Théodule Ribot dans le 17ème arrondissement.
[9] L’officier d’état civil a dû demander aux mariés et aux témoins d’approuver l’acte raturé par une deuxième signature de chacun.
[10] Julien Hayem habite alors 94 boulevard Flandrin dans le 16ème arrondissement.
[11] André Vallot habite à la même adresse que Flore.
[12] Acte de naissance de Gilbert Bloche
[13] Témoignage de Gilbert Bloche (fils de Lucienne)
[14] Acte de naissance d’Édith Bloche (archives mairie de Paris)
[15] Transcription de l’acte le 9 septembre 1930 (archives mairie de Paris)
[16] Témoignage de Gilbert Bloche (fils de Lucienne)
[17] Témoignage de Gilbert Bloche (fils de Lucienne)
[18] Avec la crise de 1929, les Henry et Georges sont contraints de vendre la parfumerie en 1936.
[19] Certificat de domicile daté du 5 janvier 1946 dans lequel madame Bourdeau concierge de l’immeuble certifie que Lucienne était locataire jusqu’au 12 juillet (erreur de date11 juillet ?) « date de sont harrestation par les allemands » -orthographe de Mme Bourdeau-(archives de Caen dossier n°44.711/22P 451 150)
[20] Édith avait gardé jusque très récemment toutes les lettres écrites de sa mère mais elle a dû s’en séparer faute de place.
[21] Témoignage de Gilbert Bloche (fils de Lucienne)
[22] Deux témoignages le disent, celui de la gardienne de l’immeuble (voir note ci-dessus) et celui de Jacques Bloche qui précise que c’est la Gestapo qui est venue arrêter Lucienne (archives de Caen dossier n°44.711/22P 451 150)
[23] Édith précise dans son témoignage que cet homme ne devait pas être antisémite mais qu’il a fait cela pour de l’argent.
[24] Georges a le numéro 25009, Denise 25089, Fernand Ochsé 25067, Louise Ochsé 25068, André Julien Hayem 25080, Maurice Sergine 25086, Sergine Claudine 25087 (archives Mémorial de la Shoah)
[25] Voir cahier de mutation du camp de Drancy (Mémorial de la Shoah)
[26] Lettre d’André Julien Hayem à sa femme (nommée Bady, nom d’emprunt ?/Germaine Marie Badiller) et adressé 24 rue des Marronniers dans le 16è arrondissement (archives de Caen dossier n°44.711/22P 451 150)
[27] Entrée sous le numéro 25084 à Drancy, placée esc.19 chambrée 3. (Archives Mémorial de la Shoah)
[28] Zelda Menassé se trompe sur l’âge de Lucienne, qui est l’aînée de la famille, plus âgée que Denise de six ans, sans doute à cause de son apparence, liée à la poliomyélite contractée dans sa jeunesse.
Travail poétique des élèves de la classe de troisième du Collège Charles Péguy de Palaiseau sur Lucienne KLOTZ
Les biographies des élèves : 3 poèmes, dont deux sont reproduits ci-dessous, l’enfance (dédié aux deux sœurs) et celui dédié à Lucienne, le dernier est reproduit sous la biographie de Denise.
Les trois poèmes suivent l’évolution temporelle de la forme poétique à l’image des périodes de la vie : de la forme stricte du sonnet aux vers libres plus modernes en passant par la dissonance des vers impairs. Ce genre littéraire a permis aux élèves d’imaginer certains pans de la vie de Lucienne et Denise, ces vides que l’enquête historique n’a pas pu combler
L’enfance
Aînée de la fratrie on la nommait Lucienne
Née au siècle d’avant elle n’était pas ancienne
Mais portait sur son dos le poids d’une famille,
Un regard droit, serein, animait cette brindille…
Yeux malicieux, tendre sourire, c’était Denise
L’inconscience de son enfance était une brise
Qui sur sa joue, chaque matin, venait souffler
Un doux parfum de rire, de joie et de gaieté.
Toutes deux entourées des quatre frères et sœurs
La famille était riche, oui, mais juive, quel malheur !
Dans un Paris sous l’eau en ce vingtième siècle.
Lucienne
Lucienne grandit, mûrit, oui, mais sans quitter le nid
Et enfin, à la belle époque, sa vie s’éclaircit
La colombe, toute vêtue de blanc, déjà se marie
Ainsi, avec Jacques, commença une nouvelle vie
Et comme une évidence, le miracle de la vie
Rires, pleurs, bonheur réunis, dans cet enfant chéri
Pour ne pas qu’il connaisse l’ennui, Édith s’en suivit
Alors frère sœur père et mère résidèrent à Paris
Mais après le jeudi noir, l’espoir s’estompa
Et le quatuor fissuré, finit par se briser
selon le dossier de Suzanne Warech, arrêtée le 11 juillet, Denise Klotz l’aurait été en même temps qu’elle. Elles ont été emmenées rue des Saussaies, puis Suzanne a été gardée à la préfecture pour interrogatoire. On peut imaginer une autre version des arrestations du 12 juillet : la gestapo a trouvé les adresses dans les affaires de Denise…et a arrêté toute la famille, comme c’était souvent le cas. En tout cas, il va falloir vérifier…
Convoi 77 et tant et tant d’autres…….Hélas.
[…] qui fait un remarquable travail de mémoire avec les scolaires a dressé une biographie de Lucienne et Denise Klotz. Selon l’un des témoignages recueillis, c’est un homme se présentant […]