Lucienne WINTERMAN

1928-2018 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Lucienne WINTERMAN

Une adolescente de notre quartier

Voici deux photos de Lucienne Winterman. Elle avait 16 ans quand elle a a été déportée.
Sur la première photo, elle est, dans la rue, habillée d’une robe et porte un sac à main. Cette photo provient du site MemorialGenweb, elle a été transmise par Sabine Winterman.
La seconde photo est un portrait pouvant provenir d’un document d’identité.

 

 

 

Extrait de l’acte de naissance.
DAVCC.

Sur l’acte de naissance de Lucienne Winterman nous pouvons voir beaucoup d’informations sur sa famille (noms, prénoms, métiers de ses parents), sur sa naissance (date, lieu, heure, parents) et sur elle (sexe, nom complet). Il indique qu’elle est née le 14 octobre 1928 à 16h50 au 15 de la rue Santerre.

Ce document provient de l’État Civil. On le remarque grâce aux multiples tampons et annotations de l’État Civil sur cet acte.
Sa mère se nommait Tauba Szon, elle n’avait pas de profession. Son père s’appelait Szmul Mordko Winterman et était cordonnier (Fabricant et réparateur de chaussures).
Dans ce document, beaucoup de noms de rue apparaissent: Il y a le 15 rue Santerre dans le 12e arrondissement de Paris. Durant la Première Guerre mondiale, c’était un hôpital, l’hôpital Rothschild, où étaient soignés les blessés du front et qui a été touché lors d’un raid effectué par des avions allemands. Pendant l’occupation allemande, il a été un centre de détention. A l’origine, il soignait des malades de confession juive.
Lucienne y est née en 1928. Il y a aussi le 13 rue des Boulets dans le 11e arrondissement de Paris. C’est l’adresse où habitait la famille Winterman.

 

Extrait du recensement der 1936.
A
rchives de Paris.

Dans les extraits du recensement effectué en 1936 des habitants vivant 6 rue Félix Terrier , là où Lucienne Winterman habitait avec sa famille à cette date, il y a les informations suivantes : Désignation des rues, Numéros par rue, Noms de familles, Prénoms, Année de naissance, Lieu de naissance (Comme la région de Corrèze pour certains et pour Szmul Winterman, Pologne), Nationalité (française est indiquée pour les Winterman), Etat matrimonial (M pour marié, C pour célibataire), Situation par rapport au chef de ménage (ch pour chef de famille, ép pour épouse, F pour fils ou fille), Profession, Lieu de travail. Le père Szmul Winterman, d’origine polonaise et naturalisé français, est le seul à travailler dans le foyer. Il est brodeur, à son propre compte dans le 18ème. Ce métier consiste en la création de vêtements ou autres objets en tissus.

Son épouse Tauba ? Taula ? est femme au foyer. Leurs huit enfants (six filles et deux garçons) sont d’origine polonaise et sont tous célibataires. Denise, Suzanne et Simon sont rayés dans le registre et notés comme ABS.

Voici un des premiers arbres généalogiques que l’on a pu faire :

Avis de naturalisation.
DAVCC.

Dans l’avis de naturalisation de la préfecture en réponse à la demande faite par Mr. Szmul Winterman, il est précisé qu’il est Polonais ainsi que sa femme, trois de ses enfants, qui sont en l’occurrence trois filles âgées de 4, 2 et 1 ans, elles sont Françaises, il est installé en France avec sa famille depuis 1924, il travaille et a un salaire de 2 000 francs par mois.

Le Préfet de Police accepte sa naturalisation le 4 février 1930. On pense que sa demande de naturalisation a été acceptée car le document indique « sa demande de naturalisation peut être accueillie ». Comme beaucoup de familles polonaises émigrées du quartier.

Une élève du quartier

Registre de l’école Eugène Reisz (20ème).
Archives de Paris.

Ce registre montre que Lucienne Winterman est allée à la maternelle Eugène Reisz. Elle est sortie de la maternelle en juillet 34. Lucienne était à l’époque dans la section 1.

 

 

 

 

Un des documents de cette archive scolaire est la page de garde du registre où il est indiqué que Mme Direz est la directrice intérimaire à partir du 16 janvier 1934. L’école est située 2 rue Eugène Reisz pas loin de notre collège.

La deuxième partie du document nous montre, en partant de la colonne de gauche le numéro des élèves inscrits, leur nom puis prénom, leur date de naissance, le prénom du père puis de son métier et de leur adresse. Pour la ligne de Doba Wintermann, on apprend qu’elle est la 419ème dans le registre d’inscription, qu’elle est née le 19 mars 1927, son père se prénomme Szmul Maraka, il est brodeur et ils habitent au 6.B rue Terrier.

Le couple Winterman a eu 4 filles à la date de l’avis de naturalisation , le 14 février 1930. Elles ont 9 ans, 4 ans, 2 ans et 1 an. Seul les 3 dernières filles sont nées à Paris et ont la nationalité française. Une de ces filles se nomme Doba , elle est scolarisée à l’école rue Eugène Reisz vers 1934 et est née le 19 mars 1927. Elle a donc 2 ans et possède la nationalité française lorsque son père fait sa demande de naturalisation.

 

Révision de naturalisation 1943.
DAVCC.

Vichy a entrepris de dénaturaliser des Français. Cette lettre d’archives adressée à Monsieur le garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice rédigée le 19 juillet 1943 et reçu le 21 juillet 1943 montre qu’une enquête a été lancée au sujet de la famille à la mort du père.
Il s’agit d’un avis du préfet de police , il porte sur la naturalisation française de la famille de Lucienne Winterman.
Ces documents ont été signés et tamponnés. Les noms et prénoms de la famille Winterman et de leurs enfants sont écrits ainsi que leur date de naissances et leurs lieux de naissances, leurs professions et lieu de travail, adresses et nationalité.
On peut y lire que Winterman Smzul est né en Pologne à Rososz, le 22 mai 1889. Il a épousé une femme polonaise et ils ont eu 8 enfants dont 2 fils et 6 filles. Trois d’entre elles sont nées à Paris et ont la nationalité française. M. Winterman habite en France depuis 1924. Szmul est tailleur à façon : Le travail à façon est une relation de travail qui voit un artisan, propriétaire de son outil de production, produire des marchandises sur les ordres d’un marchand qui se charge de leur commercialisation. Sa fille Hana est employée aux ateliers Basta en qualité de finisseuse dans la confection. Chil est ajusteur et Ida et Doba fréquentent un centre de jeunesse, celui de la rue Vauquelin. Ses autres enfants vont à l’école.

Voici les arbres généalogiques que l’ont a pu construire à partir de toutes ces informations :

 

 

Une adolescente dans l’entre-deux guerre et la guerre

Hitler est au pouvoir en Allemagne avec le parti nazi depuis 1933. Il promulgue des lois antisémites (lois de Nuremberg de 1935) qui visent à « protéger la race aryenne et l’honneur allemand ». Il met en place des camps de concentration, pousse au boycott des magasins juifs et s’appuie sur les jeunesses hitlériennes. De plus, il lance un programme de réarmement de l’Allemagne et crée la Gestapo et les SS. Profitant de la passivité des démocraties européennes, il se réinstalle en Rhénanie en mars 1936. Enfin, il crée l’axe Rome-Berlin en 1936 en s’alliant avec l’Italie fasciste et totalitaire de Mussolini. Par ailleurs, le Japon signe avec l’Allemagne le Pacte anti-Komintern, pacte contre les communistes. L’Italie rejoindra le pacte en 1937.
En URSS, le régime communiste de Staline instaure la Grande Terreur et développe le culte de sa personne.
A cette même période, la France est touchée par la crise économique de 29 et l’augmentation du chômage depuis le début des années 1930. L’instabilité des gouvernements et la poussée des pensées d’extrême droite conduisent au pouvoir le parti du Front Populaire (PCF, SFIO, et les radicaux) lors des élections législatives en mai 1936. Il a de nombreuses réformes sociales (augmentation des salaires, réduction du temps de travail, congés payés) menées par Léon Blum.
Pour finir, la guerre civile en Espagne fait des ravages, avec aux commandes, l’armée du général Franco.

Lucienne Winterman est née juste un an avant la grande crise de 29.
Lucienne Winterman vivait dans le 20ème d’où de nombreux enfants ont été raflés comme ceux de l’école des Tourtille. De nombreux Juifs y habitaient, nous ne savons pas si Lucienne était pratiquante et allait dans les synagogues comme celle de Belleville où quelques uns d’entre nous ont pu entrer lors de notre visite du quartier avec le Mémorial de la Shoah dans le cadre de l’atelier « Vies juives d’un quartier populaire Belleville et le XXème arrondissement ».

© Paco Guibert et Isaak Laporte-Galaa

Nous avons eu la chance de rencontrer Rachel Jedinak, qui était durant la guerre comme Lucienne une enfant du quartier. Sa biographie est retracée sur le site du Comité « École de la rue de Tlemcen », Association pour  la Mémoire des Enfants Juifs Déportés du XXe arrondissement de Paris.

Elle nous a raconté sa vie d’enfant « aimée » durant la guerre dans notre quartier entre la rue Duris, la rue des Amandiers et le cimetière du Père Lachaise.

« Et puis le 4 octobre 1940 il y a eu le décret contre les Juifs, les Juifs ont été obligés d’aller se déclarer en tant que Juif. Bien regardez-moi, je suis une dame âgée, il n’y a pas marqué Juif sur mon front et jamais, jamais , les Allemands, les nazis auraient su où venir nous chercher si la police française n’avait pas fait ce sale boulot, voilà ».

Beaucoup sont allés se recenser car souvent ils n’étaient pas encore Français et ils voulaient rester dans la légalité du pays des droits de l’homme. C’est ce qu’a fait le père de Rachel. Mais il a été arrêté lors de la rafle du billet vert le 14 mai 1941 et déporté le 27 juin 1942.

Rachel Jedinak a été arrêtée avec sa mère lors de la rafle du Vel d’Hiv. Rafle lors de laquelle on a déporté des enfants comme lors des rafles qui ont suivi. Sur la stèle derrière la mairie du XXème on peut voir le nom d’une enfant de 19 jours , une autre de 4 mois. Rachel raconte aussi que des enfants ne voulaient plus jouer avec elle car elle « était juive ». Rachel a échappé à la rafle du Vel d’Hiv mais aussi à la rafle du 11 février 1943.

Elle est restée dans le même centre de l’UGIF que Lucienne, celui du centre Lamarck. Le régime était très sévère, elle avait droit à deux visites par mois. Elle s’est enfuie du centre et s’est cachée dans différents lieux.

Dans le dossier de déporté politique de Lucienne Winterman il est indiqué qu’elle « fréquentait l’école d’orientation professionnelle de jeunes filles 16 rue Lamarck », et qu’un témoin de son arrestation est Sarah Hofenung, jeune fille dont nous avons écrit la biographie il y a deux ans.

Des enfants à peine nés ont été déportés parce qu’ils venaient d’une famille juive. Des enfants ont vu leur mère être emmenée tout droit vers la mort sans pouvoir l’embrasser une dernière fois.

Extrait du dossier de déporté politique.
DAVCC

 

Extrait de « Comment on en arrive là ? » Conseil régional d’Ile-de-France. 27 janvier 2004

Fiche du camp de Drancy

Source : À l’intérieur du camp de Drancy, Annette Wieviorka,
Michel Laffitte. Perrin, 2012

Lucienne Winterman est arrivée au camp de Drancy le 22 juillet 1944. Son matricule était le 25 473. Elle a été enfermée dans la chambre 4 de l’escalier 6 puis a été ensuite déplacée dans la chambre 3.
La lettre B indique qu’elle devait être déportée immédiatement. Elle y est restée 9 jours puis elle a été déportée dans le convoi 77 pour Auschwitz Birkenau le 31 juillet 1944 avec 125 enfants de moins de 10 ans. Elle avait 16 ans. 324 enfants ont été déportés dans le convoi 77. Les enfants ont été gazés à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau.

Ils ont été raflés à Paris, à Montreuil et à La Varenne majoritairement dans des maisons d’enfants. Lucienne Winterman a habité au centre de l’UGIF qui était un pensionnat de jeunes filles au 9 rue Vauquelin dans le 5ème arrondissement de Paris mais aussi au centre de Lamarck dans le 18 ème. Son ancienne adresse était le 6 rue Félix Terrier. Ses parents l’ont sûrement mis là pour la cacher.

Photos prises lors de notre visite du camp de Drancy. L’escalier 6 est derrière les arbres.

Dans le document du ministère des anciens combattants et victimes de guerre daté du 1er septembre 1956 nous apprenons qu’elle a été transférée d’Auschwitz-Birkenau au camp de Kratzau fin novembre 1944 d’où elle a été libérée le 11 mai 1945. Par ailleurs dans le second document , envoyé le 13 juin 1955, la case « décédé le » ne contient pas de date ce qui prouve également qu’elle a bien survécu au camp d’Auschwitz-Birkenau. Il est également inscrit que le 13 juin 1945 (date de l’écriture du document), Lucienne est domiciliée au 6 rue Félix Terrier, dans le 20ème. Elle a été rapatriée par Sarrebourg et est revenue à son ancienne adresse.

Rosa et Sarah Hofenung, des jeunes filles de notre quartier, comme Lucienne, ont été transférées dans le camp de Kratzau.

Kratzau était un sous-camp de Gross-Rosen.

Le camp de concentration de Gross-Rosen fut créé, en août 1940, comme un sous-camp du camp de concentration de Sachsenhausen. Il fut nommé d’après le village voisin de Gross-Rosen (appelé aujourd’hui Rogoznica) situé à environ 60 km de Wroclaw (l’ancienne Breslau), dans l’ouest de la Pologne actuelle. Il devint un camp autonome en mai 1941.
Gross-Rosen devint le centre d’un complexe industriel et le pôle administratif d’un vaste réseau d’au moins 97 sous-camps. Au 1er juin 1945, le complexe de Gross-Rosen comptait 76 728 prisonniers dont près de 26 000 femmes, juives pour la plupart. Ce fut l’une des plus grandes concentrations de femmes de l’ensemble du système concentrationnaire nazi.

D’après nos recherches en ligne Lucienne Winterman est morte le 11 novembre 2018 à l’âge de 90 ans en Israël. Nous n’avons pas pu entrer en contact avec sa famille en Israël où Lucienne s’était installée après-guerre.

Sources:

  • Archives de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC).
  • Site de Yad Vashem.
  • À l’intérieur du camp de Drancy, Annette Wieviorka, Michel Laffitte. Perrin, 2012.
  • Se souvenir pour construire l’avenir , Comité « Ecole de la rue Tlemcen », éd du Colombier.
  • Encyclopedia United State Holocaust Memorial Museum.
  • Archives de Paris.

Liens:

  1. https://www.comitetlemcen.com/Rachel.html
  2. https://convoi77.org/deporte_bio/sarah-hoffnung/

This biography of Lucienne WINTERMAN has been translated into English.

Contributeur(s)

Des élèves de la classe de 3ème B Germaine Tillion du collège Saint-Germain de Charonne Paris 20ème avec leur professeur d’Histoire Danielle Artur.

Reproduction du texte et des images

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