Meyer Leib GURSCHBARG, né à Bardichev, Russie, en 1888, mort en 1944
Biographie établie par deux classes du « Lycée Simone Veil de Boulogne », la 1e ES2 et la 1e ES1 sous la direction de Madame Le-Nuz, professeur de Lettres-Histoire, en 2018-2019.
Photographie ci-contre de Meyer Leib GURSCHBARG photographié en uniforme de soldat russe
Cette biographie écrite initialement en imaginant être à la place de Bruma, épouse de Meyer Leib, est ici conservée sous la même forme.
« Je m’appelle Bruma, Bruma Gurschbarg. Je suis née le 14 février 1892 à Liachowici en Russie. Je suis la fille de Rachel Koupermann et Zanvel Abramovitch et je me suis mariée avec Meyer Gurschbarg, cordonnier de son état, le 16 juillet 1918 à la mairie du 11e arrondissement de Paris. Nos parents vivent en Russie, ma mère est décédée. Meyer est un peu plus âgé que moi, il est né le 23 décembre 1888 à Barchditer, en Russie aussi. Il est le fils de Paltiel Gurschbarg et de Sara Michelmann. C’est avec lui que j’ai eu quatre magnifiques enfants !
Portrait de Bruma, à gauche et de Meyer Leib GURSCHBARG, à droite, photographié en uniforme de soldat russe
Nous avons immigré à Paris, nous habitons un quartier paisible du 18e arrondissement, au 1 rue Fernand Labori. Nous y habitons avec Clara et Maurice, Rebecca vit un peu plus loin chez sa belle-mère. Il y a Paul aussi, mais il n’a pas pu avoir sa chance, il est mort-né et est monté au ciel il y a quelques années maintenant. Notre première fille, Rebecca, est née le 28 août 1918, à l’hôpital Rothschild, rue Santerre (12e). Nous habitions alors 22 passage Raguinot.
Elle s’est mariée à un non juif le 21 août 1941, il s’appelle Georges Siegel né le 23 mai 1914. Rebecca et Georges vivent ensemble au 15 rue du Simplon (18e) chez la mère de Georges, Marie Bergeaud, son père Constant est décédé. Rebecca et Georges nous ont offert un sublime cadeau : l’unique petit-enfant que j’ai connu, Daniel, qui a trois ans et neuf mois. Nous habitions déjà rue Fernand Labori quand notre seconde fille, Clara, est née, le 15 juillet 1929 au 4 rue de Jessaint. Elle travaillait dans une entreprise de sucre vanillé avant notre arrestation. C’est elle, peu de temps avant son décès en 2013, qui a raconté notre histoire à Daniel. Notre troisième enfant est un garçon, Maurice est né le 9 novembre 1931 à l’hôpital Lariboisière, rue Ambroise Paré (10e). Il va à l’école rue Gustave Rouanet pas très loin de la maison. J’ai eu deux autres enfants encore, qui sont décédés de maladie à l’âge adulte, six enfants en tout. Malgré la douleur de la perte de trois d’entre eux, nous avions réussi à construire une vraie belle famille, unie, qui nous remplissait de joie, Meyer et moi.
La fin de notre histoire commence le 18 juillet 1944. Je me suis levée tôt ce matin-là pour aller faire des courses. Je suis partie en laissant à la maison mon mari, Clara et Maurice. C’est pendant cette courte absence que des policiers sont venus frapper à la porte en demandant le livret de famille. Ils ont visité tous les appartements de l’immeuble, m’a dit Meyer à mon retour. Ces agents nous ont demandé alors, ainsi qu’aux Hoffman, une autre famille juive de l’immeuble, de nous habiller et de les suivre. Nous nous connaissons bien avec cette famille, car notre petit Daniel joue avec Nathan, leur fils de quatre ans.
C’est alors que notre fille Clara dans un coup de rage et de façon inattendue a attrapé l’inspecteur par le manteau en criant : « Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? ». Devant son insistance et son désespoir, l’inspecteur nous a demandé s’il y avait une personne qui pouvait cacher nos deux enfants dans l’immeuble. Ma voisine du 5e étage acceptait de les cacher. J’ai sorti discrètement de mon soutien-gorge l’adresse du Père Devaux et l’ai glissée à Clara pour qu’ils aillent s’y réfugier.
L’appartement a été scellé sur le champ, je me baisse pour embrasser mes enfants une dernière fois et dit à Clara d’être sérieuse, et de devenir couturière pour s’en sortir, ainsi que d’être gentille avec sa sœur. Nous devons partir. Nous partons. Sur moi, un seul souvenir de cette vie, un médaillon avec le portrait de notre seul et unique petit-fils.
Je regrette bien entendu de ne pas avoir pris au sérieux le contrôle de nos papiers il y a 15 jours, on nous avait pourtant dit de partir ! Cependant, l’inspecteur nous avait dit aussi que notre naturalisation française nous protégeait et assurait notre sécurité ; et nous l’avons cru sur parole. Nous étions en effet devenus citoyens français par naturalisation tous les deux depuis le 24 août 1925.
Nous sommes partis pour le camp de Drancy avec toute la famille Hoffman : Léon et sa femme Rifka (nés en 1888 et 1897), Sarah 21 ans, Maurice 13 ans, Juliette 10 ans et Nathan 4 ans. Nous y sommes arrivés le 20 juillet. Mon mari a reçu le numéro 25304 et moi le numéro suivant 25305. Nous y sommes restés 10 jours, puis, le 31 juillet, nous avons été conduits jusqu’à la gare et sommes montés à bord d’un convoi en direction d’Auschwitz, en Pologne, où mon mari et moi avons été assassinés et réduits en cendres dès notre arrivée, le 5 août 1944, pour le seul motif d’être Juifs. »
Madame Rifka Hoffman et son fils Nathan
Bruma et Meyer n’ont pas pu le savoir, mais Clara et Maurice vont vivre et échapper à la déportation grâce à l’adresse glissée à Clara. Rebecca aussi, elle ne portait pas l’étoile jaune et ne s’était pas fait recensée comme Juive, mais c’est la téméraire Clara qui raconte comment Maurice et Clara se sont cachés chez la voisine du 5e étage qui s’est chargée de prévenir Rebecca de l’arrestation. Très vite, Georges, le mari de Rebecca est venu les chercher pour les emmener à l’appartement qu’il occupait avec sa mère et sa femme, 15, rue du Simplon (18e). Clara et Maurice y sont restés six semaines, cachés au rez-de-chaussée la journée, et couchés au 5e étage, détruit par un bombardement, pour passer la nuit.
Puis Georges emmena Clara et Maurice dans une église vers Montparnasse où de nouveaux noms leur ont été donnés immédiatement. Ils sont devenus Clara et Maurice Siegel, du nom de famille du mari de Rebecca. Il s’agit probablement du Monastère des Pères de Notre-Dame-de-Sion, situé au 68 rue Notre Dame des Champs dans le 6e arrondissement, dont le Père Devaux est le supérieur. Ce monastère avait été fondé par des Juifs convertis au catholicisme. À l’initiative du Père Devaux, les Pères de Notre-Dame-de-Sion cachèrent plus de 400 enfants. Le Père Devaux figure parmi les Justes.
Clara et son frère Maurice GURSCHBARG
Le parcours de ces deux jeunes orphelins sans ressource a continué, non sans difficultés. Ils ont été placés dans un centre d’enfants, catholique, du 14e arrondissement de Paris où ils sont restés jusqu’à la libération, rue d’Alésia. Par la suite, ils sont allés dans une synagogue, rue de Montevideo (16e) où Clara resta 2 moise; Maurice alla dans une maison d’enfants au château de Corbeville près d’Orsay (Seine) en novembre 1945, puis dans une autre, « Champfleurs », au 6 avenue de la République à Mesnil-le-Roi en novembre 1946, ensuite à la maison d’enfants de Champigny en octobre 1947, la maison de l’OSE à Bellevue en septembre 1948e; enfin dans une institution catholique, 28 avenue de Chevreuse à Clamart. En octobre 1947, il est apprenti cordonnier, en octobre 1949 apprenti diamantaire. Il vit aujourd’hui en Israël.
Clara a été placée par Rebecca chez une de ses anciennes patronnes, Madame Berthot d’Aizenville (Seine-et-Oise) avant d’être admise au foyer de jeunes filles « Masse abri » à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise) en Novembre 1945 puis, à celui situé au 4 rue N.D. des Victoires à Paris 2e.
Le 4 février 1950, Rebecca obtint un acte de disparition de ses parents ainsi qu’un acte de décès. Ce n’est qu’en mars 1955 que furent délivrées des cartes de déportés politiques à leurs enfants : ils sont alors officiellement reconnus comme tels par le ministère des anciens combattants et des victimes de guerre.
Arrestation de Bruma et Meyer Gurschbarg 1944
Témoignage de Monsieur Daniel Siegel
Mes grands-parents ont été arrêtés le 18 juillet 1944 ; 15 jours auparavant ils avaient subi un contrôle de papiers par un inspecteur de police qui était venu chez eux. Comme ils étaient naturalisés français, l’inspecteur leur a dit qu’ils n’avaient rien à craindre. Ils ont alors décidé de rester chez eux alors que des voisins leur disaient de partir.
Le 19 juillet au matin, ma grand-mère s’était levée très tôt, vers 6 heures du matin pour aller faire des courses ; à cette époque les épiceries étaient déjà ouvertes.
À la maison il restait mon grand-père, Clara et Maurice, deux de leurs enfants.
Vers 6h15 grands coups dans la porte ; « Police (française) ». L’agent demande le livret de famille.
Sur celui-ci était aussi mentionné le nom de ma mère, Rebecca, sœur de Clara et Maurice et aussi d’un jeune enfant Paul, mort à la naissance. L’agent demanda où était Rebecca. Mon grand-père dit alors qu’ils étaient fâchés avec elle, parce qu’elle avait épousé un « goy » (non-juif) et pour cela il ne savait pas où elle était. En fait mes grands-parents appréciaient beaucoup mon père et ils n’étaient pas fâchés. Ma mère logeait chez sa belle-mère au 15, rue du Simplon Paris 18e, elle ne portait pas l’étoile jaune et elle ne s’était pas fait enregistrer comme juive.
Dans l’immeuble où habitaient mes grands-parents il y avait une seule autre famille juive, les Hoffman. Les agents ont dit aux deux familles, « Habillez-vous ». Juliette Hoffman avec son petit frère Nathan dans les bras sautèrent par la fenêtre du premier étage mais ils furent récupérés par les agents, qui emmenèrent toute la famille présente, six personnes je crois, dont Nathan âgé de 4 ans et qui, selon ma tante Clara, fut mon premier compagnon de jeu, je n’avais alors que 3ans et 9 mois.
Juliette avait eu le temps d’appeler ma tante qui avait très rapidement recousu son étoile jaune. Clara, à ce moment-là, attrapa l’inspecteur par son manteau et cria : « Qu’est-ce qu’on vous a fait ? ». Devant l’insistance de ma tante Clara, l’inspecteur lui demanda si quelqu’un dans l’immeuble pouvait la cacher avec son frère Maurice. Ma grand-mère avait déjà la valise prête et elle sortit de son soutien-gorge l’adresse du Père Devaux qu’elle donna à Clara pour s’y réfugier. Les scellés furent alors placés sur la porte de leur appartement dans cet immeuble, situé 1 rue Fernand Labori Paris 18e.
Ma grand-mère, avant de partir avec son époux dit à Clara d’être sérieuse, de devenir couturière et d’être gentille avec sa sœur (ma mère Rébecca) et elle partit avec un médaillon me représentant moi, Daniel, son unique petit-fils, après une dernière embrassade avec Clara et Maurice.
Une voisine du 5e étage de l’immeuble a gardé mon oncle et ma tante, et elle a aussi fait prévenir ma mère (ma tante ne se rappelait plus le nom de cette voisine quand elle me relatait les détails de l’arrestation). Mon père est venu les chercher, très vite, et les a emmené dans l’appartement qu’il occupait avec sa propre mère et sa femme, ma mère Rebecca.
Clara et Maurice sont restés là quelques semaines au rez-de-chaussée de l’immeuble pendant la journée, et le soir pour dormir, ils montaient dans un appartement situé au cinquième étage de l’immeuble qui avait été bombardé.
Avant l’arrestation de leurs parents, Clara travaillait dans une entreprise de sucre vanillé rue Vincent Compont, et Maurice allait à l’école rue Gustave Rouanet.
Mon père est allé voir le Père Devaux, puis il a emmené sur son vélo Maurice, sur le guidon devant, et Clara, sur le porte-bagage avec une valise, dans une église à Montparnasse. Le prêtre leur a tout de suite donné de nouveaux noms : Clara et Maurice Siegel avec de fausses cartes d’alimentation. Puis ils sont allés dans un centre catholique, 7 rue Jacquier Paris 14e, où ils sont restés jusqu’à la Libération. Après, ils sont allés à la synagogue rue de Montevideo, Paris 16e. Clara y est restée deux mois, Maurice est allé en pension dans une institution catholique.
Ces faits m’ont été relatés par ma tante Clara peu de temps avant son décès en 2013.
Certificat de mariage, mairie du 11e arrondissement de Paris, 16/07/1918
« Certificat de nationalité délivré en 1952 par le juge de paix du 11e arrondissement de Paris, accordant la nationalité française à Bruma le 24 août 1925, le même jour que son mari »
Carte de déporté politique de Bruma et Meyer GURSCHBARG
Cet arbre généalogique, dessiné par les élèves, se lit « de bas en haut » : les ascendants étant placés en haut de l’arbre ou à ses extrémités.
Il permet de visualiser et situer dans la famille tous les noms évoqués dans la bio.