Rachel BITTOUM
Ci-Contre : Photographie de Rachel à 16 ans
(photographie de la famille de Rachel)
Raconter l’histoire de Rachel
12 juillet 1944 : Rachel est arrêtée lors d’une rafle dans son quartier. Elle est alors conduite à la prison de Montluc située dans la ville de Lyon. Elle y restera jusqu’au 24 juillet. Elle sera ensuite envoyée au camp de Drancy jusqu’au 31 juillet 1944.
Rachel est portée « disparue » dans le camp d’Auschwitz en Pologne le 5 août 1944. En France, à cette époque-là, il fallait attendre 5 ans avant que la disparition soit transformée en décès.
Nous sommes un groupe d’élèves de 3e du collège Jean Brunet à Avignon, qui avons prolongé le travail autour du Convoi 77 tout au long de l’année. Rachel Bittoum était dans le Convoi 77. Nous avons mené nos recherches sur sa vie avant d’écrire sa biographie.
Avant nous, une classe de 3e avait déjà beaucoup travaillé à rassembler des éléments de la vie de Rachel.
Sur les traces de Rachel Bittoum
Rachel BITTOUM est née à Oran en Algérie le 30 juillet 1927. Elle est parfois nommée « Bittoun » dans certains actes administratifs. Sur son dossier du Service Historique de la Défense, on voit que la lettre est rectifiée.
Acte de naissance de Rachel Bittoum
Elle est la fille d’Aicha Karsenty, née à Nedrema le 30 Juin 1901. Nedroma ou Nedrema, est une commune de l’ouest algérien, à proximité de la frontière marocaine, à environ 58 km au nord-ouest de Tlemcen. La famille d’Aicha a peut-être émigré d’Espagne à un moment car c’est un nom qui était très présent en Espagne d’après nos recherches. Aicha est la fille de Mimoun Karsenty et de Matra Giezelan ou Giezilan ou Maha Ghozelan.
Le père de Rachel se nomme Salomon Bittoum et est né au Maroc à Demnate en 1893. Il est le fils de David Bittoum et de Marion (Mariem) Zagoreri.
Photographie de Salomon Bittoum, père de Rachel
Aicha et Salomon se rencontrent et vivent à Oran, 3 rue de l’aqueduc. C’est là que naît Rachel.
Peu après la naissance de Rachel, en juillet, la famille déménage en France, à Saint Fons, dans la banlieue de Lyon. On voit sur ce document de l’état civil en France qu’il est écrit « rec » le 3 novembre 1927 devant son nom.
Source : Archives départementales du Rhône
Ils s’installent d’abord 47 avenue Jean Jaurès. Aicha est appelée Alice Bittoum peu de temps après son arrivée en France. Leur mariage civil date du 7 Février 1931 en France mais peut-être étaient-ils mariés religieusement en Algérie ?
Carte postale du début du siècle de la rue de l’Aqueduc à Oran
Carte postale des années 30, avenue Jean-Jaurès Saint-Fons
Acte de mariage de Salomon et Aicha
Pourquoi Saint-Fons, la vie à Saint-Fons
Nos recherches nous ont appris qu’en raison de la Première guerre mondiale, la France manque de bras pour faire tourner les usines et fait appel à la main d’œuvre coloniale et étrangère. La mairie de Saint-Fons nous a fourni d’autres informations sur la ville et sur l’implantation des Juifs marocains dans ce lieu. Au 19e siècle, Saint-Fons est un petit hameau au sud-est de Lyon. Les ateliers de soie de Lyon viennent s’y établir sur les bords du Rhône. Des producteurs de colorants veulent vraiment s’installer à Saint Fons qui devient un lieu d’industrie chimique. Comme cela va demander de la main d’oeuvre, Saint Fons va faire appel à l’immigration, notamment de juifs marocains. Souvent ils maîtrisent mal le français.
Puis plusieurs vagues de personnes vont venir s’installer, le logement et le travail sont fournis. Les chefs de famille sont employés chez Pommerol, Bâle, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain, etc. Souvent ils habitent dans des HBM.
Salomon a la nationalité marocaine mais Aicha et ses enfants ont la nationalité française: nous avons découvert que les Juifs d’Algérie ont fait l’objet d’une naturalisation par décret du 24 octobre 1870 dit décret Crémieux. L’abrogation du décret Crémieux le 7 octobre 1940 prive la population française de confession juive vivant en Algérie de sa nationalité et citoyenneté française. Cette mesure ne sera abolie que le 21 octobre 1943, soit presque un an après le débarquement des troupes alliées en Algérie.
Salomon, sur leur acte de mariage et dans le recensement de 1936 à Saint-Fons, est “manœuvre” puis “chef”. On y voit que 8 familles habitent au n° 25, dont une famille Amouyal; qu’ils habitent du côté “cour”. Rachel a déjà des frères et sœurs: Marie (1928), David (1930), Raymond (1931), Maurice (1934). Ensuite, il y aura Juliette (1936), Simon (1938), Angèle et Etoile (1940), Claudette (1945), que Rachel n’a pas connus (1945). La nièce de Rachel et fille de Juliette, Laurette Marcatel, nous a raconté qu’ils vivaient dans des conditions difficiles dans ce logement du 25 rue Anatole France. Mais toutes les familles de Saint Fons se connaissent et ont d’autres cousins, cousines, tantes, oncles dans la même rue.
Capture d’écran du recensement de 1936 sur la commune de Saint-Fons, le 25 rue Anatole France
Source : Archives départementales du Rhône
En novembre 2022, nous sommes partis à Lyon trois jours : 14 élèves et trois professeurs. Notre but était de retourner sur des lieux importants de l’histoire de la déportation de France, des rafles dans cette ville.
Le premier jour, nous avons fait un Parcours urbain, une visite guidée de la ville entre Croix Rousse et Bellecour sur les traces de la résistance et de la déportation, avec Jean (notre guide du Centre Historique de la Résistance et de la Déportation). Dans la soirée, nous sommes allés voir le film d’Olivier Dahan sur Simone Veil, « Le voyage du siècle »
Le lendemain nous sommes partis pour la maison d’Izieu, dans l’Ain, à 70 km de Lyon.
La colonie des enfants d’Izieu était un lieu de vacances pour des enfants. Certains étaient juifs et ont été raflés sur ordre de Klaus Barbie le 6 avril 1944. Nous avons aussi découvert la maison où vivaient les enfants et nous avons visité le musée : nous avons beaucoup appris sur Klaus Barbie et ses actes.
Le matin nous avons participé à des ateliers sur la politique antisémite du régime de Vichy, sur Drancy, sur Auschwitz.
Au Mémorial, il y avait ce gros livre de Serge Klarsfeld, le Mémorial de la déportation des Juifs de France, et nous avons découvert qu’une autre déportée du Convoi 77 habitait à la même adresse que Rachel, Fernande Amouyal. Nous avons pris des photographies des livres pour les étudier en classe au retour.
Le moment où Rachel a été raflée, 12 juillet 1944
Selon de nombreuses fiches analytiques, Rachel aurait été arrêtée le 12 Juillet 1944 par la Gestapo lors d’une rafle dans son quartier. A ce moment-là, elle était en formation de couture à l’Ecole Centre ménager, Place Michel Perret à Saint-Fons. Une photographie de classe la montre d’ailleurs dans une école.
Rachel, en-haut, deuxième en partant de la droite, portant des lunettes. Photographie de classe de l’école centre Ménager
Elle a été déportée seule; Aicha, sa mère, écrit dans une des déclarations « Ma fille a été arrêtée à notre domicile ».
Fiche de recherches
Procès-verbal annexe du témoignage de M. Benssoussan
Lors de nos recherches, nous avons découvert un arbre généalogique de la famille de Rachel. C’est là que notre professeure a contacté l’auteure de l’arbre, Laurette Marcatel, sa nièce, fille de Juliette Bittoum. Laurette Marcatel nous a appris que sa mère lui avait raconté que Rachel était seule lorsqu’elle a été raflée parce que Juliette était au sanatorium. Tous les enfants sont allés lui rendre visite, sauf Rachel. Un témoin, Monsieur Bensoussan était présent lors de la rafle. Dans un des documents, on peut lire « Rafle dans le quartier de tous les juifs dehors et chez eux, le 12 juillet 1944 ».
Formulaire de demande d’attribution du titre de déportée politique
Nous avions vu dans le Mémorial de Serge Klarsfeld que Fernande Amouyal, voisine de Rachel, avait aussi fait partie de la rafle du 12 juillet, en même temps que Rachel. Sa mère, Perla, a aussi été emmenée. On peut peut-être espérer que Rachel ait pu les retrouver et qu’elle n’ait pas été seule. Sur leur biographie du Convoi 77, on peut lire : « Seule chez elle avec sa mère, elles ont été arrêtées par le couple Goetzmann-Benamara de la Gestapo, sous les yeux de leurs voisines Maria Ribeiro et Lucie Verelle ».
Le couple Goetzmann-Benamara
La mairie de Saint-Fons nous a fourni un dossier dans lequel on lit que le couple Goetzmann-Benamara était présent et un autre dossier écrit par un historien passionné de Saint-Fons, Claude Delmas. Il y a aussi des informations sur la famille Amouyal.
« Goetzmann-Benamara, assistés d’un complice, Ben Selmi et d’indicatrices, terrorisait la commune en procédant à de nombreuses arrestations pour le compte de la Gestapo allemande. On attribuera à ce couple 23 opérations aboutissant à 66 arrestations: 48 personnes déportées, 36 décédées, exécutées pour quelques-unes, la plupart déportés dans des camps d’extermination. Pour quelques milliers de francs. Ce furent surtout des juifs de Saint-Fons ».
Document fourni par la mairie de Saint Fons sur les déportés de la ville
Monsieur Joseph Bensoussan a témoigné que Rachel était bien avec lui dans le fourgon cellulaire qui les emmenait au fort de Montluc.
Procès-verbal du témoignage deM. Benssoussan
L’internement à Montluc
En novembre nous sommes aussi allés à l’ancien siège de la Gestapo (au CHRD). Puis nous sommes allés visiter le Mémorial de la prison de Montluc où a été internée Rachel. Les cellules étaient très petites : 4 m² environ, dans lesquelles ils étaient parfois huit.
Photographies de Montluc
De Montluc à Drancy
Monsieur Bensoussan, qui a rejoint Montluc avec Rachel, est parti avec elle à Drancy et affirme qu’elle est partie ensuite pour « l’Allemagne ». Nina Chriqui, 35 ans, qui était commerçante et habitait place des Terreaux à Lyon, avait été arrêtée le 23 juin. Elle raconte qu’elle a vu Rachel à Drancy, que Rachel est arrivée après elle, qu’elle la connaissait « de St. Fons » et qu’elle est ensuite partie pour un camp d’extermination, qu’elle ne l’a jamais revue. Rachel était à Drancy quand elle a eu ses 17 ans, le 30 juillet 1944. Le lendemain, elle est partie dans le Convoi 77 pour Auschwitz.
Procès-verbal de Nina Chriqui, 7 maris 1951
A la fin de la guerre
L’acte de disparition de Rachel a été établi une première fois le 18 septembre 1946. Le ministère et le directeur du contentieux de l’état civil et des recherches a reçu le 8 juin 1949 un duplicata de l’acte de disparition de Rachel, destinée à Madame BITTOUM, veuve. Salomon Bittoum est décédé en 1946; c’est ce qui est écrit dans un acte des archives du Rhône. On voit aussi sur certains documents que sa femme s’identifie en tant que « madame Veuve Bittoum ».
En 1951, sa mère fait des recours auprès du commissariat de police pour faire reconnaître le motif de son arrestation parce qu’elle était juive mais pas résistante. Dans l’un des documents, la « demande d’attribution du titre de déporté politique » l’administration écrit pour Aicha : « Je suppose que ma fille fut arrêtée et internée parce qu’israëlite ».
Le 10 juin 1953 Rachel fut qualifiée de « déporté politique » et le tribunal de Lyon a rendu un jugement définitif de son décès qui a été envoyé a Saint-Fons le 23 novembre 1953. Sa mère fera tout ce qu’elle pourra pour prouver la mort de sa fille en prenant comme témoin l’Etat français.
En France, tout Français disparu, corps retrouvé ou non, était déclaré mort. Elle est donc déclarée morte par l’Etat français car son corps n’a pas été retrouvé. Lorsque les personnes étaient déportées sans retour, l’administration française calculait le temps de déportation, de transport et attribuait une date possible de décès. Dans le document suivant du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre, il est écrit: » Il convient à mon avis de fixer la date au 5 août 1944 soit 5 jours après le départ du camp d’internement en France et le lieu du décès au Auschwitz (Pologne). C’est en effet la règle suivie par mes services lorsqu’ils sont saisis d’une demande de régularisation de l’état-civil d’un Israëlite de plus de 55 ans et de moins de 14 ans, cas où ils établissent un acte de décès en se basant sur la documentation concernant les camps de déportés israélites d’après laquelle les déportés de cet âge étaient systématiquement exterminés dès leur arrivée au camp, soit approximativement 5 jours après leur départ de France ». La date du décès de Rachel n’est donc pas certaine.
En rentrant de Lyon, nous avons enregistré des podcasts sur les victimes de préjugés. Nous avons appelé notre émission « Ne fermez pas les yeux ! Un podcast du Collège Jean Brunet « . Nous avons aussi planté un cerisier pour rendre hommage aux victimes.
Le projet et le voyage resteront gravés dans notre mémoire: c’est une partie sombre de l’histoire. C’est quelque chose d’inoubliable et de marquant. Ce projet nous a fait sortir de notre quotidien, nous a permis de mener une enquête. Il sera inoubliable aussi grâce aux moments passés ensemble: avoir appris tout ce que nous savons maintenant ensemble; pas seulement en ayant l’impression de travailler, mais également en menant des activités qui nous ont permis d’avancer, d’apprendre. Cette année aura été marquante pour tous et nous sommes fiers d’avoir pu faire des recherches sur la vie de Rachel Bittoum, sur l’histoire et les conditions de vie pendant la Seconde guerre mondiale.
En complément :
This biography of Rachel BITTOUM has been translated into english.
Merci à tous les élèves et professeurs du collège Jean Brunet d’Avignon pour ce remarquable travail de mémoire et pour avoir rendu hommage à tous ceux et celles qui ont été assassinés parce qu’ils étaient juifs sans oublier tous ceux et celles qui ont donné de leurs vie pour essayés de les sauver…
Paix à leurs âmes.. son neveu..
Je me joins à l hommage rendu par mon frère William
Merci
je viens de lire votre temoignage par hazard bouleversant mille fois merci a vous tous
son neveu Marcel