Rachel EISENBERG

1931-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Rachel EISENBERG

Photographie de Rachel Eisenberg prise au centre UGIF Lamarck en 1943 ou 1944; (Mémorial de la Shoah, collection Serge Klarsfeld)

Notre enquête sur Rachel Eisenberg et les différents membres de sa famille nous a amenés à nous «déplacer» de Nowy Zmigrod, leur shtetl d’origine en Pologne, à Metz leur ville d’adoption, puis à Royan et à Saint-Michel-Léparon en Dordogne où les vicissitudes de l’Histoire les ont contraints à partir et enfin dans les camps d’internement et foyers de l’UGIF où ils ont enfermés en raison des persécutions antisémites du régime de Vichy avant d’être déportés sans retour vers Auschwitz. Nous avons aussi pu approfondir nos connaissances historiques sur la période de l’entre-deux-guerres, sur la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement sur la Shoah. Nous avons pu nous initier à la démarche historique en travaillant sur de nombreuses archives collectées dans les différents lieux où les membres de la famille sont passés. En croisant ces documents et en les replaçant dans leur contexte, nous avons pu tenter de reconstituer cette histoire tragique.

L’histoire de Rachel est en partie liée à celle de Cécile Dembicer sur qui une autre classe du lycée a travaillé l’an passé. Cela a pu nous aider. Nous avons aussi bénéficié de l’aide de M Xavier Hallaire, ancien adjoint au maire de La Roche-Chalais, commune à laquelle est désormais rattaché le village de Saint-Michel-Léparon. Il nous a fourni plusieurs documents en particulier un pochon qui a été confié à la municipalité il y a quelques années par un habitant du village. Ce monsieur a retrouvé ce pochon dans la grange de la maison où la famille Eisenberg a vécu pendant la guerre. Il comprend plus d’une quarantaine de documents, dont de simples bouts de papier, qui apportent des informations précieuses sur la vie de la famille depuis les années 20 en Pologne jusqu’en 1940 lorsqu’elle est à Royan.

Photographie du pochon tel qu’il a été retrouvé dans une grange de Saint-Michel-Léparon en Dordogne.

I. Une famille originaire de Nowy Zmigrod en Pologne

 

Fiche domiciliaire d’Iser Eisenberg;
(Archives municipales de Metz)

Entre 1883 et 1940, dans toute la Moselle, les communes tenaient un fichier domiciliaire dans lequel étaient précisées la composition, l’état-civil et les changements de domiciles des membres de chaque foyer. Celle d’Iser (ou Aser ou Ojser) Eisenberg, le père de Rachel, est conservée aux archives municipales de Metz. Elle indique ainsi que lui-même, son épouse, née Tauba Gross, et ses trois fils sont nés à Zmigrod en Pologne. En fait, il s’agit de Nowy Zmigrod, un shtetl, c’est-à-dire un village juif, situé à la lisière des Carpathes, dans la province de Galicie, intégrée à l’empire Austro-hongrois jusqu’en 1918.

Au début du XXème siècle, le village comptait environ mille habitants, principalement de confession juive. M Bernard Flam, archiviste du centre Medem à Paris, association qui entretient la mémoire et la culture yiddish, nous a transmis des listes alphabétiques des registres d’état-civil juif de Nowy Zmigrod.

Extraits de la liste alphabétique des registres d’état-civil juif de Nowy Zmigrod : colonne U : les naissances, colonne M : les mariages, colonne Z : les décès;
(Archives municipales de Nowy Zmigrod)

Ces listes mentionnent bien la naissance d’Iser en 1888. C’est probablement une erreur puisque tous les autres documents dont nous disposons sur lui indiquent qu’il est né le 1er janvier 1899. L’acte de naissance de Tauba n’est par contre pas enregistré alors qu’elle déclare en France être née dans la même commune le 2 février 1902. On retrouve également mention du mariage des époux en 1923 (acte n°’4) puis de la naissance de Szymon en 1924 et de Leizer en 1926. Curieusement, la naissance du fils aîné, Abraham Chaïm, né le 16 novembre 1922, n’est pas mentionnée non plus.

Parmi les documents du pochon retrouvé à Saint-Michel-Léparon se trouve justement une copie de l’acte de naissance de Szymon, le deuxième fils. Ecrit en polonais, il nous a été traduit par Véronique Chyla, une ancienne élève du lycée. Ce document confirme que Szymon est né le 2 août 1924 à Nowy Zmigrod et que sa mère y est née aussi. Il nous apprend qu’il a été circoncis le 9 août suivant, soit le huitième jour à partir de la naissance conformément à la tradition juive. Le témoin de la circoncision était Leizer Gross, peut-être un frère de sa mère Il précise aussi le nom de ses grands-parents maternels probablement car la judéité se transmet par la mère. Enfin le document précise qu’Iser était marchand et que Tauba était marchande d’œufs tout comme Leizer, le témoin. La famille semble donc extrêmement modeste ce qui peut expliquer l’émigration ultérieure vers la France.

Acte de naissance de Szymon;
(pochon de Saint-Michel-Léparon)

II. L’immigration et la vie à Metz

C’est après la naissance de leur troisième enfant, Leizer, le 5 juillet 1926, que les Eisenberg émigrent vers la France. La date reste cependant incertaine. Le recensement des réfugiés israélites à Royan réalisé le 15 octobre 1940 indique que toute la famille vit en France depuis 1927. La fiche domiciliaire d’Iser indique 1929 comme date d’arrivée à Metz. Il se trouve qu’il existe aussi une fiche domiciliaire au nom de Tauba seule selon laquelle elle est arrivée à Metz en 1928. Les deux fiches s’accordent cependant à dire qu’ils arrivent de Nancy et mentionnent comme adresse d’arrivée le 11 rue Saint Médard. Quelle que soit la date à laquelle ils ont quitté la Pologne, le départ des Eisenberg s’explique sans doute par les difficultés économiques du pays qui ont poussé environ 800 000 Polonais à fuir vers la France et notamment la Lorraine.

Fiche domiciliaire de Tauba Eisenberg;
(Archives municipales de Metz)

Extrait du recensement des familles juives réfugiées à Royan le 15 octobre 1940;
(Archives départementales de Charente Maritime)

A Metz, la famille a vécu dans trois logements successifs. En août 1930, elle emménage au 29 rue du Pontiffroy. C’est dans ce logement que naît Rachel, officiellement prénommée Ita Ruchla, le 19 novembre 1931. Enfin, en décembre 1933, peut-être parce que la famille a besoin d’un logement plus grand, elle emménage au 81 rue Fleurette qui dans ce même quartier du Pontiffroy, quartier juif de Metz. La famille vit donc au sein de la communauté juive de la ville, c’est ce que suggère aussi la mention de son nom sur la plaque commémorative des victimes de la Shoah qui se trouve dans la synagogue polonaise de Metz.

Iser était marchand forain ou marchand ambulant en confection-lingerie-bonneterie dans les départements de Moselle, Meurthe-et-Moselle et Meuse, il devait donc vendre des vêtements dans les foires et marchés. Dans le pochon de Saint-Michel-Léparon, on retrouve plusieurs reçus établis par des fournisseurs d’Iser à son profit, des quittances d’électricité ou d’impôts locaux dans les années 1930. On ignore pourquoi Iser avait jugé utile de conserver ces documents déjà anciens avec des documents plus personnels. Il semble enfin qu’en février 1939, soit peu de temps avant que les événements ne le forcent à quitter Metz, il ait ouvert son propre commerce à son domicile. C’est en tout cas ce que suggère un récépissé de déclaration de commerce lui-aussi conservé dans le pochon.

Copie de l’acte de naissance de Rachel;
(Dossier du Service Historique de la Défense de Caen)

 

Plaque commémorative de la synagogue polonaise de Metz.

Carte de travailleur étranger d’Iser Eisenberg de 1933 conservée dans son dossier de renouvellement de papiers;
(Archives départementales de Charente-Maritime)

Reçu établi par M Lehrmann au profit d’Iser Eisenberg en 1931;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Récépissé de déclaration de commerce d’Iser Eisenberg à partir du 15 février 1939, établie le 3 février 1939;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Nous ne connaissons rien des premières années de la vie de Rachel à Metz. Tout ce que nous savons est que dès avril 1932, ses parents lui ont fait attribuer la nationalité française grâce à une loi de 1927. Un certificat figure dans le dossier de renouvellement de papiers de sa mère conservé aux archives départementales de Charente-Maritime. Cet octroi de la nationalité pour un enfant né en France est important puisqu’il peut protéger la famille d’une éventuelle expulsion. C’est sans doute aussi le signe d’une volonté de la famille de s’intégrer en France. Cette volonté semble également se manifester par la francisation des prénoms des enfants que l’on retrouve dans de nombreuses documents : Abraham Chaïm est appelé Charles, Szymon devient tout simplement Simon, Leizer Louis et Ita Ruchla Rachel.

Certificat de nationalité française de Rachel intégré au dossier de renouvellement de papiers de sa mère;
(Archives départementales de Charente-Maritime)

Curieusement, nous disposons de plus de renseignements sur les frères de Rachel. Ainsi, c’est grâce à un certificat d’apprentissage trouvé dans le pochon que nous apprenons Simon est apprenti fourreur chez M Hochmann au 11 rue Charlemagne à Metz. Il y travaille du 28 septembre 1938 au 28 janvier 1940, date à laquelle la famille quitte Metz. Dans son certificat, le patron attribue les mentions « Bien » pour les aptitudes professionnelles de Simon et « Très bien » pour sa conduite.

Certificat d’apprentissage de Simon Eisenberg délivré le 28 janvier 1940; (Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Quant à Abraham Chaïm ou Charles, c’est encore le pochon qui nous apprend qu’il souffre de graves problèmes de santé. A la date du 16 octobre 1939, il est en effet destinataire d’un mandat au sanatorium Boutillier à Berck-Plage dans le Pas-de-Calais. Cela signifie donc qu’il est atteint par la tuberculose et qu’il donc obligé de faire de longs séjours loin de sa famille. Dans le pochon se trouve aussi un bref courrier daté du 14 juillet 1939 adressé depuis Paris à un « camarade ». L’auteur espère que le destinataire et son père ont fait bon voyage et s’enquiert de sa santé. Il se pourrait que ce courrier soit adressé à Charles par un ami qu’il a connu lors d’un précédent séjour.

Mandat adressé depuis Metz à Charles Eisenberg à Berck-Plage en octobre 1939;
(pochon de Saint-Michel-Léparon)

Courrier peut-être adressé à Charles Eisenberg par un camarade rencontré en centre de soin le 14 juillet 1939. (pochon de Saint-Michel-Léparon)

Une carte postale écrite en yiddich à Iser par sa sœur qui vit à Bruxelles nous pose aussi question. Grâce à Corinne Kalifa du COMEJD, nous avons pu pu obtenir une traduction.Elle est écrite un 29 novembre, peut-être en 1939, car elle mentionne ses inquiétudes par rapport aux nouvelles venues de la « maison ». Si cette carte date bien de 1939, elle évoque alors la situation critique de la famille restée en Pologne occupée depuis deux mois par l’Allemagne.

Traduction de la carte :
Mr. Isser Eisenberg
81 Fleurette
Metz, Moselle
France

Bruxelles, le 29 novembre
Cher frère et belle-sœur avec les enfants,
Tu te demanderas probablement qui peut bien t’envoyer une lettre ici.
Tu m’excuseras de ne pas t’avoir écrit jusqu’à maintenant. C’est à cause du ressentiment occasionné par ta dernière lettre. Maintenant, nous allons tout oublier à ce sujet.
Comment vas-tu, mon cher ? Es-tu en bonne santé et fais-tu de bonnes affaires? Comment ça va chez toi ? Est-ce que tu habites encore là ?
En écrivant cette carte, les larmes me viennent. Qu’est-il arrivé à notre maison ? Un tel malheur soudainement ! Que cela n’arrive pas là ! Que D.ieu ait pitié, de toi et de tous.
Tu as peut-être reçu une lettre de la maison ? Mon cher, j’ai reçu en premier une carte de la maison maintenant.
On ne doit pas écrire beaucoup, mais si seulement cela pouvait être vrai que chacun puisse être à la maison en bonne santé.
Et j’aimerais aussi pouvoir te dire que cette carte a été écrite sans aucune larme.
Si seulement D.ieu pouvait tous nous aider pour que nous soyons tous ensemble bientôt.
Nous avons aussi écrit une carte pour la Pologne maintenant. Nous vous saluons tous et vous embrassons.
De moi, Devora et Chaim ( ?)

P. S. S’il te plait, écris-moi comment tu vas. Chez moi, D.ieu merci tout le monde va bien et nous gagnons notre vie. S’il te plait réponds-moi vite.

Mr. Lerner
Rue Josaphat 149

III. La famille réfugiée à Royan (janvier-novembre 1940)

Les dossiers de renouvellement de papiers des parents de Rachel et de son frère Simon, tous trois conservés aux archives départementales de Charente-Maritime, indiquent que la famille part pour Royan le 29 janvier 1940 dans une période où, sans y être forcée, la population messine est encouragée à quitter la région. Le 7 février, le centre d’accueil des réfugiés signifie à la famille qu’elle a reçu 16 colis expédiés depuis Metz, probablement des affaires qu’elle a fait suivre. Dès le lendemain, la famille, qui réside alors au 49 rue Gambetta, entreprend de faire régulariser sa situation administrative. Dans les semaines ou les mois qui suivent, elle emménage dans un nouveau logement situé au 10 place Foch.

Dans le dossier de renouvellement de papiers d’Iser, un courrier non daté du commissariat de police de Royan indique qu’il est sans emploi et sans ressource, qu’il bénéficie d’un logement gratuit et qu’il perçoit une indemnité journalière de 30 francs pour réfugiés nécessiteux. Il est aussi précisé qu’il a écrit au bureau central du recrutement polonais à Paris. Peut-être a-t-il voulu s’engager dans l’armée polonaise reconstituée en France fin 1939. Plusieurs reçus ou factures de fournisseurs datés d’août à octobre 1940 conservés dans le pochon suggèrent qu’Iser a repris une activité commerciale.

Extrait du dossier de renouvellement de papiers de Simon Eisenberg;
(Archives départementales de Charente-Maritime)

Extraits des dossiers de dossiers de renouvellement de papier d’Iser et Tauba Eisenberg;
(Archives départementales de Charente-Maritime)

Notification par le centre de réfugiés de Royan de la réception de 16 colis venus de Metz le 7 février 1940;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Courrier non daté du commissariat de police de Royan concernant la situation administrative d’Iser Eisenberg et de sa famille;
(Archives départementales de Charente Maritime)

Notes et reçus établis au nom d’Iser Eisenberg en octobre 1940 à Royan;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Dans le pochon, un simple papier qui mentionne le nom d’Iser Eisenberg et son adresse à Royan évoque un dictionnaire allemand-français. Celui-ci a peut-être été commandé auprès d’un libraire. Il se pourrait que les parents de Rachel, habitués à parler l’allemand et le yiddish quand ils étaient à Nowy Zmigrod et encore à Metz, aient été contraints de parler français une fois arrivés à Royan. Leurs enfants étaient par contre probablement totalement francophones. C’est ce que suggère le certificat de scolarité de Louis établi par son instituteur de l’école Pelletan en juin 1940 qui précise qu’il a été bon élève.

Note mentionnant un dictionnaire allemand-français;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Certificat de scolarité de Louis Eisenberg à l’école Pelletan de Royan établi en juin 1940;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Le pochon contient plusieurs autres mandats adressés depuis Royan à Charles entre avril et septembre 1940. Charles est toujours à Berck-Plage mais désormais à l’institut Calot. Un tout petit papier indique l’adresse de l’institut des Frères de Saint Jean de Dieu au Croisic où Charles aurait pu aussi être pris en charge. Nous avons contacté ces différentes institutions mais elles n’ont pu nous fournir aucune information.

La fiche familiale de recensement faite à Royan le 15 octobre 1940 mentionne qu’Iser a «3 enfants + 1 décédé ». Charles serait donc décédé entre le 13 septembre, date où un dernier mandat lui a été envoyé, et le 15 octobre. Il ne nous a pas été possible de déterminer la date ni le lieu du décès. Il n’est pas mort à Metz ni à Royan ni à Berck-Plage ni au Croisic, peut-être sur le chemin qui le ramenait vers sa famille ou entre deux sanatoriums. Ce recensement constitue la seule preuve de son décès dont nous disposons. C’est aussi un document préparatoire à l’expulsion des familles juives du littoral qui survient en novembre 1940.

Dernier mandat adressé depuis Royan à Charles à l’institut Calot de Berck-Plage le 13 septembre 1940;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Papier mentionnant l’adresse de l’Institut des Frères de Saint Jean de Dieu au Croisic;
(Pochon de Saint-Michel-Léparon)

Fiche individuelle de recensement d’Iser Eisenberg établie à Royan le 15 octobre 1940;
(Archives départementales de Charente-Maritime)

IV. La famille déplacée à Saint-Michel-Léparon (1940-1942)

Comme toutes les familles juives réfugiées sur le littoral atlantique, les Eisenberg sont contraints de quitter cette zone en novembre 1940. Ils se retrouvent ainsi avec huit autres familles dans le petit village de Saint-Michel-Léparon en Dordogne occupée. Dans le village voisin, Saint-Michel de Rivière, se trouve la famille Dembicer. Ces deux villages font aujourd’hui partie de la commune de La Roche-Chalais où des stèles commémoratives ont été inaugurées le 8 octobre 2022, 80 ans jour pour jour après la rafle de la salle philharmonique d’Angoulême. Cette cérémonie avait été précédée d’une enquête longue de deux ans menée par l’adjoint au maire, M. Xavier Hallaire, et des historiens du Mémorial de la Shoah. Des collégiens de la commune se sont également impliqués dans ce travail. Aucune information particulière sur la famille Eisenberg n’est ressortie.

Cependant, c’est au cours de cette enquête que le pochon a été confié à la mairie mais, curieusement, il ne contient aucun document concernant la vie de la famille dans ce village. Par ailleurs, la photo de Rachel a été choisie pour illustrer un article du quotidien Sud-Ouest du 22 septembre 2022 concernant l’inauguration des stèles. Une autre trace du passage des Eisenberg se trouve dans un cahier conservé dans l’ancienne mairie du village. Elle consigne la remise aux familles juives du village de leur insigne, l’étoile juive en trois exemplaires. Ainsi, pour cinq personnes, la famille reçoit 15 étoiles au cours de deux remises les 6 et 12 juin. Dans le cadre du rationnement, cette remise leur coûte 5 bons de textile (un par personne). Une dernière information sur Iser et ses deux fils provient de la liste du convoi 40 par lequel tous trois sont déportés le 4 novembre 1942. Etablie après la guerre en s’appuyant sur les fiches d’internement de Drancy, elle indique que tous trois étaient journaliers à Saint-Michel-Léparon c’est-à-dire travailleurs agricoles payés à la journée. Ils étaient donc tombés dans une grande précarité financière.

Photographies prises lors de l’inauguration de la stèle commémorative de Saint-Michel-Léparon le 8 octobre 2022

Photographie de Rachel Eisenberg parue dans un article du quotidien Sud-Ouest le 2 septembre 2022

Pages d’un cahier consignant la remise des étoiles aux Juifs en juin 1942;
(Archives municipales de Saint-Michel-Léparon)

Extrait de la liste des déportés du convoi n°40 du 4 novembre 1942; (Archives d’Arolsen)

V. La famille disloquée par la rafle d’Angoulême (8 octobre 1942)

La nouvelle vie de la famille s’arrête brutalement le 8 octobre 1942 lorsque tous les Juifs étrangers de Charente et de Dordogne occupée sont arrêtés et transférés à la salle philharmonique d’Angoulême. Iser et ses deux fils sont ainsi emmenés à Angoulême où ils restent jusqu’au 15 octobre avant d’être transférés à Drancy d’où ils sont déportés vers Auschwitz par le convoi 40 du 4 novembre 1942. Leurs trois noms ainsi que leurs âges figurent sur la plaque commémorative qui est apposée depuis 2012.

Partie de la plaque commémorative de la rafle de la salle philharmonique d’Angoulême du 8 octobre 1942.

Tauba et Rachel ne figurent pas sur cette plaque. Cela s’explique pour Rachel car, en tant que Française, elle n’était pas déportable lors de cette rafle. On sait notamment d’après le témoignage de M. Robert Frank que plusieurs enfants français qui avaient été arrêtés avec leurs parents ont été libérés sur présentation de leurs papiers d’identité. C’est plus surprenant pour Tauba qui aurait dû être arrêtée avec son mari et ses fils. Etait-elle absente ce jour-là ? Ou malade ? Ou sa fille l’était-elle ? Est-elle parvenue à se cacher ? Nous ne pouvons que formuler des hypothèses. Dans le village voisin de Saint-Michel de Rivière, Mme Dembicer n’a pas été arrêtée avec ses deux enfants car elle était enceinte de son troisième.
On retrouve la trace de Tauba un mois plus tard lorsque le 7 novembre 1942, elle est inscrite dans les registres du camp de la route de Limoges à Poitiers. Elle n’y reste cependant que quelques jours puisque dès le 13, elle est envoyée à Drancy comme en témoigne sa fiche d’internement au camp. Son séjour à Drancy est assez long puisqu’elle y reste jusqu’au 11 février 1943, date à laquelle elle est déportée par la convoi 47.

Registre du camp de Poitiers à la date du 7 novembre 1942;
(Archives départementales de la Vienne)

Fiche d’internement de Tauba Eisenberg à Drancy;
(Mémorial de la Shoah)

Nous avons appris tout récemment que le cahier d’appel de l’école de Saint-Michel de Rivière avait été retrouvé. Rachel y figure à partir d’octobre 1942. On sait aussi qu’à partir du 6 mai 1943, elle est confiée avec Cécile Dembicer à la famille Dorn qui habite au 4 rue Saint Fortunat à Poitiers. Cette famille venue de Metz, réfugiée à Royan puis déplacée à Poitiers est apparentée aux Dembicer. Ce même jour, Cécile est séparée de sa mère qui est internée au camp de Poitiers avec son nouveau-né. On peut donc émettre l’hypothèse que Rachel a vécu d’octobre 1942 à mai 1943 à Saint-Michel-de-Rivière avec les Dembicer.

Note indiquant le placement de Rachel Eisenberg et Cécile Dembicer chez Mme Dorn le 6 mai 1943;
(Archives départementales de la Vienne)

VI. Rachel livrée à elle-même

Rachel et Cécile figurent sur la liste des 67 enfants internés au camp de Poitiers du 24 au 26 mai 1943. Alors que la liste est dressée par ordre alphabétique, les fillettes sont inscrites tout à la fin comme si elles avaient été rajoutées en dernière minute. Il est bien précisé qu’elles étaient placées dans la famille Dorn ainsi d’ailleurs qu’un autre enfant, David Amzel. Le 26, tous ces enfants sont envoyés au centre UGIF Lamarck à Paris. Le registre du centre indique que Rachel repart dès le 7 juin. C’est probablement pour un séjour d’été dans le centre de Louveciennes dont elle revient le 2 août comme l’indique le procès-verbal des entrées et sorties du centre. Le registre mentionne son retour à cette date puis un départ définitif le 8 février 1944.

Liste des 67 enfants internés au camp de Poitiers du 24 au 26 mai 1943;
(Archives départementales de la Vienne)

Registre des entrées au centre Lamarck à la date du 26 mai 1943;
(Archives du Centre Israélite de Montmartre)

Registre des entrées au centre Lamarck à la date du 2 août 1943;
(Archives du Centre Israélite de Montmartre)

Procès-verbal des entrées et des sorties du centre Lamarck au 2 août 1943; (Mémorial de la Shoah)

A cette date, Rachel intègre probablement le centre UGIF de Saint-Mandé. On ignore la raison de ce changement surtout en plein milieu d’une année scolaire. Ce petit centre est dirigé par Thérèse Cahen. L’historien Jean Laloum a consacré un article à ce centre dans la revue Le Monde juif n°155 en 1995. D’après les témoignages de survivantes, les enfants, en très grande majorité des filles, étaient très bien traités dans ce centre presque familial. Rachel figure sur une plaque commémorative apposée en mai 2023 à l’école Paul Bert de Saint-Mandé. C’est donc cette école qu’elle a dû fréquenter entre février et juillet 1944.

Plaque commémorative apposée en mai 2023 à l’école Paul Bert de Saint-Mandé.

La dernière trace de vie de Rachel se trouve dans le cahier de mutation de Drancy qu’elle intègre le 22 juillet 1944 avec les 18 autres enfants du centre de Saint-Mandé et leurs moniteurs. Comme les enfants de cinq autres centres UGIF ce jour-là, ils ont été raflés sur ordre d’Aloys Brunner. Rachel est enregistrée sous le numéro 25664 et loge au dortoir 2 de l’escalier 7 avec ses camarades du centre. Tous sont déportés par le convoi 77 qui part le 31 juillet 1944.

Cahier de mutation de Drancy à la date du 22 juillet 1944;
(Mémorial de la Shoah)

Contributeur(s)

Cette biographie a été réalisée par la classe de Terminale 8 du Lycée Louis Vincent de Metz sous la direction de leurs professeurs M. Bruno Mandaroux et M. Matthieu Testa.

Reproduction du texte et des images

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